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12/09/2019 | LUXEMBOURG | N°43261

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 septembre 2019, 43261


Tribunal administratif N° 43261 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2019 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 12 septembre 2019 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43261 du rôle et déposée le 12 juillet 2019 au greffe du tribunal administratif

par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre de...

Tribunal administratif N° 43261 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2019 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 12 septembre 2019 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43261 du rôle et déposée le 12 juillet 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Libye), de nationalité libyenne, demeurant actuellement à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 juin 2019 de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable pour traiter sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 août 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nathalie Gomes, en remplacement de Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 septembre 2019.

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Le 19 mars 2019, Monsieur … introduisit auprès des autorités luxembourgeoises compétentes une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … s’était vu délivrer un visa court séjour valable du 5 mars 2019 au 8 avril 2019 par les autorités italiennes.

Le même jour, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays 1tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté pris et notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois à partir de sa notification.

En date du 20 mars 2019, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de la considération selon laquelle celui-ci était titulaire d’un visa court séjour lui délivré par les autorités italiennes.

Par le biais d’un courrier du 20 mai 2019, les autorités italiennes acceptèrent la demande de reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 12, paragraphe (2), du règlement Dublin III.

Par arrêté du 18 juin 2019, l’assignation à résidence de Monsieur … à la SHUK fut prorogée pour une nouvelle durée de trois mois.

Par décision du 26 juin 2019, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 12, paragraphe (2), du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 19 mars 2019 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 12(2) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 19 mars 2019 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 19 mars 2019.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 19 mars 2019, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

Il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que la France vous a délivré un visa Schengen valable du 30 avril 2017 au 25 mai 2017 et que l'Italie vous a délivré un visa Schengen valable du 5 mars 2019 au 8 avril 2019 vous ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un Etat membre.

2Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 19 mars 2019.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 20 mars 2019 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 12(2) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 20 mai 2019.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette compétence revient à un autre Etat.

La responsabilité de l'Italie est acquise suivant l'article 12(2) du règlement DIII en ce que le demandeur est titulaire d'un visa en cours de validité au moment de l'introduction de la demande de protection internationale au Luxembourg et que l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que la France vous a délivré un visa Schengen valable du 30 avril 2017 au 25 mai 2017 et que l'Italie vous a délivré un visa Schengen valable du 5 mars 2019 au 8 avril 2019 vous ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un Etat membre.

Selon vos déclarations vous auriez quitté la Libye en date du 17 mars 2019 par voie aérienne en direction du Luxembourg avec escale à Istanbul, muni d'un visa Schengen délivré 3par les autorités italiennes. Vous auriez atterri au Luxembourg en date du 18 mars 2019 et vous vous seriez présenté au service de garde de l'aéroport pour demander une protection internationale.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 19 mars 2019, vous avez fait mention d'une maladie cardiaque et d'un ulcère de l'estomac et vous avez remis un certificat médical manuscrit en langue arabe dont aucune traduction ne nous est parvenue jusqu'aujourd'hui.

Monsieur, vous indiquez que vous ne pourriez pas vous rendre en Italie parce que les gens qui vous menaceraient en Libye, seraient souvent en Italie pour vendre des faux documents. Ainsi, votre vie y serait en danger.

Rappelons dans ce contexte que l'Italie est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement, des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil. Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la DUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, 4d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Au regard de votre état de santé, il n'existe aucune raison de croire que l'exécution du transfert-même vers l'Italie rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d'une violation de l'article 3 CEDH, plus particulièrement votre état de santé n'est pas d'une gravité telle que tout transfert dans les délais prévus par le règlement DIII serait d'ores et déjà voué à échec.

Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées. […] ».

5Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2019, inscrite sous le numéro 43261 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 26 juin 2019 ordonnant son transfert vers l’Italie.

Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la présente matière, l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision précitée du 26 juin 2019. Ledit recours en annulation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur reprend, en substance, les faits et rétroactes tels que relatés ci-avant, tout en donnant à considérer qu’il souffrirait d’une maladie cardiaque et d’un ulcère à l’estomac nécessitant la prise de médicaments. Il ne s’agirait cependant pas d’une maladie cardiaque en tant que telle, mais de stress, de dépression et d’extrême anxieneté en raison des persécutions subies en Libye entraînant une accélération anormale de son rythme cardiaque. Alors même que Monsieur … aurait fait état de son état de détresse physique et psychologique, tout en versant une ordonnance quant à ses médicaments, les autorités luxembourgeoises ne lui auraient pas fourni d’information quant aux démarches à entreprendre ni ne l’auraient considéré comme une personne nécessitant des garanties procédurales spéciales.

S’agissant des motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale, il explique que sa vie et celle de sa famille auraient été menacées en Libye par des factions armées et des groupes de délinquants lui demandant, en sa qualité d’employé de l’office d’état civil en Libye, de falsifier des documents d’identité. Malgré le dépôt de plusieurs plaintes, les autorités libyennes auraient été incapables de lui fournir une protection efficace contre ces agissements.

Monsieur … explique encore ne pas avoir sollicité une protection internationale en Italie, au motif que sa vie y serait en danger, dans la mesure où les personnes l’ayant menacé en Libye s’y rendraient régulièrement pour vendre des documents falsifiés.

En droit, le demandeur conclut, tout d’abord, à une violation de l’article 4 du règlement Dublin III, en ce qu’il n’aurait reçu aucune information de la part des autorités ministérielles concernant les démarches à suivre en vue de la détection de son état de particulière vulnérabilité.

Il se prévaut ensuite de l’article 19, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, pour conclure à l’annulation de la décision déférée, au motif que le ministre aurait failli à son obligation de procéder à une évaluation des garanties procédurales nécessaires, au sens de l’article 2, d) de la loi du 18 décembre 2015, en raison de l’état de santé de Monsieur …, marqué par une maladie cardiaque et le risque de subir un infarctus en raison du stress émotionnel ou psychique auquel il serait exposé en cas d’exécution effective de son transfert. Ainsi, le ministre aurait dû, dans un délai raisonnable, faire les analyses nécessaires pour détecter son état médical particulièrement vulnérable et pour évaluer ses besoins particuliers, conformément à l’article 16, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Monsieur … invoque encore une violation de l’article 3 du règlement Dublin III par la décision déférée du 26 juin 2019 au regard de son état de santé et des conditions de vie auxquelles il serait soumis en cas de transfert vers l’Italie, et plus particulièrement du risque sérieux de faire l’objet d’un traitement contraire à l’article 4 de la Charte des droits 6fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ». Dans le cadre de son argumentation fondée sur l’article 3 du règlement Dublin III, le demandeur, en se prévalant de l’arrêt C-163/17 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 19 mars 2019 dans l’affaire « Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland », selon lequel le principe que les Etats-membres de l’Union européenne pourraient se faire mutuellement confiance que les droits fondamentaux d’un demandeur de protection internationale seraient garantis dans l’Etat de transfert serait une présomption réfragable, argumente que l’existence de défaillances systémiques dans le cadre de la procédure de demandes de protection internationale et en ce qui concerne les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, entraînant un risque de traitement inhumain et dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte, serait clairement établi en Italie. Ainsi, contrairement aux affirmations ministérielles, plusieurs jurisprudences internationales et nationales auraient suspendu des transferts vers l’Italie du fait de la persistance de défaillances systémiques. A cet égard, le demandeur se prévaut des décisions n° 742/2016 et 758/2016 des 3 août et 6 décembre 2018 du comité de l’organisation des Nations unies contre la torture, ainsi que des jugements des instances juridictionnelles compétentes en Allemagne, au Luxembourg, en Angleterre, aux Pays-Bas et en France concernant tous le transfert de demandeurs de protection internationale malades en Italie, ces jugements étant énumérés et explicités dans un rapport de l’organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) du 8 mai 2019, intitulé « Situation actuelle pour les personnes requérantes d’asile en Italie ». Sur base de rapports de l’OSAR, ainsi que de « Asylum Information Database », Monsieur … argumente qu’il y aurait lieu de renoncer aux transferts, dans le cadre du règlement Dublin III, de personnes vulnérables vers l’Italie en raison de défaillances systémiques affectant tant l’accès à la procédure de protection internationale que l’accès à un hébergement, dans la mesure où (i) des restrictions budgétaires auraient encore réduit les prestations en ce qui concerne la nourriture, l’hygiène corporelle, les fournitures pour dormir, les soins et l’aide juridique, (ii), les centres d’hébergement seraient surpeuplés, (iii) le soutien des personnes vulnérables serait inadapté, voire inexistant et, (iv) il existerait des délais d’attente plus ou moins importants avant d’avoir effectivement accès à la procédure de demande de protection internationale, à un centre d’hébergement et à des soins médicaux. Au regard de l’ensemble de ces considérations, le demandeur, en se fondant sur l’arrêt, précité, de la CJUE du 19 mars 2019, ainsi que sur son état de santé, conclut que le seuil de gravité de l’article 4 de la Charte serait atteint, dans son cas, s’il était transféré en Italie, au motif qu’il y serait confronté à un délai d’attente trop long pour introduire sa demande de protection internationale et, en conséquence, pour avoir effectivement accès au système d’accueil et de soins, de sorte à risquer, en raison de sa particulière vulnérabilité et en cas de rupture, voire d’absence de traitement, un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses préjudiciables à sa vie.

Sur base des mêmes considérations, le demandeur conclut encore à une annulation de la décision ministérielle du 26 juin 2019 pour violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III. Le ministre aurait dû ainsi appliquer la clause discrétionnaire et se déclarer compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, alors qu’un transfert vers l’Italie, au regard des conditions matérielles d’accueil et d’accès aux soins, ainsi que de son état de santé, l’exposerait à un risque réel de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, ci-après désignée « la CEDH ».

En invoquant, par ailleurs, une violation des articles 31 et 32 du règlement Dublin III, le demandeur reproche aux autorités luxembourgeoises de ne pas avoir communiqué aux 7autorités italiennes une quelconque information sur son état de santé leur permettant de prendre en compte ce dernier quant à l’accès aux soins, à la procédure de protection internationale, ainsi qu’à un hébergement adapté à sa situation.

Il se prévaut, finalement, d’une violation autonome de l’article 3 de la CEDH, au motif que la décision querellée ayant pour objet de le transférer vers l’Italie, l’exposerait à faire l’objet, pour les raisons ci-avant exposées liées à son état de santé et aux conditions existant en Italie en ce qui concerne la procédure de demande protection internationale et les conditions d’hébergement, de traitements inhumains et dégradants.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

A titre liminaire, il y a lieu de constater que la quasi-totalité des moyens d’annulation présentés par le demandeur se fondent sur la considération selon laquelle il souffrirait de problèmes cardiaques, ainsi que d’un ulcère de l’estomac, et qu’il devrait être qualifié, en raison de ces pathologies, de personne particulièrement vulnérable. Or, le demandeur reste en défaut d’étayer ses problèmes médicaux par un quelconque élément probant soumis à l’appréciation du tribunal, étant donné qu’il ne verse à l’appui de ses affirmations qu’une seule ordonnance médicale du 9 février 2019 prescrivant trois médicaments à une personne autre que lui-même, soit un dénommé …. Par ailleurs, le demandeur précise à la page 3 de son recours qu’il y aurait eu « un léger malentendu » lors de son audition du 19 mars 2019, alors qu’il ne souffrirait pas de problèmes cardiaques et d’un ulcère à l’estomac, mais « […] de stress, dépression et extrême anxiété […] », pour faire ensuite état, dans le cadre de l’exposé de ses moyens d’annulation, de problèmes cardiaques et d’un ulcère à l’estomac. Il y a finalement lieu de relever que Monsieur … met en avant sa nécessité de continuer à prendre des médicaments, affirmation cependant contredite par les éléments du dossier administratif desquels il ressort que le demandeur ne suit aucun traitement médical depuis son arrivée au Luxembourg, ni ne s’est plaint auprès du personnel de la SHUK d’un quelconque problème de santé.

Le tribunal conclut de l’ensemble de ces éléments que Monsieur … n’est pas à qualifier de personne particulièrement vulnérable ayant dû bénéficier de garanties procédurales spéciales.

En ce qui concerne la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale, il y a tout d’abord lieu de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Aux termes de l’article 12, paragraphe (2), du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été prise, « 2. Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre État membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) n o 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas ( 1 ). Dans ce 8cas, l’État membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. ».

Il suit de ces dispositions que l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale est celui ayant délivré à un ressortissant de pays tiers un visa en cours de validité au moment de l’introduction d’une demande de protection internationale dans un autre Etat membre, de sorte à être obligé de prendre, respectivement reprendre en charge le suivi de cette demande.

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est motivée, d’une part, par le fait que Monsieur … s’est vu délivrer un visa Schengen valable du 5 mars 2019 au 8 avril 2019 par les autorités italiennes, partant un visa en cours de validité au moment de la présentation de sa demande de protection internationale au Luxembourg en date du 19 mars 2019 et, d’autre part, par le fait que les autorités italiennes ont expressément accepté de le prendre en charge le 20 mai 2019, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Force est ensuite de relever que le bien-fondé de la motivation invoquée à la base de la décision ministérielle attaquée ressort du résultat des recherches effectuées dans la base de données VIS versé au dossier et du courrier des autorités italiennes compétentes du 20 mai 2019, qui ont, tel que relevé ci-avant, accepté la reprise en charge du demandeur, telle qu’elle a été sollicitée par les autorités luxembourgeoises sur le fondement du prédit article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Italie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour connaître de sa demande de protection internationale, mais soutient, en substance, que la décision déférée serait contraire aux articles 3, paragraphe (2), 4 et 17, paragraphe (1), 31 et 32 du règlement Dublin III, 19, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que 3 de la CEDH.

En ce qui concerne, tout d’abord, le moyen du demandeur tiré d’une violation de l’article 4 du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Dès qu’une demande de protection internationale est introduite au sens de l’article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l’application du présent règlement. […] Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend. […] », il échet de constater, tel que soutenu à juste titre par le délégué du gouverment, que le ministre s’est conformé à son obligation d’information à l’égard de Monsieur …, lors de l’introduction de sa demande de protection internationale. Il ressort, en effet, du dossier administratif, et plus particulièrement, d’une part, du certificat signé par le demandeur le 19 mars 2019, qu’il s’est fait remettre par les autorités ministérielles compétentes une « une brochure d’informations pour demandeurs de protection internationale en langue arabe », ainsi qu’une « brochure d’informations Dublin partie A en langue arabe », et d’autre part, de son rapport d’audition du 19 mars 2019 qu’il a été informé de ce qui suit : « l’objet de notre entretien est de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de votre demande de protection internationale. En vertu du Règlement Dublin III, une demande de protection internationale est examinée par un seul Etat européen, ainsi votre demande peut relever de la compétence d’un autre Etat membre en application du prédit Règlement. Si le Luxembourg n’est pas responsable de l’examen de votre demande, vous serez en principe transféré vers le pays responsable. […] ».

9 Contrairement à l’argumentation du demandeur, l’article 4 du règlement Dublin III n’établit aucune exigence à l’égard des autorités ministérielles d’informer un demandeur de protection internationale souffrant de problèmes médicaux des potentielles démarches que ce dernier devrait suivre en vue de la détection de son état de vulnérabilité.

Au regard de ces considérations, il y a lieu de rejeter le moyen du demandeur basé sur une violation de l’article 4 du règlement Dublin III pour ne pas être fondé.

Il y a également lieu de rejeter le moyen du demandeur basé sur une violation de l’article 19, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « 1. Suite à la présentation d’une demande de protection internationale, le ministre est chargé de procéder dans un délai raisonnable et avant qu’une décision ne soit prise en première instance, à une évaluation des garanties procédurales spéciales qui peuvent s’avérer nécessaires pour certains demandeurs du fait notamment de leur âge, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, d’un handicap, d’une maladie grave, de troubles mentaux, ou de conséquences de tortures, de viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle […] », en ce que le ministre aurait méconnu son obligation de détecter et de prendre en considération sa vulnérabilité, au regard de la conclusion ci-avant retenu que le demandeur, faute d’éléments probants en ce sens, n’est pas à qualifier de personne particulièrement vulnérable.

Quant au moyen fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, ledit article dispose que « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

10l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées3.

Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte4.

Dans ce contexte, dans un arrêt du 19 mars 2019, portant le numéro C-163/17 du rôle, la CJUE a retenu que des défaillances ne sont contraires à l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants que lorsqu’elles atteignent un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause, ce seuil étant atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine5, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant6.

Etant donné que le demandeur remet en question cette présomption du respect des droits fondamentaux par l’Italie, en affirmant qu’il risquerait des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers ledit pays, il lui appartient de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

En l’espèce, il est certes exact qu’il ressort des articles et rapports invoqués par le demandeur, tels qu’énumérés ci-avant dans le cadre de l’exposé de ses moyens, que les autorités 2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 79 ; trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

3 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

4 CJUE, 10 décembre 2013, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, C-394/12, point 62.

5 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland., C-163/17, point 92.

6 Ibidem, point 93.

11italiennes ont connu et connaissent toujours de sérieux problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, respectivement des personnes transférées en Italie sur base des dispositions du règlement Dublin III, impliquant que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés au niveau de l’hébergement, des conditions de vie et de l’accès aux soins, suivant les situations, et que la politique migratoire italienne actuelle se caractérise par un certain durcissement, concrétisé par l’adoption, en date du 24 septembre 2018, d’un décret-loi mettant en place, notamment, une réorganisation du système d’accueil des demandeurs d’asile, qui seront regroupés dans de grands centres d’accueil, les efforts de répartition sur le territoire pour favoriser l’intégration étant désormais réservés aux mineurs isolés et aux réfugiés reconnus.

Cependant, il ne s’en dégage pas que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour les demandeurs de protection internationale, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte.

Force est au tribunal de constater que, dans la mesure où Monsieur … n’a pas déposé de demande de protection internationale en Italie, étant donné qu’il affirme être directement venu, par avion, d’Istanbul au Luxembourg, sans se rendre en Italie, il n’est pas en mesure de faire état de difficultés particulières qu’il aurait rencontrées pour le dépôt de sa demande de protection internationale en Italie.

Par ailleurs, le demandeur reste en défaut d’apporter la preuve que, personnellement, ses droits ne seraient pas garantis en cas de retour en Italie, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés ou encore que ceux-ci n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates7, étant encore relevé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censé en appliquer les dispositions.

Cette conclusion n’est pas contredite par la référence, faite par le demandeur, à différentes jurisprudences étrangères, étant donné que celles-ci ne font pas l’unanimité, dans la mesure où, à titre de contre-exemple, le Conseil d’Etat français8 ou encore la Cour administrative d’appel de Nantes9 ou la Cour administrative d’appel de Marseille10 estiment actuellement que l’Italie ne présente pas de défaillances systémiques.

Dans ces circonstances, le tribunal retient que le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III encourt le rejet.

7 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

8 Conseil d’Etat, juge des référés, 14 novembre 2018, n° 425096.

9 CAA de Nantes, 6ème chambre, 30 janvier 2019, n° 18NT03060.

10 CAA de Marseille, 6ème chambre, 28 janvier 2019, n° 18MA02832.

12En ce qui concerne ensuite le moyen fondé sur une non-application, par le ministre, de la clause discrétionnaire instaurée par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, s’il est vrai que, lorsqu’en application des critères dudit règlement, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres11. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge12, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée13, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, que le demandeur est resté en défaut d’établir faire l’objet d’un traitement inhumain et dégradant au sens des articles 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH en cas de transfert en Italie, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Monsieur …, alors même que cet examen incombe aux autorités italiennes. Il y a, dans ce cadre, encore lieu de préciser, d’une part, tel que retenu ci-avant, que les problèmes médicaux dont prétend souffrir Monsieur … ne sont pas établis, et, d’autre part, que les craintes du demandeur fondées sur le fait que les personnes l’ayant persécuté en Libye risqueraient de le retrouver en Italie doivent être considérées comme purement hypothétiques, dans la mesure où il est difficilement imaginable qu’une personne, dont les poursuivants ignorent complètement son lieu de séjour depuis son départ de son pays d’origine, puisse être facilement retrouvée dans un pays tiers sans l’utilisation de moyens humains et matériels conséquents.

La même conclusion doit être retenu en ce qui concerne le moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la CEDH en ce que le demandeur estime qu’un transfert vers la Italie aurait pour conséquence qu’il y serait exposé à faire l’objet de traitements inhumains et dégradants, en ce qui concerne sa prétendue impossibilité d’avoir accès à des soins médicaux et en ce qui concerne ses craintes liées à la présence, sur le territoire italien, des personnes l’ayant persécuté en Libye, le tribunal ayant considéré, dans le cadre de l’analyse du moyen d’annulation fondé sur les articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, qu’un tel risque ne serait pas établi, en l’espèce, dans son chef.

11 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

12 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.

13 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

13 S’agissant, finalement, de la violation alléguée des articles 31 et 32 du règlement Dublin III, imposant à l’Etat membre procédant au transfert d’un demandeur de protection internationale d’échanger avec l’Etat membre responsable les informations pertinentes avant l’exécution d’un transfert, concernant notamment la santé de la personne concernée, afin de mettre à l’Etat de destination en mesure de pouvoir assurer un traitement médical adéquat, le tribunal doit relever que lesdits articles concernent l’exécution du transfert, de sorte qu’ils n’affectent a priori pas la légalité de la décision de transfert en elle-même. A cela s’ajoute, tel que retenu ci-avant, que le demandeur reste en défaut d’établir dans quelle mesure il se serait trouvé dans une situation nécessitant une assistance particulière. En effet, la seule affirmation non autrement établie qu’il souffrirait de problèmes cardiaques et d’un ulcère à l’estomac n’est, en tout état de cause, pas suffisante à cet égard. A cela s’ajoute qu’outre le fait que le demandeur reste en défaut d’établir que les autorités italiennes lui refuseraient l’accès aux soins médicaux, le cas échéant, nécessaires, tel que cela a été retenu ci-avant, il n’allègue pas que son état de santé serait si grave qu’un transfert pourrait avoir des conséquences irréversibles sur celui-ci et impliquant que le ministre aurait dû s’assurer que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière suffisante et appropriée son état de santé, voire suspendre l’exécution du transfert à défaut de précautions suffisantes. Le tribunal se doit encore de constater qu’il ne se dégage en tout état de cause d’aucun des éléments lui soumis que le demandeur ne pourrait pas trouver en Italie une aide spécifique au vu de ses prétendus besoins particuliers en matière d’accueil requis, le cas échéant, par son état de santé.

Au vu des considérations qui précèdent, le moyen fondé sur une violation des articles 31 et 32 du règlement Dublin III est à son tour rejeté pour ne pas être fondé.

Il s’ensuit que c’est à bon droit et sans commettre d’erreur d’appréciation que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites.

Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire de vacation du 12 septembre 2019 par :

Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, premier juge, Daniel Weber, juge, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.

14 s. Xavier Drebenstedt s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 septembre 2019 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 43261
Date de la décision : 12/09/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-09-12;43261 ?

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