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04/09/2019 | LUXEMBOURG | N°43256

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 septembre 2019, 43256


Tribunal administratif N° 43256 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juillet 2019 chambre de vacation Audience publique de vacation du 4 septembre 2019 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43256 du rôle et déposée le 11 juillet 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mad...

Tribunal administratif N° 43256 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 juillet 2019 chambre de vacation Audience publique de vacation du 4 septembre 2019 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43256 du rôle et déposée le 11 juillet 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 juin 2019 de la transférer vers le Danemark comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 16 août 2019 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître José Steffen, en remplacement de Maître Michel KARP, et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Le 22 mai 2019, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, service criminalité organisée / police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressée avec la base de données EURODAC, qu’elle avait introduit des demandes de protection internationale au Luxembourg, le 25 novembre 2015, ainsi qu’au Danemark le 7 juin 2016.

Le même jour, Madame … fut encore entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités danoises le 23 mai 2019 en vue de la reprise en charge de Madame …, demande qui fut acceptée par les autorités danoises le 29 mai 2019 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Par décision datée du 28 juin 2019, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé du même jour, le ministre informa Madame … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de la transférer dans les meilleurs délais vers le Danemark sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 22 mai 2019 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférée vers le Danemark qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Rappelons que vous avez déjà déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 25 novembre 2015 et que les autorités luxembourgeoises ont décidé en date du 14 avril 2016 de vous transférer au Danemark qui est le pays responsable pour examiner votre demande, une décision qui a été exécutée en date du 7 juin 2016.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 22 mai 2019 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 22 mai 2019. En mains également la télécopie de votre mandataire du 25 juin 2019 nous informant que vous auriez subi des violences de la part de votre mari.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 22 mai 2019, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment déposé, respectivement introduit des demandes de protection internationale au Luxembourg en date du 25 novembre 2015 et au Danemark en date du 7 juin 2016.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 22 mai 2019.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 23 mai 2019 une demande de reprise en charge aux autorités danoises sur base de l’article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités danoises en date du 29 mai 2019.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

En application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d’analyser s’il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d’entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n’est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 22 mai 2019 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment déposé, respectivement introduit des demandes de protection internationale au Luxembourg en date du 25 novembre 2015 et au Danemark en date du 7 juin 2016.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté l’Iraq accompagnée de votre mari en date du 29 octobre 2015 par voie aérienne en direction d’Istanbul d’où vous auriez embarqué sur un bateau en direction de la Grèce. Ensuite, vous auriez emprunté la route des Balkans en direction du Luxembourg où vous auriez vécu pendant six ou sept mois et où vous auriez déposé une demande de protection internationale en date du 25 novembre 2015. Comme votre mari aurait été en possession d’un visa délivré par les autorités danoises, vous auriez été transférés tous les deux au Danemark où vous auriez vécu du 7 juin 2016 jusqu’au 20 mai 2019. Comme votre demande de protection internationale aurait été rejetée par les autorités danoises, vous auriez décidé de revenir au Luxembourg en date du 21 mai 2019.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 22 mai 2019, vous avez fait mention d’être diabétique, de souffrir d’une hypertension artérielle et de suivre un traitement médicamenteux.

Madame, vous indiquez ne pas vouloir retourner au Danemark parce que vous ne vous seriez pas sentie à l’aise au Danemark et parce que les autorités danoises auraient arrêté votre traitement médical. À cet égard, il y a lieu de relever que le Danemark dispose de structures médicales semblables à celles existant au Luxembourg. Par conséquent, il peut être admis que le Danemark peut fournir des soins médicaux appropriés ainsi que l’accès aux soins urgents et nécessaires. Partant, il n’existe pas de raison d’admettre qu’au Danemark, vous couriez un risque de traitement contraire à l’article 3 CEDH dû à votre état de santé.

De plus, il ressort de la télécopie que votre mandataire nous a fait parvenir en date du 25 juin 2019 que vous êtes « revenue seule au Grand-Duché le 22 mai 2019 en raison des disputes et violences conjugales de son mari qui l’a même frappé. Elle a refait ici une nouvelle demande de protection internationale et ignore ce qu’il est advenu de son mari dont elle se désintéresse actuellement. Dès lors elle ne souhaite pas retourner au Danemark, car elle a très peur de son mari. » Or, il n’existe aucune raison de croire que les autorités danoises ne pourraient ou ne voudraient pas vous protéger contre des éventuelles harcèlements ou violences de la part de votre mari. Ces motifs ne constituent donc pas un obstacle à votre transfert vers le Danemark.

En l’occurrence, dans l’hypothèse où les autorités danoises auraient effectivement rendu une décision de renvoi vers votre pays d’origine, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires danoises.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que le Danemark ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence le Danemark. Vous ne faites valoir aucun indice que le Danemark ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions danoises, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Madame, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence au Danemark revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Au vu de ce qui précède, l’application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Au regard de votre état de santé, il n’existe aucune raison de croire que l’exécution du transfert-même vers le Danemark rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d’une violation de l’article 3 CEDH, plus particulièrement votre état de santé n’est pas d’une gravité telle que tout transfert dans les délais prévus par le règlement DIII serait d’ores et déjà voué à échec.

Pour l’exécution du transfert vers le Danemark, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers le Danemark, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transférée. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers le Danemark en informant les autorités danoises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités danoises n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juillet 2019, inscrite sous le numéro 43256 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 28 juin 2019.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond dans la présente matière, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation sous analyse, lequel est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse, après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base du présent litige, soutient que le ministre aurait commis une erreur d’appréciation dans le cadre de la décision déférée, de sorte qu’il aurait dû faire usage de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III en se déclarant compétent pour connaître de sa demande de protection internationale. A cet égard, elle explique qu’elle craindrait de faire l’objet, en cas de transfert vers le Danemark, de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », respectivement de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », en raison du fait que les autorités danoises auraient arrêté de lui administrer ses médicaments sachant qu’elle serait diabétique et qu’elle souffrirait d’une hypertension artérielle. La demanderesse donne à considérer qu’elle craindrait de se retrouver démunie de toute prise en charge médicale au Danemark, ce qui aurait pour conséquence une détérioration de son état de santé physique et psychique.

Madame … estime, par ailleurs, que la décision ministérielle sous examen impliquerait indirectement un refoulement par le Danemark vers l’Irak, refoulement qui serait contraire à l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève ». La demanderesse relève que bien que la situation sécuritaire en Irak semblerait officiellement rétablie après de longues années de guerre, nombreuses seraient les personnes qui pensent que tel ne serait cependant pas le cas en réalité. Elle cite à cet effet des extraits d’un article de presse d’un dénommé Kevin Baron du 22 mars 2018 intitulé « The War in Iraq isn’t done. Commanders explain why and what’s next », ainsi que d’un autre article publié par l’éditeur « France Diplomatie » du 26 juin 2019, intitulé « Iraq ».

D’autre part, la demanderesse donne à considérer qu’il ressortirait d’un rapport du 23 mai 2019 « Standard form for requests for taking back » qu’elle aurait été déboutée de sa demande de protection internationale introduite au Danemark en date du 7 juin 2016, de sorte qu’au vu de l’épuisement de toutes les voies de recours, sinon au vu de l’épuisement du délai pour former un recours à l’encontre de la décision de rejet, celle-ci serait devenue définitive et impliquerait donc que Madame … serait contrainte de se rendre en Irak en cas de retour au Danemark, ce qui serait toutefois contraire à l’article 33 de la Convention de Genève, étant donné que le transfert de la demanderesse en Irak l’exposerait à un danger réel de faire l’objet de traitements inhumains, respectivement à un danger de mort.

Le délégué du gouvernement, pour sa part, conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il convient de rappeler que l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités danoises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Madame …, prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer la demanderesse vers le Danemark et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale serait le Danemark, en ce qu’elle y aurait introduit auparavant une demande de protection internationale en date du 7 juin 2016 et que les autorités danoises auraient accepté sa reprise en charge le 29 mai 2019, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de la transférer vers le Danemark et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Le tribunal constate ensuite que la demanderesse ne conteste pas la compétence de principe du Danemark, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais elle met en avant sa crainte de se retrouver démunie de toute prise en charge médicale au Danemark, ainsi que d’être expulsée par les autorités danoises vers l’Irak où elle risquerait de subir un traitement inhumain ou dégradant, de sorte à soutenir qu’au vu de ces risques, la décision de transfert actuellement litigieuse serait contraire aux dispositions des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Ainsi, elle reproche au ministre de ne pas avoir fait application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Le tribunal est tout d’abord amené à rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1.

C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants.

En ce qui concerne plus particulièrement le risque allégué d’une expulsion en cascade, le tribunal constate tout d’abord que la décision attaquée n’implique pas un retour vers le pays d’origine de la demanderesse, mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites, étant relevé que ledit Etat membre, en l’occurrence, le Danemark, a reconnu être compétent pour reprendre la demanderesse en charge.

Il n’en demeure pas moins qu’en vertu notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse être de nature à entraîner un risque sérieux qu’un demandeur de protection internationale soit, en cas de transfert vers un Etat membre, traité d’une manière incompatible avec les droits fondamentaux, étant relevé que la présomption selon laquelle les Etats membres respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH et la Charte est réfragable2.

Force est toutefois de constater qu’en l’espèce, outre le fait que la demanderesse n’affirme pas que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés au Danemark lors du traitement de sa demande de protection internationale, elle n’apporte pas non plus la preuve que, personnellement, ses droits ne seraient pas garantis au Danemark et que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés au Danemark ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient au Danemark aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que le Danemark est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève -

comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Pour ce qui est plus particulièrement de la crainte mise en avant par la demanderesse d’être expulsée par les autorités danoises vers l’Irak en violation du principe de non refoulement, force est au tribunal de relever que la demanderesse reste en défaut d’étayer concrètement l’existence d’un tel risque dans son chef, la demanderesse ne fournissant pas non plus d’éléments susceptibles de démontrer que le Danemark ne respecterait pas le principe du non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en la renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement mis en danger.

Le tribunal relève encore que la demanderesse ne fournit pas de précisions quant à la situation des personnes transférées vers le Danemark dans le cadre du règlement Dublin III, ni n’invoque-t-elle une jurisprudence de la CourEDH ou de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », relative à une suspension générale des transferts vers le Danemark, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. La demanderesse ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis de l’UNHCR 2 CourEDH, Grande Chambre, F.G. c. Suède, 23 mars 2016, n°43611/11.

interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers le Danemark dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile danoise ou du renvoi des demandeurs d’asile déboutés irakiens qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal que si les autorités danoises devaient néanmoins décider de rapatrier la demanderesse dans son pays d’origine en violation des articles 3 de la CEDH et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’elle y serait exposée à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités danoises en usant des voies de droit adéquates3. A cela s’ajoute que même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait encore possible à la demanderesse de saisir la CourEDH pour solliciter de sa part, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, qu’elle demande aux autorités danoises de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.

Il ne se dégage dès lors pas des éléments soumis au tribunal que le transfert de la demanderesse au Danemark l’exposerait à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Quant au moyen tiré de la violation par le ministre de l’article 3 de la CEDH et de son corollaire, l’article 4 de la Charte, dans la mesure où la demanderesse allègue un défaut d’accès aux soins au Danemark, force est tout d’abord au tribunal de constater qu’il ne ressort pas des documents médicaux produits en cause que l’état de santé de Madame … serait à tel point précaire qu’un transfert vers le Danemark serait impossible. Il résulte, de surcroît, de l’avis médical du 1er août 2019 établi par le Dr. P. W., médecin délégué auprès de la Direction de la Santé du ministère de la santé, que la demanderesse « suit un traitement contre le diabète type 2, qui est un traitement oral et un traitement contre l’hypertension. Les médicaments pour ces traitements sont aussi disponibles au Danemark ; La concernée ne reçoit pas d’autre traitement spécifique ; Est d’avis que Madame … peut être déplacée sans problème de Luxembourg vers le Danemark sans que ceci ne puisse se répercuter de façon défavorable sur son état de santé ou mettre sa vie en danger et sans que cela ne constitue un problème de santé publique », ledit certificat confirmant ainsi expressément la possibilité de transférer la demanderesse vers le Danemark.

La demanderesse n’a dès lors pas établi, dans le cadre de la présente procédure, qu’elle ne serait pas en mesure de voyager en raison de son état de santé ou que son transfert au Danemark représenterait un danger concret pour sa vie ou sa santé.

Elle n’a pas non plus établi ne pas avoir accès aux soins de santé au Danemark afin de pouvoir continuer son traitement actuel ni ne pas avoir accès aux médicaments nécessaires laissant conclure à une violation, par les autorités danoises, de l’article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, la simple affirmation en ce sens, sans autre élément concret soumis au tribunal, étant insuffisante à cet égard.

Il suit des considérations qui précèdent, qu’en l’espèce, la demanderesse est restée en défaut d’avoir rapporté la preuve d’une vulnérabilité particulière dans son chef, présentant le niveau de gravité requis par les jurisprudences internationales et qui aurait pour conséquence 3 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

de retenir que son transfert au Danemark serait de nature à exacerber un état de santé fragilisé de manière à entraîner un risque de subir des traitements prohibés par l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte en raison de conditions d’accueil inadaptées à son état physique. Il s’ensuit que le moyen de la demanderesse tenant à une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en raison de son prétendu état de vulnérabilité particulière est à rejeter.

Les moyens de la demanderesse fondés sur une violation par la décision ministérielle attaquée des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte sont, par conséquent, à rejeter pour ne pas être fondés.

En ce qui concerne ensuite le moyen fondé sur une non-application, par le ministre, de la clause discrétionnaire instaurée par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, s’il est vrai que, lorsqu’en application des critères dudit règlement, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres4. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge5, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée6, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.

Il appartient dès lors à la demanderesse de démontrer qu’il existe une disproportion manifeste dans la décision du ministre de la transférer vers le Danemark et de ne pas examiner sa demande de protection internationale au Luxembourg.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte que la demanderesse est restée en défaut d’établir que tout demandeur de protection internationale irakien débouté soit automatiquement et sans possibilité de recours éloigné par les autorités danoises vers l’Irak, et qu’elle se trouve dans un état de vulnérabilité particulière lui faisant courir un risque de subir des traitements inhumains ou dégradants, et que c’est sur base de cette même argumentation que la demanderesse estime que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Madame …, alors même que cet examen incombe aux autorités danoises.

4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

5 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.

6 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

En effet, comme la demanderesse reste en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités danoises n’ont pas analysé correctement sa demande de protection internationale avant de l’en débouter ou qu’en tant que demandeur de protection internationale débouté, elle n’aurait pas accès à la justice danoise pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la décision de rejet de sa demande de protection internationale ou avec une éventuelle mesure d’éloignement vers son pays d’origine, il n’appartient pas au ministre de mettre en doute leur décision de rejet, le contraire aboutissant, en effet, à ce que le ministre procède à une nouvelle analyse d’une demande d’ores et déjà rejetée dans un Etat membre, façon de procéder qui relèverait toutefois du « forum shopping » que le règlement Dublin III vise justement à éviter.

Il s’ensuit que c’est à bon droit et sans commettre d’erreur d’appréciation, ni excéder ses pouvoirs, que le ministre a décidé de transférer la demanderesse vers le Danemark, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites.

Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut de tout autre moyen, le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 4 septembre 2019 par :

Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s. Marc Warken s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 septembre 2019 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 43256
Date de la décision : 04/09/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-09-04;43256 ?

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