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28/08/2019 | LUXEMBOURG | N°43206

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 août 2019, 43206


Tribunal administratif Numéro 43206 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2019 chambre de vacation Audience publique du 28 août 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43206 du rôle et déposée le 1er juillet 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Laura Urbany, avoc

at à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur...

Tribunal administratif Numéro 43206 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2019 chambre de vacation Audience publique du 28 août 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43206 du rôle et déposée le 1er juillet 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Laura Urbany, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Érythrée), de nationalité érythréenne, demeurant actuellement à L-… tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 juin 2019 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Italie, l’État membre responsable pour connaître de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 août 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation de ce jour.

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Le 20 décembre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée/police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait précédemment franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 25 novembre 2018.

Le 14 janvier 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 15 janvier 2019, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues italiens en vue de la prise en charge de Monsieur … en exécution du règlement Dublin III.

Restant sans réponse, elles envoyèrent auxdites autorités italiennes un courrier le 25 mars 2019 dans lequel elles constatèrent l’acceptation tacite de la prise en charge. Par courrier électronique du 26 mars 2019, les autorités italiennes informèrent leurs homologues luxembourgeois des modalités de transfert de Monsieur ….

Par décision du 17 juin 2019, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie, sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles des articles 13, paragraphe (1) et 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III. Ladite décision est libellée comme suit :

« Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 20 décembre 2018 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 13(1) et 22(7) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Italie qui est l’Etat membre compétent pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 20 décembre 2018 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 14 janvier 2019. En mains également la télécopie de votre mandataire du 25 janvier 2019, par laquelle elle sollicite l’application de l’article 17 du règlement DIII et transmet des documents relatifs à votre état de santé, ainsi que celles des 4 mars et 30 avril 2019 par lesquelles elle transmet des certificats médicaux. En mains aussi l’avis médical du 20 mai 2019 établi par un médecin délégué de l’inspection sanitaire, concernant votre déplacement vers l’Italie.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 20 décembre 2018, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 25 novembre 2018.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 14 janvier 2019.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 15 janvier 2019 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l’article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 16 mars 2019 sur base de l’article 22(7) du règlement précité.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas compétent pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette compétence revient à un autre Etat.

Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

La responsabilité de l’Italie est acquise suivant l’article 22(7) du règlement DIII en ce que l’absence de réponse à l’expiration d’un délai de deux mois équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée.

En application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d’analyser s’il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d’entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n’est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement compétent lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 20 décembre 2018 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 25 novembre 2018.

Selon vos déclarations vous auriez quitté votre pays d’origine le 21 novembre 2016 en direction du Djibouti. Après six semaines, vous seriez passé par l’Ethiopie et le Soudan pour vous rendre en Libye. Vous y seriez resté pendant un an et cinq mois. Vous auriez alors pris le bateau afin de vous rendre en Italie.

Après un séjour de seize jours, vous seriez passé par la France pour arriver au Luxembourg en date du 14 décembre 2018. Vous déclarez ne jamais avoir eu des documents d’identité.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 14 janvier 2019, vous déclarez avoir la tuberculose (page 2/7 du rapport d’entretien). Il ressort des éléments relatifs à votre état de santé que vous présentez effectivement une infection de tuberculose pulmonaire qui est actuellement sous traitement antibiotique. Le traitement se fait sous surveillance journalière étroite et est à continuer sans aucune interruption jusqu’au 31 août 2019. Par ailleurs, il ressort de l’avis médical du 20 mai 2019 établi par un médecin délégué de l’inspection sanitaire que vous pouvez être transféré vers l’Italie à partir du 1er septembre 2019.

Vous soutenez ne pas vouloir vous rendre en Italie pour le traitement au fond de votre demande de protection internationale parce qu’« en Italie, je n’obtiens aucun traitement médical. J’ai peur pour ma santé » (page 5/7 du rapport d’entretien Dublin III du 14 janvier 2019).

Rappelons à cet égard que l’Italie est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S’il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d’importantes difficultés sur le plan de l’hébergement, des conditions de vie, il n’y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu’il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte UE.

Par conséquent, en l’absence d’une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l’Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d’accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv.

torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l’application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer compétentes pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Au regard de votre état de santé, il n’existe aucune raison de croire que l’exécution du transfert-même vers l’Italie rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d’une violation de l’article 3 CEDH, plus particulièrement votre état de santé n’est pas d’une gravité telle que tout transfert dans les délais prévus par le règlement DIII serait d’ores et déjà voué à échec.

Pour l’exécution du transfert vers l’Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Italie, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avérait nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées. (…) ».

En date du 18 juin 2019, le ministre s’adressa au service de police judiciaire, section criminalité organisée/police des étrangers, de la police grand-ducale en vue d’organiser le transfert de Monsieur … vers l’Italie.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2019, inscrite sous le numéro 43206 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle précitée du 17 juin 2019.

Or, en vertu de l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, seul un recours en annulation est prévu en la présente matière, de sorte que le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal contre la décision de transfert litigieuse.

Le recours subsidiaire en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose d’abord les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, tout en expliquant qu’il aurait été appréhendé et forcé à laisser ses empreintes digitales en Italie, et qu’il aurait été relâché sans qu’aucune information utile relative à sa demande ne lui aurait été fournie. Il aurait été logé dans une baraque faisant office de camp de réfugiés, où il aurait dormi avec plusieurs autres demandeurs d’asiles et réfugiés reconnus, ce qui témoignerait des conditions d’accueil et de prise en charge qui seraient désastreuses en Italie. Il fait ensuite valoir qu’il souffrirait d’une tuberculose active sous traitement antibiotique, traitement qu’on ne lui aurait pas offert en Italie, alors même qu’il y aurait déjà été atteint de ladite maladie. Finalement, il relève qu’il aurait vécu des événements traumatisants en Libye où il aurait été victime de tortures. Lorsqu’il serait arrivé en Italie, il n’aurait pas pu bénéficier d’une prise en charge médicale adéquate, ni pour ses séquelles physiques, ni pour son vécu traumatisant, de sorte qu’il aurait décidé de ne pas déposer de demande de protection internationale en Italie et de rejoindre un autre pays de l’Union européenne.

En droit, Monsieur … se prévaut d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 3, du règlement Dublin III, au motif que le ministre aurait fait abstraction des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Italie. En effet, les capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale seraient largement dépassées, de sorte que le respect des conditions d’hébergement, de nourriture, d’hygiène, de santé et de sécurité n’y serait plus garanti. Les demandeurs d’asile ayant fait l’objet d’un transfert seraient particulièrement concernés par ces conditions. A l’appui de son argumentaire, le demandeur se base sur un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, ci-après dénommée « l’OSAR », d’octobre 2013, selon lequel les personnes transférées dans le cadre du règlement Dublin III dormiraient parfois plusieurs jours aux aéroports de Fiumicino et Malpensa avant que les autorités italiennes ne leur trouvent un hébergement. Il renvoie à un autre rapport d’août 2016 de la même organisation pour souligner que, suite aux transferts, les demandeurs de protection internationale devraient normalement obtenir un permis de séjour spécifique dans les deux mois de leur retour, mais que dans les faits, ce délai serait porté de huit à douze mois. Il cite également un rapport de l’association « Médecins sans frontières » de février 2018, intitulé « Out of sight », dans lequel il serait relevé qu’au moins 10.000 personnes, parmi lesquelles se trouvent des personnes bénéficiant d’une protection internationale et des demandeurs de protection internationale, ne pourraient avoir accès aux soins et services de base.

De ce fait, en cas de retour en Italie, il courrait le risque de se retrouver sans logement pendant plusieurs mois.

Ensuite, en se basant sur un rapport d’Amnesty International du 3 novembre 2016, intitulé « Italie : coups, décharges électriques et humiliations sexuelles contre les réfugiés », le demandeur donne à considérer que même à supposer qu’il puisse être logé dans un foyer étatique, les centres d’hébergement seraient débordés et de nombreux actes de violences y seraient commis et qu’il ne pourrait pas y être protégé dans la mesure où les forces de l’ordre y seraient également les auteurs de maltraitances. Il se base encore sur l’arrêt Tarakhel1, de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », sur un rapport du représentant spécial du Secrétaire Général sur les migrations et les réfugiés du Conseil de l’Europe d’octobre 2016, et sur un communiqué de presse du Conseil de l’Europe du 18 mars 2017, pour faire valoir que les places disponibles dans les structures d’accueil seraient épuisées, étant donné que celles-ci ne seraient pas libérées tant que la demande de protection internationale ne serait pas traitée, et qu’il faudrait parfois attendre plusieurs années avant qu’elle ne le soit, ce qui entraînerait une pénurie de logements pour les demandeurs de protection internationale.

Monsieur … précise encore que les défaillances systémiques du système d’examen des demandes d’asile seraient encore avérées en l’espèce, étant donné que les autorités italiennes auraient manqué de répondre à la requête de prise en charge des autorités luxembourgeoises dans les délais, ce qui démontrerait leur surcharge de travail.

En ce qui concerne plus particulièrement les défaillances systémiques dans la procédure d’asile en Italie, le demandeur fait valoir, en se basant sur le rapport d’Amnesty International du 3 novembre 2016 précité, que les demandes de protection internationale y seraient examinées de façon superficielle par des agents de police non formés.

Il ajoute que, souvent, les autorités italiennes refuseraient de reprendre l’examen de la demande de protection internationale des personnes qui leur seraient transférées et il conclut que le transfert vers l’Italie serait impossible, au vu des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil, lesquelles entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », ou encore des articles 1er et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-

après désignée par « la Charte ». Il renvoie à cet égard à des jugements de tribunaux administratifs français et à un arrêt de la Cour administrative française, ainsi qu’à un jugement du tribunal de céans du 3 août 2018, inscrit sous le numéro 41401 du rôle, dans lesquels l’existence de défaillances systémiques en Italie aurait été retenue.

1 CourEDH, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, requête n° 29217/12.

A titre subsidiaire, le demandeur fait valoir que les autorités luxembourgeoises auraient méconnu leur obligation de s’assurer préalablement auprès des autorités italiennes qu’il serait hébergé dès sa prise en charge par ces dernières et qu’il aurait accès aux soins médicaux. Dans ce contexte, il se prévaut, de nouveau, de l’arrêt Tarakhel de la CourEDH précité, suivant lequel il y aurait violation de l’article 3 de la CEDH, par l’Etat requérant s’il omet d’obtenir au préalable auprès de l’Etat requis une garantie individuelle de prise en charge adaptée aux besoins de la personne transférée. Il invoque à cet égard nécessiter une prise en charge médicale, alors qu’il serait atteint d’une tuberculose pulmonaire active sous traitement et surveillance journalière étroite. Le demandeur relève, par ailleurs, qu’il serait avéré qu’en Italie le dépôt d’une demande de protection internationale ne serait pas garanti dans un bref délai et que son état de santé ne lui permettrait pas d’attendre plusieurs semaines, voire des mois, avant de pouvoir bénéficier des garanties liées au statut de demandeur d’asile, ce qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour sa santé en raison de la maladie dont il serait atteint.

A titre plus subsidiaire, en faisant référence à un entretien accordé par le ministre à la chaîne de télévision RTL en date du 25 janvier 2019, il fait valoir que ce dernier aurait avoué qu’il ferait application de l’article 17 du règlement Dublin III lorsque l’Italie serait compétente pour l’examen d’une protection internationale d’un demandeur si celui-ci avait un vécu traumatisant lors de son passage en Europe, notamment en Libye. Il aurait demandé au ministre, dans ce cadre, par courrier du 25 janvier 2019, l’application de l’article 17 du règlement Dublin III en raison de son état de santé. Par courriers des 4 mars et 30 avril 2019, son mandataire aurait encore fait parvenir des certificats médicaux attestant de la réalité de l’infection tuberculeuse pulmonaire active ainsi que du traitement prévu. Il estime de ce fait que le ministre aurait également dû faire application de l’article 17 du règlement Dublin III dans son cas et qu’en ne le faisant pas, il aurait violé l’article 10bis de la Constitution, raison pour laquelle il réclame l’annulation de la décision litigieuse.

A titre encore plus subsidiaire, le demandeur relève que la décision ministérielle litigieuse serait contraire à l’article 29 du règlement Dublin III, alors qu’elle indique que le délai de transfert de six mois à partir de l’acceptation tacite de l’Italie serait suspendu aussi longtemps que son état de santé constituerait un obstacle à son transfert. D’après le demandeur, le prédit article ne prévoirait pourtant la suspension dudit délai qu’au cas où la personne concernée aurait pris la fuite ou si elle aurait été emprisonnée, de sorte que le délai de six mois ne saurait être suspendu sur base de l’article 29 du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Le tribunal relève que l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III sur le fondement duquel la décision litigieuse a été également prise dispose, quant à lui, que « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ».

Enfin, l’article 22, paragraphe (7) du règlement Dublin III prévoit que « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois [à compter de la date de réception de la requête de prise en charge] et du délai d’un mois [lorsque l’Etat membre requérant a invoqué l’urgence] équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte, même tacitement, la prise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et des articles 13, paragraphe (1), et 22, paragraphe (7), du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur …, mais l’Italie, qui a accepté tacitement de le prendre en charge à partir du 16 mars 2019, suite à l’absence de réponse à la demande luxembourgeoise envoyée le 15 janvier 2019, et qui a, par la suite, indiqué les modalités de transfert par courrier électronique du 26 mars 2019, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

Il y a lieu de constater que le demandeur ne conteste ni la compétence de principe des autorités italiennes, ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais qu’il reproche au ministre d’avoir violé l’article 3, paragraphe (2), alinéa 3, du règlement Dublin III, aux termes duquel « Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur base des critères énoncés au paragraphe III ou vers le premier Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable devient l’Etat membre responsable ».

Or, si le demandeur invoque certes une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 3, précité, du règlement Dublin III, il ressort cependant de la teneur de la requête introductive d’instance que le reproche est principalement formulé à l’encontre du deuxième alinéa de l’article en question, suivant lequel « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ».

Il échet de relever que si, comme en l’espèce, un Etat membre a accepté la prise en charge d’un demandeur d’asile, le demandeur ne peut mettre en cause cette décision qu’en invoquant l’existence de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet Etat membre qui constituent des motifs sérieux et avérés de croire que lesdits demandeurs courront un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte2, disposition qui impose ainsi à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre de telles défaillances systémiques.

Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable -

que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5.

Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte6.

En ce qui concerne les défaillances systémiques qui existeraient dans la procédure d’asile en Italie, il échet de prime abord de constater que le rapport OSAR, cité par le demandeur, selon lequel les demandeurs de protection internationale séjourneraient parfois plusieurs jours aux aéroports et que dans les grandes villes il faudrait attendre plusieurs mois 2 CJUE, Grande chambre, 10 décembre 2013, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, C-394/12, point 62.

3 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 79 ; trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

avant que la demande d’asile ne soit enregistrée, délai pendant lequel les demandeurs d’asile se trouveraient sans abri, a été publié en 2013 et est dès lors trop ancien pour pouvoir encore refléter la situation actuelle en Italie, notamment au regard de l’évolution de la situation des demandeurs de protection internationale dans le prédit pays depuis lors. Ensuite, il y a lieu de constater que l’article d’Amnesty International du 3 novembre 2016, intitulé « Italie : coups, décharges électriques et humiliations sexuelles contre les réfugiés » dont se prévaut le demandeur, fait état du fonctionnement et du but des centres de crise organisés en Italie suite à l’augmentation du nombre des migrants, ainsi que des difficultés rencontrées par les autorités italiennes dans leur mise en œuvre. Or, les observations y relatives tournent autour du primo-

accueil des migrants et sont étrangères à la situation concrète de prise en charge du demandeur, ce dernier n’étant plus à considérer comme primo-arrivant en Italie dans la mesure où ses empreintes ont d’ores et déjà été enregistrées par les autorités italiennes.

Dans ce même contexte, si l’extrait du rapport de l’association « Médecins sans frontières » de février 2018, cité par le demandeur dans sa requête introductive d’instance, fait certes état de difficultés d’accueil des migrants ainsi que de problèmes croissants en ce qui concerne l’accès à des traitements médicaux, il n’en ressort néanmoins pas que, de manière générale, tous les centres d’accueil en Italie ne répondent pas aux critères minimaux quant aux conditions d’accueil.

Il ne découle, par ailleurs, pas des documents versés en cause par le demandeur que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie soient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour les demandeurs, d’être systématiquement exposés à une situation de précarité et de dénuement matériel et psychologique, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH.

En effet, contrairement aux affirmations de Monsieur …, la CourEDH a retenu dans son arrêt Tarakhel que la structure et la situation générale du dispositif d’accueil en Italie ne constitue pas en soi un obstacle à tout renvoi de demandeurs d’asile vers ce pays7, de sorte qu’une analyse de la situation individuelle de ce dernier s’impose.

Dans ce contexte, dans un arrêt du 19 mars 2019 (affaires jointes C-297/17, C-318/17, C-319/17, C-438/17), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a retenu que des défaillances ne sont contraires à l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants que lorsqu’elles atteignent un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause, ce seuil étant atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant.

Or, force est de constater qu’en l’espèce, Monsieur … ne fait pas état de difficultés 7 CourEDH, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, requête n° 29217/12, § 115.

particulières qu’il aurait rencontrées pour le dépôt de sa demande de protection internationale, mais qu’il ressort, dans ce cadre, de son rapport d’audition qu’il a refusé d’en déposer une parce qu’il n’aurait eu « aucun traitement médical »8. En ce qui concerne le logement, le demandeur a expliqué lors de son audition au ministère avoir dormi dans des camps pendant treize jours en Sicile, Caramarino et Milan et pendant trois nuits dans la rue. Le demandeur reste en défaut d’apporter la preuve que, personnellement, ses droits ne seraient pas garantis en cas de retour en Italie, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates9, étant encore relevé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censé en appliquer les dispositions.

Par ailleurs, contrairement à ce que le demandeur soutient, le fait que la décision déférée aurait été prise en l’absence d’une réponse expresse de la part des autorités italiennes à la demande de prise en charge leur adressée par leurs homologues luxembourgeois, n’est pas de nature à établir l’existence de défaillances systémiques en Italie, étant donné, d’une part, que l’hypothèse d’une acceptation tacite d’une demande de prise en charge est expressément prévue par l’article 22, paragraphe (7), du règlement Dublin III, sur base duquel la décision litigieuse a été adoptée, et, d’autre part, que par courrier électronique du 26 mars 2019, les autorités italiennes ont réagi à ladite demande, en indiquant à leurs homologues luxembourgeois que le transfert serait à effectuer à l’aéroport de Venise.

Le tribunal relève encore que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Italie, voire à une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Italie dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile italienne qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Quant aux différentes jurisprudences françaises invoquées, le tribunal ne saurait les prendre en compte, étant donné que le jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 janvier 2018, ayant le numéro de rôle 1705747, et celui du tribunal administratif de Paris du 25 juin 2018, ayant le numéro de rôle 1807362/8, ont été rendus dans un contexte particulier, alors qu’il y est précisé que les autorités italiennes étaient à l’époque confrontées à un afflux massif et sans précédent de demandeurs d’asile et qu’elles refusaient d’accueillir des navires au motif qu’ils transportaient des personnes susceptibles de demander une protection internationale, situation qui n’est plus invocable actuellement. Par ailleurs, dans son arrêt du 31 mai 2018, ayant le numéro de rôle 17PA01941, la Cour administrative de Paris ne constate pas l’existence de défaillances systémiques en Italie, mais rejoint les juges de première instance qui ont annulé une décision du préfet de transférer le demandeur vers l’Italie, celui-ci ayant à tort considéré qu’un accord implicite pour la prise en charge de ce dernier par les autorités italiennes existait.

8 Page 5 du rapport d’entretien Dublin III.

9 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

S’agissant du jugement du tribunal de céans du 3 août 2018, inscrit au numéro 41401 du rôle, le tribunal relève de prime abord que contrairement à ce que le demandeur semble soutenir, le tribunal dans cette affaire n’a pas annulé la décision de transfert en raison de l’existence avérée d’un risque de traitement inhumain et dégradant, mais a retenu qu’il aurait appartenu au ministre de vérifier que les conditions matérielles d’accueil de l’intéressé en Italie, en raison des circonstances spécifiques de l’espèce, et en sa qualité de demandeur de protection internationale, étaient de nature à respecter les garanties fondamentales prévues par la Convention de Genève, de sorte que Monsieur … n’est pas fondé à invoquer cette jurisprudence pour conclure ipso facto à l’existence d’un risque de traitement inhumain et dégradant.

Dans ces circonstances, le tribunal est amené à retenir que le demandeur reste en défaut d’établir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile en Italie de nature à être qualifiées de traitement inhumain et dégradant au sens de la CEDH, de la Charte et de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III.

Quant au moyen tiré de la violation par le ministre de l’article 3 de la CEDH et de son corollaire, l’article 4 de la Charte, dans la mesure où il n’aurait pas obtenu au préalable auprès des autorités italiennes une garantie individuelle de prise en charge adaptée à ses besoins, force est tout d’abord au tribunal de constater qu’il ne ressort pas des documents médicaux produits en cause que l’état de santé de Monsieur … serait à tel point précaire qu’un transfert vers l’Italie serait impossible. S’il résulte certes des rapports médicaux du Dr. … des 8 et 11 janvier 2019, de l’ordonnance médicale du Dr. … du 9 janvier 2019, du compte rendu d’examen du Dr. … du 6 février 2019, du rapport médical établi par le Dr…. en date du 15 février 2019, des deux ordonnances médicales du Dr. … du 20 février 2019, ainsi que du certificat médical du Dr. … du 29 avril 2019, que le demandeur souffre d’une tuberculose et se trouve actuellement sous traitement, il n’en ressort toutefois ni que son transfert vers l’Italie serait contre-indiqué ni que sa maladie serait encore contagieuse. Il résulte, de surcroît, de l’avis médical du 20 mai 2019 établi par le Dr. …, médecin délégué auprès de la Direction de la Santé du ministère de la Santé, que le demandeur « présente une infection de tuberculose pulmonaire qui est actuellement sous traitement antibiotique moyennant 5 médicaments différents. Le traitement se fait sous surveillance journalière étroite dénommée DOT (directly observed treatment) », ledit rapport médical étant encore motivé comme suit : « Retient que la forme de tuberculose présente chez le concerné nécessite un traitement continu et bien suivi afin d’éviter son évolution vers la forme dangereuse de la tuberculose multi-résistante ; Vu que le traitement est à continuer sans aucune interruption jusqu’au 31 août 2019 ; Constate que le déplacement de Monsieur … vers l’Italie avant le 31 août 2019 ne pourra se faire que si la garantie existe que le traitement sous forme de DOT se poursuive sans aucune interruption. Au cas où la garantie de la continuité de traitement n’existe pas, le transfert vers l’Italie ne pourra se faire que le 1er septembre 2019 au plus tôt », ledit certificat confirmant ainsi expressément la possibilité de transférer le demandeur vers l’Italie dès le 1er septembre 2019, à la fin de son traitement médical.

Le demandeur n’a dès lors pas établi, dans le cadre de la présente procédure, qu’il ne serait pas en mesure de voyager en raison de sa tuberculose ou que son transfert en Italie représenterait un danger concret pour sa vie ou sa santé, même s’il incombera aux autorités luxembourgeoises chargées de l’exécution du transfert d’informer sans délai les autorités italiennes de l’état de santé du demandeur et de leur fournir, le cas échéant, les renseignements nécessaires à une prise en charge adéquate, et ce conformément au considérant 27 et à l’article 31, paragraphe (1), du règlement Dublin III.

Il n’a pas non plus établi ne pas avoir accès aux soins de santé en Italie afin de pouvoir continuer son traitement actuel ni ne pas avoir accès aux médicaments nécessaires laissant conclure à une violation, par les autorités italiennes, de l’article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte.

Il suit des considérations qui précèdent, qu’en l’espèce, le demandeur n’a pas rapporté la preuve d’une vulnérabilité particulière dans son chef, présentant le niveau de gravité requis par les jurisprudences internationales citées par lui et qui aurait pour conséquence de retenir que son transfert en Italie serait de nature à exacerber un état de santé fragilisé de manière à entraîner un risque de subir des traitements prohibés par l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte en raison de conditions d’accueil inadaptées à son état physique.

Il s’ensuit que le moyen du demandeur tenant à une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en raison de son prétendu état de vulnérabilité particulière est à rejeter.

En ce qui concerne la violation de l’article 10bis de la Constitution, le demandeur reproche dans ce contexte au ministre de ne pas avoir fait application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 du règlement Dublin III, alors qu’il le ferait pour d’autres demandeurs de protection internationale qui devraient être transférés vers l’Italie et qui seraient dans la même situation que lui, à savoir une personne vulnérable qui aurait subi des tortures en Libye.

L’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III prévoit que : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.

(…) ».

S’il est vrai que, lorsqu’en application des critères dudit règlement, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres10. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge11, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée12, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.

10 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

11 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.

12 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

Il appartient dès lors au demandeur de démontrer qu’il existe une disproportion manifeste dans la décision du ministre de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale au Luxembourg.

Or, le tribunal est amené à relever que les déclarations du ministre, lors de son entretien sur la chaine RTL, en ce qui concerne le non-renvoi de certaines personnes vers l’Italie sont vagues et générales, dans la mesure où il affirme qu’en 2018, 42 personnes ont été transférées vers l’Italie dans le cadre de l’application du règlement Dublin III et que 65 ne l’ont pas été, personnes parmi lesquelles certaines venaient de la Libye et figuraient des femmes de différentes nationalités. En n’apportant aucun élément permettant au tribunal de vérifier si, concrètement, les situations des 65 personnes visées seraient identiques à la sienne, le demandeur met le tribunal dans l’impossibilité d’apprécier le bien-fondé de son moyen, de sorte que le moyen ayant trait à la violation du principe d’égalité est à écarter pour ne pas être fondé.

Dans la mesure où le demandeur n’apporte pas d’autres éléments pouvant amener à la conclusion que le ministre aurait de manière disproportionnée refusé d’utiliser la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 du règlement Dublin III, il échet de constater que c’est à bon droit et sans commettre d’erreur d’appréciation, ni excéder ses pouvoirs, que le ministre a décidé de ne pas faire application de l’article 17 du règlement Dublin III et de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale.

Enfin, le demandeur critique encore le fait que la décision ministérielle sous analyse violerait l’article 29 du règlement Dublin III aux termes duquel « 1. Le transfert du demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue conformément au droit national de l’État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3 ».

Il s’ensuit que les dispositions du prédit article ne s’imposent que dans l’hypothèse où un transfert intervient dans le cadre des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point c) ou d) du règlement Dublin III. Le transfert de Monsieur … étant soumis aux dispositions des articles 13, paragraphe (1), et 22, paragraphe (7), du règlement Dublin III, l’article 29 n’est pas applicable au présent cas, de sorte que ce moyen est à écarter.

Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

donne acte au demandeur qu’il déclare être bénéficiaire de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Géraldine Anelli, juge, Alexandra Bochet, juge, et lu à l’audience publique du 28 août 2019, par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 août 2019 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 43206
Date de la décision : 28/08/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-08-28;43206 ?

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