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23/08/2019 | LUXEMBOURG | N°43184

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 août 2019, 43184


Tribunal administratif N° 43184 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juin 2019 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 23 août 2019 Recours formé par Monsieur …, sans domicile connu contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43184 du rôle et déposée le 26 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître F

rançoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxe...

Tribunal administratif N° 43184 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juin 2019 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 23 août 2019 Recours formé par Monsieur …, sans domicile connu contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43184 du rôle et déposée le 26 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, ayant été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 juin 2019 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Italie, Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 août 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine Warin, en remplacement de Maître Françoise Nsan-Nwet, et Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 21 août 2019.

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Le 26 mars 2019, Monsieur … introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section de la criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Une recherche effectuée dans le système VIS établit que Monsieur … était bénéficiaire d’un visa italien valable du 7 au 14 mars 2019.

Le 27 mars 2019, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays 1tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », prit à l’égard de Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.

Par courrier électronique du 28 mars 2019, le ministre sollicita auprès des autorités italiennes la prise en charge de Monsieur … sur le fondement de l’article 12, paragraphe (4), du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les autorités italiennes le 27 mai 2019.

Par décision datée du 12 juin 2019, expédiée par courrier recommandé du même jour, le ministre informa Monsieur … de sa décision de le transférer vers l’Italie sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 12, paragraphe (4), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 26 mars 2019 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 12(4) du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

(…) Selon vos déclarations vous auriez quitté l’Afghanistan en date du 14 février 2019 par voie aérienne en direction de l’Inde. Vous y auriez séjourné pendant vingt-cinq jours avant d’embarquer dans un avion en direction de l’Italie en date du 9 mars 2019.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 27 mars 2019, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous indiquez avoir quitté l’Italie parce que les conditions de vie seraient mieux au Luxembourg qu’en Italie et parce que vous auriez peur que les autorités italiennes rejetteront votre demande de protection internationale et vous rapatrieront en Afghanistan.

Rappelons à cet égard que l’Italie est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

2 Soulignons en outre que l’Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S’il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d’importantes difficultés sur le plan de l’hébergement, des conditions de vie, il n’y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu’il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte UE.

Par conséquent, en l’absence d’une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l’Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d’accueil fixées dans la directive Accueil. Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d’introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l’application de l’article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités 3luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées. (…) ».

Le même jour, le service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, fut prié d’organiser le transfert de Monsieur …, tout en précisant que le transfert ne pourra être organisé avant le 29 juin 2019.

Il résulte d’un relevé versé au dossier que Monsieur … a disparu de la SHUK depuis le 23 juin 2019.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2019, inscrite sous le numéro 43184 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 12 juin 2019.

Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision ministérielle, précitée, du 12 juin 2019 de transférer Monsieur … vers l’Italie.

Dans le cadre de son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours au motif que le demandeur aurait disparu de la SHUK, de sorte (i) que l’adresse indiquée dans le recours ne correspondrait plus à son adresse réelle, (ii) qu’il n’aurait plus d’intérêt à agir et (iii) que le recours serait dépourvu d’objet.

A l’audience publique des plaidoiries, le litismandataire de Monsieur … s’est opposé à ces moyens d’irrecevabilité et a confirmé son mandat pour maintenir le recours.

En ce qui concerne, tout d’abord, le reproche du délégué du gouvernement selon lequel l’adresse indiquée dans la requête sous examen ne correspondrait plus à l’adresse réelle de Monsieur … compte tenu de sa disparition de la SHUK, il y a lieu de préciser que l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « (…) La requête (…) contient (…) [le] domicile du requérant (…) », a pour finalité de permettre à la partie défenderesse de pouvoir utilement identifier le demandeur, afin d’être en mesure d’assurer sa défense de façon valable et complète1, étant encore relevé à cet égard que c’est nécessairement le domicile du demandeur au jour du dépôt de la requête introductive d’instance qui est visé par cette disposition légale.

Par ailleurs et pour les mêmes motifs, il convient de relever qu’une élection de domicile ne vaut pas indication du « domicile du requérant » au sens de l’article 1er, alinéa 2 de la loi du 21 juin 19992, précitée.

1 Voir en ce sens : trib. adm. 9 juillet 2015, n° 35177 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 403.

2 trib adm., 9 juillet 2015, n° 35177 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 403 et les autres références y citées.

4 Force est au tribunal de constater que si au jour du dépôt de la requête introductive d’instance le 26 juin 2019, le demandeur avait, d’ores et déjà, disparu de la SHUK depuis le 23 juin 2019 et si l’élection de domicile en l’étude de son litismandataire ne saurait être considérée comme l’indication de son domicile réel, il convient de relever qu’aux termes de l’article 29 de la loi du 21 juin 1999 « L’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense. ».

Or, le tribunal ne saurait constater de lésion des droits de la défense de la partie gouvernementale du fait de l’omission d’indication, dans la requête introductive d’instance, du domicile effectif du demandeur, étant donné qu’elle ne s’est pas méprise sur l’identité du demandeur et a utilement pris position quant au fond du litige.

Dans ces circonstances, le moyen tiré du défaut d’indication du domicile réel du demandeur encourt le rejet.

En ce qui concerne ensuite le moyen d’irrecevabilité tiré du défaut d’intérêt à agir dans le chef de Monsieur … suite à sa disparition de la SHUK, il y a lieu de rappeler que l’intérêt à agir constitue l’utilité que présente pour le demandeur la solution du litige qu’il demande au juge d’adopter. Ainsi, l’intérêt à agir doit persister jusqu’au jour du prononcé du jugement.

En l’espèce, la décision déférée a pour objet le transfert de Monsieur … vers l’Italie, pays responsable de l’examen de sa demande de protection internationale et des suites de celle-

ci. Etant donné que par sa requête introductive d’instance, Monsieur … tend à marquer son opposition à un tel transfert, ce dernier est censé avoir conservé son intérêt à agir dans le présent litige, ce d’autant plus que le litismandataire a confirmé, au cours de l’audience publique des plaidoiries, la subsistance de son mandat et qu’il a déposé, à cet égard, une confirmation de son mandat datant du 15 août 2019. Il échet encore d’ajouter, à cet égard, que le simple fait que le demandeur se trouve actuellement en Italie ne saurait lui enlever son intérêt à agir dans le cadre de la présente instance en l’absence d’indication des raisons et des circonstances de ce séjour.

Cette conclusion n’est pas énervée par le jugement du tribunal administratif du 10 juillet 2019, inscrit sous le numéro 43033 du rôle, dont se prévaut le délégué du gouvernement étant donné que les circonstances de l’espèce soumises à l’appréciation du tribunal diffèrent du présent cas en ce qu’entre autres, le demandeur, après avoir introduit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg, avait encore introduit une nouvelle demande de protection internationale en Belgique.

Il s’ensuit que ce moyen d’irrecevabilité est également à rejeter.

En ce qui concerne finalement le moyen du délégué du gouvernement selon lequel le recours serait dépourvu d’objet et devrait dès lors être déclaré irrecevable, force est au tribunal de constater que la partie défenderesse reste en défaut de fournir une quelconque explication, tant factuelle que juridique, à l’appui de ce moyen, de sorte que celui-ci doit être rejeté pour être simplement suggéré, sans être effectivement soutenu, étant précisé qu’il n’appartient pas au tribunal de pallier l’absence d’une partie quant à l’énonciation d’un moyen juridique et de rechercher lui-même les conclusions y relatives.

5A défaut d’un autre moyen d’irrecevabilité, le recours en annulation est à déclarer recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en rappelant être originaire d’Afghanistan, le demandeur fait, tout d’abord, valoir qu’il aurait été actif au sein d’une antenne locale du mouvement « Model United Nations », désigné ci-après par « MUN », et aurait, à ce titre, promu les valeurs des Nations Unies, dont notamment l’égalité entre hommes et femmes. Ses activités progressistes auraient attiré l’attention des Talibans et face aux menaces de violences de plus en plus fréquentes, il aurait réalisé qu’il ne serait plus en sécurité dans son pays d’origine. Il aurait, dès lors, saisi l’occasion d’un voyage en Italie, organisé dans le cadre de ses activités auprès du MUN, afin de fuir l’Afghanistan et de chercher l’asile en Europe. Arrivé en Italie, il aurait néanmoins vite constaté que les conditions d’accueil des demandeurs d’asile y seraient désastreuses et que les chances que sa procédure d’asile se déroulerait correctement auraient été extrêmement faibles, raison pour laquelle il aurait décidé de déposer une demande d’asile au Grand-Duché de Luxembourg en date du 26 mars 2019.

En droit, le demandeur se prévaut d’une violation des articles 1er et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III. Il fait valoir la présence de nombreux éléments permettant de croire qu’il existerait des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie.

Il affirme, à ce propos, que la charge de la preuve de l’existence de défaillances systémiques ne devrait pas peser excessivement sur le demandeur de protection internationale, alors qu’un tel raisonnement serait contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH ». En se basant tant sur la jurisprudence de la CourEDH que sur celle de la Cour de justice de l’Union européenne, désignée ci-après par « la CJUE », le demandeur rappelle les éléments devant être pris en considération dans l’appréciation de l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil, tout en donnant à considérer que ce serait sur base de ces développements jurisprudentiels que sa demande devrait être examinée.

En ce qui concerne l’évolution du cadre législatif italien, le demandeur donne à considérer que depuis 2015, le « décret législatif 142/2005 portant mise en œuvre des directives Accueil et Procédures » restreindrait de façon radicale et disproportionnée l’accès aux conditions minimales d’accueil prévues par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, désignée ci-après par « la directive 2013/33/UE », le demandeur critiquant un retrait automatique des conditions d’accueil des demandeurs ayant quitté leur foyer.

Le demandeur se penche ensuite sur l’examen du « décret Salvini » adopté le 28 septembre 2018, tel qu’effectué par le tribunal administratif dans un jugement du 21 décembre 2018, inscrit sous le numéro 41913 du rôle, et affirme que les demandeurs de protection internationale ne rentrant pas dans les catégories de demandeurs pour lesquels l’accès à certains centres d’hébergement serait réservé, devraient se retourner vers d’autres centres. La législation italienne aurait ainsi pour effet de porter atteinte aux droits procéduraux fondamentaux des demandeurs d’asile, de sorte que les autres droits auxquels ceux-ci pourraient prétendre, notamment le droit à des conditions minimales d’accueil, ne pourraient plus être efficacement invoqués et défendus. Il ajoute qu’il conviendrait de prendre en compte dans l’analyse du risque 6de traitements inhumains et dégradants en cas de transfert en Italie, le fait que ledit pays aurait pris deux décrets, l’un en 2015 et l’autre en 2018, dont les effets s’additionneraient.

Dans ce même contexte, il donne encore à considérer que l’article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III aurait été justement conçu pour les cas où les défaillances systémiques dans un Etat membre ne permettraient plus d’assurer le respect des droits fondamentaux, de sorte à prévenir de graves violations des droits fondamentaux plutôt que d’attendre que ces violations ne soient réalisées et ne puissent qu’être constatées par la CourEDH.

S’agissant des rapports internationaux sur la situation générale en Italie, le demandeur se réfère à un jugement du tribunal administratif du 14 décembre 2018, portant le numéro 41993 du rôle, pour affirmer que le défaut d’avis d’organisations internationales interdisant les transferts vers l’Italie ou en recommandant l’arrêt pourrait être dû à des raisons extérieures à la situation en Italie, par exemple à des raisons de politique internationale pouvant pousser les organisations internationales à une certaine réserve, contrairement aux organisations non gouvernementales dont le but premier serait de témoigner sur ce qui se passe sur le terrain. Il se réfère encore à une opinion critique de l’ONU de novembre 2018 sur l’évolution législative en Italie et à des articles de presse. Le demandeur donne ensuite à considérer qu’il résulterait des informations fournies par un demandeur de protection internationale transféré vers l’Italie par le Luxembourg en septembre 2018, que ce dernier se serait vu remettre un document daté du 4 octobre 2018 par la police de l’Etat de Lombardie lui retirant l’accès aux conditions d’accueil. Ce document ferait état d’une approche systématique de retrait des conditions d’accueil aux personnes ayant auparavant abandonné le foyer sans préavis. Cette décision s’appuierait sur le décret, précité, du 18 août 2015 relatif à la mise en œuvre de la directive 2013/33/UE et de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, désignée ci-après par « la directive 2013/32/UE », et s’appliquerait aux personnes transférées vers l’Italie. S’y ajouterait un reportage récent sur la chaîne de télévision RTL ayant suivi un demandeur d’asile transféré depuis le Luxembourg vers l’Italie, qui ne se serait vu octroyer ni hébergement ni nourriture et aurait été contraint de dormir dans la rue, alors que les organisations non gouvernementales locales auraient été complètement débordées et feraient de leur mieux pour aider. Ce cas ne constituerait, d’ailleurs, pas un cas isolé. Le demandeur se réfère, à cet égard, encore à un rapport du 28 janvier 2019 de l’association luxembourgeoise « … ». Il résulterait, en outre, d’un rapport de l’« Asylum Information Database », publié en 2018, qu’en réalité un demandeur de protection internationale n’aurait accès à un hébergement qu’à un stade ultérieur de la procédure et qu’au moins 10.000 personnes seraient exclues du système d’accueil italien, lesquelles devraient se tourner vers des logements informels. Les personnes qui bénéficieraient finalement d’un statut conféré par la protection internationale ne seraient pas épargnées des dysfonctionnements du système, de sorte qu’ils deviendraient souvent des sans-abri.

Le demandeur s’empare en outre d’un arrêt de la CJUE du 27 septembre 2012, numéro C-179/11, en concluant qu’il serait contraire à l’esprit de la directive 2013/33/UE que les conditions d’accueil minimales soient refusées à tous les demandeurs d’asile à leur retour dans l’Etat membre responsable de l’examen de leur demande.

S’agissant de la référence faite par le tribunal dans le jugement précité du 14 décembre 2018 à une absence de jurisprudences de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Italie, le demandeur donne à considérer que la procédure devant cette juridiction durerait des années, de sorte que l’absence de jurisprudences recommandant 7d’arrêter les transferts ne porterait pas à conséquence. S’y ajouterait que la situation actuelle en Italie pourrait être radicalement différente de celle à la base des jurisprudences citées par le tribunal dans le jugement du 14 décembre 2018, à savoir deux arrêts des 4 novembre 2014 et 5 février 2015 de la CourEDH. En revanche et en se référant à des jurisprudences allemandes, françaises et néerlandaises, de même qu’à un jugement du tribunal administratif luxembourgeois du 3 août 2018, le demandeur donne à considérer qu’il y aurait une multiplication de jugements rendus par les juridictions européennes annulant des transferts vers l’Italie en raison de défaillances systémiques.

Le demandeur en conclut qu’au vu de la situation actuelle en Italie, il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il serait confronté à l’impossibilité de faire enregistrer sa demande de protection internationale, au risque d’expulsion vers son pays d’origine sans pouvoir faire valoir les arguments à l’appui de sa demande, ainsi qu’à l’impossibilité d’être logé.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève que l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de l’examen de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge.

Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. ».

L’article 12, paragraphe (4), du règlement Dublin III, sur base duquel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes de reprendre en charge le demandeur, prévoit que « Si le demandeur est seulement titulaire d’un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d’un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n’a pas quitté le territoire des États membres.

Lorsque le demandeur est titulaire d’un ou plusieurs titres de séjour périmés depuis plus de deux ans ou d’un ou plusieurs visas périmés depuis plus de six mois lui ayant effectivement permis d’entrer sur le territoire d’un État membre et s’il n’a pas quitté le territoire des États membres, l’État membre dans lequel la demande de protection internationale est introduite est responsable. ».

En l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur a disposé d’un visa émis par les autorités italiennes valable du 7 au 14 mars 2019, soit périmé depuis moins de six mois, et qu’il n’a pas quitté le territoire des Etats membres de l’Espace Schengen depuis son entrée en Italie, de sorte qu’en application de l’article 12, paragraphe (4), alinéa 1er, du règlement Dublin III précité, ensemble avec le paragraphe (2) du même article, l’Italie constitue a priori bien l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, Etat ayant d’ailleurs accepté sa prise en charge par un courrier daté du 27 mai 2019.

8Il suit de ces considérations que c’est à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg et de le transférer vers l’Italie.

Or, il y a lieu de relever qu’en l’espèce, le demandeur, s’il ne conteste ni la compétence de principe de l’Italie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, reproche néanmoins au ministre d’avoir violé les articles 1er et 4 de la Charte, ainsi que l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.

Il y a tout d’abord lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire, cette deuxième disposition n’étant pas invoquée en l’espèce par le demandeur.

L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III invoqué par le demandeur dispose que « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH ».

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et 3 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

9d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5.

Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte6.

Dans ce contexte, dans un arrêt du 19 mars 2019, portant le numéro C-163/17 du rôle, la CJUE a retenu que des défaillances ne sont contraires à l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants que lorsqu’elles atteignent un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause, ce seuil étant atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine7, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant8.

Etant donné que le demandeur remet en question cette présomption du respect des droits fondamentaux par l’Italie, en affirmant qu’il risquerait des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers ledit pays, il lui appartient de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

En l’espèce, il est certes exact qu’il ressort des articles et rapports invoqués par le demandeur, tels qu’énumérés ci-avant dans le cadre de l’exposé de ses moyens, que les 4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 79 ; trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 10 décembre 2013, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, C-394/12, point 62.

7 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland., C-163/17, point 92.

8 Ibidem, point 93.

10autorités italiennes ont connu et connaissent toujours de sérieux problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, impliquant que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés au niveau de l’hébergement, des conditions de vie et de l’accès aux soins, suivant les situations, et que la politique migratoire italienne actuelle se caractérise par un certain durcissement, concrétisé par l’adoption, en date du 24 septembre 2018, d’un décret-loi mettant en place, notamment, une réorganisation du système d’accueil des demandeurs d’asile, qui seront regroupés dans de grands centres d’accueil, les efforts de répartition sur le territoire pour favoriser l’intégration étant désormais réservés aux mineurs isolés et aux réfugiés reconnus.

Cependant, il ne s’en dégage pas que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour les demandeurs de protection internationale, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte.

Force est au tribunal de constater que, dans la mesure où Monsieur … n’a pas déposé de demande de protection internationale en Italie, ce dernier ayant affirmé par devant l’agent de la direction de l’Immigration que « (…) Je pense que les conditions de vie au Luxembourg sont meilleures que celles en Italie. J’ai peur qu’ils rejettent ma demande d’asile et qu’ils me rapatrient en Afghanistan »9, il n’est pas en mesure de faire état de difficultés particulières qu’il aurait rencontrées pour le dépôt de sa demande de protection internationale en Italie.

Par ailleurs, le demandeur reste en défaut d’apporter la preuve que, personnellement, ses droits ne seraient pas garantis en cas de retour en Italie, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés ou encore que ceux-ci n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates10, étant encore relevé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censé en appliquer les dispositions.

Cette conclusion n’est pas contredite par la référence, faite par le demandeur, à l’analyse juridique figurant dans le rapport, précité, de l’association « … » du 28 janvier 2019, aux termes de laquelle « (…) [l]e retrait systématique des mesures d’accueil condui[rait] inéluctablement à la situation anticipée par le règlement Dublin III dans son article 3 (…) » et que, dans le cadre de ce règlement, « (…) [l]’absence de réactivation des conditions d’accueil entraîne[rait] automatiquement un dysfonctionnement général du système Dublin (…) », cette dernière estimant, en effet, que les autorités italiennes auraient réalisé une transposition incorrecte, par le décret législatif italien n° 142/2015 du 18 août 2015, des dispositions de l’article 20 de la directive 2013/33/UE, règlementant la limitation ou le retrait du bénéfice des conditions matérielles d’accueil, au motif que le retrait des conditions d’accueil serait automatique pour 9 Rapport d’entretien de Monsieur … du 27 mars 2019, p.4 10 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

11les demandeurs d’asile ayant quitté leur foyer et que la législation en question prévoirait uniquement le retrait, et non pas de solution intermédiaire, telle qu’une simple limitation de l’accès aux conditions d’accueil. Elle conclut que le fait qu’il n’existerait qu’une procédure de retrait pur et simple des mesures matérielles d’accueil au demandeur de protection internationale, sans prévoir de les limiter, contreviendrait au principe de proportionnalité et que la législation italienne établirait à tort des conditions limitatives pour le rétablissement desdites mesures, alors qu’une telle limitation ne serait pas prévue par la prédite directive. Or, outre le fait qu’il ne se dégage pas de ce rapport, ni des autres éléments produits en cause que tout demandeur de protection internationale transféré en Italie se verrait privé des conditions d’accueil, l’Italie est liée par ladite directive 2013/33/UE et constitue – encore – un Etat de droit, où une personne, estimant être indûment privée de ses droits découlant de la directive en question, dispose de voies de recours idoines, dans le cadre de l’exercice desquelles elle peut se prévaloir d’une éventuelle transposition incorrecte de ladite directive.

En outre, s’agissant de l’énumération de jurisprudences étrangères, le tribunal relève que celles-ci ne font pas l’unanimité, dans la mesure où, à titre de contre-exemple, le Conseil d’Etat français11 ou encore la Cour administrative d’appel de Nantes12 ou la Cour administrative d’appel de Marseille13 estiment actuellement que l’Italie ne présente pas de défaillances systémiques.

Dans ces circonstances, le tribunal retient que le moyen tiré d’une violation de l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III encourt le rejet.

Quant au moyen tiré de la violation par le ministre des articles 1er et 4 de la Charte, disposant que « La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée », respectivement que « Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants », il ressort de la jurisprudence de la CJUE que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte14, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant15.

Or, étant donné que les arguments du demandeur sont identiques à ceux présentés dans le cadre du moyen ayant trait à la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, que le tribunal est arrivé, lors de l’analyse de l’existence d’une telle violation, à la conclusion que Monsieur … restait en défaut de démontrer que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés en Italie, et que ce dernier n’apporte aucun élément permettant de retenir qu’il existe un risque sérieux qu’il subisse un traitement inhumain 11 Conseil d’Etat, juge des référés, 14 novembre 2018, n° 425096.

12 CAA de Nantes, 6ème chambre, 30 janvier 2019, n° 18NT03060.

13 CAA de Marseille, 6ème chambre, 28 janvier 2019, n° 18MA02832.

14 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

15 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 88.

12et dégradant lors de son transfert en Italie ou lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-

ci, le tribunal est amené à écarter le moyen afférent pour ne pas être fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte au demandeur qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Stéphanie Lommel, juge, Alexandra Bochet, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 23 août 2019 à 11.00 heures par le premier vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 août 2019 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 43184
Date de la décision : 23/08/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-08-23;43184 ?

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