La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/07/2019 | LUXEMBOURG | N°43046

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 juillet 2019, 43046


Tribunal administratif No 43046 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juin 2019 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 25 juillet 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43046 du rôle et déposée le 3 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avoc

at à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieu...

Tribunal administratif No 43046 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juin 2019 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 25 juillet 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43046 du rôle et déposée le 3 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Soudan), de nationalité soudanaise, demeurant à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 mai 2019 ayant déclaré irrecevable sa demande de protection internationale sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point a), de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et lui ayant ordonné de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juillet 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 24 juillet 2019.

___________________________________________________________________________

Le 10 avril 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à la suite de recherches effectuées dans la base de données EURODAC que Monsieur … avait introduit précédemment des demandes de protection internationale en Italie le 19 août 2011 et en Allemagne les 23 mai 2014, 13 septembre et 14 octobre 2016.

Le 11 avril 2019, les autorités luxembourgeoises adressèrent une demande d’information aux autorités italiennes sur le fondement de l’article 34 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », demande à laquelle les autorités italiennes répondirent le 7 juin 2019 que l’intéressé disposait d’un permis de séjour pour asile politique ayant expiré le 10 août 2017.

Le 8 mai 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur la question de la recevabilité de sa demande de protection internationale.

Par décision du 17 mai 2019, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre déclara irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur …, en application de l’article 28, paragraphe (2), point a), de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 10 avril 2019.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 10 avril 2019, ainsi que le rapport d'entretien du 8 mai 2019 sur la recevabilité de votre demande de protection internationale.

Il en ressort que vous avez introduit des demandes de protection internationale en Italie le 19 août 2011 et en Allemagne les 23 mai 2014 et 13 septembre et 14 octobre 2016. Vous avez par ailleurs utilisé selon toute vraisemblance une autre identité lors de votre séjour en Allemagne.

Vous expliquez que votre demande de protection internationale a été acceptée en Italie et que vous avez obtenu des « papiers italiens ». Vous signalez avoir été bien reçu en Italie et avoir résidé dans un logement pendant trois ans. Néanmoins, vous n'auriez jamais réussi à trouver un travail en Italie et en 2014, le responsable de votre foyer d'accueil vous aurait expliqué que vous devriez quitter les lieux pour faire de la place à d'autres demandeurs de protection internationale. Comme il serait très difficile de financer un logement et que vous n'auriez pas pu dormir dans la rue, vous auriez décidé de partir en Allemagne où vous auriez alors vécu jusqu'en 2019. Après avoir vainement tenté de vous rendre en Grande-Bretagne, vous seriez venu au Luxembourg.

Je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif qu'une protection internationale vous a été accordée par un autre Etat membre de l'Union européenne.

En effet, il résulte de vos explications que vous êtes bénéficiaire d'une protection internationale en Italie et que les autorités italiennes vous ont remis des « papiers ».

Hormis le fait que vous confirmez avoir été « bien reçu» en Italie, il ne ressort pas des éléments en notre possession que vous auriez à craindre en Italie pour votre vie ou pour votre liberté. En outre, l'Italie respecte le principe de non refoulement conformément à la Convention de Genève et l'interdiction de prendre des mesures d'éloignement contraires à l'interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

A cela s'ajoute que les motifs économiques qui vous ont poussé à quitter l'Italie et à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg ne sauraient de toute façon pas être pris en compte dans le cadre d'une demande en obtention d'une protection internationale.

Le Grand-Duché de Luxembourg ne peut par conséquent pas donner suite à votre demande déclarée irrecevable.

Conformément à l'article 34 (2) votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Italie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 17 mai 2019.

1) Quant au recours visant la décision du ministre ayant déclaré la demande de protection internationale irrecevable Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond et l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation en la matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 17 mai 2019. Le recours en annulation introduit en l’espèce est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur déclare être originaire du Soudan et avoir obtenu une protection internationale en Italie au courant de l’année 2012 pour une durée de cinq ans, mais non prorogée à son terme. Par la suite, il aurait présenté le 23 mai 2014 une demande de protection internationale auprès des autorités allemandes pour ensuite en introduire une demande au Luxembourg le 10 avril 2019. En citant les passages de son rapport d’entretien du 8 mai 2019 sur la question de la recevabilité de la demande, erronément qualifié comme étant un entretien Dublin III visant à déterminer l’Etat membre responsable du traitement de sa demande, le demandeur affirme que tout retour en Italie serait exclu pour lui.

Par rapport à la situation générale des bénéficiaires d’une protection en Italie et de leurs conditions d’accueil, il cite des extraits de différents rapports internationaux, à savoir un rapport OSAR d’août 2016, un rapport du 9 février 2017 des organisations non gouvernementales DRC et OSAR et un rapport d’Amnesty International de 2017/2018. Il fait valoir que la situation aurait défavorablement évoluée depuis l’arrivée au gouvernement de Matteo Salvini, en citant des extraits d’un rapport d’Amnesty International intitulé « Between the devil and the deep blue sea », ainsi que le rapport mondial de 2019 de l’organisation Human Rights Watch sur l’Italie.

En droit, le demandeur reproche au ministre une appréciation erronée des faits, sinon une violation de la loi, respectivement une fausse application de la loi.

En l’occurrence, le ministre aurait violé l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », en affirmant que la situation personnelle, telle que décrite par lui, l’exposerait en cas de retour en Italie à des traitements inhumains et dégradants puisqu’il ne pourrait bénéficier d’aucun logement, faute d’avoir une perspective raisonnable de disposer d’un emploi rémunéré, tout en soulignant qu’il serait extrêmement difficile pour un réfugié politique de trouver un tel emploi en Italie. Il ajoute que l’arrivée au pouvoir de Matteo Salvini rendrait l’intégration des réfugiés extrêmement compliquée, de manière que les conditions de vie y deviendraient à ce point insupportables que de nombreux réfugiés quitteraient ce pays. Il donne à considérer que bien qu’il parle couramment l’italien, il aurait préféré vivre depuis 2014 dans des conditions de vie « spartiates » lui offertes par les pays d’accueil où il aurait présenté une demande de protection internationale, plutôt que de vivre en Italie sous le couvert d’un titre de séjour. Il fait valoir qu’il ne pourrait supporter la perspective de vivre dans la rue en Italie, la « clochardisation » de son existence lui étant insupportable. Un retour en Italie impliquerait ainsi pour lui une souffrance physique et mentale prohibée par l’article 4 de la Charte.

Il souligne que la présomption suivant laquelle l’Italie, en tant que membre de l’Union européenne, respecterait les valeurs de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité serait renversée par les documents versés en cause par lui. Le demandeur se réfère à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 21 janvier 2011 (M.S.S. c/ Belgique et Grèce, n° 3696/09) pour insister sur le caractère réfrangible de cette présomption et se réfère, par ailleurs, à la jurisprudence de la CJUE pour soutenir que si l’expulsion d’un demandeur d’asile impliquerait une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droit de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », l’Etat membre aurait l’obligation de ne pas expulser la personne concernée. Ces principes devraient trouver application de façon indistincte, peu importe qu’il s’agit d’un demandeur de protection internationale ou d’un bénéficiaire de protection internationale, dans la mesure où l’article 4 de la Charte aurait un caractère universel et indivisible.

En se référant ensuite à un arrêt de la CJUE du 19 mars 2019, n° C-163/17, le demandeur fait valoir que le traitement de sa demande de protection internationale ne pourrait pas être refusé du seul fait qu’il dispose en Italie d’une protection internationale. Par ailleurs, il se prévaut d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 2019, n° C-297/17.

En guise de conclusion, le demandeur estime qu’il serait établi à suffisance sur base des documents versés par lui en cause et sur base de son récit qu’il se verrait contraint en cas de retour en Italie à vivre dans la rue et cela nonobstant le fait qu’une protection internationale lui avait été accordée par les autorités italiennes. Un tel traitement serait constitutif d’un traitement inhumain et dégradant au sens des dispositions de l’article 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: a) une protection internationale a été accordée par un autre Etat membre de l’Union européenne ; […] ».

Il ressort de cette disposition que le ministre peut déclarer irrecevable une demande de protection internationale, sans vérifier si les conditions d’octroi en sont réunies, dans le cas où le demandeur s’est vu accorder une protection internationale dans un autre pays membre de l’Union européenne.

En l’espèce, il se dégage de manière non contestée des éléments du dossier soumis à l’appréciation du tribunal et plus particulièrement des déclarations faites par le demandeur lors de ses entretiens auprès de la police grand-ducale le 10 avril 2019 et auprès du ministère compétent le 8 mai 2019, de même que d’une prise de position des autorités italiennes du 7 juin 2019, que le demandeur s’est vu accorder en octobre 2012 un permis de séjour pour réfugié ayant expiré le 10 août 2017.

S’il est ainsi certes vrai que son titre de séjour en tant que réfugié avait expiré au moment de la prise de la décision déférée, cette expiration est sans incidence sur le fait qu’une protection internationale a été accordée au demandeur par un autre Etat membre de l’Union européenne, étant relevé qu’il ne ressort ni du courrier des autorités italiennes du 7 juin 2019, ni d’un autre élément du dossier que le statut de réfugié ait été révoquée par les autorités italiennes, ou encore que le demandeur ne puisse pas renouveler en Italie son titre de séjour découlant de l’octroi du statut de réfugié. Au-delà de ce constat, le tribunal relève encore que la circonstance que le titre de séjour italien se trouve actuellement périmé relève de la seule attitude du demandeur qui admet ne pas avoir renouvelé son titre de séjour italien, sans avoir fait état de d’obstacles indépendants de sa volonté qui l’auraient empêché à solliciter un tel renouvellement, le demandeur ayant au contraire déclaré « j’aurais pu retourner en Italie, mais je ne veux plus ». Or, admettre, dans ces circonstances, l’examen d’une demande de protection internationale introduite par la suite dans un autre Etat membre de l’Union européenne équivaudrait à permettre le « forum shopping » que le système européen d’asile tend justement à empêcher.

Il s’ensuit que le ministre a a priori valablement pu déclarer irrecevable la demande de protection internationale du demandeur sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015.

Cette conclusion n’est pas invalidée par l’argumentation fournie par le demandeur à l’appui de son recours, qui se résume à critiquer les conditions d’accueil en Italie.

Le tribunal relève de prime abord que les critiques du demandeur quant aux conditions de vie en Italie ne sont susceptibles d’être pertinentes en l’espèce que s’agissant des conditions d’accueil des bénéficiaires d’une protection internationale, à l’exclusion des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.

Au-delà de ce constat, le tribunal relève que dans son arrêt du 19 mars 2019, n° 297/17, invoqué aussi par le demandeur, la CJUE a retenu que lorsque la juridiction saisie d’un recours contre une décision rejetant une nouvelle demande de protection internationale comme étant irrecevable dispose d’éléments produits par le demandeur aux fins d’établir l’existence d’un risque de subir des traitements contraires à l’article 4 de la Charte dans l’Etat membre ayant déjà accordé la protection subsidiaire, cette juridiction est tenue d’apprécier, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union, la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes. Elle a, à cet égard, souligné que, pour relever de l’article 4 de la Charte, qui correspond à l’article 3 de la CEDH, et dont le sens et la portée sont donc, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère ladite convention, les défaillances en question doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Elle a encore précisé que ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant.

Si le demandeur fait état de difficultés de trouver une logement et un emploi rémunéré en Italie, force est de constater qu’il reste cependant en défaut de démontrer qu’en cas de retour dans ce pays, il y serait exposé à un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, interprétées dans le sens retenu par la CJUE dans son arrêt précité, ces dispositions nécessitant, en effet, des actes devant revêtir un certain seuil de gravité et entraînant des souffrances physiques ou psychologiques intenses.

Il se limite, en effet, à formuler des critiques générales non soutenues par des éléments concrets de son vécu personnel, et à citer des rapports internationaux sur la situation des demandeurs de protection internationale, respectivement des bénéficiaires d’une protection internationale en Italie, qui, en partie, remontent à 2016 de sorte à ne pas nécessairement refléter la situation actuelle, sans donner des explications sur l’incidence de ces rapports par rapport à sa situation personnelle.

Le tribunal relève que si le demandeur a certes déclaré lors de son entretien qu’il a quitté l’Italie après trois ans puisqu’il aurait été informé qu’il devrait quitter le foyer où il aurait habité jusqu’à ce moment pour faire place à des demandeurs de protection internationale nouvellement arrivés, force est encore de constater qu’il a également déclaré qu’à son arrivée en Italie il a bien été reçu et qu’il a pu bénéficier d’un logement pendant trois ans même après avoir obtenu le statut de réfugié, de sorte qu’au regard des propres déclarations faites par le demandeur, ses critiques quant aux conditions de vie des bénéficiaires d’une protection internationale formulées à l’appui de son recours se trouvent manifestement contredites par son propre vécu.

S’agissant des rapports invoqués par le demandeur, s’il est vrai que ceux-ci font état de difficultés de gestion en ce qui concerne les possibilités de logement, dues au nombre croissant de demandeurs d’asile et de bénéficiaires d’une protection internationale, il ne peut cependant pas en être conclu que l’Italie serait dans une situation telle que les personnes auxquelles elle a accordé une protection internationale n’auraient systématiquement ni accès à un logement, ni à un emploi.

Le tribunal relève qu’il ressort plus particulièrement du rapport OSAR d’août 2016 que les bénéficiaires d’une protection internationale sont placés sur un pied d’égalité avec les ressortissants italiens en ce qui concerne les droits sociaux et l’accès aux prestations sociales.

S’agissant des extraits du rapport des organisations DRC et OSAR du 9 février 2017 invoqués par le demandeur, ceux-ci ne sont pas pertinents dans la mesure où ils se réfèrent essentiellement aux demandeurs de protection internationale, situation qui n’est pas celle du demandeur qui s’est d’ores et déjà vu accorder une telle protection.

Il en est de même des extraits du rapport d’Amnesty International de 2017/2018 cités, qui visent les procédures de recours contre des décisions de rejet de demandes d’asile, respectivement les « hotspots » destinés au premier accueil des primo arrivants, hypothèse qui n’est pas celle du demandeur.

Pareillement, les extraits du rapport d’Amnesty International intitulé « between the devil and the deep blue sea » décrivent les statistiques des nouveaux demandeurs de protection internationale arrivés en Italie par voie maritime, de même que le décret Salvini entré en vigueur en octobre 2018 visant la situation des demandeurs de protection internationale en Italie, sans que le demandeur ne les ait mis en relation avec son propre cas.

Enfin, les extraits du rapport mondial de 2019 de Human Rights Watch ont fait état d’incidents racistes en Italie et de reproches de discrimination à l’égard de Romes vivant en Italie, toujours sans que le demandeur n’ait expliqué quel serait le lien de l’extrait cité avec sa situation personnelle.

Pour le surplus, le demandeur se contente de citer des jurisprudences de la CJUE et plus particulièrement l’arrêt, précité, du 19 mars 2019, sans expliquer en quelle mesure il soit fondé à affirmer qu’en tant que bénéficiaire du statut de réfugié en Italie, il risquerait d’y être exposé à des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH et plus particulièrement qu’il risquerait des conditions de vie atteignant un seuil de gravité tel que décrit par la CJUE dans son arrêt précité du 19 mars 2019.

A cet égard, il convient de relever que les difficultés rencontrées pour trouver un logement, respectivement un emploi rémunéré, ne peuvent être considérées comme étant contraires à l’article 4 de la Charte, dans la mesure où il n’existe a priori dans aucun pays une obligation de l’Etat de pourvoir un emploi à l’un de ses résidents, et, par extension, à un bénéficiaire d’une protection internationale, ou même de lui garantir l’accès à un logement.

Finalement, le tribunal se doit de relever que si le demandeur était effectivement d’avis que les autorités italiennes avaient violé les droits garantis par l’article 4 de la Charte, il lui appartiendrait, en tout état de cause, de faire valoir ses droits directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates, voire de saisir, par après, la CourEDH.

L’ensemble des considérations qui précédent amènent dès lors le tribunal à rejeter le moyen fondé sur une violation par le ministre de l’article 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH.

Le recours, en ce qu’il est dirigé contre la décision déclarant irrecevable la demande de protection internationale du demandeur, est partant rejeté comme non fondé.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Quant à l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du 17 mai 2019, il convient de relever qu’étant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit un recours au fond contre un ordre de quitter le territoire, seul un recours en annulation a pu valablement être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en annulation, ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Force est de constater que le demandeur n’a pas invoqué de moyen par rapport à l’ordre de quitter le territoire, ce que son mandataire a d’ailleurs confirmé à l’audience des plaidoiries sur question afférente du tribunal.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 « une décision du ministre vaut décision de retour, à l’exception des décisions prises en vertu de l’article 28, paragraphe (1) et (2), point d) […] ». La décision de l’espèce étant prise sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015, non visé parmi les exceptions de l’article 34, paragraphe (2), précité, l’ordre de quitter est dès lors la conséquence automatique de la décision ministérielle d’irrecevabilité de la demande de protection internationale.

Etant donné que le tribunal vient de retenir que le recours contre la décision d’irrecevabilité de la demande de protection internationale de Monsieur … n’est pas fondé, alors que dans son cas d’espèce, il est resté en défaut de démontrer qu’il risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte en cas de retour en Italie, et à défaut de moyens spécifiques y relatifs soulevés par le demandeur, le tribunal ne dispose pas d’éléments permettant de mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire, de sorte que le recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour être non fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses deux volets.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 17 mai 2019 ayant déclaré la demande de protection internationale de Monsieur … irrecevable aux termes de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015 ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 17 mai 2019 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 25 juillet 2019 à 15 :00 heures par :

Annick Braun, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 juillet 2019 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 43046
Date de la décision : 25/07/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-07-25;43046 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award