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19/07/2019 | LUXEMBOURG | N°43271

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juillet 2019, 43271


Tribunal administratif N° 43271 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2019 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 19 juillet 2019 Requête en relevé de forclusion introduite par Madame …, …, en présence de la Commission de Surveillance du Secteur Financier en matière de relevé de forclusion

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43271 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 juillet 2019 par Maître Pol U

rbany, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no...

Tribunal administratif N° 43271 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2019 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 19 juillet 2019 Requête en relevé de forclusion introduite par Madame …, …, en présence de la Commission de Surveillance du Secteur Financier en matière de relevé de forclusion

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43271 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 juillet 2019 par Maître Pol Urbany, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant au relevé de la déchéance résultant de l’expiration du délai de trois mois imparti pour l’introduction d’un recours contentieux à l’encontre de la décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 26 mars 2019 prononçant à son égard la sanction disciplinaire d’une amende égale à la moitié d’une mensualité brute du traitement de base ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy Engel, demeurant à Luxembourg, du 12 juillet 2019, portant signification de la requête en relevé de forclusion à la Commission de Surveillance du Secteur Financier, établissement public, établi à L-1150 Luxembourg, 283, route d’Arlon, représentée par son comité de direction ;

Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2019 par Maître Albert Rodesch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la Commission de surveillance du secteur financier, préqualifiée ;

Vu la convocation de la chambre de vacation du tribunal administratif du 15 juillet 2019 des mandataires des parties en la chambre du conseil en date du mardi 18 juillet 2019 à 10.00 heures ;

Vu les pièces versées en cause ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Isabelle Altmann, en remplacement de Maître Pol Urbany et Maître Paul Schintgen, en remplacement de Maître Albert Rodesch, en leurs plaidoiries respectives en la chambre du conseil en date du 18 juillet 2019.

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En date du 26 mars 2019, le Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat prit à l’égard de Madame … la sanction disciplinaire d’une amende égale à la moitié d’une mensualité brute du traitement de base. Ladite décision lui fut notifiée en date du 27 mars 2019.

En date du 12 juillet 2019, Madame … a fait déposer une requête tendant au relevé de la déchéance de son droit d’agir en justice résultant de l’expiration du délai de trois mois imparti pour l’introduction d’un recours contentieux à l’encontre de la prédite décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 26 mars 2019.

A l’appui de sa requête, la demanderesse explique avoir chargé son mandataire, qui serait actuellement remplacé par un collaborateur pour cause de maladie, d’introduire un recours contre ladite décision. Le recours aurait été préparé en bonne et due forme afin d’être déposé auprès du tribunal administratif en date du 27 juin 2019, dernier jour pour déposer le recours en réformation, sinon en annulation. Un autre collaborateur de l’étude à Luxembourg-

Ville aurait quitté celle-ci à 17.30 heures pour déposer le recours au greffe du tribunal administratif, mais se serait retrouvé bloqué dans un embouteillage. Après qu’il aurait averti un greffier du tribunal administratif de son retard, qui l’aurait informé que « le tampon disponible à l’intérieur du Tribunal serait informatisé et contiendrait l’heure du dépôt et qu’[il] n’aurait pas le droit d’accepter et d’enrôler de recours après 18.00 heures », il serait arrivé devant le tribunal administratif à 18.10 heures. L’agent de sécurité devant le bâtiment l’aurait informé que les portes du tribunal seraient closes et lui aurait refusé la réception de la requête.

En droit et en ordre principal, Madame … fait valoir, en se référant à la loi modifiée du 22 décembre 1986 relative au relevé de déchéance, ci-après désignée par « la loi du 22 décembre 1986 », qu’elle aurait été dans l’impossibilité d’agir, étant donné que son mandataire se serait trouvé devant les portes fermées du tribunal administratif, de sorte à ne pas avoir été en mesure de déposer sa requête. Dans ce contexte, elle fait valoir que ni l’article 3 ni l’article 13 ni aucun autre article de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », ne prévoirait une disposition spécifique quant à la computation des délais en matière administrative, de sorte qu’il y aurait lieu de se référer aux articles 1256 à 1260 du Nouveau Code de procédure civile, ci-après désigné par « NCPC », et à la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle le 16 mai 1972 approuvée à travers la loi du 30 mai 1984, ci-après désignée par « la Convention de Bâle ». Elle soutient que si l’article 3, paragraphe 2 de la Convention de Bâle prévoirait certes une exception par rapport au principe que les délais courent jusqu’au dies ad quem à minuit, en l’occurrence qu’un acte pourrait être accompli le dies ad quem que pendant les heures normales d’ouverture des bureaux, il n’en resterait pas moins que « le pays signataire de la Convention introduise dans sa législation cette information et indique clairement au justiciable (…) qu’il est dérogé au droit commun, à savoir à l’article 1256 du NCPC qui dispose de façon nette, claire et univoque que le délai s’épuise à minuit [et] de quelle façon il est dérogé à ce texte, à savoir dans quels cas et, le cas échéant, à quelle heure le délai s’épuise. ». Or, le législateur luxembourgeois n’aurait pas fait usage de cette faculté donnée par la Convention de Bâle, de sorte qu’il y aurait lieu de constater qu’il n’existerait en droit luxembourgeois aucune disposition prévoyant une dérogation à l’article 1256 du NCPC. En prenant appui sur un arrêt de la Cour administrative du 20 décembre 2001, inscrit sous le numéro 13711C du rôle, dans lequel la Cour administrative s’est, dans un cas traitant d’une problématique similaire, référée à l’article 3 du règlement grand-ducal modifié du 13 avril 1984 portant fixation de la durée normale de travail et des modalités de l’horaire mobile dans les services de l’Etat, pour venir à la conclusion que l’horaire normal du travail journalier du greffe des juridictions administratives est fixé de 8 à 12 heures et de 14 à 18 heures, Madame … soutient que ledit règlement grand-

ducal ne concernerait ni les délais de procédure, ni la computation des délais de procédure, mais règlerait simplement les horaires de travail des fonctionnaires. Elle affirme que l’article 3, paragraphe 1. de la Convention de Bâle, prévoyant le principe de l’épuisement du délai à minuit au dies ad quem, serait dénué de tout sens, si un Etat signataire pourrait limiter le délai aux heures des bureaux sans texte de loi afférent indiquant clairement les heures de fermeture des bureaux. Il en résulterait qu’elle aurait été dans l’impossibilité d’introduire son recours jusqu’à minuit, impossibilité qui ne lui serait pas imputable.

Dans la mesure où elle risquerait de se voir priver du droit de mener un procès pour la sauvegarde de ses droits et du droit d’accès à la justice, la demanderesse ajoute à titre de « remarques supplémentaires », qu’aucune disposition de la Constitution ne viserait le statut du droit international public général dans l’ordre juridique luxembourgeois, respectivement préciserait la hiérarchie entre les normes du droit international et les normes du droit national, tout en soulignant que la pure « faculté imprécise » laissée aux Etats signataires de la Convention de Bâle n’aurait aucun effet direct en droit interne luxembourgeois sans qu’une loi n’ait formellement repris ces dispositions. Elle insiste dans ce contexte sur le fait que l’Etat de droit n’existerait que si le citoyen peut se fier à la lettre du texte de loi, dans la mesure où celui-ci est clair et précis.

La demanderesse fait ensuite valoir que le non-respect des termes du NCPC et du « procédé des juridictions administratives quant aux délais de procédure » constituerait une violation de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». Elle donne à considérer à cet égard qu’en France, les requérants pourraient mettre leur recours dans une boîte aux lettres après l’avoir fait tamponner par un horodateur, respectivement de l’envoyer par fax ou de l’envoyer sur une plateforme électronique sécurisée, dispositifs qui garantiraient les droits des justiciables qui pourraient introduire leur recours jusqu’à minuit.

A titre subsidiaire, Madame … base sa demande sur l’impossibilité matérielle d’agir visée par l’article 1er de la loi du 22 décembre 1986 en soutenant que « l’embouteillage colossal d’une envergure et durée imprévisible » aurait empêché un dépôt avant 18.00 heures.

Elle précise encore que son mandataire n’aurait pas commis d’erreur, omission, imprudence ou négligence, alors qu’il aurait lui-même été confronté à un cas de force majeure l’empêchant de déposer le recours au greffe du tribunal administratif.

Le mandataire de la Commission de surveillance du secteur financier se rapporte à prudence de justice et se réfère à la jurisprudence en la matière.

La requête en relevé de déchéance, non autrement critiquée quant à la forme et au délai, est recevable.

La loi du 22 décembre 1986 dispose en son article 1er que « Si une personne n’a pas agi en justice dans le délai imparti, elle peut, en toutes matières, être relevée de la forclusion résultant de l’expiration du délai si, sans qu’il y ait eu faute de sa part, elle n’a pas eu, en temps utile, connaissance de l’acte qui a fait courir le délai ou si elle s’est trouvée dans l’impossibilité d’agir ».

Ainsi, l’article 1er de la loi du 22 décembre 1986 prévoit deux cas d’ouverture pouvant donner lieu au relevé de déchéance introduit chacun par le mot « si ». Force est de constater que le texte légal ne subordonne que le premier cas d’ouverture, à savoir celui où la personne concernée n’a pas eu en temps utile connaissance de l’acte qui a fait courir le délai, à la condition d’une absence de faute de la part du demandeur en relevé de déchéance, alors que pour le deuxième cas d’ouverture, relatif à l’impossibilité d’agir, pareille condition n’est pas requise1.

Il est constant en cause, pour n’être contesté par aucune des parties à l’instance, que la demanderesse s’est vue notifier en date du 27 mars 2019 la décision précitée du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 26 mars 2019, de sorte qu’elle a eu connaissance de l’acte qui a fait courir le délai.

Ainsi, la demanderesse ne rentre pas dans les prévisions du premier cas d’ouverture d’un relevé de déchéance prévu par la loi.

S’agissant du deuxième cas d’ouverture pouvant donner lieu au relevé de déchéance, à savoir l’hypothèse dans laquelle, bien que le demandeur ait eu connaissance de l’acte en question, il était dans l’impossibilité d’agir, Madame … se prévaut du fait qu’elle aurait bien chargé un mandataire pour agir en justice, mais que son avocat se serait trouvé bloqué dans le trafic le dernier jour du délai de trois mois courant depuis la notification de la décision litigieuse, de sorte à ne pas avoir pu déposer son recours avant 18.00 heures dans le délai légal au greffe du tribunal administratif.

Or, force est de constater que le demandeur ne justifie pas en l’espèce une impossibilité matérielle d’agir au sens de l’article 1er de la loi du 22 décembre 1986. Plus particulièrement, elle reste en défaut de justifier en quelle mesure elle a été dans l’impossibilité de faire en sorte que son recours soit déposé endéans le délai de trois mois lui conféré par la loi. Si elle excipe de ce que son mandataire avait été confronté, le dernier jour du délai de recours à des difficultés de trafic, voire critique le fait qu’elle n’a pas pu déposer la requête après les heures de bureaux, le constat s’impose que les difficultés ne sauraient être qualifiées d’impossibilité matérielle au sens de la loi, alors qu’elles sont la conséquence directe du choix de son mandataire d’attendre jusqu’au dernier jour du délai de recours, de surcroît en fin de journée, pour déposer le recours.

Or, la carence ou la négligence du mandataire n’est toutefois pas de nature à tenir en échec les délais d’ordre public. Dans ce contexte, il convient de rappeler que dans l’hypothèse où un mandataire a été chargé par une personne en vue de l’introduction d’un recours dans une matière dans laquelle le droit de postulation d’un professionnel est la règle, comme celle sous rubrique, réservant aux avocats à la Cour le monopole des recours à intenter au fond contre des décisions administratives individuelles, l’impossibilité d’agir n’est en principe pas donnée, lorsque le mandat pour agir a été conféré en temps utile au professionnel par le justiciable concerné, sauf hypothèse exceptionnelle d’éléments irrésistibles vérifiés dans le chef dudit mandataire2.

Admettre le raisonnement adverse impliquerait que toute partie demanderesse devrait être relevée de la déchéance, quelle que soit la cause justificative de l’inaction du professionnel concerné, ce qui reviendrait à outrepasser sans cause légitime des délais par ailleurs fixés à titre obligatoire par le législateur, le relevé de déchéance étant à interpréter de façon restrictive, vu son caractère exceptionnel, suivant la loi du 22 décembre 1986. En effet, 1 cf. trib. adm. 2 octobre 2000, n° 12174 du rôle, Pas. adm. 2018, V°Procédure contentieuse, n°281 et les autres références y citées, ainsi que trib. adm. 9 octobre 2006, n° 21198 du rôle, Pas. adm. 2018, n° 295 du rôle et l’autre référence y citée.

2 cf. trib. adm. 2 octobre 2000, n°12174 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 281 et les autres références y citées.

l’inaction du mandataire de l’administré, susceptible, le cas échéant, d’engager la responsabilité civile du mandataire, ne saurait servir de prétexte à contourner les délais imposés par le législateur sous peine de forclusion.

S’il n’est pas contesté en l’espèce que la demanderesse a chargé en temps utile un mandataire pour introduire un recours contentieux, il n’en reste pas moins que ledit recours n’a pas été déposé au greffe du tribunal administratif dans le délai légal. Or, le tribunal tient particulièrement à relever qu’il ne saurait être admis que l’incurie d’un avocat, qui reconnait d’ailleurs dans la requête introductive d’instance avoir attendu jusqu’au « dernier jour pour déposer la requête », malgré le fait que les heures d’ouverture du tribunal administratif lui étaient connues, dans la mesure où il affirme avoir appelé le greffe du tribunal administratif à 17.41 heures au moment où il se rendait compte qu’il n’arriverait pas au tribunal avant 18.00 heures, et qui prend délibérément le risque de quitter son étude située au Centre-Ville à 17.30 heures, en heure de fort trafic, pour faire un dépôt au greffe du tribunal administratif situé à Kirchberg, puisse servir de prétexte à contourner des délais imposés par le législateur sous peine de forclusion.

Conformément aux principes ci-avant dégagés, une erreur commise par le mandataire du justiciable ne peut pas être considérée comme ayant été commise en dehors de la sphère d’action du justiciable qui ne peut, partant, pas être considéré comme s’étant trouvé dans l’impossibilité d’agir. Il s’ensuit que le deuxième cas d’ouverture du relevé de déchéance est à son tour non vérifié en l’occurrence.

Il suit partant de l’ensemble des éléments qui précèdent que la requête en relevé de forclusion n’est pas fondée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit la demande en relevé de forclusion en la forme ;

au fond, la dit non justifiée et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, juge, Carine Reinesch, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 19 juillet 2019, à 15.00 heures par le vice-président, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s.Michèle Hoffmann s.Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 juillet 2019 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 43271
Date de la décision : 19/07/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-07-19;43271 ?

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