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17/07/2019 | LUXEMBOURG | N°43073

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juillet 2019, 43073


Tribunal administratif N° 43073 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2019 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 17 juillet 2019 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43073 du rôle et déposée le 5 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée NCS Avocats SARL, établie à L-1475 Luxembourg, 7, rue du St. E

sprit, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B225706 et à...

Tribunal administratif N° 43073 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2019 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 17 juillet 2019 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43073 du rôle et déposée le 5 juin 2019 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée NCS Avocats SARL, établie à L-1475 Luxembourg, 7, rue du St. Esprit, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B225706 et à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, représentée par son gérant actuellement en fonctions, Maître Aline Condrotte, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Nigéria), et être de nationalité nigériane, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 mai 2019 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Aline Condrotte et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries à l’audience publique du 17 juillet 2019.

Le 19 mars 2019, Monsieur …, déclarant être de nationalité nigériane, introduisit une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, unité de la criminalité organisée et de la police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le même jour, Monsieur … passa également un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après « le règlement Dublin III ».

A la suite des recherches effectuées dans le système d’empreintes digitales EURODAC, il s’avéra que l’intéressé avait précédemment déposé une demande de protection internationale en Italie en date du 9 juillet 2016.

Par décision du 19 mars 2019, notifiée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », lui notifia un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, désignée ci-après par « la SHUK », pour une durée de trois mois.

Le 26 mars 2019, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues italiens, sur le fondement de l’article 18 (1) d du règlement Dublin III en vue de la prise en charge de Monsieur …. Restées sans réponse, elles renvoyèrent un courrier le 16 avril 2019 dans lequel elles constatèrent l’acceptation tacite de la prise en charge. Par courrier du même jour, les autorités italiennes acceptèrent de reprendre en charge Monsieur … et informèrent leurs homologues luxembourgeois des modalités de transfert de Monsieur ….

Par décision, datée du 21 mai 2019, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre, informa Monsieur … de sa décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Italie sur base des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et à celles de l’article 18 (1) d), du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 19 mars 2019 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18 (1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Italie qui est l'Etat membre compétent pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 19 mars 2019 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 19 mars 2019.

1.

Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 19 mars 2019, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

2 La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 9 juillet 2016.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin Ill a été mené en date du 19 mars 2019.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 26 mars 2019 une demande de reprise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 10 avril 2019.

2.

Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas compétent pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette compétence revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou, l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement compétent lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3.

Quant à la motivation de la présente décision de transfert 3 En l'espèce, il ressort des résultats du 19 mars 2019 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 9 juillet 2016.

Selon vos déclarations vous auriez quitté votre pays d'origine en date du 18 mai 2016 en direction de la Libye. Après un mois, vous auriez embarqué sur un bateau en direction de l'Italie où vous seriez arrivé en date du 6 juillet 2016. Vous y auriez introduit une demande de protection internationale qui aurait été rejetée. Vous auriez fait recours, mais sans succès.

Vous seriez alors passé par la France pour arriver au Luxembourg en date du 18 mars 2019.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 19 mars 2019, vous soulevez que vous seriez anémique et qu'on vous aurait opéré en Italie parce que vous auriez eu des problèmes de vue. Cependant, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous indiquez que vous auriez décidé de quitter l'Italie parce que vous auriez dû quitter le foyer, parce que vous auriez des problèmes de santé et parce que vous n'auriez pas les moyens pour payer un avocat.

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

En l'occurrence, dans l'hypothèse où les autorités italiennes auraient effectivement rendu une décision de renvoi vers votre pays d'origine, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires italiennes. Vous déclarez même, lors de votre entretien Dublin III, que vous auriez pu faire recours contre la décision de rejet des autorités italiennes quant à votre demande de protection internationale.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l'Italie ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales 4 en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence l'Italie. Vous ne faites valoir aucun indice que l'Italie ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions italiennes, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer compétentes pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Au regard de votre état de santé, il n'existe aucune raison de croire que l'exécution du transfert-même vers l'Italie rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d'une violation de l'article 3 CEDH, plus particulièrement votre état de santé n'est pas d'une gravité telle que tout transfert dans les délais prévus par le règlement DIII serait d'ores et déjà voué à échec. Relevons dans ce contexte qu'il ressort de votre entretien Dublin III que les autorités italiennes auraient pris en charge vos problèmes de vue et que vous auriez été opéré aux yeux lors de votre séjour en Italie ce qui met en évidence que les autorités italiennes ne refusent pas aux demandeurs d'une protection internationale l'accès aux soins médicaux.

Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

5 Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avérait nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées. (…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 21 mai 2019.

Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond en la matière, l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant, au contraire expressément un recours en annulation, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision déférée du 21 mai 2019, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur retrace les faits et rétroactes ayant mené à la décision déférée du 21 mai 2019.

En droit, il reproche à la décision déférée de contrevenir à l’article 3 du règlement Dublin III. Ainsi, l’application dudit règlement serait un échec, car elle consisterait à renvoyer la quasi-totalité des demandeurs d’asile dans les pays formant les frontières extérieures de l’Union européenne. L’Italie en tant que pays faisant barrage entre l’Union européenne et les pays tiers aurait fait face à une surcharge de migrants ce qui aurait abouti à une situation de défaillances et de mauvaises conditions d’accueil. D’ailleurs, les hauts dirigeants des Etats membres de l’Union européenne envisageraient une refonte du règlement Dublin III.

Le demandeur ajoute que la demande de reprise en charge émise par « l’unité Dublin luxembourgeoise » n’aurait pas abouti à une réponse formelle de la part de ses homologues italiens. Ainsi seule l’expiration du délai accordé à l’Italie par le règlement Dublin III aurait été interprétée comme acceptation implicite de reprise en charge. L’Italie n’aurait donc pas véritablement été disposée à le reprendre en charge.

Il estime que dans la mesure où la politique européenne en matière d’asile serait basée sur « l’effort partagé », le Luxembourg se devrait de prendre en charge sa demande d’asile.

Toujours dans le contexte de l’allégation d’une violation de l’article 3 du règlement Dublin III, le demandeur affirme risquer de subir des mauvaises conditions d’accueil en Italie, d’autant plus qu’il souffrirait de plusieurs maladies pour lesquelles il serait suivi au Luxembourg par plusieurs spécialistes.

Enfin, il soutient que les motifs à la base de sa demande de protection internationale seraient extrêmement sérieux, mais n’auraient pas été pris en compte par le ministre. Il aurait ainsi invoqué son homosexualité qui serait considérée dans son pays d’origine comme un délit passible de prison, de sorte qu’il ne pourrait bénéficier d’aucune protection dans son paysd’origine et que sa demande aurait donc de fortes chances d’aboutir.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen tiré d’une violation de l’article 3 du règlement Dublin III.

Le tribunal relève d’abord que l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été également prise dispose, quant à lui, que : « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25, et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ».

Enfin, l’article 22 (7) du règlement Dublin III prévoit que « L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois [à compter de la date de réception de la requête de prise en charge] et du délai d’un mois [lorsque l’Etat membre requérant a invoqué l’urgence] équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. » Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte, même tacitement, la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur …, mais l’Italie, qui a accepté tacitement de le prendre en charge à partir du 10 avril 2019, en raison de l’absence de réponse à la demande luxembourgeoise envoyée le 26 mars 2019, et qui a, par la suite, tout de même et de surcroît expressément accepté de reprendre en charge Monsieur … tout en indiquant les modalités de transfert par courrier 16 avril 2019, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer Monsieur … vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

L’argument du demandeur selon lequel l’absence de réponse des autorités italiennes démontrerait l’existence de défaillances systémiques est dès lors d’ores et déjà à rejeter, cette possibilité étant expressément prévue par l’article 22 (7) du règlement Dublin III.

Il y a ensuite lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement DublinIII, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ci-après désignée par « la Charte », auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Force est au tribunal de constater que le demandeur soutient que son transfert serait contraire à l’article 3 du règlement Dublin III.

L’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III invoqué par le demandeur dispose que :

« Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, désignée ci-après par « la CEDH », respectivement de l’article 4 de la Charte.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient aux demandeurs de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées.

Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte.

A cet égard, dans un arrêt du 19 mars 2019, portant le numéro C-163/17 du rôle, la Cour de Justice de l’Union européenne, désignée ci-après par « la CJUE », a retenu que des défaillances ne sont contraires à l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants que lorsqu’elles atteignent un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause, ce seuil étant atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine1, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant2.

Etant donné qu’en l’espèce le demandeur remet en question cette présomption du respect des droits fondamentaux par l’Italie, en affirmant risquer des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers ledit pays, il lui appartient de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Or, force est de constater que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis au tribunal.

En effet, le demandeur se limite à soulever de manière tout à fait affirmative et sans aucun élément concret à l’appui – tel qu’un rapport d’une organisation non gouvernementale -

que « l’application du règlement Dublin III [serait] un échec » et que face à une « surcharge de migrants » la situation en Italie aurait abouti des « défaillances et des mauvaises conditions d’accueil ». Or, ces éléments ne sauraient être suffisants pour retenir qu’il existerait en Italie, d’une manière générale, des défaillances systémiques au sens de l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III et qu’en cas de transfert, il risquerait d’être traité dans des conditions contraires à l’article 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH.

Force est de constater, en outre, que Monsieur … ne fait pas état de difficultés particulières qu’il aurait rencontrées pour le dépôt de sa demande de protection internationale en Italie et que selon ses propres explications il aurait pu recourir contre la décision lui ayant refusé l’attribution de la protection internationale et interjeter appel contre le jugement ayant 1 CJUE, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland., C-163/17, point 92.

2 Ibidem, point 93.rejeté son recours contentieux. Le demandeur reste dès lors en tout état de cause en défaut d’apporter la preuve que les droits des demandeurs de protection internationale en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates, étant encore relevé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Dans ces circonstances, le tribunal retient que le moyen tiré d’une violation de l’article 3 (2) du règlement Dublin III encourt le rejet.

Le demandeur soulève ensuite une violation de l’article 17 du règlement Dublin III en argumentant qu’il souffrirait d’une maladie des yeux qui aurait nécessité une chirurgie oculaire au Luxembourg, laquelle aurait dû « rectifier » une première intervention chirurgicale effectuée en Italie. Actuellement, sa maladie devrait faire l’objet d’un suivi médical.

Il souffrirait, encore, d’une maladie de sang. En vue d’un début de traitement de ladite maladie, un rendez-vous lui aurait été fixé le 14 août 2019 auprès d’un hématologue au Centre hospitalier de Luxembourg.

Le demandeur estime qu’il ne serait pas prouvé qu’il pourrait bénéficier d’un suivi médical en Italie, d’autant plus que la première intervention chirurgicale effectuée en Italie aurait dû être « rectifiée » au Luxembourg. Il fait valoir que pour justifier sa décision de transfert, le ministre se serait limité à vérifier sa capacité de voyager sans prendre en considération la possibilité de bénéficier d’un traitement médical en Italie, ce qui reviendrait à dire que la seule question qui importerait au ministre serait celle de savoir que le demandeur soit en « assez bonne santé pour voyager et que ce qui peut lui arriver ensuite ne sera pas de la responsabilité des autorités luxembourgeoises ». Le demandeur estime qu’il y aurait lieu de « qualifier le comportement du Ministère comme une « non-assistance à personne en danger » ». Enfin, il argumente qu’il appartiendrait au ministre de faire les recherches et démarches nécessaires auprès de l’état membre requis, afin de s’assurer de la prise en charge de la personne transférée.

Enfin, le demandeur reproche à la décision déférée d’avoir été adopté en violation de l’article 3 de la CEDH, ainsi que de l’article 4 de la Charte. Ainsi, le ministre se serait borné à affirmer que son état de santé ne serait pas d’une gravité suffisante pour empêcher un transfert vers l’Italie, alors même qu’au moment de la demande de reprise en charge adressée aux autorités italiennes, le ministre n’aurait pas encore disposé du dossier médical complet du demandeur. En l’absence d’une analyse complète de son dossier médical, le ministre n’aurait pas pu prendre de décision éclairée sur la question du transfert. D’ailleurs, l’hématologue ne devra procéder à un examen médical du demandeur qu’en date du 14 août 2019. Le ministre aurait ainsi « précipité sa décision de transfert sans aucune garantie que le requérant puisse bénéficier des soins de santé adéquats en Italie ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet des moyens afférents pour ne pas être fondés.

En ce qui concerne d’abord le moyen du demandeur tiré d’une violation des articles 3de la CEDH et 4 de la Charte en raison de ses maladies oculaires et sanguines, respectivement d’un reproche au ministre de ne pas s’être assuré préalablement qu’en cas de transfert en Italie le demandeur aurait accès aux soins médicaux dont il aurait besoin, le tribunal est de prime abord amené à retenir que le demandeur reste en défaut de détailler, pièces à l’appui, quels seraient ses besoins médicaux et de démontrer que l’absence d’une prise en charge spécifique desdits besoins serait telle qu’elle entrainerait une violation de l’article 3 de la CEDH, respectivement 4 de la Charte. Il ressort, en effet, de trois certificats médicaux du docteur …, médecin-spécialiste en ophtalmologie des 29 mars, 13 mai et 14 mai 2019 que le demandeur souffre d’une maladie oculaire et qu’il a subi une intervention chirurgicale, à savoir une cryopexie. Il ressort, par ailleurs, de deux certificats médicaux du docteur … des 10 et 11 avril 2019 que le demandeur souffre d’une maladie sanguine, à savoir d’une drépanocytose hétérozygote. Un avis du médecin délégué de la direction de la Santé du 27 mai 2019 conclut que : « Monsieur … peut être déplacé de Luxembourg vers l’Italie sans que ceci ne puisse se répercuter de façon défavorable sur son état de santé ou mettre sa vie en danger et sans que cela ne constitue un problème de santé publique, si ce déplacement est effectué par un moyen autre qu’un avion ». Un certificat médical du 28 juin 2019, dressé par le docteur … arrive à la même conclusion selon laquelle : « Le patient est, sauf avis contraire du spécialiste hématologue, interdit de prendre un vol. ». Le 28 juin 2019 le docteur … a dressé un rapport post opératoire relatif au demandeur et conclut qu’un prochain contrôle est prévu dans trois mois. Enfin, dans le cadre d’un certificat médical du même jour dressé par le docteur …, du service d’hématologie et de cancérologie du Centre hospitalier de Luxembourg, ce dernier conclut que : « Pour ma part, le patient peut voyager néanmoins avec une très bonne hydratation. Pour le moyen de transport, je n’ai pas de contra-indication mais l’ophtalmologue qui l’a vu dernièrement doit pouvoir vous confirmer cela sur le plan ophtalmologique.

D’autant plus que je n’ai pas d’informations sur ce qui a été réalisé ici au Luxembourg aux HRS ». Sur question afférente d’un agent ministériel, le médecin délégué de la direction de la Santé a affirmé par courrier électronique du 8 juillet 2019 changer son avis et que suite à l’avis de l’hématologue, le patient pourrait être « transféré par avion sous condition d’être bien hydraté ». Force est dès lors au tribunal de constater au vu des certificats médicaux précités qui ont certes à un certain moment interdit tout transport du demandeur par avion, mais qui ne se sont à aucun moment opposés à un transfert du demandeur vers l’Italie, que le demandeur n’a pas rapporté la preuve (i) que le ministre aurait été confronté à des éléments tels qu’il aurait dû s’assurer auprès des autorités italiennes des conditions d’accès aux soins médicaux, ni (ii) d’une vulnérabilité particulière dans son chef, présentant le niveau de gravité requis par les jurisprudences internationales et laquelle permettrait de retenir que son transfert en Italie serait de nature à exacerber un état de santé fragilisé de manière à entraîner un risque de subir des traitements prohibés par l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte en raison de conditions d’accueil inadaptées à son état physique.

A cet égard, il convient encore à ajouter que dans la mesure où la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise, des pièces postérieures à la décision déférée ne sauraient, en principe, être prises en considération dans le cadre d’un tel recours. Il en va autrement dans l’hypothèse où ces pièces se rapportent à une situation de fait ayant existé au jour de la prise de la décision en question3.

Etant donné qu’en l’espèce l’avis du médecin délégué de la direction de la Santé du 27 mai 2019 ainsi que les certificats médicaux des docteurs …, … et … du 28 juin 2019, ont certes 3 Trib. adm., 8 juin 2015, n°35102 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n°26 et les autres références y citées.été dressés postérieurement à la prise de la décision déférée, mais qu’ils se réfèrent de manière générale à l’état de santé du demandeur tel qu’il se présentait notamment avant leur rédaction et partant également au moment de la prise de la décision déférée, le tribunal en tient compte dans son analyse.

Eu égard aux développements qui précèdent, le moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la CEDH respectivement de l’article 4 de la Charte est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite la revendication par le demandeur de la compétence des autorités luxembourgeoises sur base de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. », le tribunal relève que s’il est vrai que, lorsqu’en application des critères dudit règlement, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut, malgré tout, décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève toutefois du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres4. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge5, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée6, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion uniquement si celle-ci est manifeste.

Il appartient dès lors au demandeur de démontrer qu’il existe une disproportion manifeste dans la décision du ministre de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale au Luxembourg.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du moyen tiré d’une violation de l’article 3 du règlement Dublin III et de la légalité de la décision attaquée par rapport aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte que le demandeur est resté en défaut (i) d’établir que tout demandeur de protection internationale transféré en Italie y risque de subir des traitements inhumains et dégradants du fait de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs et (ii) de faire état d’une vulnérabilité particulière dans son chef, présentant le niveau de gravité requis par les jurisprudences internationales et laquelle permettrait de retenir que son transfert en Italie serait de nature à exacerber un état de santé fragilisé de manière à entraîner un risque de subir des traitements prohibés par l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte en raison de conditions d’accueil inadaptées à son état physique, et que c’est sur base de cette 4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

5 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.

6 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.même argumentation que le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur alors même que cet examen incombe aux autorités italiennes.

Enfin, si le demandeur qualifie la décision du ministre de « non-assistance à personne en danger », cette notion est tirée du droit pénal et ne relève partant pas des compétences des juridictions administratives.

Le moyen fondé sur une violation de l’article 17 du règlement Dublin III est dès lors rejeté pour ne pas être fondé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 17 juillet 2019 à 15.00 heures, par le vice-

président, Françoise Eberhard, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 juillet 2019 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 43073
Date de la décision : 17/07/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-07-17;43073 ?

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