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17/07/2019 | LUXEMBOURG | N°43034

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juillet 2019, 43034


Tribunal administratif N° 43034 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mai 2019 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 17 juillet 2019 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43034 du rôle et déposée le 29 mai 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Maria Ana

Real Geraldo Dias, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lux...

Tribunal administratif N° 43034 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mai 2019 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 17 juillet 2019 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43034 du rôle et déposée le 29 mai 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Maria Ana Real Geraldo Dias, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Erytrée), et être de nationalité érytréenne, ayant été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, sise à L-… et ayant élu domicile en l’étude de son mandataire sise à L-1330 Luxembourg, 26, boulevard Grande-Duchesse Charlotte, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 mai 2019 de le transférer vers l’Italie comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Claire Lidolff, en remplacement de Maître Maria Ana Real Geraldo Dias et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 juillet 2019.

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Le 11 février 2019, Monsieur … introduisit au Luxembourg une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur …… fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section de la criminalité organisée et de la police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Par arrêté du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », ordonna son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.

Monsieur …… passa encore le même jour un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable 1 de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après « le règlement Dublin III ».

En date du 20 février 2019, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en vue de la prise, respectivement de la reprise en charge de Monsieur …… conformément à l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III. A travers un courrier du 30 avril 2019, les autorités luxembourgeoises constatèrent que l’Italie est considérée comme avoir tacitement accepté la prise en charge de l’intéressé en date du 21 avril 2019. Par courrier électronique du 2 mai 2019, les autorités italiennes informèrent les autorités luxembourgeoises que le transfert pouvait être organisée vers l’aéroport de Venise.

Par décision du 10 mai 2019, le ministre prorogea l’assignation de Monsieur …… à la SHUK.

Par décision du 15 mai 2019, notifié à l’intéressé par courrier envoyé le 15 mai 2019, le ministre informa Monsieur …… que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il sera transféré vers l’Italie, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre invoquant plus particulièrement l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et les dispositions de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 11 février 2019 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 13(1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-

après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Italie qui est l'Etat membre compétent pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 11 février 2019.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 11 février 2019, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment franchi irrégulièrement ra frontière italienne en date du 25 novembre 2018.

2 Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 11 février 2019.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 20 février 2019 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut tacitement acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 21 avril 2019 sur base de l'article 22(7) du règlement précité.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas compétent pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette compétence revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

La responsabilité de l'Italie est acquise suivant l'article 22(7) du règlement DIII en ce que l'absence de réponse à l'expiration d'un délai de deux mois équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement compétent lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3 3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 11 février 2019 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 25 novembre 2018.

Selon vos déclarations vous auriez quitté votre pays d'origine le 24 novembre 2016 en direction de I'Ethiopie, où vous seriez resté pendant trois mois. Vous seriez alors allé au Soudan. Après trois mois, vous seriez passé en Libye et y seriez resté pendant un an et demi.

Vous auriez alors pris le bateau afin de vous rendre en Italie.

Après un séjour de six semaines en Italie, vous seriez passé par la France et la Belgique pour arriver au Luxembourg en date du 9 février 2019. Vous déclarez avoir perdu votre carte d'identité.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 11 février 2019, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez avoir quitté l'Italie parce que vous n'auriez pas voulu vivre dehors. Vous dites ne pas vouloir vous rendre en Italie pour le traitement au fond de votre demande de protection internationale parce que « je devrais dormir dans la rue» (page 5/9 du rapport d'entretien Dublin III du 11 février 2019).

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement, des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

4 Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer compétentes pour le traitement de votre demande de protection internationale.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées.

5 4. Quant aux voies de recours […] » En date du même jour, le ministre s’adressa au service de police judiciaire, section de la criminalité organisée et de la police des étrangers, de la Police Grand-Ducale en vue d’organiser le transfert de Monsieur …… vers l’Italie, tout en précisant que le transfert ne pourra être organisé avant le 1er juin 2019.

Monsieur …… ayant disparu depuis le 29 mai 2019 de la SHUK, le ministre demanda le 11 juin 2019 à la police Grand-Ducale de procéder au signalement national de l’intéressé.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2019, inscrite sous le numéro 43034 du rôle, Monsieur …… a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 15 mai 2019.

L’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, de sorte que tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation.

A l’audience publique des plaidoiries, le tribunal a d’office soulevé la question de la recevabilité du recours et plus particulièrement de celle de l’intérêt à agir dans le chef de Monsieur ……, étant donné qu’il a disparu de la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg et que, suivant les explications de la partie étatique dans son mémoire en réponse, il aurait déposé par la suite une nouvelle demande de protection internationale en France.

Le litismandataire du demandeur a expliqué qu’à défaut d’instructions contraires, il entend maintenir le recours.

Le délégué du gouvernement a conclu à l’irrecevabilité du recours, tout en soulignant que le demandeur a déposé entretemps une demande de protection internationale en France.

Le tribunal relève que, si stricto sensu l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que le maintien d’un intérêt à agir, ou plus précisément d’un intérêt à poursuivre une action doit être vérifié au jour du jugement1 sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, les juridictions administratives n’ayant pas été instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations2, ainsi que sous peine, le cas échéant, outre d’encombrer le rôle des juridictions administratives, d’entraver la bonne marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de se justifier inutilement devant les juridictions administratives et en exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier.

Aussi, la Cour européenne des droits de l’Homme a relevé que les conditions de recevabilité, dont l’exigence d’un intérêt comme élément de recevabilité du recours en annulation, dans la mesure où elles poursuivent notamment pour objectif de prévenir 1 Michel Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, p. 494.

2 Trib. adm., 14 janvier 2009, n° 22029 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 55 et les autres références y citées.

6 l’engorgement de la juridiction administrative, poursuivent un objectif que la Cour considère comme légitime pour viser la bonne administration de la justice3.

Or, la première personne à déterminer s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite, est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande : non seulement, il estime qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés, mais il considère que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès4.

Si cette volonté vient à disparaître en cours de procès, il n’est potentiellement plus satisfait à la condition qui doit être remplie en tout premier lieu pour que l’on puisse admettre que la partie litigante conserve effectivement un intérêt concret et personnel à faire statuer sur la demande qu’elle a introduite. Cette première condition n’étant plus remplie, il y a lieu d’en conclure que le recours n’est plus recevable en raison de la disparition de l’intérêt requis en droit.

A cet égard, il convient encore de préciser que le défaut de volonté de maintenir une demande peut résulter de la persistance avec laquelle le justiciable s’abstient de toute marque d’intérêt pour le déroulement du procès qu’il a engagé5. Cette absence de toute marque d’intérêt constitue dès lors un motif suffisant pour décider que l’intérêt requis en droit pour obtenir une décision sur la demande n’existe plus et qu’à défaut de cet intérêt, le recours doit être rejeté comme n’étant plus recevable.

En l’espèce, force est tout d’abord de relever que Monsieur …… a disparu de la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg depuis le 29 mai 2019 au plus tard en dépit de la décision d’assignation à résidence lui imposée par le ministre, l’obligeant à se présenter au moins quotidiennement au plus tard à 23 heures du soir ainsi qu’à 8 heures du matin au personnel de ladite structure d’hébergement d’urgence.

Il résulte encore des éléments du dossier administratif que le 11 juin 2019, le ministre a ordonné à la police grand-ducale de procéder au signalement national de Monsieur …… en vue de son placement en rétention et que les autorités luxembourgeoises ont informé les autorités italiennes le même jour de la disparition de l’intéressé et de la suspension du transfert.

Il découle également des éléments soumis au tribunal que Monsieur …… a introduit en date du 13 juin 2019 une nouvelle demande de protection internationale en France.

Au vu du comportement manifestement incohérent de Monsieur ……, consistant, d’une part, au dépôt d’une demande de protection internationale formulée en France, et, d’autre part, en sa demande tendant à voir le Grand-Duché de Luxembourg déclaré être l’Etat membre 3 CEDH, 2e ch., 17 juillet 2018, Ronald Vermeulen c. Belgique, req. n° 5475/06.

4 Trib. adm., 8 août 2018, n° 41369 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

5 Voir notamment Conseil d’Etat belge, 6 avril 1982, n° 22183.

7 responsable de l’examen de la demande de protection internationale par le tribunal de céans, l’opportunité du recours étant plus que sujette à caution, et ce conformément au principe suivant lequel une partie ne peut se contredire au détriment d’autrui (théorie de l’estoppel), rattachable encore à l’article 1134, alinéa 3, du Code civil, suivant lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, et tromper ainsi l’attente légitime de son cocontractant.

A cela s’ajoute que le demandeur n’a pas indiqué son adresse exacte au tribunal et a, de surcroit, laissé son litismandataire dans l’ignorance de ses démarches entretemps entreprises en France, puisque celui-ci a fait savoir, à travers un courrier électronique du 5 juillet 2019 figurant au dossier administratif, que Monsieur … … souhaiterait « s’établir au Grand-Duché de Luxembourg », tel que cela se dégagerait de ses entretiens « précédemment tenus », de sorte à faire admettre que Monsieur … … n’a tenu son avocat au courant ni de sa disparition de la SHUK, ni de ce qu’entretemps il a déposé une demande de protection internationale en France. A cet égard, il échet de constater que selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, il importe que les contacts entre le demandeur et son représentant soient maintenus tout au long de la procédure, alors que de tels contacts sont essentiels à la fois pour approfondir la connaissance d’éléments factuels concernant la situation particulière du demandeur et pour confirmer la persistance de l’intérêt du demandeur à la continuation de l’examen de sa requête. Aussi, la Cour considère que lorsqu’un demandeur n’a pas maintenu le contact avec son avocat et qu’il a omis de le tenir informé de son lieu de résidence ou de lui fournir un autre moyen de le joindre, de telles circonstances permettent de conclure que le demandeur a perdu son intérêt pour la procédure et n’entend plus maintenir la requête, et ce indépendamment du fait que le représentant du demandeur dispose le cas échéant d’un pouvoir l’autorisant à le représenter pour l’ensemble de la procédure devant la Cour, cette circonstance ne justifiant pas à elle seule la poursuite de la procédure6.

Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à conclure que le comportement du demandeur consistant à disparaître de la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg et à quitter le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pour déposer une nouvelle demande de protection internationale en France et à ne pas informer son litismandataire de ces faits, est à interpréter en ce sens que le demandeur n’a pas témoigné le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de l’instance qu’il a mue par sa requête du 29 mai 2019.

Il convient dès lors de déclarer son recours irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

se déclare compétent pour connaître du recours en annulation ;

le déclare irrecevable pour d’défaut d’intérêt à agir dans le chef de Monsieur …… ;

condamne le demandeur aux frais.

6 CEDH, gr. ch., 17 novembre 2016, V.M. et autres c. Belgique, req. n° 60125/11.

8 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 17 juillet 2019, à 15.00 heures par :

Françoise Eberhard, vice-président, Annick Braun, vice-président Michèle Stoffel, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17/7/2019 Le Greffier du Tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 43034
Date de la décision : 17/07/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-07-17;43034 ?

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