Tribunal administratif N° 40837 et 41256 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits le 28 février 2018 4e chambre et le 8 juin 2018 Audience publique du 12 juillet 2019 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat et un arrêté grand-ducal en matière de discipline
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
I) Vu la requête, inscrite sous le numéro 40837 du rôle et déposée le 28 février 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Yves Kasel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, fonctionnaire, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du Conseil de discipline du 28 novembre 2017 ayant prononcé à son égard la sanction disciplinaire de l’amende égale à la moitié de sa rémunération brute de base, ainsi que contre un arrêté grand-
ducal non autrement défini rendu en application de la décision du Conseil de discipline précité ;
Vu la constitution d’avocat de Maître Albert Rodesch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 mars 2018 par laquelle il s’est constitué pour assurer la défense des intérêts de l’Etat du Grand-
Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 25 mai 2018 par Maître Albert Rodesch, préqualifié, pour le compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 25 juin 2018 par Maître Yves Kasel, préqualifié, pour compte de sa mandante ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 septembre 2018 par Maître Albert Rodesch, préqualifié ;
II) Vu la requête, inscrite sous le numéro 41256 du rôle et déposée le 8 juin 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Yves Kasel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, fonctionnaire, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté grand-ducal du 9 mars 2018 ayant prononcé à son égard la sanction disciplinaire de l’amende égale à la moitié de son traitement de base ;
Vu la constitution d’avocat de Maître Albert Rodesch, préqualifié, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 septembre 2018 par laquelle il s’est constitué pour assurer la défense des intérêts de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 octobre 2018 par Maître Albert Rodesch, préqualifié, pour le compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 novembre 2018 par Maître Yves Kasel, préqualifié, pour compte de sa mandante ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 décembre 2018 par Maître Albert Rodesch ;
I) et II) Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yves Kasel et Maître Virginie Verdanet, en replacement de Maître Albert Rodesch, en leurs plaidoiries respectives.
___________________________________________________________________________
Par un courrier du 8 novembre 2016, le ministre … saisit le ministre …, ci-après dénommé le « ministre », conformément à l’article 56, paragraphe 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, dénommé ci-après le « statut général », aux fins de transmission d’un dossier au commissaire du Gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire, en vue de procéder à une instruction à l’encontre de Madame …, anciennement …, dénommée ci-après la « … », exerçant la fonction de … auprès du … à la date de l’envoi dudit courrier. Ce courrier a la teneur suivante :
« (…) Conformément à l'article 56 paragraphe 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, je me permets de vous saisir afin de bien vouloir transmettre le présent dossier au Commissaire du Gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire aux fins de procéder à une instruction à l'encontre de Madame …, actuellement … auprès du ….
En effet, il est reproché à Madame … d'avoir révélé à … un certain nombre de faits dont elle avait obtenu connaissance en raison de ses anciennes fonctions de …, faits qui ont été publiés dans un article intitulé « … », paru au …, pages ….
Concrètement, il est reproché à Madame … d'avoir révélé :
1) l'existence et au moins une partie du contenu d'une enquête concernant un responsable de …, tel que cela résulte du passage suivant de l'article du … :
« … » ;
2) l'existence et au moins une partie du contenu d'une lettre lui adressée par le soussigné, tel que cela résulte du passage suivant de l'article du … :
« … » ;
3) l'existence et au moins une partie du contenu d'une dénonciation adressée au parquet, tel que cela résulte du passage suivant de l'article du … :
« …» ;
4) l'existence et au moins une partie du contenu d'une lettre adressée à Monsieur le Premier Conseiller de Gouvernement …, tel que cela résulte du passage suivant de l'article du … :
«…» ;
5) l'existence et au moins une partie du contenu d'une dénonciation adressée au parquet et d'une recommandation faite au soussigné, tel que cela résulte du passage suivant de l'article du … :
«…» ;
6) l'existence et au moins une partie du contenu d'une plainte adressée au parquet, tel que cela résulte du passage suivant de l'article du … :
«…».
La révélation de ces faits, qui ont tous un caractère secret de par leur nature, est susceptible de constituer un manquement aux articles 10(1) et 11 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant te statut général des fonctionnaires de l'Etat.
Ce manquement est d'autant plus grave qu'il a amené le journaliste à rédiger un article tendancieux et préjudiciable à la renommée du Grand-Duché, jetant par ailleurs à la pâture publique des personnes nommément désignées.
Je vous signale encore que les reproches faisant l'objet de la présente saisine sont indiqués sous réserve de tous droits, moyens et qualifications, faits nouveaux ou autres précisions à faire valoir ultérieurement.
Comme il résulte de l'article du … que les révélations incriminées ont été faites par Madame … après la cessation de ses anciennes fonctions de … et partant pendant l'exercice de ses nouvelles fonctions auprès de votre ministère, il vous revient de saisir le Commissaire du Gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire en votre qualité de « ministre du ressort compétent au moment des faits ». (…) ».
Par un courrier du 30 novembre 2016, le ministre à la Grande région, saisit le commissaire du Gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire afin que celui-ci procède à une instruction disciplinaire à l’encontre de Madame …, en sa qualité de fonctionnaire auprès de l’administration gouvernementale exerçant la fonction de … auprès du … à la date de l’envoi dudit courrier, au motif qu’elle aurait manqué à ses obligations statutaires.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 décembre 2016, Madame … fut informée par le commissaire du Gouvernement adjoint, dénommé ci-après « le commissaire du gouvernement », de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à son encontre et des faits lui reprochés ainsi que de la date à laquelle elle devrait se présenter devant celui-ci afin d’être entendue en personne et de présenter ses observations.
Par courrier du 14 décembre 2016, le commissaire du gouvernement fit droit à la demande de refixation de l’entrevue de Madame … lui adressée par son litismandataire de l’époque.
Le 8 février 2017, Madame … fit parvenir une prise de position écrite au commissaire du gouvernement et fut entendue par lui, ainsi que cela ressort du procès-verbal du même jour.
Par courrier du 7 avril 2017, Madame … transmit par l’intermédiaire de son litismandataire de l’époque au commissaire du gouvernement sa prise de position écrite par rapport aux témoignages entretemps recueillis par ce dernier.
Le 12 mai 2017, le commissaire du gouvernement rédigea un rapport d’instruction dans l’affaire disciplinaire menée à l’encontre de Madame … au terme duquel il estima que « les faits établis par l’instruction constituent un manquement à réprimer par une sanction plus sévère que l’avertissement, la réprimande ou l’amende ne dépassant pas le cinquième d’une mensualité brute du traitement de base », tout en proposant de transmettre, sauf éléments nouveaux, le dossier au conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, ci-après dénommé le « Conseil de discipline », conformément à l’article 56, paragraphe 5, alinéa 1, point c) du statut général.
Suite à un courrier du 24 mai 2017 de son litismandataire de l’époque prenant position sur ledit rapport d’instruction, le commissaire du gouvernement rédigea un rapport complémentaire en date du 31 mai 2017, tout en maintenant son intention de transmettre le dossier au Conseil de discipline.
En date du 28 novembre 2017, le Conseil de discipline prit la décision qui suit :
« (…) Vu le dossier constitué à charge de … par le commissaire du Gouvernement adjoint chargé de l'instruction disciplinaire, ci-après le commissaire du Gouvernement, régulièrement saisi en application de l'article 56.2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, ci-après le statut général, par lettre de la Ministre … du 30 novembre 2016 pour procéder à une instruction disciplinaire à charge de … et transmis pour attribution au Conseil de discipline, ci-après le Conseil, par courrier du 31 mai 2017.
Vu le rapport d'instruction dressé par le commissaire du Gouvernement en date du 12 mai 2017 ainsi que le rapport d'instruction complémentaire du 31 mai 2017.
Entendus à l'audience publique du Conseil du mardi, 24 octobre 2017, … et son conseil Maître Yves KASEL, avocat à la Cour, en leurs explications et moyens de défense ainsi que le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITCH en ses conclusions.
Il est reproché à … d'avoir, en violation de ses obligations de fonctionnaire, révélé à l'hebdomadaire « … » un certain nombre de faits dont elle avait obtenu connaissance en raison de ses fonctions de …, faits qui ont été publiés dans un article intitulé « … » paru au numéro …de l'hebdomadaire, pages ….
A l'audience des débats, … conclut à la nullité de la procédure d'instruction disciplinaire.
A cet égard, elle n'a toutefois plus réitéré le moyen soulevé suivant courrier de son avocat du 24 mai 2017 et tiré d'une prétendue violation des dispositions de l'article 9 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, de sorte que le Conseil n'est pas amené à examiner ce moyen, non développé à l'audience, dans le cadre de la présente décision.
Comme premier moyen de nullité, … invoque la liberté de presse et la protection des sources garanties par la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Or, ni l'article proprement dit paru dans l'hebdomadaire « … », ni le droit du journaliste qui a rédigé cet article de protéger ses sources ne sont en cause dans le cadre des présentes poursuites disciplinaires, mais le fait par … d'avoir fourni à ce journaliste, en violation de ses devoirs statutaires de fonctionnaire, des informations nécessaires pour la rédaction dudit article.
En effet, l'article paru dans l'hebdomadaire « … » contient des citations de … telles que : « Ich fand auch Hinweise auf Fälschungen und Betrug bei … », de sorte que le journaliste a fait état de déclarations qui lui ont été faites par le fonctionnaire et n'a nullement tenté de taire ses sources à ses lecteurs.
Le moyen n'est dès lors pas fondé.
… conclut ensuite à la nullité de la procédure disciplinaire pour violation des articles 12 de la Constitution et 56 du statut général qui dispose que lorsque des faits, faisant présumer que le fonctionnaire a manqué à ses devoirs, sont à sa connaissance, le membre du Gouvernement compétent saisit le commissaire du Gouvernement qui procède à l'instruction disciplinaire.
Compte tenu de ce que l'auteur de l'article « … » a publié dans son article des citations de … sur des prétendus dysfonctionnements de l'administration dont elle avait été …, le membre du Gouvernement compétent a obtenu, par la simple lecture de cet article, connaissance de faits qui laissaient présumer que le fonctionnaire avait manqué à son devoir de loyauté vis-à-
vis de son employeur, de sorte qu'il était en droit de déclencher une instruction disciplinaire à l'encontre de ce fonctionnaire et de charger le commissaire du Gouvernement aux fins d'y procéder.
Le moyen laisse partant d'être fondé.
… invoque ensuite une violation du respect de sa vie privée et de sa liberté d'expression garantis tant par la Constitution que par la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, puisque la procédure disciplinaire aurait eu pour but « de vérifier, moyennant interrogatoire, si un fonctionnaire a éventuellement pu servir de source, ceci dans l'espoir d'un aveu ».
Or, il résulte de la seule lecture de l'article publié dans l'hebdomadaire « … » que … a fait des révélations au journaliste, de sorte que l'enquête disciplinaire n'a nullement été intentée dans le but allégué par le fonctionnaire.
Celui-ci conclut encore à la nullité de la procédure disciplinaire pour raisons de partialité du commissaire du Gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire.
Conformément à l'article 56 du statut général, le commissaire de Gouvernement, dans le cadre d'une instruction disciplinaire, a la mission de rassembler tous les éléments à charge et à décharge du fonctionnaire suspecté d'avoir manqué à ses devoirs, qui sont susceptibles d'avoir une influence sur les mesures à prendre. Ces éléments sont consignés dans un rapport et sont ensuite contradictoirement débattus, notamment devant le Conseil.
Le commissaire du Gouvernement doit également, lorsque l'instruction est terminée, prendre une décision motivée soit de classer l'affaire, soit de transmettre le dossier au ministre du ressort, soit de transmettre le dossier au Conseil de discipline, ce qu'il a fait en l'occurrence.
Cette décision n'est d'ailleurs pas susceptible de préjudicier le fonctionnaire étant donné que tous les reproches retenus au rapport d'instruction sont discutés de façon contradictoire devant le Conseil qui devra ensuite décider si les poursuites disciplinaires sont fondées ou non.
Si le fonctionnaire est ainsi libre de critiquer tant le résultat des investigations entreprises par le commissaire du Gouvernement que sa motivation à la base de la décision de renvoi devant le Conseil, ces critiques concernant notamment des déformations qualifiées de flagrantes des propos de … ne sauraient toutefois établir une éventuelle partialité du commissaire du Gouvernement, voire engendrer la nullité de l'instruction disciplinaire par lui diligentée.
En effet, … n'indique aucun acte d'instruction essentiel à l'éclaircissement des éléments de l'affaire que le commissaire du Gouvernement aurait délibérément, voire abusivement négligé d'accomplir. Elle n'a d'ailleurs, après avoir pris inspection du dossier, demandé l'accomplissement d'aucun devoir d'instruction complémentaire qu'elle aurait jugé nécessaire pour qu'il puisse être procédé à un examen complet de l'affaire.
Le Conseil se doit dès lors de constater qu'il ne saurait être reproché au commissaire du Gouvernement d'avoir effectué une instruction partiale de l'affaire et négligé d'exécuter des actes d'instruction essentiels et pertinents. Le commissaire du Gouvernement a notamment fait auditionner les témoins qui lui paraissaient pouvoir donner des éléments d'appréciation utiles pour les suites à donner à l'affaire, et il a été d'accord, suite aux critiques de …, de voir écarter le témoignage de … du dossier. Ce témoignage n'est ainsi pas pris en considération par le Conseil pour asseoir sa décision.
Le Conseil retient en conséquence que les critiques de … concernant les développements faits par le commissaire dans son rapport du 12 mai 2017 ne sont pas de teneur à vicier l'instruction disciplinaire, ces critiques ayant en effet pu être développées contradictoirement à l'audience et seront prises en considération par le Conseil dans le cadre de l'appréciation au fond des reproches formulés à l'encontre du fonctionnaire.
… conclut ensuite à la nullité de l'instruction disciplinaire pour violation de la liberté de pensée garantie par les articles 24 de la Constitution et 9 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Or, ce n'est pas la liberté de pensée du fonctionnaire qui est en cause dans le cadre de la présente affaire disciplinaire, mais tout au plus sa liberté d'expression lors de ses conversations avec le journaliste avant la publication de l'article.
Aux termes d'un arrêt (numéro du rôle 37367C) rendu en date du 7 juin 2016, la Cour Administrative a rappelé qu'il se dégage de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que dans une société démocratique la liberté d'expression, telle que garantie par l'article 10 de la CEDH n'est pas absolue, mais qu'elle peut être soumise à des restrictions en vertu de dispositions légales, motivées par des considérations tenant à la défense de l'ordre et à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, de même que ces restrictions légales peuvent consister en des sanctions postérieures à un exercice excessif de ce droit.
La Cour Administrative a rejoint les premiers juges en leur constat que le devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers son employeur auquel est tenu un agent de la fonction publique, revêt une importance toute particulière au vu de la mission des fonctionnaires et employés publics dans une société démocratique, dès lors que la nature même de la fonction publique exige de ses membres une obligation de loyauté et de réserve et est partant de nature à constituer une restriction légalement autorisée à la liberté d'expression, comme l'a relevé la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt du 12 février 2008 (arrêt Guja c. Moldava n° 17277/04).
Comme il est plus spécialement reproché au fonctionnaire d'avoir violé ce devoir de loyauté, de réserve et de discrétion, le moyen de nullité soulevé par … est à rejeter.
… soutient encore qu'elle ne pourrait pas être sanctionnée disciplinairement eu égard aux dispositions de l'article 44bis du statut général qui énonce que le fonctionnaire ne peut pas faire l'objet de représailles pour avoir témoigné des agissements définis aux articles 1bis et 1ter de la présente loi ou aux articles 245 à 252, 310 et 310-1 du Code pénal, soit pour les avoir relatés.
Or, ces dispositions ne sont pas de nature à faire échec aux présentes poursuites disciplinaires étant donné qu'il n'est pas reproché à … d'avoir témoigné, c'est-à-dire déposé en justice, ou relaté des faits susceptibles d'être qualifiés de corruption de fonctionnaires ou d'abus d'autorité, mais d'avoir révélé de prétendus dysfonctionnements de l'administration publique à un journaliste d'un hebdomadaire étranger.
… conclut enfin à une violation de l'article 56, paragraphe 4 du statut général au motif que le commissaire du Gouvernement aurait rédigé un rapport d'instruction complémentaire en date du 31 mai 2017 sans qu'il n'ait été saisi d'une telle demande par le fonctionnaire.
Ce moyen est également à rejeter. D'une part, il n'est pas prévu au statut général que le commissaire devrait se limiter à la rédaction d'un rapport unique et qu'il lui serait interdit, du moment qu'il disposerait d'éléments qui seraient susceptibles d'avoir une influence sur l'affaire, de les consigner dans un rapport complémentaire. D'autre part, ce rapport qui a pu être débattu contradictoirement devant le Conseil, n'a fait l'objet d'aucune critique de fond de la part du fonctionnaire et n'est dès lors pas de nature de pouvoir porter préjudice à celui-ci.
Il s'ensuit que tous les moyens de nullité soulevés par … ne sont pas fondés et qu'il convient de les rejeter.
Il est établi au vu des pièces du dossier disciplinaire, et plus spécialement de l'article proprement dit publié dans l'hebdomadaire « … » ainsi que des déclarations faites par le fonctionnaire au cours de l'instruction, que … a été contactée au téléphone par le journaliste à un moment où elle n'occupait plus les fonctions de … et qu'elle a eu plusieurs entretiens avec ce journaliste avant la parution de l'article « … ».
Il résulte encore dudit article que le journaliste a été à même de citer les dires de … et de préciser de façon circonstanciée les démarches entreprises par le fonctionnaire en relation avec de prétendus dysfonctionnements au sein de ….
Il convient de souligner que la … est, conformément à …, créée au sein du ministère … et est placée sous l'autorité du ministre.
… n'était ainsi pas en droit, sans y avoir été autorisée par son supérieur hiérarchique, de référer à un journaliste sur le fonctionnement d'une administration à laquelle elle n'appartenait d'ailleurs plus et lui faire des déclarations sur un éventuel fonctionnement déficient de cette administration, permettant ainsi au journaliste de citer textuellement le fonctionnaire à ce sujet dans son article.
En agissant comme elle l'a fait, … a partant manqué à son devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers son employeur et violé ses obligations définies à l'article 10, alinéa 1.
du statut général qui impose à tout fonctionnaire d'éviter, dans l'exercice comme en dehors de l'exercice de ses fonctions, tout ce qui peut donner lieu à scandale et compromettre les intérêts du service public.
Il n'y a toutefois pas lieu de retenir en l'espèce que les agissements de … auraient également constitué un manquement à l'article 11 du statut général.
Aux termes de l'article 53 de ce statut, l'application des sanctions se règle notamment d'après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. Elles peuvent être appliquées cumulativement.
… est au service de l'État depuis le 1er août 2006, date à laquelle où elle a été engagée comme …. Du 1er juillet 2014 au 31 janvier 2015, … était …. Depuis le 1er février 2015, elle est … auprès du …. Aucun antécédent disciplinaire n'était consigné dans son dossier au moment où elle a commis le manquement disciplinaire ci-dessus retenu à sa charge.
Tout en tenant compte de l'ancienneté du fonctionnaire et de son absence d'antécédents disciplinaires, le Conseil considère également la gravité de la faute commise par … en référant à un journaliste sur d'éventuels dysfonctionnements d'une administration à laquelle elle n'appartenait plus et en violant ainsi son obligation de loyauté et de réserve, à défaut d'autorisation préalable de son supérieur hiérarchique de communiquer à ce sujet avec le journaliste de l'hebdomadaire « … ».
Eu égard à ces éléments, le Conseil décide de sanctionner le manquement disciplinaire de … par une amende égale à la moitié d'une mensualité brute de son traitement de base, sanction prévue à l'article 47.3. du statut général.
PAR CES MOTIFS :
le Conseil de discipline, siégeant en audience publique, statuant contradictoirement, sur le rapport oral de son président, le fonctionnaire et son conseil entendus en leurs explications et moyens et le délégué du Gouvernement en ses conclusions, se déclare régulièrement saisi ;
dit non fondés les moyens de nullité soulevés par … ;
prononce à l'égard de … la sanction disciplinaire d'une amende égale à la moitié d'une mensualité brute de son traitement de base ; (…) ».
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 février 2018, inscrite sous le numéro 40837 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du Conseil de discipline du 28 novembre 2017, ainsi que d’un arrêté grand-ducal non autrement défini.
Par un arrêté grand-ducal du 9 mars 2018, Madame … s’est vu infliger la sanction disciplinaire d’une amende égale à la moitié de la rémunération brute du traitement de base en considération de la décision précitée du Conseil de discipline du 28 novembre 2017.
Par une deuxième requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 8 juin 2018, inscrite sous le numéro 41256 du rôle, Madame … a encore fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de l’arrêté grand-
ducal précité du 9 mars 2018.
Il convient d’abord, avec l’accord des parties au litige et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de joindre les deux recours au fond précités, inscrits sous les numéros 40837 et 41256 du rôle, pour les toiser par un seul et même jugement.
A l’audience publique des plaidoiries, le litismandataire de Madame … demande qu’il lui soit donné acte de ce que sa mandante renonce à son recours dirigé, par sa requête du 28 février 2018, contre un arrêté grand-ducal non autrement défini, en raison du fait que l’arrêté grand-
ducal pris en exécution de la décision du Conseil de discipline du 28 novembre 2017 a finalement été pris le 9 mars 2018, ce qui lui aurait permis de le déférer au tribunal administratif par sa deuxième requête introductive d’instance du 8 juin 2018.
Acte lui en est donné.
En ce qui concerne le recours dirigé contre la décision du Conseil de discipline du 28 novembre 2017 :
L’article 54, paragraphe 2 du statut général prévoyant un recours au fond contre les décisions du conseil de discipline prononçant une sanction disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire, sur renvoi du commissaire du gouvernement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal dirigé contre la décision précitée du 28 novembre 2017.
Le recours en principal en réformation est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse passe en revue les rétroactes de l’affaire.
En droit, la demanderesse soutient maintenir les moyens de nullité qu’elle aurait déjà fait valoir dans le cadre de sa défense par-devant le Conseil de discipline.
Ainsi, elle considère, en premier lieu, que le commissaire du gouvernement aurait été saisi irrégulièrement du fait que le ministre aurait formulé des reproches à son encontre en se basant sur le seul article publié dans le … « … », édition n° …parue le …, intitulé « … » et rédigé par le journaliste …, sans avoir pourtant fait valoir le moindre élément probant ou indice susceptible de corroborer sa suspicion suivant laquelle les révélations en cause auraient été fournies par elle audit journaliste.
A ce titre, elle conclut d’abord à une violation de la liberté de presse et de la protection des sources, donnant à considérer que le « droit du journaliste » de rechercher et de commenter des informations, de même que la protection des sources seraient garantis par les articles 1er, 6 et 7 de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté d'expression dans les médias.
Etant donné que le journaliste du … n'aurait pas révélé ses sources, le ministre baserait sa suspicion, selon laquelle elle serait l'auteur des révélations y relatées, uniquement sur l'article de presse en question, de sorte que l'ouverture d'une instruction disciplinaire aurait été diligentée dans le seul but qu’elle révèle, dans le cadre d’une audition, des faits à sa charge susceptibles de constituer une faute disciplinaire. En agissant de la sorte, le ministre aurait détourné la procédure disciplinaire afin de pallier un défaut d'indices concrets à sa charge.
La demanderesse critique le Conseil de discipline pour avoir estimé, à cet égard, qu’il ressortirait de l’article litigieux que ce serait elle qui aurait fourni audit journaliste des informations nécessaires pour la rédaction dudit article en violation de ses devoirs statutaires, alors qu’elle conteste lui avoir accordé une interview. Ainsi, la teneur de l'article ne pourrait pas être considérée comme une transcription de déclarations de sa part, mais serait le fruit de la seule plume du journaliste, y compris les passages entre guillemets. De ce fait, la demanderesse estime que faute de détenir un quelconque fait à sa charge, il aurait été décidé de contourner la protection des sources du journaliste en lançant une procédure disciplinaire à son encontre.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse précise que les organes d'instruction disciplinaire se seraient crus dispensés de rechercher si la teneur de l'article correspondrait à la réalité, rappelant que le contenu de l'article, qui ne serait pas la transcription d’une interview, émanerait du seul journaliste et ne constituerait pas une preuve quant à des informations fournies par elle. Elle donne à considérer qu’elle n’aurait pas été supposée avoir lu l'article en question, ni obligée de prendre position par rapport à son contenu. De plus, à défaut de pouvoir préciser quelles auraient été les informations qu’elle aurait confirmées, il serait absurde de prétendre que des informations indéfinies auraient été fournies en violation de ses droits statutaires.
La demanderesse conclut ensuite, toujours dans le cadre de la saisine irrégulière du commissaire du gouvernement, à une violation des articles 12 de la Constitution et 56 du statut général, alors que l’instruction disciplinaire diligentée à son encontre ne reposerait pas sur le moindre indice, mais sur une simple suspicion de la part du ministre.
Elle souligne, à ce sujet, que l’article de presse litigieux n'émanerait pas d’elle et ne constituerait nullement un compte-rendu reflétant les réponses fournies par elle dans le cadre d'une interview. Même si l'article en cause fait état de son nom, l'identité des personnes ayant révélé les informations en cause au journaliste n'y serait pas précisée. Elle rappelle que la condition préalable à toute poursuite disciplinaire serait l’existence de faits faisant présumer que le fonctionnaire aurait manqué personnellement à ses devoirs et elle estime dès lors que le déclenchement d'une instruction disciplinaire sur base d'une seule suspicion serait contraire à la loi, du fait qu’il ne saurait être, de cette manière, suppléé à la carence du ministre compétent dans l'administration de la preuve d'un fait faisant présumer que le fonctionnaire aurait manqué à ses devoirs.
Elle reproche au Conseil de discipline d’avoir tiré de la simple lecture de l’article de presse litigieux la connaissance de faits laissant présumer qu’elle aurait commis un manquement disciplinaire, alors même que les citations en question émaneraient du rédacteur de l'article et non pas d’elle-même. Elle estime que « la parution d'un article de presse dérangeant un lecteur disposant d'un mandat politique » ne saurait en aucun cas justifier que celui-ci lance des poursuites à l'égard des fonctionnaires qu'il suspecterait d'avoir fourni des informations au journaliste en cause, alors qu’une pareille conception des principes juridiques susvisés serait absolument indigne d'un Etat de droit.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait encore préciser que le seul fait qu’elle ait confirmé avoir eu un entretien avec le journaliste en question ne saurait être de nature à établir une quelconque corrélation entre cet entretien et le contenu concret de l'article litigieux, d’autant plus qu’il ressortirait du rapport d'instruction que plusieurs autres personnes, dont certaines appartiendraient également à une administration étatique, de même que le ministre lui-même, se seraient également entretenues avec ledit journaliste et ce, sans pour autant faire l'objet de poursuites disciplinaires consécutives.
La demanderesse estime ensuite, dans ce même contexte, que le respect de sa vie privée consacré à l'article « 8, § 3 » de la Constitution aurait été violé, de même que l’interdiction prévue à l'article 7, paragraphe 3 de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté d'expression dans les médias, aux termes duquel les autorités administratives devraient s'abstenir d'ordonner ou de prendre des mesures qui auraient pour objet ou effet de contourner ce droit.
Il serait notamment impensable que, dans un Etat de droit, une personne puisse être interrogée par des autorités étatiques sur base d'une simple suspicion, alors que nul ne serait obligé de procéder à un aveu à sa propre charge.
Elle estime que ce serait à tort que ce moyen de nullité aurait été rejeté par le Conseil de discipline, au motif qu'il résulterait de la seule lecture de l'article paru dans le magazine … qu’elle aurait « fait des révélations au journaliste », sans préciser quelles révélations émaneraient de sa part. De plus, la seule lecture du questionnaire du procès-verbal d'audition dressé par le commissaire du gouvernement révèlerait à suffisance de droit que l'enquête disciplinaire aurait justement été intentée afin de décortiquer les révélations faites par elle.
La demanderesse fait préciser dans son mémoire en réplique que, dans un Etat de droit, le simple fait de s'être entretenue avec le journaliste en question ne saurait être constitutif d'un manquement de sa part.
La demanderesse conclut en deuxième lieu à la partialité du commissaire du gouvernement qui n'aurait pas instruit à sa décharge, notamment en faisant abstraction i) du fait qu'il aurait été saisi, en l'absence de la moindre preuve d'un fait faisant présumer un manquement disciplinaire, ii) du constat que les deux témoins entendus n'ont pas fourni la moindre preuve à sa charge et iii) de la possibilité que les informations figurant dans l'article de presse litigieux aient pu provenir de tierces personnes.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse relève que même si le commissaire du gouvernement a finalement écarté un témoignage du dossier, cela n’aurait pas eu de conséquence sur la conclusion du rapport.
Le commissaire du gouvernement aurait également déformé ses propos de manière flagrante en i) retenant, dans son rapport, qu’elle aurait avoué avoir confirmé « les » informations au journaliste, alors qu’elle aurait, lors de son audition, seulement précisé qu’elle aurait confirmé « des » informations dont ledit journaliste aurait déjà eu connaissance sans préciser lesquelles, contestant ainsi tout aveu concernant une confirmation de sa part des informations concrètes révélées dans l’article de presse litigieux, ii) omettant de préciser quelles informations concrètes auraient été confirmées, alors qu’il demeurerait impossible de déterminer quelles informations précises elle aurait confirmées au journaliste, iii) concluant à une faute disciplinaire sur base de l'affirmation erronée qu’elle aurait confirmé une information concrète au journaliste du … et iv) partant de l’hypothèse erronée que la confirmation d'une information équivaudrait à la révélation d'une information en supposant à tort que le journaliste aurait cru nécessaire de se faire confirmer ses informations.
Dans ce contexte, la demanderesse reproche au Conseil de discipline d’avoir rejeté son moyen afférent, au motif que les critiques, concernant notamment des déformations de ses propos, ne seraient pas pertinentes pour établir un manque d'impartialité du commissaire du gouvernement, alors qu’il en résulterait pourtant un manque d'objectivité dans le chef de ce dernier, nullité de procédure qui ne serait pas couverte par la possibilité de développer des critiques y relatives à l’audience.
Elle fait encore préciser dans son mémoire en réplique que la partie gouvernementale soutiendrait à tort qu’elle aurait confirmé des informations relatives à des reproches concrets, soutenant que si elle a certes concédé avoir confirmé certaines informations sans autre précision, cette affirmation ne saurait valoir comme aveu de la confirmation d’une information concrète relatée par l’article de presse litigieux.
Le commissaire du gouvernement aurait ensuite violé sa liberté de penser garantie par l'article 24 de la Constitution ainsi que l'article 9 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », par le fait de retenir, dans son rapport, qu’elle n’aurait pas contesté le contenu de l’article de presse litigieux et que, de cette manière, la preuve de la confirmation d'informations concrètes parues dans l'article en cause serait établie. La demanderesse estime qu’un tel raisonnement ne reposerait pas sur une déduction logique, mais serait le fruit d'une suspicion hasardeuse.
La demanderesse soutient qu’elle ne saurait être obligée d'adhérer à l'opinion d'un supérieur hiérarchique en désapprouvant la teneur d'un article de presse, de sorte qu’il n'appartiendrait nullement au commissaire de gouvernement de « s'appuyer sur une opinion du fonctionnaire (en l'occurrence le fait que ce dernier ne conteste pas le contenu d'un article de presse) pour déduire de cette opinion que le fonctionnaire a[aurait] nécessairement commis un manquement susceptible de constituer un manquement disciplinaire. ». Au contraire, le fait d'exiger de la part du fonctionnaire qu'il conteste la teneur d'un article de presse dans le cadre d'une audition disciplinaire, afin de ne pas s'exposer à des reproches, équivaudrait à une forme de censure.
Elle soutient finalement qu’elle se serait limitée à préciser que l'article de presse n'appellerait pas d'observations de sa part, sauf qu’elle se sentirait elle-même publiquement jetée en pâture par le fait que le ministre y serait cité comme ayant affirmé qu’elle serait incapable de diriger la ….
Ce serait encore à tort que le Conseil de discipline aurait estimé, dans ce contexte, que sa liberté de penser ne serait pas en jeu, alors que même si la liberté d'expression d’un fonctionnaire connaissait effectivement des limites, il ne saurait en résulter qu’il devrait être tenu d'une obligation absolue de se taire.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait souligner que sa liberté de penser lui permettrait de penser ce qu'elle veut de l'article en question et de ne pas devoir subir une quelconque forme de conséquence du fait d'avoir omis de préciser ce qu'elle pensait de l'article en question.
La partialité du commissaire du gouvernement résulterait également de la violation de l'article 44bis du statut général, la demanderesse estimant, à ce sujet, que ce serait à tort que le Conseil de discipline aurait retenu qu’il ne lui serait pas reproché d'avoir « … relaté des faits susceptibles d'être qualifiés de corruption de fonctionnaires ou d'abus d'autorité », tout en lui reprochant d'avoir fait état de « Fälschungen » et de « Betrug ». La demanderesse précise qu’elle aurait d’ailleurs été amenée, en date du 3 octobre 2014, sur instruction du ministre, à déposer une dénonciation au parquet sur base de l'article 23 du Code d’instruction criminelle.
La demanderesse reproche finalement au commissaire du gouvernement d’avoir procédé à un complément d'instruction qu’elle n’aurait pas sollicité, relevant que son litismandataire de l’époque se serait limité à adresser un courrier au commissaire du gouvernement pour lui faire parvenir un certain nombre de critiques à l'égard du rapport d'instruction. Elle fait plaider, à cet égard, que l’auto-saisine du commissaire du gouvernement pour rédiger un complément d’instruction ne serait pas prévu par l’article 56, paragraphe 4 du statut général qui ne prévoirait que la possibilité pour un fonctionnaire de demander un tel complément d'instruction.
A titre subsidiaire et au fond, la demanderesse donne à considérer que l'instruction n'aurait pas révélé qu’elle aurait fourni audit journaliste les informations figurant dans l’article litigieux. En effet, elle aurait simplement déclaré avoir confirmé des informations audit journaliste, sans pour autant se prononcer sur la teneur concrète de ces informations. Elle n’aurait, en tout cas, pas affirmé avoir confirmé au journaliste les informations concrètes figurant dans l'article de presse en cause, ni n’aurait-elle fourni des documents confidentiels audit journaliste.
En l'absence d'un aveu, d'une preuve écrite ou testimoniale à sa charge, le commissaire du gouvernement aurait procédé à une interprétation inexacte de ses propos ainsi que de l'attitude du journaliste.
En droit, la demanderesse fait plaider que la charge de la preuve d'un manquement disciplinaire incomberait à la partie étatique qui resterait en défaut de rapporter la preuve d'un fait concret constitutif d'un manquement à ses devoirs statutaires.
Ainsi, l’instruction disciplinaire, notamment les témoignages recueillis, n'auraient pas permis de dégager un seul fait concret à sa charge qui pourrait être « localisé avec un minimum de précision dans le temps et l'espace ».
Tout au plus, les témoignages en question révèleraient qu’elle n’aurait pas eu le monopole des informations figurant dans l'article de presse en cause.
La demanderesse estime que l'instruction n'aurait pas révélé le moindre aveu pertinent et concluant à sa charge, de sorte que les conclusions du rapport d’instruction ne se fonderaient que sur les affirmations et déductions inexactes du commissaire du gouvernement.
Etant donné que le commissaire du gouvernement aurait expressément confirmé que « cette information n'était connue que d'un nombre limité de personnes… », la demanderesse estime qu’il ne saurait être question d’un acte de révélation de sa part, d’autant plus qu’elle aurait tout au plus confirmé un fait déjà connu par l’auteur de l’article.
La demanderesse critique ainsi le Conseil de discipline pour avoir retenu qu'il se dégagerait du dossier disciplinaire qu’elle aurait été contactée par le journaliste et qu'elle aurait eu plusieurs entretiens avec celui-ci, lui permettant de citer ses dires et de préciser de façon circonstanciée les démarches entreprises par elle en relation avec de prétendus dysfonctionnements au sein de ….
Ce serait à tort que le Conseil de discipline aurait retenu dans son chef un manquement à l’article 10 du statut général, au motif qu’elle n'aurait pas été en droit, sans autorisation de son supérieur hiérarchique, de référer à un journaliste sur le fonctionnement d'une administration à laquelle elle n'appartenait plus, ainsi que de lui fournir des déclarations sur un éventuel fonctionnement déficient de cette administration et ce, i) au seul constat que le journaliste en question aurait décrit des démarches opérées par elle, en mettant des passages entre guillemets, ii) sans tenir compte du fait confirmé par l’instruction qu’elle n’aurait pas été seule à avoir connaissance des informations figurant dans l'article, ni du fait que le ministre se serait lui-
même entretenu avec ledit journaliste, ni de la possibilité que d'autres personnes auraient encore pu s’entretenir avec celui-ci et iii) sans préciser quelles informations précisément elle lui aurait fournies, la demanderesse relevant encore que les passages figurant entre guillemets dans l'article de presse litigieux ne contiendraient aucun renseignement concret quant au fonctionnement d'une administration susceptible de constituer une violation de l'article 10, paragraphe 1er du statut général.
En tout état de cause, la demanderesse conteste que l’instruction aurait relevé un quelconque manquement de sa part aux prescriptions des articles 9, paragraphe (1), alinéa 1er, 10, paragraphe (1), alinéa 1er ou 11, paragraphe 1er du statut général.
En dernier degré de subsidiarité, dans l’hypothèse où une faute disciplinaire devrait être retenue dans son chef, la demanderesse tient à relever que les faits ne seraient pas d'une gravité suffisante pour justifier une sanction aussi lourde que celle qui a été prononcée à son égard, de sorte qu’il aurait lieu de la réduire.
En effet, dans ce contexte, la demanderesse donne à considérer qu’aucune intention de nuire n'aurait été établie dans son chef, relevant que la teneur de l'article, son style et les formules y employées émaneraient de la plume du journaliste. Ce serait partant à tort qu’il lui serait reproché d’avoir voulu jeter le discrédit sur le Luxembourg, respectivement sur des personnes déterminées.
Elle relève encore qu’elle n’aurait aucun antécédent disciplinaire, précisant que l’arrêté grand-ducal du 16 juillet 2016, dont il serait question dans le rapport d’instruction, n’aurait pas encore été définitif à ce moment précis. A l’audience des plaidoiries, la demanderesse précise que l’arrêté en question aurait entretemps été annulé par un jugement du tribunal administratif du 21 décembre 2018, inscrit sous le numéro 39559 du rôle.
La demanderesse sollicite finalement la condamnation de l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg à lui payer une indemnité de procédure de ….- €, alors qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais d'avocat et autres frais, non compris dans les frais et dépens.
Elle demande encore la condamnation de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais et dépens de l'instance et demande d’ordonner la distraction au profit de son litismandataire constitué qui affirmerait en avoir fait l'avance.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ces moyens en faisant sienne la motivation de la décision déférée du Conseil de discipline.
Aux termes de l’article 56, paragraphe (2) du statut général, « Lorsque des faits, faisant présumer que le fonctionnaire a manqué à ses devoirs, sont à sa connaissance, le ministre du ressort compétent au moment des faits saisit le commissaire du Gouvernement qui procède à l’instruction disciplinaire.
Dans le cadre de cette instruction, il rassemble tous les éléments à charge et à décharge du fonctionnaire susceptibles d’avoir une influence sur les mesures à prendre. A cet effet, les dispositions de l’article 66, alinéa 3 sont applicables. » En ce qui concerne la régularité de la saisine du commissaire du gouvernement, c’est d’abord à bon droit que le délégué du gouvernement a relevé que le ministre a pu, à la simple lecture de l'article intitulé « … », paru dans l’hebdomadaire … et rédigé par le journaliste …, légitimement partir de l’hypothèse de l’existence de faits faisant présumer que la demanderesse ait fourni audit journaliste des informations dont elle aurait obtenu connaissance en raison de ses anciennes fonctions de …, de sorte qu’il a été en droit de saisir le ministre … en vue de diligenter une instruction disciplinaire à son encontre.
En effet, alors même que ledit article n’épouse pas la forme d’une interview, son auteur a néanmoins pris soin d’y faire figurer certaines phrases sous forme de citations de la demanderesse laissant penser que la plupart de ces informations ont été directement fournies par cette dernière, informations dont certaines ne sont pas destinées à être dévoilées au grand public, alors qu’elles font état d’un dysfonctionnement au sein de la …, de sorte à être de nature à pouvoir porter atteinte à la renommée et l'image de cette dernière et en conséquence à celles de l'Etat luxembourgeois.
Le ministre a en effet valablement pu penser que la demanderesse était susceptible d’avoir enfreint ses devoirs de fonctionnaire tels que notamment prescrits dans les articles 10 du statut général disposant que « 1. Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public (…), et au termes duquel « 1. Il est interdit au fonctionnaire de révéler les faits dont il a obtenu connaissance en raison de ses fonctions et qui auraient un caractère secret de par leur nature ou de par les prescriptions des supérieurs hiérarchiques, à moins d’en être dispensé par le ministre du ressort. Ces dispositions s’appliquent également au fonctionnaire qui a cessé ses fonctions. (…) ».
C’est à tort que la demanderesse estime que le ministre aurait dû disposer d’une preuve concrète de la violation des devoirs statutaires, un simple indice concret y relatif étant suffisant à cet égard, étant relevé que la saisine du commissaire du gouvernement vise justement à élucider la réalité des faits reprochés par une instruction à charge et à décharge du fonctionnaire aboutissant à un rapport final préconisant soit le classement de l’affaire, soit la saisine du ministre du ressort ou celle du Conseil de discipline.
Il suit de ces considérations que la saisine du commissaire du gouvernement n’a pas été opérée en violation de l’article 56 du statut général tel que précité.
Pour les mêmes motifs, le tribunal ne saurait pas non plus déceler dans la saisine du commissaire du gouvernement une violation de l’article 12 de la Constitution selon lequel nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit.
C’est également à bon droit que le délégué du gouvernement se rallie aux conclusions du Conseil de discipline selon lesquelles la saisine du commissaire du gouvernement n’a pas été faite en violation de la liberté de la presse et de la protection des sources, alors que l’objet de la procédure disciplinaire ne vise pas à élucider la question de savoir si le journaliste était en droit de publier l’article de presse litigieux ni s’il est en droit de taire ses sources - ce qui, au vu des nombreuses citations reprises dans l’article ne semble d’ailleurs pas être son souci - , mais concerne seulement la question de savoir si la demanderesse a ou non violé ses devoirs statutaires en fournissant des informations sensibles audit journaliste qui est d’ailleurs a priori le seul à pouvoir se prévaloir de la liberté de la presse et de la protection de ses sources.
C’est ensuite encore à tort que la demanderesse estime que sa vie privée ainsi que sa liberté d’expression et de penser aurait été violée par la saisine du commissaire du gouvernement, étant donné que, s’il n’est effectivement pas possible d’interdire à la demanderesse de penser ce qu’elle veut, sa liberté d'expression est généralement limitée par son devoir de loyauté, de réserve et de discrétion lui incombant en tant que fonctionnaire, restrictions légalement autorisées1 en application l’article 8, paragraphe (2) de la CEDH pour le droit à la vie privée et en application de l’article 10, paragraphe (2) de cette même convention pour le droit à la liberté d’expression.
Dans ce contexte, force est de relever que la demanderesse reste en défaut d’expliquer dans quelle mesure la saisine du commissaire du gouvernement aurait constitué une violation de sa vie privée, alors que le droit à la vie privée ne s’oppose a priori pas à ce qu’une autorité étatique fasse procéder à une enquête sur des faits reprochés à un fonctionnaire dans le cadre de l’exercice de sa profession, même si et surtout si la preuve n’en est pas encore établie, étant 1 trib. adm., 25 novembre 2015, n° 32915 du rôle, conf. par Cour adm. 7 juin 2016, n° 37367C du rôle, Pas. adm.
2018, V° Fonction publique, n° 407.
par ailleurs relevé que le fait de diligenter une instruction disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire n’implique évidemment pas l’obligation dans le chef de ce dernier de procéder à un aveu des faits lui reprochés.
En ce qui concerne le reproche de partialité dans le chef du commissaire du gouvernement, force est de relever, à l’instar du délégué du gouvernement, que c’est à bon droit que le Conseil de discipline a rejeté ce moyen alors qu’aucun des arguments y relatifs avancés par la demanderesse ne se trouvent fondés au vu des circonstances de l’espèce.
En effet, c’est d’abord à bon droit que le délégué du gouvernement a fait référence à la jurisprudence constante en la matière selon laquelle, d'un point de vue subjectif, l'impartialité du commissaire du gouvernement consiste en ce que l'organe enquêteur, chargé de l'instruction de l'affaire disciplinaire, n'ait pas procédé à des prises de position antérieures de nature à préjuger du résultat de la procédure disciplinaire par lui menée2, tandis que d'un point de vue objectif, il ne faudrait pas que ledit enquêteur puisse être soupçonné d'une partialité découlant de conditions structurelles ou organisationnelles, la partialité ne pouvant être déduite ex post du seul résultat de l'enquête3.
Dans ce contexte, force est de constater qu’aucune cause de partialité objective n’a été soulevée en l’espèce, mais qu’il est reproché une partialité subjective au commissaire du gouvernement en ce qu’il aurait mené une enquête principalement à charge de la demanderesse.
Or, il échet d’abord de retenir qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que le commissaire du gouvernement aurait, préalablement à sa saisine, procédé à des prises de position, respectivement à des accusations qui seraient de nature à préjuger du résultat de l’instruction disciplinaire litigieuse, de sorte qu’en application des jurisprudences précitées, il ne saurait être retenu de partialité subjective dans le chef du commissaire du gouvernement et les reproches y relatifs basés sur le seul contenu du rapport d’instruction, c’est-à-dire ex post par rapport au résultat de l’enquête, ne sont pas pertinents en l’espèce, d’autant plus que les réflexions ainsi que les conclusions du commissaire du gouvernement sur les reproches retenus, respectivement sur la suite à y réserver ne sont de nature à lier ni le pouvoir sanctionnateur, en l’occurrence le Conseil de discipline, ni le tribunal, qui, tous deux, restent libres dans leur appréciation du résultat de l’instruction disciplinaire.
A titre superfétatoire, l’argumentation selon laquelle l’instruction disciplinaire aurait été essentiellement fait à charge de la demanderesse ne tient pas.
C’est ainsi à tort que la demanderesse estime que l’instruction aurait été exclusivement faite à sa charge par le constat que le commissaire du gouvernement aurait fait abstraction du fait qu'il a été saisi en l'absence de la moindre preuve d'un fait faisant présumer un manquement disciplinaire dans le chef de cette dernière, alors que, tel que le souligne à bon droit le délégué du gouvernement et ainsi que cela a été retenu ci-avant, l’objet même d’une instruction disciplinaire est de vérifier si les faits reprochés sont ou non établis.
Cette conclusion n’est pas non plus énervée par le fait que le délégué du gouvernement n’aurait fait entendre que des témoins à charge de la demanderesse, alors que la désignation des personnes appelées à être entendues en tant que témoins ne saurait entraîner dans leur chef 2 Cour adm., 26 février 2015, n° 34682C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Fonction publique, n° 241.
3 trib. adm. 12 mars 2008, n° 21852a du rôle, Pas. adm. 2018, V° Fonction publique, n° 256.
la qualité de témoin à charge ou à décharge, dès lors que ce n’est que le résultat de l’enquête qui est de nature à déterminer si un témoignage est à qualifier comme étant intervenu à charge ou à décharge du fonctionnaire. Dans ce contexte, il est d’ailleurs relevé que la demanderesse n’a pas demandé au commissaire du gouvernement d’entendre d’autres témoins que ceux désignés par ce dernier, de sorte qu’il ne saurait lui être reproché de lui avoir refusé une telle demande. Au contraire, il ressort du rapport complémentaire établi par le commissaire du gouvernement que ce dernier a même écarté un des témoignages recueillis sur base des observations lui adressées à ce sujet par le litismandataire de l’époque de la demanderesse. Il est à noter, à ce sujet, que le commissaire du gouvernement n’a pas non plus refusé d’accomplir un quelconque devoir d'instruction complémentaire sollicité par la demanderesse, étant donné qu’aucune demande en ce sens n’a été formulée par cette dernière.
La prétendue absence de prise en considération de la circonstance suivant laquelle des tierces personnes auraient également pu fournir au journaliste les informations figurant dans l'article de presse litigieux n’est pas non plus pertinente afin d’établir un manque d’impartialité dans le chef du commissaire du gouvernement, étant donné que le fait pour la demanderesse, en tant qu’ancienne …, d’avoir, selon ses propres aveux, confirmé certaines de ces informations y relatives a au moins suffi à donner du crédit aux autres sources peut-être moins fiables du journaliste, s’il y en avait.
En ce qui concerne le reproche d’une déformation de ses propos par le commissaire du gouvernement, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement relève que la demanderesse a, en signant le procès-verbal du 8 février 2017, marqué son accord quant au contenu de ce dernier sans demander au commissaire du gouvernement d'y apporter une quelconque modification. Il est également constant que la demanderesse n’a pas, à l’occasion de sa prise de position du 24 mai 2017 par rapport au rapport d’instruction, soulevé un problème de déformation de ses propos, mis à part la question de savoir si elle a avoué avoir révélé des informations ou si elle a confirmé au moins implicitement des informations d’ores-et déjà en possession du journaliste.
En l’espèce, il ressort du procès-verbal du 8 février 2017 que pour chaque reproche pris isolément, le commissaire du gouvernement a acté la réponse de la demanderesse comme suit :
« Je conteste avoir informé le … de l'existence et/ou le contenu d(…), j'ai simplement confirmé des informations qui étaient déjà connues au journaliste. Je n'ai pas non plus fourni au … le moindre document », de sorte qu’en répétant la même réponse à chaque information spécifique véhiculée par l’article litigieux, sans se limiter à contester purement et simplement les reproches respectifs, il ne peut pas être reproché au commissaire du gouvernement d’avoir considéré que la confirmation « des informations » déjà connues au journaliste se rapporte à chaque fois aux faits faisant l’objet de la question spécifique posée, sans qu’il ne puisse être possible d’y détecter un apriori négatif dans le chef du commissaire du gouvernement.
Dans ce même ordre d’idées, il ne saurait être reproché au commissaire du gouvernement d’avoir violé la liberté de penser de la demanderesse du fait d’avoir retenu que d’un côté, elle n’a pas démenti devant lui le contenu de l’article litigieux et que, d’un côté, elle a avoué avoir confirmé des informations déjà connus au journaliste.
Le commissaire du gouvernement n’a pas non plus violé l’article 44bis, paragraphe 1er du statut général, alors qu’il a donné acte à la demanderesse de ses affirmations selon lesquelles elle n’aurait que confirmé les faits d’ores et déjà connus du journaliste, de sorte qu’il ne saurait être question de témoignage en justice, respectivement du fait de relater des faits susceptibles d'être qualifiés de corruption de fonctionnaires ou d'abus d'autorité au sens de l’article 44bis, paragraphe (2) et ce, alors même que, par ce biais, elle a pu chasser les doutes éventuels du journaliste sur la réalité des faits dont il avait d’ores et déjà connaissance. Il est à relever dans ce contexte que la décision déférée du Conseil de discipline n’a pas retenu de violation de l’article 11 du statut général, de sorte que l’argumentation de la demanderesse relative à l’article 44bis de ce même texte laisse d’être pertinente.
Quant au complément d'instruction non sollicité par la demanderesse, le délégué du gouvernement est à suivre en ce qu’il relève que c’est à juste titre que le Conseil de discipline a retenu que le statut général ne prévoirait pas que le commissaire devrait se limiter à la rédaction d'un rapport unique et qu'il lui serait interdit, du moment qu'il disposerait d'éléments qui seraient susceptibles d'avoir une influence sur l'affaire, de les consigner dans un rapport complémentaire, d’autant plus si, comme en l’espèce, la demanderesse a elle-même provoqué la rédaction de ce rapport complémentaire par ses propres observations relatives au rapport initial et notamment par sa demande fructueuse d’écarter un des témoignages recueillis.
Quant au fond, force est de relever que, nonobstant l’allégation de la demanderesse selon laquelle aucun reproche lui adressé n’aurait été établi en l’espèce ni par pièces ni par témoignages, c’est à bon droit que le Conseil de discipline a retenu qu’il est constant, pour résulter de l’aveu de la demanderesse, qu’elle a été contactée par téléphone par le journaliste en question à un moment où elle n'occupait plus les fonctions de …, à savoir entre le 1er février 2015, date de prise de ses nouvelles fonctions, et le 13 août 2016, date de parution de l'article litigieux, et qu'elle a eu plusieurs entretiens avec ce dernier en lien avec l'article litigieux. La demanderesse est également en aveu d’avoir confirmé des informations dont le journaliste aurait déjà disposé.
Alors même que la demanderesse souligne actuellement qu’elle n’aurait pas donné de véritable interview et qu’elle n’aurait pas avoué avoir confirmé au journaliste les informations concrètes figurant dans l’article de presse litigieux, force est cependant de constater qu’il ressort de sa propre prise de position écrite du 8 février 2017, adressée au commissaire du gouvernement avant son audition, qu’elle est en aveu d’avoir fait plus que confirmer, sur questions spéciales du journaliste, des informations dont celui-ci aurait déjà eu connaissance, alors qu’elle explique avoir activement délivré des informations, même si elle relève que le journaliste en aurait déjà eu connaissance4. Il ressort d’ailleurs encore dudit écrit, rédigé par ses soins, que les citations figurant en son nom dans l’article émanent bien d’elle5. Il ne saurait pas non plus être contesté que la discussion entre la demanderesse et le journaliste portait sur le contenu de l’article litigieux, étant donné qu’au lieu d’avoir contesté de s’être entretenue avec le journaliste sur tel ou tel sujet, elle se borne à donner, et ce, par rapport à chaque fait spécifique reproché, la même réponse, à savoir qu’elle a confirmé au journaliste des informations dont il aurait déjà eu connaissance. Il échet par ailleurs de noter qu’une grande partie de l’article est rédigée du point de vue de la demanderesse, étant encore finalement relevé, dans ce contexte, que ledit article conclut par une citation de la demanderesse ayant d’ailleurs été utilisée pour le titre de l’article (« … »), à savoir « …».
Il n’est pas non plus contesté que l'article litigieux fait état d’un certain nombre de dysfonctionnements de la … anciennement dirigée par la demanderesse, de sorte que c’est à bon droit que le Conseil de discipline a retenu que « … n'était ainsi pas en droit, sans y avoir 4 Prise de position de Madame … du … : « (…) je n’ai délivré aucune information dont le … ne disposait déjà (…) » 5 Prise de position de Madame … du … : « D’ailleurs, l’article cite à peine 3 phrases émanant de ma part. » été autorisée par son supérieur hiérarchique, de référer à un journaliste sur le fonctionnement d'une administration à laquelle elle n'appartenait d'ailleurs plus et lui faire des déclarations sur un éventuel fonctionnement déficient de cette administration, permettant ainsi au journaliste de citer textuellement le fonctionnaire à ce sujet dans son article » et ce, même s’il ressort du témoignage recueilli par le commissaire du gouvernement ainsi que des autres articles de presse antérieurs versées par la demanderesse que cette dernière n’était pas la seule à détenir des informations quant aux problèmes rencontrés au sein de la …, étant relevé que la confirmation de ces faits par la demanderesse, en tant qu’ancienne …, a nécessairement donné plus de crédit aux informations que le journaliste détenait déjà. Le même article, contenant encore des reproches à caractère professionnel vis-à-vis des supérieurs de la demanderesse6, notamment l’hypothèse selon laquelle il aurait été dans l’intention de ces derniers de couvrir lesdits dysfonctionnements par leur proposition de la muter vers un autre ministère et par le fait de diligenter des procédures disciplinaires à son encontre, c’est encore à bon droit que le Conseil de discipline a conclu à une violation de l’article 10 du statut général aux termes duquel « 1. Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public. (…) ».
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la demanderesse selon laquelle personne, dans un Etat de droit, pourrait lui interdire de parler à un journaliste, étant rappelé qu’il a été jugé7 que la liberté d’expression des fonctionnaires est un droit qui est susceptible de connaître des restrictions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d'autrui.
Le Conseil de discipline n’ayant pas retenu de violation des articles 9 et 11 du statut général, les conclusions et moyens y relatifs de la demanderesse, de même que son moyen tenant à une violation de l’article 44 du statut général, laissent d’être pertinents.
En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction retenue par la décision déférée, à savoir en l’occurrence, la sanction disciplinaire d'une amende égale à la moitié d'une mensualité brute de son traitement de base, l’article 53 du statut général prévoit que « L’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. (…) ».
Force est d’abord au tribunal de retenir que, si le commissaire du gouvernement a certes fait, dans son rapport, référence à un antécédent disciplinaire, le Conseil de discipline a retenu que la demanderesse présentait un casier disciplinaire vierge, constat qui, au stade actuel de l’instruction du dossier, reste toujours d’actualité. En effet, tel que confirmé à l’audience publique des plaidoiries, l’arrêté grand-ducal du 16 juillet 2016, dont il avait été question dans le rapport d’instruction, a entretemps été annulé pour défaut de manquement disciplinaire par un jugement du tribunal administratif coulé en force de chose jugée du 21 décembre 2018, inscrit sous le numéro 39559 du rôle.
Dans ce contexte, il convient de relever que l’absence d’antécédents disciplinaires n’est cependant pas de nature à amoindrir la gravité de la faute, mais constitue néanmoins un des éléments déterminants à prendre en considération pour apprécier le comportement global du fonctionnaire en vue de la détermination de la sanction disciplinaire à retenir parmi l'échelle 6 Article … « … », dernière phase : « …».
7 trib. adm., 25 novembre 2015, n° 32915 du rôle, conf. par Cour adm. 7 juin 2016, n° 37367C du rôle, Pas. adm.
2018, V° Fonction publique, n° 407.
afférente prévue par la loi.8 Par ailleurs, les critères d’appréciation de l’adéquation de la sanction prévus à l’article 53 précité du statut général à appliquer sont énoncés de manière non limitative9, de sorte que le tribunal est susceptible de prendre en considération tous les éléments de fait lui soumis qui permettent de juger de la proportionnalité de la sanction à prononcer, à savoir, entre autres, l’attitude générale du fonctionnaire.
Si la demanderesse entend souligner qu’il n’y aurait eu aucune intention de nuire dans son chef, alors que la teneur de l’article, son style et les formules y employées émaneraient de la seule plume de son auteur, force est cependant de relever qu’en suggérant au journaliste qu’elle avait l’impression qu’on voudrait la faire taire par tout moyen, la demanderesse ne saurait se délier de toute responsabilité quant au ton général et au titre dudit article peu flatteur pour les responsables politiques.
Cependant, au vu de l’absence d’antécédents, du caractère isolé du manquement et des circonstances spécifiques des antécédents de cette affaire, faisant en sorte que la demanderesse, au moment des faits reprochés, ait pu se sentir désarmée et victime de représailles non justifiées, alors qu’elle se trouvait poursuivie disciplinairement dans le cadre d’une affaire ayant finalement abouti à une annulation non contestée de la sanction pour défaut de manquement à ses devoirs de fonctionnaire, il y a lieu, par réformation de la décision du Conseil de discipline, de réduire l’amende à un cinquième d’une mensualité brute du traitement de base, de manière à ce qu’elle puisse, le cas échéant, bénéficier des dispositions de l’article 54, paragraphe (5) du statut général, disposant que « Les peines de l’avertissement, de la réprimande et de l’amende sont considérées comme non avenues et leur mention est rayée d’office du dossier personnel si, dans les trois ans qui suivent la décision disciplinaire, le fonctionnaire n’a encouru aucune nouvelle sanction disciplinaire. ».
En ce qui concerne le recours dirigé contre l’arrêté grand-ducal du 9 mars 2018 :
Dans son mémoire en réponse déposé dans le rôle numéro 41256, le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours de Madame … dirigé contre l’arrêté grand-
ducal du 9 mars 2018, alors que ledit acte ne constituerait qu’une « pure mesure d’exécution de la décision du Conseil de discipline du 28 novembre 2017 » qui ne serait pas susceptible de recours, invoquant à cet effet un jugement du tribunal administratif, inscrit sous le numéro 19981 du rôle.
Madame … fait répliquer, tout en invoquant, à cet égard, un jugement du tribunal administratif du 31 janvier 2017, inscrit sous le numéro 37653 du rôle, que l’arrêté grand-ducal du 9 mars 2018 constituerait un acte attaquable en justice par un recours en annulation, alors même qu’il ne ferait qu’appliquer la sanction disciplinaire retenue par le Conseil de discipline.
Force est de retenir que même si le pouvoir de nomination ne dispose que d’une compétence liée dans l’exécution de la décision rendue par le Conseil de discipline, il n’empêche que l’arrêté grand-ducal d’exécution a son existence propre du fait de faire grief à son destinataire, de sorte qu’il constitue un acte attaquable per se, dont la légalité interne ou externe peut toujours être mise en cause séparément de l’acte qu’il exécute.
8 en ce sens : trib. adm 3 juin 2002, n° 14153 du rôle, Pas. adm 2018, V° Fonction publique, n° 347 et les autres références y citées.
9 par analogie : trib. adm. 26 mars 2007, n° 22731 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Fonction publique, n° 311 et l’autre référence y citée.
Il a d’ailleurs été jugé qu’un recours en annulation peut être dirigé contre la décision de l’autorité de nomination prise en exécution d’une décision du conseil de discipline.10 Il s’ensuit que le tribunal n’est pas compétent pour statuer sur le recours principal en réformation.
Le recours subsidiaire en annulation est par contre recevable pour avoir été introduit dans les formes et délais de la loi.
Etant donné que le tribunal vient de réformer la décision du Conseil de discipline, par remplacement de la sanction de l’amende d’une moitié par celle d’un cinquième du traitement de base, l’arrêté grand-ducal déférée, qui ne constitue que la décision d’exécution de la décision du Conseil de discipline, n’a plus de fondement légal.
Il s’ensuit que le recours en annulation contre l’arrêté grand-ducal du 9 mars 2018 est à déclarer fondé.
En ce qui concerne les demandes accessoires :
Les parties n’ayant pas établi en quelle mesure il serait inéquitable qu'elles supportent seules les sommes exposées et non comprises dans les dépens, elles sont à débouter de leurs deux demandes respectives en allocation d'une indemnité de procédure d’un montant de …,-
euros, respectivement …,- euros dans chaque rôle.
Il ne saurait pas non plus être donné suite à la demande en distraction des frais posée par le litismandataire de la partie demanderesse, alors que pareille façon de procéder n’est pas prévue en matière de procédure contentieuse administrative11.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
ordonne la jonction des rôles inscrits sous les numéros de rôle 40837 et 41256 pour y être statué par un seul et même jugement ;
donne acte à Madame … de ce qu’elle déclare renoncer à son recours dirigé, par sa requête introductive d’instance du 28 février 2018, contre un arrêté grand-ducal non autrement défini ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation dirigé contre la décision du conseil de discipline du 28 novembre 2017 ;
au fond, le déclare partiellement justifié, partant, par réformation de ladite décision, inflige à Madame … la peine de l’amende d’un cinquième du traitement mensuel de base ;
10 trib. adm. 14 décembre 2011, nos 27681 et 27719 du rôle, conf, par Cour adm. 1 mai 2012, n° 29731C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Fonction publique, n° 296.
11 trib. adm. 14 février 2001, n° 11607 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procedure Contentieuse, n° 1094 et les autres références y citées.
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre la décision du conseil de discipline du 28 novembre 2017 ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre l’arrêté grand-ducal du 9 mars 2018 ;
reçoit en la forme le recours subsidiaire en annulation dirigé contre l’arrêté grand-ducal du 9 mars 2018 ;
au fond, le déclare justifié, partant annule l’arrêté grand-ducal du 9 mars 2018 ;
rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées par Madame … ;
rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées par l’Etat ;
rejette la demande du litismandataire de la demanderesse en distraction des frais ;
condamne l’Etat aux frais de l’instance.
Ainsi jugé par :
Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, Carine Reinesch, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2019 par le premier juge, Anne Gosset, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 juillet 2019 Le greffier du tribunal administratif 23