Tribunal administratif N° 41279 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 juin 2018 3e chambre Audience publique extraordinaire du 11 juillet 2019 Recours formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, Luxembourg, contre une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, en présence de Madame …, …, en matière de discipline
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 41279 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2018 par Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL, en vertu d’un mandat du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 12 décembre 2017 ayant prononcé à l’encontre de Madame … la sanction disciplinaire de la rétrogradation consistant dans son classement au grade 5 tout en fixant son échelon de traitement dans ce grade à l’échelon 10, ainsi que de la décision du Conseil de discipline du 27 mars 2018, intervenue sur recours gracieux ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Michèle BAUSTERT, en remplacement de l’huissier de justice Patrick KURDYBAN, demeurant à Luxembourg, du 20 juin 2018, portant signification de la prédite requête à Madame …, demeurant à L-…, ainsi qu’au Conseil de discipline des fonctionnaires d’Etat, représenté par ses organes statutaires actuellement en fonctions, établi à L-2080 Luxembourg, Cité judiciaire, bâtiment CR ;
Vu la constitution d’avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juillet 2018 par Maître Benoît ENTRINGER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 9 novembre 2018 par Maître Benoît ENTRINGER, au nom de Madame … préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2018 par Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2018 par Maître Benoît ENTRINGER, au nom de Madame … préqualifiée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Benoît ENTRINGER et Madame le délégué du gouvernement Stéphanie LINSTER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 avril 2019.
Vu l’avis du greffe du tribunal administratif du 8 juillet 2019 informant les parties du prononcé de la rupture du délibéré pour permettre à celles-ci de prendre position oralement lors de l’audience des plaidoiries du 10 juillet 2019 sur la question de la recevabilité de la demande incidente formulée par Madame … ;
Vu les pièces versées en cause et la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Benoît ENTRINGER et Madame le délégué du gouvernement Stéphanie LINSTER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 juillet 2019.
Par courrier du 16 août 2017, le ministre de l’Economie saisit le commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire aux fins de procéder à une instruction disciplinaire à l’encontre de Madame …, employée de l’Etat auprès du …, groupe de traitement C1, classée au grade 6, échelon 10.
En date du 19 octobre 2017, le commissaire du gouvernement adjoint chargé de l’instruction disciplinaire clôtura son rapport d’instruction de l’affaire disciplinaire engagée à l’encontre de Madame … et transmit le dossier, en date du 6 novembre 2017, au Conseil de discipline des Fonctionnaires de l’Etat, ci-après désigné par « le Conseil de discipline », pour attribution.
Dans sa séance du 12 décembre 2017, le Conseil de discipline, siégeant en audience publique, décida de prononcer à l’égard de Madame … « du chef des manquements retenus à sa charge la sanction disciplinaire de la rétrogradation consistant dans le classement de Madame … au grade cinq (5) et fixe l’échelon de traitement de … dans ce grade à l’échelon dix (10) ».
Par courrier du 9 février 2018, le délégué du gouvernement auprès du Conseil de discipline s’adressa au Conseil de discipline dans les termes suivants :
« […] Par décision du 12 décembre 2017, le Conseil de discipline a décidé de rétrograder Madame … au grade 5 échelon 10.
Il s’est avéré que cette rétrogradation est inexécutable.
Madame … est employée du groupe d’indemnité C1 et classée au grade 6, échelon 11, à 253 points indiciaires.
Le groupe d’indemnité C1 ne prévoit cependant que les grades 4, 6, 7 et 8.
Une rétrogradation du grade 6 échelon 11 au grade 5 échelon 10 n’est par conséquent pas prévue par la loi et ne saurait donc être exécutée.
Un échelon du grade 4 qui correspondrait aux points indiciaires prévus par le garde 5, échelon 10, à savoir 235 points indiciaires, n’existe par ailleurs pas.
Malheureusement les tentatives pour s’arranger amiablement avec Madame … ont échouées.
Afin de débloquer cette impasse, je vous saurais gré de bien vouloir fixer le dossier de Madame … à l’ordre du jour de la prochaine audience utile pour que le Conseil de discipline puisse décider sur ces difficultés d’exécution. […] ».
Dans son audience publique du 27 mars 2018, le Conseil de discipline rejeta la demande du délégué du gouvernement auprès du Conseil de discipline dans les termes suivants :
« Vu la décision prononcée par le Conseil de discipline, ci-après le Conseil, en date du 12 décembre 2017 sous le numéro 24/2017.
Vu la requête déposée au secrétariat du Conseil en date du 9 février 2018 par le délégué du Gouvernement.
Entendus à l'audience publique du Conseil du mardi, 13 mars 2018, le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITCH en ses conclusions ainsi que … et son conseil Maître Benoit ENTRINGER, avocat à la Cour, en leurs moyens.
Le délégué du Gouvernement expose à l'appui de sa requête que la décision de rétrogradation prononcée par le Conseil en date du 12 décembre 2017 serait inexécutable étant donné que … ne pourrait pas être reclassée dans le grade cinq, échelon de traitement dix (10), énoncé au dispositif de la décision du Conseil, ce grade n'existant pas dans la carrière de … qui est employée du groupe d'indemnité C1 qui ne prévoit que les grades 4, 6, 7 et 8.
La requête introduite par le délégué du Gouvernement est basée sur l'article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'État et des communes qui prévoit le retrait rétroactif d'une décision pour une cause qui aurait justifié l'annulation contentieuse de la décision.
… conclut à l'irrecevabilité de cette requête en invoquant les dispositions de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Si l'article 6 de ladite convention impose certes des impératifs à respecter en matière de procès équitable, les garanties afférentes n'ont néanmoins pas pour autant vocation à s'appliquer au niveau d'une procédure disciplinaire purement administrative, en ce qu'elles n'entrent en ligne de compte qu'à un stade ultérieur, à savoir, au niveau de l'instance juridictionnelle compétente pour connaître du recours dirigé contre la décision administrative traduisant l'aboutissement de ladite procédure disciplinaire (Trib. Adm. du 9.2.2018, N° 39029 du rôle).
Comme la procédure disciplinaire ne constitue qu'une étape d'un processus décisionnel et ne revêt pas en elle-même un caractère juridictionnel, mais a une nature purement administrative (Cour administrative n° 37460C du 26 janvier 2016, confirmant Trib. adm. n°35317 du 16 décembre 2016), les dispositions énoncées à l'article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 pourraient trouver application, à condition que le Conseil soit confronté à une cause justifiant l'annulation contentieuse de sa décision.
Aux termes de sa décision du 12 décembre 2017, le Conseil a décidé de prononcer la sanction prévue à l'article 47.7. du statut général, à savoir la rétrogradation.
Cette sanction consiste, conformément au susdit article, dans le classement du fonctionnaire au grade immédiatement inférieur à son ancien grade avant la rétrogradation ou au grade précédant le grade immédiatement inférieur.
L'article 47.7. précise encore les modalités de la rétrogradation en ajoutant que le grade et l'échelon de traitement dans lesquels le fonctionnaire est classé sont fixés par le Conseil de discipline dont la décision doit aboutir au résultat que le traitement nouvellement fixé soit inférieur au traitement d'avant la sanction disciplinaire.
Cette condition a été respectée par le Conseil. En effet, le grade et échelon fixés par décision du 12 décembre 2017 aboutissent à un traitement inférieur à celui redû à … avant la sanction disciplinaire.
Compte tenu de ce que le Conseil a décidé de faire application de l'article 47.7. du statut général et que cet article ne prévoit aucune condition qui n'aurait pas été respectée lors du prononcé de la sanction de rétrogradation, le délégué du Gouvernement n'a pas saisi le Conseil, suivant requête déposée en date du 9 février 2018, d'une cause d'annulation contentieuse de la décision du 12 décembre 2017.[…] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 juin 2018, Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL, en vertu d’un mandat du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 12 décembre 2017 ayant prononcé à l’encontre de Madame … la sanction disciplinaire de la rétrogradation consistant dans son classement au grade 5 tout en fixant son échelon de traitement dans ce grade à l’échelon 10, ainsi que de la décision confirmative du Conseil de discipline du 27 mars 2018.
L’article 54, paragraphe (2), de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désignée par « le statut général », non modifié sur ce point par la loi modificative du 25 mars 2015, prévoyant un recours au fond contre les décisions du Conseil de discipline ayant prononcé une sanction disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Il n’y a partant pas lieu d’analyser le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.
Nonobstant le fait que la requête introductive d’instance a été signifiée par un exploit d’huissier de justice du 20 juin 2018 au Conseil de discipline, celui-ci n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi en constituant dans le présent dossier, respectivement en déposant un mémoire en réponse, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties par un jugement ayant les effets d’une décision contradictoire conformément à l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-après « la loi du 21 juin 1999 ».
Dans son mémoire en réponse, Madame … soulève l’irrecevabilité ratione temporis du recours sous analyse en affirmant que si en vertu de l’article 13, paragraphe (2) de la loi du 21 juin 1999, le délai de recours contentieux serait certes suspendu et qu’un nouveau délai commencerait à courir à partir de la notification d’une nouvelle décision intervenue sur recours gracieux, tel ne saurait toutefois être le cas en l’espèce dans la mesure où l’administration ne saurait introduire un tel recours gracieux, Madame … estimant en effet, en se basant sur la « jurisprudence fortement établie » que seul un administré pourrait introduire un tel recours gracieux. Dans la mesure où le courrier du 9 février 2018 ne serait partant pas à considérer comme recours gracieux, il n’aurait pas pu avoir d’effet sur le délai légal de trois mois prévu pour introduire un recours contentieux contre la décision du Conseil de discipline du 12 décembre 2017.
La partie étatique quant à elle, conclut au rejet du moyen d’irrecevabilité lui ainsi opposé en soutenant en substance qu’à travers son courrier du 9 février 2018, elle aurait introduit un recours gracieux en bonne et due forme contre la décision du Conseil de discipline du 12 décembre 2017, de sorte que le délai de recours contentieux aurait été suspendu et qu’un nouveau délai de trois mois aurait commencé à courir à partir de la notification de la décision intervenue sur recours gracieux en date du 27 mars 2018.
En ce qui concerne la recevabilité du recours sous analyse, il y a, tout d’abord, lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 13 de la loi du 21 juin 1999 : « (1) Sauf dans les cas où les lois ou les règlements fixent un délai plus long ou plus court et sans préjudice des dispositions de la loi du 22 décembre 1986 relative au relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice, le recours au tribunal n’est plus recevable après trois mois du jour où la décision a été notifiée au requérant ou du jour où le requérant a pu en prendre connaissance.
(2) Toutefois si la partie intéressée a adressé un recours gracieux à l’autorité compétente avant l’expiration du délai de recours fixé par la disposition qui précède ou d’autres dispositions législatives ou réglementaires, le délai du recours contentieux est suspendu et un nouveau délai commence à courir à partir de la notification de la nouvelle décision qui intervient à la suite de ce recours gracieux.
(3) Si un délai de plus de trois mois s’est écoulé depuis la présentation du recours gracieux sans qu’une nouvelle décision ne soit intervenue, le délai du recours contentieux commence à courir à partir de l’expiration du troisième mois. La date du dépôt du recours gracieux est constatée par la notification qui en a été faite ou par un récépissé délivré au requérant par l’autorité administrative compétente ou son préposé. Ce récépissé doit être produit à l’appui du recours contentieux du tribunal.
(4) Si l’administration n’a pas délivré de récépissé, le tribunal apprécie d’après les éléments du dossier, si le requérant rapporte une preuve certaine qu’un recours gracieux a été introduit par lui à une date déterminée. ».
Force est donc de constater que le délai pour introduire un recours auprès des juridictions administratives, qui est, en l’espèce de trois mois, court à compter du jour où le demandeur a eu notification ou connaissance de la décision concernée, et que ce délai peut être interrompu par l’introduction d’un recours gracieux, sous condition toutefois que ce recours gracieux ait à son tour été introduit avant l’expiration du délai pour introduire un recours contentieux.
Il convient encore de relever que le recours gracieux se définit comme un recours, non formellement prévu par un texte, porté soit devant l’autorité même, soit devant l’autorité hiérarchiquement supérieure. En tant que tel le recours gracieux n’est soumis à aucune condition de capacité ni d’intérêt et le requérant peut invoquer tous les moyens de droit, de fait, d’équité ou d’opportunité, pour exercer le recours contre tout acte émanant d’une autorité publique exception faite des actes juridictionnels1.
En l’espèce, les parties sont en désaccord sur la question de savoir si un recours gracieux en bonne et due forme a été introduit endéans le délai de trois mois par la partie étatique contre la décision du Conseil de discipline du 12 décembre 2017, Madame … déniant en effet la possibilité à l’Etat d’introduire un tel recours gracieux, en arguant que seul un « administré » pourrait agir de la sorte au niveau précontentieux.
S’il est vrai qu’en règle générale, les recours gracieux sont introduits par des administrés contre des décisions émanant d’une administration, dans la mesure où les décisions administratives concernent pour la plus grande majorité des cas uniquement les administrés, la présente matière est toutefois spécifique étant donné que trois, et non seulement deux, acteurs sont impliqués à savoir le Conseil de discipline, le délégué du Gouvernement et la personne poursuivie disciplinairement.
Il convient par ailleurs de préciser que le Conseil de discipline est une autorité administrative autonome, dont les décisions peuvent en vertu de l’article 54, paragraphe (2) du statut général faire l’objet d’un recours en réformation qui peut être introduit tant par le fonctionnaire concerné que par le Gouvernement qui l’exerce, quant à lui, par l’intermédiaire du délégué visé à l’article 59, alinéa 3.
Tel que relevé à juste titre par la partie étatique, le délégué du gouvernement et l'agent poursuivi disciplinairement sont à pied d'égalité au niveau de la procédure, dans la mesure où les deux peuvent exposer leur position devant le Conseil de discipline, qu’ils se voient notifier tous les deux la décision prise et qu’ils peuvent, comme précisé ci-avant, l’attaquer devant les juridictions administratives.
Compte tenu du fait que tant le fonctionnaire que le Gouvernement peuvent introduire un recours contentieux contre une décision du Conseil de discipline et qu’ils se trouvent à un pied d’égalité dans la procédure devant cette autorité administrative autonome, il va de soi qu’ils peuvent tous les deux aussi agir au niveau précontentieux et introduire un recours gracieux contre les décisions susceptibles de leur faire grief et ce dans un souci de préservation de l’égalité des armes et des droits de la défense de toutes les parties concernées.
A défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité, le recours principal en réformation est à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond, la partie étatique conclut à un excès de pouvoir de la part du Conseil de discipline en donnant à considérer que la rétrogradation retenue à l’égard de Madame … ne serait pas prévue par la loi dans la mesure où le groupe d’indemnité dans lequel elle se trouverait, à savoir le groupe d’indemnité C1, ne comprendrait pas de grade 5, mais uniquement les grades 4, 6 et 7. En décidant de rétrograder Madame … au grade 5, le Conseil de discipline aurait dès lors violé les articles 47, point 7. du statut général et 46, paragraphe (2) de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, ci-après désignée « la loi du 25 mars 2015 », de sorte que la décision litigieuse serait à réformer dans le sens où une rétrogradation au grade 4 serait à retenir.
1 Trib. adm., 15 décembre 2004, n°17971 du rôle, confirmé par la Cour adm. 9 juin 2005, n°19200C du rôle, Pas.
adm. 2018, V° Procédure administrative non contentieuse, n°160 et les autres références y citées.
Dans son mémoire en réponse, Madame …, en se basant sur l’article 47, point 7. du statut général, soutient que le Conseil de discipline pourrait légalement décider de déclasser le fonctionnaire faisant l’objet d’une procédure disciplinaire soit d’un garde, soit de deux grades.
En l’espèce, le Conseil de discipline aurait décidé de la rétrograder au grade immédiatement inférieur à celui qu’elle occupait précédemment, Madame … soulignant encore que la partie étatique n’aurait critiqué ni la sévérité ni l’opportunité de la sanction retenue et qu’elle-même l’aurait également acceptée alors qu’elle serait parfaitement consciente de la gravité de la faute qu’elle a commise. Le litige sous analyse ne viserait dès lors pas de faire prononcer une sanction plus ou moins sévère au sens de l’article 53, point 3 du statut général. La sanction retenue serait dès lors parfaitement appropriée et légale, Madame … soulignant encore que si la volonté du législateur avait consisté à prévoir une rétrogradation que dans les grades expressément prévus par un groupe d’indemnité, il l’aurait expressément spécifié, ce qui ne serait toutefois pas le cas. Par ailleurs une telle rétrogradation limitée aux grades prévus dans une carrière spécifique reviendrait à créer une différence non justifiée entre deux agents ayant commis la même faute. Ainsi, une personne ayant commis une faute entraînant la sanction disciplinaire de la rétrogradation et appartenant au groupe d’indemnité C1 classée au grade 7 pourrait être rétrogradée au grade immédiatement inférieur au sien, à savoir le grade 6, tandis qu’une personne classée au grade 6 et ayant commis la même faute, devrait nécessairement être rétrogradé de deux grades, Madame … concluant à une violation de l’article 10bis de la Constitution.
Finalement, Madame … formule encore une demande incidente en faisant plaider que la sanction du Conseil de discipline devrait être réformée dans le sens qu’une rétrogradation au grade 5, échelon 11 devrait être retenue, alors qu’elle aurait accédé à l’échelon 11 en date du 1er octobre 2017.
Dans son mémoire en réplique, la partie étatique insiste sur le fait que le grade 5 n’est pas compris dans le groupe d’indemnité auquel appartient Madame … et que cette dernière ne serait d’ailleurs jamais passée par ce grade, le délégué du gouvernement précisant qu’elle aurait commencé sa carrière au grade 4 et aurait, au bout de 4 années de service avancée au grade 6. Une rétrogradation ne pourrait toutefois se faire que par rapport à la carrière, respectivement groupe d’indemnité, dans laquelle l’agent concerné se trouve. En donnant encore à considérer qu’il serait parfois impossible dans la pratique d’appliquer certaines des dix sanctions disciplinaires prévues par le statut général, tel que la rétrogradation d’un fonctionnaire classé dans le premier grade de sa carrière par exemple, la partie étatique fait plaider que le Conseil de discipline devrait appliquer les lois qui régissent la situation de l’agent et en même temps adapter sa décision à la situation spécifique de l’agent. Le délégué du gouvernement ajoute que si Madame … était rétrogradée au grade 5 échelon 10, elle tomberait en dehors de la grille du groupe d’indemnité C et serait la seule employée C classée au grade 5 aux services de l’Etat.
Finalement, la partie étatique demande le rejet de la demande incidente formulée par Madame ….
Dans son mémoire en duplique Madame … rétorque qu’au regard de la définition parfaitement claire de la rétrogradation telle qu’elle figurerait à l’article 47, point 7 du statut général, seul le renvoi au grade directement immédiatement inférieur au sien, à savoir le grade 5, serait possible et ce indépendamment de la question de savoir si elle était déjà passée par ce grade au cours de sa carrière. En affirmant qu’il existerait certainement « des milliers d’employés de l’Etat et de fonctionnaires au grade 5 » pour lesquels ce même grade ne poserait aucune problème, Madame … conclut au rejet des développements de la partie étatique.
En premier lieu, il convient de rappeler que l’article 46 de la loi du 25 mars 2015 dispose que :
« (1) La catégorie d’indemnité C, groupe d’indemnité C1, comprend les cinq sous-groupes suivants:
a) un sous-groupe administratif;
b) un sous-groupe scientifique et technique;
c) un sous-groupe éducatif et psycho-social;
d) un sous-groupe de l’enseignement;
e) un sous-groupe à attributions particulières.
«(2) Pour être classé à un emploi de l’un des sous-groupes visés sous les points a), b) et c) du paragraphe 1er, l’employé doit avoir suivi avec succès l’enseignement des cinq premières années d’études dans un établissement d’enseignement secondaire ou avoir réussi le cycle moyen de l’enseignement secondaire technique soit du régime technique, soit du régime de la formation du technicien ou avoir obtenu le diplôme d’aptitude professionnelle ou présenter une attestation portant sur des études reconnues équivalentes.» Pour ces sous-groupes, le niveau général comprend les grades 4, 6 et 7, et les avancements aux grades 6 et 7 se font après respectivement 4 et 7 années de grade depuis le début de carrière.
Pour bénéficier du second avancement en grade et des avancements en grade ultérieurs prévus dans ces sous-groupes, l’employé doit avoir passé avec succès l’examen prévu pour sa carrière. Toutefois, la condition d’avoir passé avec succès l’examen de carrière n’est pas requise pour bénéficier du second avancement en grade lorsque l’employé est âgé de 50 ans au moins et qu’il a accompli au moins 8 années de grade depuis le début de carrière.
Le niveau supérieur comprend le grade 8, et l’avancement à ce grade intervient, sous réserve que toutes les conditions prévues par la loi soient remplies, après 19 années de grade depuis le début de carrière. Cet avancement est en outre lié à la condition d’avoir accompli au moins trente journées de formation continue attestées par des certificats de perfectionnement établis par l’Institut national d’administration publique, ou d’avoir suivi une autre formation reconnue équivalente ou d’en avoir été dispensé pour des raisons dûment motivées par le ministre. […] ».
Ladite disposition légale prévoit ainsi la catégorie d’indemnité C, groupe d’indemnité C1, pour les employés de l’Etat lesquels ne possèdent pas le degré d’études pour le classement dans la catégorie B, mais un degré équivalent en général à cinq années d’études réussies soit dans l’enseignement secondaire, soit dans l’enseignement secondaire technique, ou bien qui sont détenteurs d’un CATP.
Pour la répartition des grades dans le groupe d’indemnité respectif, le niveau général comprend les grades 4, 6 et 7, et le niveau supérieur le grade 8, les délais d’avancements minimum étant les mêmes que ceux prévus pour la carrière C actuelle, de même que la condition d’examen de carrière requis pour le deuxième avancement en grade ainsi que les avancements ultérieurs. L’accès au grade 8 est soumis aux conditions de l’ancienneté, de l’appréciation et de la formation continue2.
Il est constant en cause pour ressortir tant des pièces versées au tribunal que des développements de part et d’autre que Madame … a été engagée en tant qu’employée de l’Etat, dans le groupe d’indemnité C1, sous-groupe administratif, visé à l’article 46 précité et qu’elle a débuté sa carrière au grade 4. Il ressort par ailleurs des développements non contestés de la partie étatique qu’après 4 années de service, elle a avancé au grade 6, conformément à l’article 46, paragraphe (2) in fine précité et que malgré son ancienneté de 15 ans, elle n’a jamais avancé au grade 7 pour ne pas avoir participé à l’examen de carrière visé à l’article 46, paragraphe (2) précité de la loi du 25 mars 2015, de sorte qu’au moment de la prise de la décision litigieuse du 12 décembre 2017, elle se trouvait classée au grade 6.
Il convient ensuite de relever qu’aux termes de l’article 47 du statut général :
« Les sanctions disciplinaires sont:
[…] 7. La rétrogradation. Cette sanction consiste dans le classement du fonctionnaire au grade immédiatement inférieur à son ancien grade avant la rétrogradation ou au grade précédant le grade immédiatement inférieur. Le grade et l’échelon de traitement dans lesquels le fonctionnaire est classé sont fixés par le Conseil de discipline dont la décision doit aboutir au résultat que le traitement nouvellement fixé soit inférieur au traitement d’avant la sanction disciplinaire. […] ».
En l’espèce, Madame … s’est vue infliger la sanction disciplinaire de la rétrogradation prévue à l’article 47, point 7. précité du statut général et ce au grade 5, grade considéré par le Conseil de discipline, comme étant le grade immédiatement inférieur au grade dans lequel elle a été classée précédemment. La partie étatique est toutefois d’avis que la rétrogradation en question serait illégale pour viser le classement dans un grade qui n’existerait pas dans le groupe d’indemnité C1 dans lequel se trouve l’intéressée.
Il ressort des travaux parlementaires du statut général que « la rétrogradation est obtenue par une nomination du fonctionnaire à une fonction de sa carrière qui est classée à un grade hiérarchiquement inférieur à celui auquel la fonction qu'il occupait est classée. Il en résulte que la rétrogradation ne peut intervenir que si le fonctionnaire a déjà bénéficié d'une promotion; tant qu'il se trouve investi d'une fonction qui est classée à son grade de début de carrière, le fonctionnaire ne peut pas se voir appliquer la sanction de la rétrogradation. Il en résulte encore que le fonctionnaire qui a atteint le grade de promotion par avancement en traitement, sans nomination à la fonction de promotion classée dans le même grade, ne peut pas se voir appliquer la sanction de la rétrogradation. […] Avant de proposer la rétrogradation, le Conseil de discipline sera bien inspiré de s'entourer des renseignements utiles quant au résultat pratique de l'application de cette sanction. »3.
2 Projet de loi déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, doc. parl. No 6465, Commentaire des articles, ad. art 46.
3 Projet de loi fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat . doc. parl. 1907, Commentaire des articles. Ad.
Art. 40.
Si l’article 47 du statut général ayant trait à la rétrogradation a certes été modifié, et ce par la loi modificative du 19 mai 2003 à travers laquelle le mécanisme de la sanction de la rétrogradation a été précisé, ainsi que par la loi modificative du 25 mars 2015, il n’en reste pas moins que la rétrogradation en tant que telle a été prévue dans le cadre du statut général tel qu’entré en vigueur en 1979. Or, il se dégage de ce qui précède qu’un fonctionnaire, respectivement comme en l’espèce, un employé d’Etat, qui n’a jamais fait l’objet d’une promotion dans sa carrière et est ainsi resté au même grade dans le groupe d’indemnité dans lequel il se trouve, ne saurait faire l’objet d’une rétrogradation. Dès lors, un agent se trouvant dans le premier grade de son groupe d’indemnité, comme en l’espèce le grade 4, ne saurait être rétrogradé dans le grade inférieur, même si un tel grade devait exister dans une autre carrière, respectivement un autre groupe d’indemnité de l’Etat.
Au vu de ces considérations, le législateur a expressément exclu la possibilité de rétrograder une personne se trouvant au début de sa carrière dans un grade prévu dans un autre groupe d’indemnité et a ainsi entendu éviter toute possibilité de classer un fonctionnaire dans un grade non prévu dans son propre groupe d’indemnité.
Cette conclusion, à savoir l’impossibilité pour un fonctionnaire, respectivement un employé de l’Etat de se voir classer dans un grade non prévu dans le groupe d’indemnité dans lequel il se trouve, doit dès lors également s’appliquer au présent litige de sorte que c’est à tort que le Conseil de discipline a retenu que Madame … doit être rétrogradée dans le grade 5 comme étant le grade immédiatement inférieur à son ancien grade, les rétrogradations ne se concevant en effet que dans les grades explicitement prévus par le législateur pour le groupe d’indemnité dans lequel la personne concernée se trouve, en l’occurrence le groupe d’indemnité C1 visé par l’article 46 précité de la loi du 25 mars 2015 et qui comprend les grades 4, 6 et 7, ainsi que le niveau supérieur le grade 8.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de retenir que le grade immédiatement inférieur au grade dans lequel s’est trouvée Madame … au moments de la prise de la décision du Conseil de discipline du 12 décembre 2017, à savoir le grade 6, est d’après les dispositions de l’article 46 de la loi du 25 mars 2015 le grade 4, de sorte que le recours en réformation sous analyse doit être déclaré fondé et que la décision du Conseil de discipline du 12 décembre 2017 doit être réformée au sens que la rétrogradation dont Madame … a fait l’objet du chef des manquements retenus à sa charge doit consister dans le classement de Madame … au grade 4 avec un échelon de traitement de 10, la décision du Conseil de discipline du 27 mars 2018 étant également à réformer dans la mesure où le recours gracieux introduit par le Gouvernement a été déclaré irrecevable, respectivement non fondé.
Quant à la demande incidente formulée par Madame …, laquelle revêt dans le cadre du présent litige la qualité de tiers intéressé, la partie défenderesse étant le Conseil de discipline, cette demande est à déclarer irrecevable, dans la mesure où le tiers intéressé, appelé à l’instance, n’ayant pas lui-même exercé un recours à l’encontre des décisions du Conseil de discipline déférées, ne saurait adopter une position juridique propre et devenir pour sa part demandeur sur d’autres chefs que ceux mis en cause par la requête principale, la demande incidente ainsi désignée n’ayant pas été présentée dans la forme, ni d’ailleurs dans le délai légal régissant les recours contentieux en la matière, tels que prévus par les dispositions de la loi modifiée du 21 juin 1999, précitée.
En effet, au vœu des dispositions de la loi précitée du 21 juin 1999, un recours devant le tribunal administratif doit être formé par requête introductive d’instance, déposée au greffe de la juridiction administrative et communiquée aux parties intéressées. On ne saurait admettre que les recours contre des actes administratifs soient introduits de façon incidente moyennant un simple mémoire en réponse, sous peine de violer les principes de la procédure contentieuse instituée et organisée par le règlement de procédure et partant les garanties qu’elle accorde aux parties.
Il suit de ce qui précède que la demande incidente de Madame … est irrecevable.
En se basant sur l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, Madame … sollicite encore la condamnation de l’Etat à lui payer une indemnité de procédure de 2.500 euros, demande qui est à rejeter compte tenu de l’issue du présent litige.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond le dit justifié ;
partant par réformation des décisions du Conseil de discipline du 12 décembre 2017 et du 27 mars 2018, dit qu’il y a lieu de prononcer à l’égard de Madame … du chef des manquements retenus à sa charge la sanction disciplinaire de la rétrogradation consistant dans le classement de Madame … au grade quatre (4) et fixe l’échelon de traitement de Madame … dans ce grade à l’échelon dix (10) et que le recours gracieux introduit par le délégué du gouvernement en date du 9 février 2018 est à déclarer recevable et fondé ;
déclare la demande incidente formulée par Madame … irrecevable ;
dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par Madame … ;
condamne la partie défenderesse aux frais.
Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 11 juillet 2019 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Stéphanie Lommel, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2019 Le greffier du tribunal administratif 12