Tribunal administratif No 42048 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 décembre 2018 3e chambre Audience publique du 3 juillet 2019 Recours formé par Madame …, …, contre des décisions du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42048 du rôle et déposée le 3 décembre 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Madame …, demeurant à L-…, …, …, tendant à l’annulation des décisions du ministre du Développement durable et des Infrastructures des 30 août 2018, 5 et 11 septembre et 4 et 10 octobre 2018 lui retirant à chaque fois deux points de son permis de conduire ainsi que contre la décision du même ministre du 11 octobre 2018 portant suspension de son droit de conduire un véhicule automoteur pour une période de 12 mois ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 7 décembre 2018, inscrite sous le numéro 42049 du rôle, ayant débouté Madame … de sa demande tendant à voir ordonner un sursis à l’exécution ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 février 2019 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 25 mars 2019 par Maître Daniel BAULISCH, au nom de Madame … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Julien EGGEN en remplacement de Maître Daniel BAULISCH, et Madame le délégué du gouvernement Hélène MASSARD en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mai 2018.
Par courrier recommandé du 30 août 2018, le ministre constata le retrait de deux points du capital de points dont était doté le permis de conduire de Madame …. Cette décision est libellée comme suit :
« […] Conformément aux dispositions légales régissant le permis à points, je tiens à vous informer que 2 points ont été retirés du capital dont est doté votre permis de conduire pour les infractions suivantes au Code de la Route :
Libellé de l’infraction :
Inobservation de la limite de vitesse de 90 km/h en dehors d’une agglomération par un autre véhicule : - le dépassement étant supérieur à 20 km/h* Nombre de points déduits :
2 Date du fait :13 août 2018 11:32 Lieu du fait : … –… Date du paiement : 24 août 2018 Par ailleurs, je me permets de vous rappeler que le capital de points dont est doté votre permis de conduire a déjà été réduit suite à l’avertissement taxé suivant ou à la condamnation judiciaire suivante :
Libellé de l’infraction :
Inobservation de la limite de vitesse de 90 km/h en dehors d’une agglomération par un autre véhicule : - le dépassement étant supérieur à 20 km/h* Nombre de points déduits :
2 Date du fait :20 juillet 2017 11:56 Lieu du fait : … – … Date du paiement : 16 août 2017
_________________________________
Nombre de points restants : 8 Sans préjudice des dispositions du paragraphe 4 de l’article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, une reconstitution de 3 points pourra vous être accordée, une fois dans un délai de trois ans, après avoir participé à un cours de formation complémentaire au Centre de formation pour Conducteurs à Colmar-Berg (tél.:85 82 85-1) sans que pour autant le capital de points de votre permis de conduire puisse excéder 12 points. […] ».
Par courrier recommandé du 5 septembre 2018, le ministre constata le retrait de deux points du capital de points dont était doté le permis de conduire de Madame …. Cette décision, tout en reprenant l’historique des pertes de points de Madame …, est libellée comme suit :
« […] Conformément aux dispositions légales régissant le permis à points, je tiens à vous informer que 2 points ont été retirés du capital dont est doté votre permis de conduire pour les infractions suivantes au Code de la Route :
Libellé de l’infraction :
Inobservation de la limite de vitesse de 90 km/h en dehors d’une agglomération par un autre véhicule : - le dépassement étant supérieur à 20 km/h* Nombre de points déduits :
2 Date du fait :18 août 2018 08:44 Lieu du fait : … – … Date du paiement : 30 août 2018 […] Nombre de points restants : 6 […] ».
Par courrier recommandé du 11 septembre 2018, le ministre constata encore le retrait de deux points du capital de points dont était doté le permis de conduire de Madame …. Cette décision, tout en reprenant l’historique des pertes de points de Madame …, est libellée comme suit :
« […] Conformément aux dispositions légales régissant le permis à points, je tiens à vous informer que 2 points ont été retirés du capital dont est doté votre permis de conduire pour les infractions suivantes au Code de la Route :
Libellé de l’infraction :
Inobservation de la limite de vitesse de 90 km/h en dehors d’une agglomération par un autre véhicule : - le dépassement étant supérieur à 20 km/h* Nombre de points déduits :
2 Date du fait :26 août 2018 13:37 Lieu du fait : … – … Date du paiement : 3 septembre 2018 […] Nombre de points restants : 4 […] ».
Par courrier recommandé du 4 octobre 2018, le ministre constata de nouveau le retrait de deux points du capital de points dont était doté le permis de conduire de Madame …. Cette décision, tout en reprenant l’historique des pertes de points de Madame …, est libellée comme suit :
« […] Conformément aux dispositions légales régissant le permis à points, je tiens à vous informer que 2 points ont été retirés du capital dont est doté votre permis de conduire pour les infractions suivantes au Code de la Route :
Libellé de l’infraction :
Inobservation de la limite de vitesse de 90 km/h en dehors d’une agglomération par un autre véhicule : - le dépassement étant supérieur à 20 km/h* Nombre de points déduits :
2 Date du fait :26 août 2018 14:20 Lieu du fait : …– … Date du paiement : 28 septembre 2018 […] Nombre de points restants : 2 […] ».
Par courrier recommandé du 10 octobre 2018, le ministre constata finalement le retrait des deux derniers points du capital de points dont était doté le permis de conduire de Madame …. Cette décision, tout en reprenant l’historique des pertes de points de Madame …, est quant à elle libellée comme suit :
« […] Conformément aux dispositions légales régissant le permis à points, je tiens à vous informer que 2 points ont été retirés du capital dont est doté votre permis de conduire pour les infractions suivantes au Code de la Route :
Libellé de l’infraction :
Inobservation de la limite de vitesse de 90 km/h en dehors d’une agglomération par un autre véhicule : - le dépassement étant supérieur à 20 km/h* Nombre de points déduits :
2 Date du fait :12 août 2018 11:04 Lieu du fait : … – … Date du paiement : 4 ocotbre 2018 […] Nombre de points restants : 0 […] ».
Par un arrêté du 11 octobre 2018, le ministre constata l’épuisement du capital de points affecté au permis de conduire de Madame … et suspendit pour douze mois son droit de conduire un véhicule automoteur. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :
« […] Vu les articles 2bis et 13 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques ;
Vu l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques ;
Considérant que Madame … …, née le … à … et demeurant à …, …, L-…, a commis plusieurs infractions à la législation routière sanctionnées par une réduction du nombre de points dont son permis de conduire est doté en vertu de l’article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955 précitée ;
Considérant qu’à chaque infraction ayant donné lieu à une réduction de points, l’intéressée a été informée du nombre de points retirés et du solde résiduel de points ;
Considérant que le capital de points affecté au permis de conduire de l’intéressée est épuisé et qu’il y a donc lieu à application des dispositions du paragraphe 3 de l’article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955 précitée ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2018, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions précitées du ministre des 30 août, 5 et 11 septembre, et 4 et 10 octobre 2018 portant à chaque fois retrait de deux points de son permis de conduire ainsi que de la décision précitée du ministre du 11 octobre 2018 portant suspension de son droit de conduire un véhicule automoteur pour une période de douze mois.
Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 42049 du rôle, elle fit encore introduire un recours tendant à voir ordonner le sursis à exécution aux décisions en question, lequel fut rejeté par ordonnance du président du tribunal administratif du 7 décembre 2018 comme étant non fondé.
Ni la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désignée par « la loi du 14 février 1955 », ni l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désigné par « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 », ni d’autres dispositions légales ne prévoient de recours au fond en la présente matière, de sorte que seul un recours en annulation a valablement pu être introduit contre les décisions du ministre des 30 août, 5 et 11 septembre, et 4, 10 et 11 octobre 2018.
Le recours en annulation est encore recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, Madame …, après avoir rappelé le contenu de l’article 2bis de la loi du 14 février 1955, soutient que la suspension du droit de conduire un véhicule durant 12 mois constituerait une sanction administrative disproportionnée et qu’à son avis, les sanctions administratives prononcées par le ministre manqueraient le but visé et recherché par le législateur, lequel ne serait « de mieux pénaliser les infractions ayant trait au code de la route », but qui d’après la demanderesse ne se trouverait pas atteint. En effet, pour répondre aux exigences des articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après la « CEDH », tout recours en annulation devrait prévoir un contrôle de la proportionnalité comportant lui-même une analyse de l’acte administratif constituant, comme dans le cas d’espèce, une sanction disproportionnée, de sorte que dans le cadre de toute décision administrative, le législateur devrait laisser au pouvoir décideur, en l’espèce le ministre, une marge d’appréciation qui devrait tenir compte des principes généraux de la proportionnalité, de l’individualité, voire de la spécialité, de la gravité des faits, du repentir de l’administré et de ses antécédents administratifs et judiciaires.
Or, comme en l’espèce la sanction administrative ne serait pas individualisée, alors que le juge devrait pouvoir vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute, et devrait partant également contrôler la proportion entre la situation de fait telle qu’elle se présente et la décision prise, la demanderesse estime que le ministre aurait violé la loi, sinon aurait commis un excès de pouvoir, sinon une violation des formes destinées à protéger les intérêts privés, sinon un détournement de pouvoir.
Madame … affirme ensuite que dans la mesure où le système luxembourgeois de perte de points ne tiendrait pas compte des circonstances particulières des infractions commises et du comportement de l’administré, les décisions attaquées ne seraient pas motivées, de sorte qu’elles seraient à annuler.
Finalement et après avoir rappelé l’adage « nullum crimen, nulla poena sine lege », la demanderesse affirme que le principe d’individualisation de la peine trouverait également sa base dans l’article 14 de la Constitution qui dispose que « nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi ». Ainsi, pour être conforme à la Constitution, la décision administrative devrait pouvoir être personnalisée. La demanderesse estime dès lors, dans un ordre de subsidiarité, que l’article 2bis de la loi du 14 février 1955 serait contraire à l’article 14 de la Constitution, et qu’il y aurait lieu de poser la question préjudicielle formulée dans le dispositif de sa requête à la Cour Constitutionnelle, à savoir « L’article 2bis de la loi du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques est-il conforme à l’article 14 de la Constitution qui concerne le principe de la légalité des peines ? – dans la mesure où le juge administratif ne se voit accorder aucun pouvoir d’apprécier la gravité des faits reprochés et la sanction administrative à y réserver ? ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de l’intégralité des moyens pour ne pas être fondés.
Le tribunal administratif, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés et dans ce cadre, il lui appartient d’abord de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
Concernant le moyen tiré d’un défaut de motivation des décisions déférées, et même si la demanderesse n’a invoqué aucune base légale précise à l’appui de ce moyen, il y a lieu d’admettre qu’elle a implicitement, mais nécessairement visé une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé le « règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ».
L’article 6 dudit règlement grand-ducal dispose que : « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.
La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :
- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ;
- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit ;
- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ;
- intervient après procédure consultative, lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale.
Dans les cas où la motivation expresse n’est pas imposée, l’administré concerné par la décision a le droit d’exiger la communication des motifs. […] ».
En l’espèce, dans la mesure où les décisions déférées portent une réduction des points du permis de conduire de la demanderesse, respectivement suspension de son droit de conduire, elles sont soumises à l’obligation de motivation inscrite à l’article 6 précité, de sorte qu’il incombe à l’auteur de la décision d’indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de faits sur lesquels elle se base.
Il convient cependant d’ajouter, qu’en ce qui concerne les conclusions de la demanderesse tendant à l’annulation pure et simple des décisions déférées du fait du défaut de motivation allégué, la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours et que celle-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse.
Il convient également de souligner que l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, étant donné que seule une motivation « sommaire » est expressément exigée.
Par ailleurs, le défaut d’indiquer dans une décision administrative la disposition légale qui constitue son fondement n’encourt pas de sanction, dès lors que les raisons fournies sont suffisamment explicites pour permettre au destinataire de la décision de les rattacher à la disposition légale visée par l’administration En l’espèce, force est de constater que le ministre a indiqué les bases légales sur lesquelles ses décisions sont fondées, en l’occurrence la loi du 14 février 1955 et l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, le motif des réductions subséquentes des points du permis de conduire, à savoir une inobservation de la limite de vitesse de 90 km/h en dehors d’une agglomération dont le dépassement étant supérieur à 20 km/h, ainsi que le motif de la suspension du droit de conduire, à savoir que le capital de points affecté au permis de conduire de Madame … est épuisé, de sorte à satisfaire aux obligations de l’article 6 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979. A cela s’ajoute que le délégué du gouvernement a encore complété en détail la motivation ayant existé au moment où les décisions furent prises, à travers le mémoire en réponse et les pièces versées au cours de l’instance contentieuse, étant précisé que les raisons de l’épuisement du capital de points du permis de conduire de la demanderesse ressortent des décisions des 30 août, 5 et 11 septembre, et 4 et 10 octobre 2018, notifiées à l’intéressée, de sorte que cette dernière n’a pas pu se méprendre sur les raisons ayant conduit le ministre à suspendre son droit de conduire pour une période de 12 mois, étant encore souligné que l’indication de la motivation n’est pas à confondre avec le bien-fondé de celle-ci.
Partant, le moyen laisse d’être fondé.
Quant au fond, et plus particulièrement quant à la proportionnalité des décisions déférées reproché au ministre, l’article 2bis de la loi du 14 février 1955 dispose que :
Tout permis de conduire est initialement affecté de 12 points […] Les infractions énumérées ci-après donnent lieu aux réductions de points indiquées.1 […] 14) le dépassement de la limitation réglementaire de la vitesse considéré 2 points comme contravention grave en vertu de l’article 7, autre que celle visée au point 9) ci-avant […] Pour autant qu’une des infractions mentionnées ci-avant ait été commise sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, toute condamnation judiciaire qui est devenue irrévocable, et tout avertissement taxé dont le contrevenant s’est acquitté, entraîne une réduction du nombre de points affecté au permis de conduire. Cette réduction intervient de plein droit.
En cas de concours idéal d’infractions, seule la réduction de points la plus élevée est appliquée. En cas de concours réel, la réduction de points se cumule dans la limite de 6 points, lorsqu’il s’agit exclusivement de contraventions, et dans la limite de 8 points, lorsqu’il y a au moins un délit parmi les infractions retenues. […] La réduction de points suite à un avertissement taxé a lieu au moment du paiement de la taxe. […] Lorsque la réalité d’une infraction entraînant une perte de points est établie dans les conditions qui précèdent, le ministre fait procéder à une réduction conséquente du nombre de points dont le permis de conduire de l’auteur de l’infraction se trouve en ce moment affecté.
[…] La perte de l’ensemble des points d’un permis de conduire entraîne pour son titulaire la suspension du droit de conduire. Des points négatifs ne sont pas mis en compte. Cette suspension est constatée par un arrêté pris par le ministre; les modalités en sont déterminées par règlement grand-ducal.
La suspension du droit de conduire est de 12 mois. […].
En l’espèce, force est de constater qu’il n’est pas contesté en cause que Madame … a, en date des 12, 13, 18 et 26 août 2018 inobservé la limite de vitesse de 90 km/h en dehors d’une 1 L’article 2bis de la loi du 14 février 1955 contient une liste de 27 infractions possibles et du nombre de points à réduire pour chacune.
agglomération dont le dépassement était supérieur à 20 km/h, à … sur la … et que ces inobservations constituent des infractions à l’article 2bis de la loi du 14 février 1955 à savoir celle visée au point 14) de la liste des infractions contenue dans cette même disposition légale. Il n’est pas non plus contesté que Madame … s’est acquittée des avertissements taxés y relatifs les 24 et 30 août, 3 et 28 septembre ainsi que le 4 octobre 2018, en raison d’une des infractions énumérées à l’article 2bis de la loi du 14 février 1955, à savoir celle visée au point 14) de cette même disposition légale.
Il échet ensuite de constater que par décisions des 30 août, 5 et 11 septembre, et 4 et 10 octobre 2018, le ministre constata à chaque fois la réduction de points dont était affecté le permis de conduire de Madame … jusqu’à l’épuisement du capital des points dont est doté son permis de conduire, de sorte que c’est a priori à juste titre que le ministre a, en date du 11 octobre 2018 procédé, en application de l’article 2bis de la loi du 14 février 1955, précité, à la suspension du droit de conduire de la demanderesse.
Concernant la proportionnalité des décisions telle que mise en avant par la demanderesse, il résulte de la disposition légale qui précède que la réduction de points intervient de plein droit, à partir du moment où la commission d’une des infractions énumérées à l’article 2bis de la loi du 14 février 1955 a été constatée par un avertissement taxé dont le contrevenant s’est acquitté dans les 45 jours suivant la constatation de l’infraction et que le ministre ne fait que procéder à la réduction conséquente du nombre de points dont le permis de conduire de l’auteur de l’infraction se trouve à ce moment affecté. Il en résulte encore que la suspension du droit de conduire pour une durée de douze mois intervenant sur base de l’article 2bis, de la loi du 14 février 1955, précité, est une conséquence légale du retrait de l’ensemble des points dont le permis de conduire est doté, intervenant de plein droit et liant le ministre, dont l’arrêté afférent ne comporte, d’après l’article 2bis que le constat que la personne visée a perdu l’ensemble des douze points dont son permis était affecté suite aux différentes décisions de retrait de points intervenues préalablement.
Ainsi, la question de l’adéquation et de la proportionnalité entre les circonstances de fait et les points réduits a été prise en compte par le législateur par la fixation dans le texte législatif du nombre de points à retirer en fonction de diverses infractions commises, ainsi que par l’application de règles spécifiques en cas de concours réel d'infractions, règles limitant dans ce cas la réduction de points à un maximum de 6 points, lorsqu'il s'agit exclusivement de contraventions, et à un maximum de 8 points, lorsqu'il y a au moins un délit parmi les infractions retenues.
Il résulte également de ce texte que la question de la proportionnalité ayant été prise en compte par le législateur, celui-ci a expressément retiré tout pouvoir d’appréciation au ministre en précisant que la réduction des points à opérer en fonction des prédites règles s’opère de plein droit2. La question de savoir si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits établis, découle dès lors en matière de permis de conduire, directement du texte de la loi qui a procédé dans ses dispositions à une évaluation des peines applicables3. En effet, lorsqu’une disposition légale ou règlementaire comporte des conditions objectives ne laissant aucune marge d’appréciation à l’administration quant à la décision à prendre, cette dernière agit dans le cadre d’une compétence liée. Dans pareil cas de figure, l’intervention de l’administration s’opère de 2 Trib. adm., 3 décembre 2017, nos 22679 et 22923 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.
3 Trib. adm., 29 janvier 2007, n° 21828 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Transports, n° 69, et les autres références y citées.
manière mécanique voire automatique en ce qu’elle se limite à entériner une situation de fait ou de droit objective4.
Aussi, si en l’espèce le tribunal administratif, saisi d’un recours en annulation, a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée et de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée - éléments non mis en cause par la demanderesse tel que constaté ci-avant -, il n’est en revanche pas autorisé à contrôler des considérations d’opportunité se trouvant à la base de l’acte attaqué ainsi qu’une éventuelle disproportionnalité, le nombre de points retenu découlant directement de la loi, de sorte à exclure tout pouvoir d’appréciation dans le chef du ministre et, a fortiori, du tribunal5,6.
Cette constatation n’est pas énervée par le renvoi, par la demanderesse, à l’article 6 de la CEDH relatif au droit à un procès équitable et à l’article 13 de la CEDH concernant le droit à un recours effectif, étant donné que si la CourEDH a certes retenu qu’un système du retrait de points du permis de conduire, caractérisé par la circonstance que la perte de points résulte de plein droit, soit d’une condamnation prononcée par le juge pénal devenue définitive, soit du paiement de l’amende forfaitaire par le contrevenant impliquant reconnaissance de l’infraction et acceptation tacite du retrait de points, relève de la matière pénale, elle a également retenu qu’un contrôle suffisant au regard de l’article 6, paragraphe 1 de la CEDH se trouve dans la possibilité de contrôle du juge pénal sans qu’il soit nécessaire de disposer d’un contrôle séparé supplémentaire de pleine juridiction portant sur le retrait de points7. A cela s’ajoute qu’en tout état de cause, la demanderesse n’a même pas, dans le cadre du présent recours, soutenu que les décisions litigieuses seraient disproportionnées dans son chef, ni dans quelles mesures elles seraient disproportionnées, la demanderesse s’étant limitée de critiquer de manière générale l’impossibilité du ministre et en conséquence du tribunal de vérifier la proportionnalité des décisions en matière de permis à points.
Il s’ensuit que le moyen de la demanderesse tiré du caractère disproportionné des décisions litigieuses est à rejeter.
Le tribunal relève enfin que l’article 14 de la Constitution, aux termes duquel « nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi », consacre le principe de la légalité des peines, entraînant en premier lieu la nécessité de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour en exclure l’arbitraire et permettre aux intéressés de mesurer exactement la nature et le type des agissements sanctionnés, le principe de la spécification de l’incrimination tel qu’invoqué par la demanderesse étant le corollaire de celui de la légalité de la peine consacrée par l’article 14 de la Constitution. En second lieu les sanctions doivent être raisonnablement évaluables quant à leur niveau de sévérité8.
Or, en l’espèce, il n’est pas contesté que les infractions mises à charge de la demanderesse, et ayant entraîné à chaque fois une réduction des points affectés à son permis de conduire, à savoir l’ « Inobservation de la limite de vitesse de 90 km/h en dehors d’une agglomération dont le dépassement étant supérieur à 20 km/h » est prévue par un texte réglementaire, en l’occurrence l’article 139, paragraphe (2) alinéa c) de l’arrêté grand-ducal du 4 Trib. adm., 20 avril 2015, n° 33808 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 6, 5 Trib.adm. 12 février 2007, n° 21678, www.ja.etat.lu.
6 Voir encore Trib. adm., 9 décembre 2013, n° 29910 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 40.
7 CEDH, 23 septembre 1998, … c. France, n° 68/1997/852/1059 du rôle.
8 Cour Constitutionnelle, arrêt n° 115/14 du 12 décembre 2017.
23 novembre 1955, pris en exécution de la loi du 14 février 1955, tandis que la peine afférente est prévue par les articles 7 et 15 de cette même loi, ainsi que par l’article 1er du règlement grand-ducal modifié du 26 août 1993 relatif aux avertissements taxés, aux consignations pour contrevenants non résidents ainsi qu’aux mesures d’exécution de la législation en matière de mise en fourrière des véhicules et en matière de permis à points, pris en exécution de la prédite loi modifiée du 14 février 1955. Il en est de même de la sanction administrative de la réduction des points, expressément prévue par l’article 2bis de la prédite loi du 14 février 1955, lequel prévoit un listing des infractions et des points à réduire pour chaque infraction.
Concernant la condition que les sanctions doivent être raisonnablement évaluables quant à leur niveau de sévérité, force est au tribunal de constater, tel que retenu ci-avant, que la proportionnalité de la question de l’adéquation et de la proportionnalité entre les circonstances de fait et les points réduits a été prise en compte par le législateur par la fixation dans le texte législatif de différents nombres de points à retirer en fonction des diverses infractions commises ainsi que par l’application de règles spécifiques en cas de concours réel d'infractions, règles limitant dans ce cas la réduction de points à un maximum de 6 points lorsqu'il s'agit exclusivement de contraventions, et à un maximum de 8 points, lorsqu'il y a au moins un délit parmi les infractions retenues.
Le moyen fondé sur une violation de l’article 14 de la Constitution est partant rejeté comme étant dénué de tout fondement. Il n’y a partant pas lieu de saisir la Cour constitutionnelle, tel que suggéré par la demanderesse.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Madame … sollicite encore la condamnation de l’Etat à lui payer une indemnité de procédure de … -€ sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui est cependant à rejeter compte tenu de l’issue du présent litige.
En ce qui concerne la demande en allocation d’une indemnité de procédure de … -€ sur base de l’article 33 de la même loi formulée par le délégué du gouvernement, il y a lieu de conclure, étant donné que la demanderesse conteste tant le principe que le quantum de cette demande, et que la partie étatique omet de prouver en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge exclusive les frais exposés dans la présente instance, qu’il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non fondé et en déboute ;
rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de … -€ formulée par Madame … ;
rejette encore la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de … -€ formulée par le délégué du gouvernement ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 juillet 2019 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juillet 2019 Le greffier du tribunal administratif 11