Tribunal administratif N° 42760 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2019 3e chambre Audience publique du 25 juin 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42760 du rôle et déposée 2 mai 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Shanez AKSIL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, demeurant à L-…, ayant élu domicile en l’étude de Maître Shanez AKSIL préqualifiée, sise à L-1331 Luxembourg, 77, boulevard Grande-Duchesse Charlotte, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 avril 2019 de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2019 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth PESCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 juin 2019.
Le 21 janvier 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la modifiée loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC que Monsieur … avait franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 25 novembre 2018.
Le 22 janvier 2019, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».
1Par arrêté du même jour notifié à l’intéressé en mains propres à la même date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, ci-après dénommée « SHUK », pour une durée de trois mois.
En date du 23 janvier 2019, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en vue de la prise en charge de Monsieur … en exécution du règlement Dublin III sur le fondement de l’article 13, paragraphe (1), dudit règlement. N’ayant pas répondu à cette demande dans les délais prescrits par l’article 22, paragraphe (1), du règlement Dublin III, l’Italie fut informée par les autorités luxembourgeoises le 2 avril 2019 de sa responsabilité pour le traitement de la demande de protection internationale de Monsieur … suite à son acceptation tacite intervenue le 24 mars 2019, en application de l’article 22, paragraphe (7), du même règlement.
Par décision du 15 avril 2019, envoyée par courrier recommandé le 16 avril 2019, le ministre informa Monsieur … de sa décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers l’Italie, sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, décision formulée comme suit :
« […] J’accuse réception de votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez introduite en date du 21 janvier 2019.
En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 13(1) du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 21 janvier 2019 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 22 janvier 2019.
Selon vos déclarations vos auriez quitté votre pays d’origine en février 2015 en direction de l’Ethiopie où vous seriez resté pendant deux ans. Vous seriez allé au Soudan et y auriez vécu pendant un an. Ensuite, vous vous seriez rendu en Lybie et y seriez resté pendant un an et sept mois.
Puis vous auriez pris le bateau pour vous rendre en Italie où vos empreintes auraient été enregistrées. Trois semaines plus tard, vous auriez quitté l’Italie pour aller en France et y seriez resté pendant cinq semaines. Vous auriez alors traversé la Belgique pour arriver au Luxembourg en date du 20 janvier 2019.
Il résulte par ailleurs des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment de la base de données EURODAC, que vous avez précédemment franchi irrégulièrement la frontière italienne à …, par voie maritime, en date du 25 novembre 2018.
Sur base des informations à disposition, le Grand-Duché de Luxembourg a adressé une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l’article 13(1) du règlement 2(UE) n°604/2013, demande qui fut tacitement acceptée par les autorités italiennes en date du 24 mars 2019 sur base de l’article 22(7) du règlement précité.
Lors de votre entretien Dublin III du 22 janvier 2019 vous indiquez que vos muscles seraient sous-développés et que vous auriez des difficultés pour bouger. Cependant vous n’avez pas fourni des éléments concrets sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Italie, qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Aussi les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement (UE) n°604/2013.
Vous n’avez par ailleurs pas fait valoir des raisons particulières ou humanitaires qui auraient dû amener l’Etat luxembourgeois à faire application de l’article 17(1) du règlement (UE) n°604/2013.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été contestées […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2019, inscrite sous le numéro 42760 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 15 avril 2019 décidant de son transfert vers l’Italie.
Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 15 avril 2019 de transférer Monsieur … vers l’Italie, de sorte que le tribunal compétent pour connaître du recours en annulation sous analyse, lequel est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée. Il soulève plus particulièrement avoir quitté son pays d’origine, l’Erythrée, en février 2015 afin de se rendre dans un pays plus sûr, voyage qui l’aurait amené à traverser plusieurs pays, dont la Libye où il aurait été retenu par des passeurs contre son gré, et où il aurait été battu et torturé. Il explique avoir pu quitter la Libye et embarquer vers l’Italie, pays dans lequel ses empreintes auraient été prises contre sa volonté et où il aurait vécu dans la précarité.
En droit, et à titre principal, le demandeur reproche au ministre d’avoir fait abstraction des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, le demandeur faisant encore valoir à cet égard que la présomption selon laquelle tous les Etats membres de l’Union européenne appliqueraient les droits fondamentaux en matière de protection internationale serait réfragable.
A l’appui de ses prétentions, le demandeur soutient que les capacités d’accueil de demandeurs d’asile seraient dépassées en Italie, de sorte que beaucoup d’entre eux ne seraient ni logés, ni ne bénéficieraient de structures garantissant des conditions minimales de nourriture, d’hygiène, de santé et de sécurité. Il s’appuie sur des extraits d’un article de « humanrights.ch », de rapports de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR) et de 3l’organisation Médecins Sans Frontières pour soutenir que la situation serait encore plus critique pour les demandeurs d’asile ayant fait l’objet d’un transfert dans le cadre du règlement Dublin III et qu’en cas de transfert vers l’Italie, il risquerait dès lors de se retrouver en tant que sans-abri pendant des mois.
En mettant en avant son état de santé précaire suite aux actes de torture qu’il aurait subis en Lybie, il fait valoir, en se référant à des extraits du rapport de l’OSAR d’août 2016, que les hébergements pour les demandeurs d’asile n’offriraient pas de soutien psychologique ni psychiatrique.
Le demandeur donne, ensuite, à considérer que le système d’asile italien connaîtrait des déficiences graves dans ses procédures d’asile en ce que de nombreux demandeurs d’asile feraient l’objet d’un premier examen superficiel de leur demande par des agents de police non formés, sans passer par des entretiens, sans obtenir les informations nécessaires à la procédure d’asile, sans être assistés par un avocat préalablement à cette analyse sommaire de leur demande. Selon lui, de nombreuses expulsions seraient ainsi ordonnées suite à ces examens succincts.
En l’espèce, les défaillances du système d’examen de sa demande d’asile seraient d’autant plus flagrantes, alors que les autorités italiennes auraient manqué de répondre aux autorités luxembourgeoises quant à sa reprise en charge dans le délai leur imparti, démontrant à suffisance la surcharge de travail, respectivement la surcharge des autorités italiennes compétentes.
Il réitère sa crainte de devoir vivre dans la rue en cas de transfert vers l’Italie en estimant que seuls les services minimaux offerts par des organisations non gouvernementales seraient à disposition des demandeurs de protection internationale.
Le demandeur poursuit, en se référant à un rapport de l’organisation Amnesty International du 3 novembre 2016, que, même à supposer qu’il pourrait se faire loger dans un foyer étatique, ces derniers seraient surpeuplés et la violence y règnerait tant parmi les demandeurs d’asile, sans que les forces de l’ordre n’arriveraient à les protéger, que de la part des forces de l’ordre elles-mêmes.
Ainsi, si la Cour européenne de droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », aurait pu retenir dans un arrêt du 4 novembre 20141 que « ne saurait être écartée comme dénouée de fondement l’hypothèse d’un nombre significatif de demandeurs d’asile privés d’hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées », le demandeur souligne que depuis 2013, le nombre de demandeurs d’asile aurait augmenté surtout en Italie atteignant en 2018 les 130.000 demandes face à 162.000 places d’hébergements.
Il donne à considérer qu’à l’heure actuelle, les capacités d’hébergement en Italie seraient largement épuisées dans la mesure où les places ne se libéreraient pas avant le traitement définitif d’une demande d’asile, procédure qui pourrait durer plus de deux ans.
En se référant à un rapport du représentant spécial du Secrétaire Général sur les migrations et les réfugiés d’octobre 2016, au rapport de l’organisation Médecins sans frontières de février 2018, à un communiqué de presse du Conseil de l’Europe du 18 mars 2017 et au rapport de l’OSAR de 2016 prémentionné, le demandeur fait valoir qu’un transfert 1 CourEDH, 4 novembre 2014, Affaire … c/ Suisse, requête n° 29217/12.
4vers l’Italie l’exposerait à des traitements contraires aux articles 3 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH ».
S’agissant de l’accès à la procédure d’asile, le demandeur réitère son argumentation selon laquelle une demande d’asile déposée en Italie ferait l’objet d’une première analyse par des agents de police non spécialement formés, ce qui mènerait à une expulsion après une première analyse sommaire et non professionnelle de la demande de protection internationale, tel que cela aurait également été constaté dans le rapport de l’organisation Amnesty International, précité, de novembre 2016.
Il s’ensuivrait qu’un transfert vers l’Italie devrait être reconnu comme impossible, alors que les défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs entraineraient un traitement inhumain et dégradant au sens des articles 1er et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».
Il se réfère, à cet égard, à un jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 janvier 2018, à un jugement du tribunal administratif de Paris du 25 juin 2018 et à un jugement du tribunal administratif luxembourgeois du 3 août 2018, n° 41401 du rôle, pour conclure à l’existence de défaillances systémiques en Italie.
Il avance que le ministre aurait lui-même avoué dans un entretien avec une chaîne radio luxembourgeoise en date du 25 janvier 2019 qu’il douterait d’une prise en charge des demandeurs d’asile en Italie conforme à la Convention de Genève.
Il s’en suivrait que le Grand-Duché de Luxembourg serait à considérer comme Etat compétent de sa demande de protection internationale et ce en application de l’article 3, paragraphe 2, alinéa 3 du règlement Dublin III.
A titre subsidiaire, le demandeur reproche au ministre d’avoir méconnu son obligation de s’assurer préalablement auprès des autorités italiennes qu’il serait hébergé dès sa reprise en charge sur le territoire italien et qu’il aurait un accès aux soins médicaux dont il aurait besoin, obligation qui aurait été retenue dans l’arrêt précité du 4 novembre 2014 à travers lequel la CourEDH aurait conclu à une violation de l’article 3 de la CEDH au vu de l’absence d’une garantie individuelle de prise en charge adaptée par les autorités étrangères compétentes.
Or, en l’espèce, le ministre ne disposerait d’aucune garantie ni même d’une réaction de la part des autorités italiennes quant aux conditions de sa prise en charge en cas de transfert, de sorte que la décision déférée serait contraire à l’article 3 de la CEDH.
A titre encore plus subsidiaire, le demandeur fait valoir que la décision ministérielle sous analyse serait contraire à l’article 10bis de la Constitution, alors que dans le cadre de l’application de l’article 17 du règlement Dublin III, le ministre aurait établi la pratique d’accepter volontairement l’examen de la demande de protection internationale de demandeurs d’asile pour lesquels l’Italie serait a priori compétente, mais qui nécessiteraient une prise en charge médicale. Il estime que même si l’application de l’article 17 du règlement Dublin III était discrétionnaire, son application devrait néanmoins être basée sur des critères objectifs pour être conforme à l’article 10bis de la Constitution. Dans la mesure où l’agent du ministère aurait retranscrit son récit en relevant qu’il aurait été battu avec un tuyau en 5plastique durant toute sa captivité en Lybie et que le ministre aurait déclaré au cours d’un entretien sur la télévision luxembourgeoise qu’il appliquerait l’article 17 du règlement Dublin III aux demandeurs de protection internationale pour lesquels l’Italie serait a priori compétente, mais qui auraient vécu un traumatisme lors de leur passage vers l’Europe, il n’existerait aucun argument objectif qui permettrait de l’exclure de l’application de l’article 17 du règlement Dublin III, le demandeur concluant ainsi à l’annulation de la décision ministérielle litigieuse.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
Aux termes de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III sur le fondement duquel la décision litigieuse a été prise « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n°603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un Etat membre dans lequel il est entré en venant d’un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».
Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dont le demandeur a franchi irrégulièrement la frontière en provenance d’un pays tiers, cette responsabilité prenant fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière.
Il est constant en cause que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13, paragraphe (1), du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur … mais bien l’Italie, Etat duquel il aurait illégalement traversé les frontières, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg et de le transférer vers l’Italie.
Force est encore au tribunal de constater que le demandeur ne conteste pas cette compétence de principe des autorités italiennes, et, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais soutient, en substance, que son transfert serait 6contraire à l’article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III, ainsi qu’aux articles 3 et 8 de la CEDH, et 1er et 4 de la Charte.
Il y a tout d’abord lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre de ce faire, cette deuxième disposition n’étant pas invoquée en l’espèce par le demandeur.
L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III prévoit ce qui suit :
« Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.
S’agissant de prime abord des obligations découlant pour le ministre de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, le tribunal relève que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3 4. Dès lors, 2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.
3 Ibidem, point. 79.
7comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption -réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur d’asile de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Le demandeur remettant en question cette présomption du respect des droits fondamentaux, puisqu’il affirme risquer des traitements inhumains et dégradants en Italie, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.
Le tribunal relève encore que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne8, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans un arrêt du 16 février 20179.
Dans un arrêt récent du 19 mars 2019 (affaires jointes C-297/17, C-318/17, C-319/17, C438/17), la CJUE a encore retenu que des défaillances ne sont contraires à l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants que lorsqu’elles atteignent un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause, ce seuil étant atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant.
Quant à la CourEDH, celle-ci10 a dit à de nombreuses reprises que, pour tomber sous le coup de l’interdiction contenue à l’article 3 de la CEDH, similaire à l’article 4 de la Charte, le traitement doit présenter un minimum de gravité.
En l’espèce, le tribunal relève de prime abord que, contrairement à ce qui est avancé par le demandeur, le seul fait que la compétence de l’Italie découle des dispositions de l’article 4 Trib. adm ,26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur : www.jurad.etat.lu 5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.
7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur : www.jurad.etat.lu 8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, … c. Bundesasylamt, point 62.
9 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.
10 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, … c. Suisse, n° 29217/12, points 94 et 95.
822, paragraphe (7), du règlement Dublin III, prévoyant l’acceptation tacite à défaut de réponse à une demande de prise/reprise en charge endéans les délais requis, ne permet pas de retenir ipso facto et à défaut d’autres éléments, l’existence de défaillances systémiques dans ce pays, l’acceptation tacite découlant des dispositions du règlement Dublin III, peu importe la raison de ce défaut de réponse.
D’autre part, s’agissant de l’argumentation du demandeur quant aux conditions d’accueil en Italie, le tribunal constate que les rapports auxquels le demandeur s’est référé, cités de manière générale, sans mise en relation avec sa situation particulière, ne permettent pas de dégager l’existence de défaillances systémiques qui s’opposeraient à son transfert en Italie.
Ainsi, les rapports de l’OSAR de 2013 et de 2016, de même que l’article publié sur la plateforme « humanrights.ch » mis à jour en octobre 2017, ne sont en toute hypothèse pas de nature à refléter la situation actuelle visant les demandeurs de protection internationale transférés en Italie en application du règlement Dublin III.
Par ailleurs, les extraits cités du rapport de l’OSAR de 2016 faisant état de retards éventuels dans la délivrance d’un permis de séjour pour demandeurs d’asile, à défaut d’explications plus précises du demandeur quant aux implications concrètes sur son cas, ne sont pas non plus de nature à mener à la conclusion qu’il existe des défaillances systémiques en Italie.
S’agissant ensuite des affirmations du demandeur que de nombreux demandeurs d’asile feraient l’objet d’un premier examen superficiel de leur demande à leur arrivée par des policiers non formés, celles-ci sont basées sur un rapport de l’organisation Médecins sans frontière datant de novembre 2016, lequel ne renseigne aucunement sur la situation actuelle des demandeurs de protection internationale en Italie, ces affirmations restant ainsi à l’état de pures allégations.
Il convient encore d’ajouter que si les rapports cités en cause par le demandeur à l’appui de son argumentation mentionnent certes, de manière générale et par rapport à la situation telle qu’elle existait au moment de la rédaction des rapports, des problèmes affectant le système d’accueil en Italie en raison du nombre important de demandeurs de protection internationale, le tribunal constate toutefois que le demandeur reste en défaut de faire état d’un quelconque élément concret de son vécu personnel s’opposant à son transfert vers Italie, qui permettrait de conclure à l’existence de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
Il convient encore de relever en ce qui concerne l’affirmation du demandeur qu’il aurait dû vivre dans la rue en Italie, qu’il ne se trouvait pas en tant que demandeur de protection internationale en Italie, mais qu’il y a vécu en situation irrégulière, de sorte que ces considérations ne sont pas de nature à refléter la situation des demandeurs de protection internationale ayant fait l’objet d’un transfert Dublin en Italie. Ainsi, et s’il est certes vrai qu’il ne saurait être dénié que les autorités italiennes connaissent à l’heure actuelle des problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, il ne ressort cependant pas des documents cités par le demandeur, ni des explications fournies par lui quant à sa situation personnelle, que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour le requérant, d’être 9systématiquement exposé à une situation de précarité et de dénuement matériel et psychologique11. A cet égard, il convient de rappeler que dans son arrêt du 4 novembre 2014, cité par le demandeur12, la CourEDH, contrairement au cas de la Grèce, n’a pas constaté de défaillances systémiques dans le dispositif italien d’accueil en matière d’asile, et ce malgré des « sérieux doutes quant aux capacités actuelles du système ». Par la suite, la CourEDH13 a eu de nouveau à se prononcer sur la situation en Italie pour retenir que la situation de l’Italie n’avait, à ce moment, rien à voir avec la situation de la Grèce en 2011 et a rejeté la demande du demandeur d’asile qui souhaitait voir condamner la décision de l’expulser vers Italie.
En l’absence d’une jurisprudence révisée par la CourEDH ou d’un rapport actuel d’une institution supranationale déconseillant des transferts vers l’Italie en raison de défaillances systémiques qui auraient pu être constatées dans cet Etat, le tribunal n’est pas en mesure, en l’état du dossier tel qu’il se présentait au ministre au moment de la prise de décision litigieuse, de retenir de telles déficiences systématiques pour l’Italie.
S’agissant de la référence à des jurisprudences françaises faite par le demandeur, le tribunal relève que celles-ci ne font pas l’unanimité, dans la mesure où, à titre de contre-exemple, le Conseil d’Etat français14 ou encore la Cour administrative d’appel de Nantes15 ou la Cour administrative d’appel de Marseille16 estiment actuellement que l’Italie ne présente pas de défaillances systémiques. Quant au jugement du tribunal administratif du 3 août 2018, n° 41401 du rôle, sur lequel s’appuie le demandeur, le tribunal relève que, contrairement à ce que le demandeur semble soutenir, le tribunal, dans cette affaire, n’a pas annulé la décision de transfert en raison de l’existence avérée de défaillances systémiques, mais a retenu qu’il aurait appartenu au ministre de vérifier que les conditions matérielles d’accueil de l’intéressé en Italie en sa qualité de demandeur de protection internationale soient de nature à respecter les garanties fondamentales prévues par la Convention de Genève, de sorte que le demandeur n’est pas fondé à invoquer cette jurisprudence pour conclure ipso facto à l’existence de défaillances systémiques en Italie.
Enfin, les déclarations faites par le ministre lors d’une interview ne sont pas à interpréter en ce sens que l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, se trouverait vérifiée en Italie.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence de défaillances systémiques en Italie qui s’opposeraient à son transfert dans ce pays, de sorte que le moyen principal du demandeur, pour autant qu’il est fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III et de l’article 3 de la CEDH, est rejeté comme étant non fondé.
En ce qui concerne le moyen subsidiaire, suivant lequel il appartiendrait au ministre de s’assurer préalablement auprès des autorités italiennes qu’en cas de transfert, il aura accès à un hébergement dès sa reprise et aux soins médicaux dont il aurait besoin, le tribunal est amené à retenir qu’au jour de sa décision, le ministre n’était pas confronté à des éléments qui 11 Trib. adm. 16 août 2017, n° 39786 du rôle, disponible sur : www.jurad.etat.lu 12 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, … c. Suisse, n° 29217/12.
13 CEDH, 5 février 2015, A.M.E. c. Pays-Bas, n° 51428/10.
14 Conseil d’Etat, juge des référés, 14 novembre 2018, n° 425096.
15 CAA de Nantes, 6ème chambre, 30 janvier 2019, n° 18NT03060.
16 CAA de Marseille, 6ème chambre, 28 janvier 2019, n° 18MA02832.
10lui auraient imposé de s’assurer auprès des autorités italiennes des conditions de logement du demandeur ou encore des conditions d’accès aux soins médicaux.
S’agissant, à cet égard, plus précisément de l’état de santé du demandeur, force est tout d’abord au tribunal de relever qu’il ne résulte d’aucun élément du dossier que le demandeur aurait des problèmes de santé qui s’opposeraient à son transfert vers l’Italie ou requérant une aide spécifique en Italie dont le ministre aurait dû s’assurer comme le soutient le demandeur.
En effet, aucun élément du dossier ne permet de retenir que le ministre aurait à tort décidé de le transférer vers l’Italie malgré son état de santé. En effet, les seules affirmations du demandeur qu’il souffrirait de troubles psychologiques liés à son vécu notamment en Lybie où il aurait été torturé, ou encore que ses muscles ne seraient pas assez développés et qu’il aurait du mal à bouger, affirmations appuyées par aucun certificat médical en bonne et due forme, ne sont pas de nature à retenir que le voyage en tant que tel ou son transfert en Italie entraînerait pour lui un risque de traitement inhumain et dégradant au sens des articles 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, le demandeur restant d’ailleurs en défaut d’établir que les autorités italiennes lui refuseraient l’accès aux soins médicaux nécessaires.
Plus particulièrement, rien n’indique que le demandeur ne puisse trouver en Italie une aide spécifique au vu des besoins particuliers en matière d’accueil requis le cas échéant par son état de santé allégué.
Il convient encore de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide italien est à tel point déficient qu’il serait inaccessible aux migrants et demandeurs de protection internationale, de sorte à impliquer per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartient de faire valoir ses droits directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates ; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système d’aide italien ne serait pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il lui appartient de faire valoir ses droits sur base des directives n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale ainsi que n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.
S’agissant du moyen tiré de la violation de l’article 1er de la Charte invoqué par le demandeur, force est au tribunal de constater que le demandeur s’est limité à invoquer la violation dudit article sans autrement étayer son affirmation, de sorte qu’il n’appartient pas au tribunal de pallier l’argumentation juridique d’un demandeur et d’examiner un moyen qui n’est pas autrement soutenu. Partant, le moyen est à rejeter pour ne pas être fondé.
Il s’ensuit que c’est à bon droit et sans commettre d’erreur d’appréciation, ni excéder ses pouvoirs, que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale.
S’agissant, enfin, du moyen encore plus subsidiaire du demandeur, consistant à affirmer que l’article 17 du règlement Dublin III serait contraire à l’article 10bis de la Constitution dans la mesure où le ministre aurait, pour d’autres demandeurs de protection internationale, ayant comme lui-même un vécu traumatisant lors de son passage en Europe, fait application de ce même article, et que l’application de ce même article ne baserait pas sur des critères objectifs, ce moyen est également à rejeter.
11 Dans ce contexte, il y a d’abord lieu de rappeler que la prééminence de la norme du droit international résulte de la nature même du droit international conventionnel, en étant précisé que les traités qui ont créé le droit communautaire ont institué un nouvel ordre juridique au profit desquels les Etats membres ont limité l’exercice de leurs pouvoirs souverains dans les domaines que ces traités déterminent17. Cette suprématie vaut pour le droit « issus des traités » comme pour le droit dérivé, c’est-à-dire également pour les directives et règlements communautaires18. La primauté du droit communautaire, résultant de la nature même de ce droit et non pas d’une disposition de la Constitution, s’entend vis-à-vis de toutes les normes du droit interne, y compris celles de nature constitutionnelle19.
Dès lors, une éventuelle inconstitutionnalité de l’article 17 du règlement Dublin III ne saurait avoir d’incidence sur la validité de la décision attaquée, ce texte étant une norme hiérarchiquement supérieure à la Constitution.
Par ailleurs, il convient encore de relever que le demandeur reste en tout état de cause en défaut de rapporter la preuve que le ministre lui aurait réservé un traitement différent de celui d’autres administrés se trouvant exactement dans la même situation que lui et qui auraient bénéficié de l’application de l’article 17 du règlement Dublin III.
A titre superfétatoire et dans un souci d’exhaustivité, il convient encore de relever, en ce qui concerne la non-application de la clause discrétionnaire instaurée par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, que s’il est vrai que, lorsqu’en application des critères dudit règlement, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres20. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge21, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée22, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.
Dans la mesure où le tribunal vient toutefois de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte que le demandeur est resté en défaut d’établir qu’il risquerait des actes de torture ou 17 Conseil d’Etat, 21 novembre 1984, … et consorts c/ Ministère de la Fonction Publique, Pas. 26, 174 10.
18 G. REILAND et G. WIWENES, « Contrôle de constitutionnalité et droit communautaire dérivé », Pas. 30, p.
33 et s.
19 Ibidem.
20 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
21 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.
22 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.
12des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Italie et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Monsieur …, alors même que cet examen incombe aux autorités italiennes, le contraire constituant, en effet, une façon de procéder qui relèverait toutefois du « forum shopping » que le règlement Dublin III vise justement à éviter.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 juin 2019 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Stéphanie Lommel, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 juin 2019 Le greffier du tribunal administratif 13