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05/06/2019 | LUXEMBOURG | N°41436

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juin 2019, 41436


Tribunal administratif N° 41436 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juillet 2018 3e chambre Audience publique du 5 juin 2019 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41436 du rôle et déposée le 16 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain BINGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant, d’

après le libellé de la requête introductive d’instance, à l’annulation d’une décision d...

Tribunal administratif N° 41436 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 juillet 2018 3e chambre Audience publique du 5 juin 2019 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41436 du rôle et déposée le 16 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain BINGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant, d’après le libellé de la requête introductive d’instance, à l’annulation d’une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 17 janvier 2018 portant retrait de son permis de conduire ainsi que de « la décision du MINISTRE DU DEVELOPPEMENT DURABLE ET DES INFRASTRCTURES en date du 12 avril 2018 ayant confirmé cette première décision comme suite à un recours gracieux »;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 7 janvier 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain BINGEN au nom et pour le compte de Madame … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2019 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Alain BINGEN et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 mai 2019.

Madame … est titulaire d’un permis de conduire B depuis le 13 décembre 1995.

Par décision du ministre des Transports du 24 août 2007, Madame … s’est vue retirer son permis de conduire au motif qu’elle « souffre d’informités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ».

Par décision du même ministre du 18 juillet 2008, basé sur un avis du 2 juillet 2008 de la commission médicale prévue à l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désignés 1 respectivement par « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 » et par « la commission médicale », le permis de conduire de Madame … lui fut restitué.

Par décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures, ci-après désigné par « le ministre », du 8 août 2013, basé sur un avis de la commission médicale du 23 juillet 2013, le droit de conduire un véhicule automoteur de Madame … fut suspendu, le ministre ayant par ailleurs relevé que « l’intéressée a déclaré le 09 juillet 2013 devant la Commission médicale renoncer à son permis de conduire » et que « Madame … a déjà remis volontairement son permis de conduire ».

Par décision du 2 avril 2014, basée sur un avis de la commission médicale du 24 mars 2014, le ministre fit droit à la demande en restitution du permis de conduire introduite par Madame ….

Dans un avis du 29 mai 2015, la commission médicale se prononça en faveur du maintien du droit de conduire de Madame …, tout en soulignant la nécessité qu’elle se soumette à un screening toxicologique des cheveux endéans 2 ans.

Par courrier recommandé du 7 avril 2017, Madame … fut invitée à se soumettre à des analyses toxicologiques des cheveux et d’envoyer les résultats y afférents endéans trois semaines au médecin-président de la commission médicale.

Par missive adressée au ministre en date du 13 avril 2017, Madame …, après avoir pris position sur son état de santé actuel, souligna ne pas voir la nécessité de se soumettre au screening toxicologique sollicité.

Par courrier du 27 avril 2017, le ministre prit position comme suit « […] Permettez-moi de prime abord de vous informer que le libellé du courrier du 7 avril 2017 n’est en aucun cas à considérer comme une menace, mais constitue un élément essentiel permettant de garantir dès le début de la procédure les droits de défense de l’administré.

En effet, comme vous le constaterez, la demande d’analyses toxicologiques qui vous a été envoyée se base sur un avis de la Commission médicale des permis de conduire qui a été émis le 29 mai 2015 dans le cadre du suivi de votre dossier. Il s’agit dès lors d’exclure tout facteur médical qui pourrait avoir une incidence négative sur vos aptitudes ou capacités de conduire », le ministre ayant encore relancé Madame … à se soumettre aux examens toxicologiques sollicités.

Par courrier recommandé du 21 juillet 2017, Madame … fut de nouveau invitée à se soumettre à des analyses toxicologiques des cheveux et d’envoyer les résultats y afférents endéans quinze jours au médecin-président de la commission médicale, courrier auquel Madame … ne donna pas suite.

Par convocation recommandée du 11 octobre 2017, Madame … fut invitée à se présenter le 6 novembre 2017 devant la commission médicale. Lors de son audition devant ladite commission, elle déclara avoir besoin de son permis de conduire pour des raisons privées et professionnelles, que sa dernière crise épileptique daterait de juillet 2016 et que depuis ce même mois, elle ne boirait plus d’alcool.

2 Suite à sa comparution devant la commission médicale, Madame …, fut de nouveau invitée, par courrier recommandé 7 novembre 2017, à se soumettre à un screening toxicologique des cheveux et d’envoyer les résultats y afférents endéans trois semaines au médecin-président de la commission médicale.

Face au refus de Madame … de se soumettre aux analyses toxicologiques sollicitées, la commission médicale, dans son avis du 15 janvier 2018, conclut au retrait du permis de conduire de celle-ci sur base de la considération qu’elle souffrirait d’éthylisme et ne satisferait pas « aux conditions minima prévues par l’article 77 sous 8.1) de l’arrêté grand-ducal [ du 23 novembre 1955 ] et qu’il est dès lors établi qu’elle souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ».

Par décision du 17 janvier 2018, le ministre, en se ralliant à l’avis de la commission médicale du 15 janvier 2018, retira le permis de conduire un véhicule automoteur, ainsi que les permis de conduire internationaux délivrés sur le vu du susdit permis national à Madame …, décision basée sur les considérations suivantes :

« […] Vu les articles 2 et 13 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la règlementation de la circulation sur toutes les voies publiques ;

Vu l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques ;

Considérant que pour la raison reprise sous 4) du paragraphe 1er de l’article 2 de la loi du 14 février 1955 précitée une mesure administrative s’impose à l’égard de Madame …, née le … et demeurant à L-… ;

Considérant que l’intéressée a été entendue le 6 novembre 2017 dans ses explications par la Commission médicale prévue à l’article 90 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 précité ;

Considérant que Madame … refuse d’exécuter la décision ministérielle l’invitant à produire un screening toxicologique des cheveux ;

Vu l’avis du 15 janvier 2018 de la Commission médicale précitée ;

Considérant que Madame … souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ; […] ».

Par missive de son mandataire du 10 avril 2018, Madame … fit introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 17 janvier 2018, recours dans lequel elle fit valoir ne pas souffrir « d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ».

Le 12 avril 2018, le ministre accusa réception dudit recours gracieux et par courriers recommandés successifs des 19 avril et 20 juin 2018, Madame … fut de nouveau invitée à se soumettre à des analyses toxicologiques des cheveux et d’envoyer les résultats y afférents endéans trois semaines, respectivement quinze jours, au médecin-président de la commission médicale.

3 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 juillet 2018 et inscrite sous le numéro 41436 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant, d’après le libellé de la requête introductive d’instance à l’annulation, de la décision précitée du ministre du 17 janvier 2018 ainsi que de la « décision du MINISTRE DU DEVELOPPEMENT DURABLE ET DES INFRASTRCTURES en date du 12 avril 2018 ayant confirmé cette première décision comme suite à un recours gracieux ».

Etant donné que dans la présente matière aucune disposition légale n’instaure un recours au fond, seul un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours sous analyse en ce qu’il est dirigé contre la « décision du MINISTRE DU DEVELOPPEMENT DURABLE ET DES INFRASTRCTURES en date du 12 avril 2018 ayant confirmé cette première décision comme suite à un recours gracieux », la partie étatique déniant en effet tout caractère décisionnel au courrier ministériel du 12 avril 2018.

La partie demanderesse affirme quant à elle que le courrier en question, de même que le courrier subséquent du 19 avril 2018 s’analyseraient en « une confirmation de la décision de retrait ».

Aux termes de l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible […] ». Cet article limite ainsi l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une condition suffisante. En effet, pour être susceptible de faire l’objet d’un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief2.

Plus particulièrement, n’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision3. Pareillement, une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer l’administré sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus 1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.

2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 41 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas.

adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 61 et les autres références y citées.

4 généralement sur la situation juridique, de même qu’un avis sur l’interprétation à donner à un texte légal ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours contentieux4.

Dans cet ordre d’idées, il s’agit encore de rappeler que pour valoir décision administrative, un acte doit constituer la décision définitive dans la procédure engagée et non pas une simple mesure d’instruction destinée à permettre à l’autorité compétente de recueillir les éléments d’information en vue de sa décision ultérieure5.

Pour déterminer le caractère décisoire ou simplement informatif, respectivement préparatoire à une décision ultérieure d’un courrier, il y a lieu d’analyser son libellé et de qualifier son contenu.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que si le courrier du ministre du 12 avril 2018 est certes intervenu suite au recours gracieux que la demanderesse a fait introduire contre la décision de retrait de son permis de conduire du 17 janvier 2018, il ne constitue pas pour autant une décision intervenue sur recours gracieux alors qu’il ne s’agit que d’un simple accusé de réception, informant Madame … de l’intention du ministre de charger la commission médicale d’instruire son dossier en vue d’une restitution éventuelle de son permis de conduire. Un tel courrier purement informatif ne saurait être considéré comme constitutif d’une décision définitive portant refus de faire droit au recours gracieux introduit par Madame …, mais comme un simple acte préparatoire d’une décision administrative finale - décision finale se matérialisant en l’espèce par une décision confirmative implicite - constitutif d’une étape dans la procédure d’élaboration de celle-ci et échappant en tant que tel au recours contentieux6.

Il s’ensuit, que le recours sous examen est à déclarer irrecevable en ce qu’il est dirigé contre le courrier du ministre du 12 avril 2018.

Pour le surplus et à défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité le recours en annulation sous analyse est à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement soulève encore l’irrecevabilité ratione temporis du mémoire en réplique tel que déposé par le litismandataire de la demanderesse, en soutenant que dans la mesure où le mémoire en réponse aurait été déposé le 5 décembre 2018 au greffe du tribunal administratif, le mémoire en réplique déposé le 7 janvier 2019 serait à écarter des débats pour être tardif.

La partie demanderesse n’a pas pris position, ni par écrit, ni oralement, par rapport à la demande de rejet de son mémoire en réplique ainsi présenté par la partie défenderesse.

L’article 5, paragraphe 5, de la loi du 21 juin 1999 dispose que « Le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse, la partie défenderesse et le tiers intéressé sont admis à leur tour à dupliquer dans le mois ».

4 Trib. adm., 7 mars 2007, n° 21708 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 72 et les autres références y citées.

5 Trib. adm., 6 janvier 1998, n°10138 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 84 et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 7 novembre 2007, n° 23260 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 66 et l’autre référence y citée.

5 En l’espèce, il échet de constater que le mémoire en réponse de la partie défenderesse a été déposé au greffe du tribunal administratif en date du 5 décembre 2018 et qu’il a été notifié au litismandataire de la demanderesse le même jour, de sorte que le délai pour déposer le mémoire en réplique a, a priori, expiré le 5 janvier 2019. Dans la mesure où le 5 janvier 2019 est toutefois tombé sur un samedi, le délai pour déposer le mémoire en réplique a été reporté au premier jour ouvrable suivant, conformément à l’article 5 de la Convention européenne sur la computation des délais conclue à Bâle le 16 mai 1972, de sorte à avoir expiré le 7 janvier 2019, c’est-à-dire le jour-même du dépôt effectif dudit mémoire en réplique.

Il s’ensuit que le mémoire en réplique a été déposé endéans le délai légal et qu’il y a lieu de rejeter les contestations y relatives de la partie étatique.

A l’appui de son recours et après avoir rappelé les faits et rétroactes à la base de la décision ministérielle litigieuse, Madame … fait plaider que le fait qu’elle a refusé de se soumettre aux analyses toxicologiques sollicitées à travers les courriers des 7 avril, 21 juillet et 7 novembre 2017 ne saurait suffire à justifier le retrait de son permis de conduire. En contestant souffrir de quelconques d’infirmités ou troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes respectivement capacités de conduire la demanderesse fait plaider que ce serait sans fondement qu’elle se serait vue retirer son permis de conduire. A l’appui de ses affirmations, elle se base sur un certificat médical établie par le docteur …, du Groupe Neurologique du Nord, duquel il ressortirait qu’elle serait apte à conduire un véhicule automoteur, la demanderesse ajoutant, en se prévalant de l’article 90 point 2 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désigné par « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 », que la commission médicale aurait dû se baser sur ledit certificat médical, ce qu’elle n’aurait toutefois pas fait.

La demanderesse en conclut que la décision ministérielle litigieuse devrait encourir l’annulation pour erreur de fait, sinon pour erreur manifeste d’appréciation ou pour erreur de droit.

Dans son mémoire en réplique, elle donne encore à considérer qu’il résulterait à suffisance du dossier administratif et plus particulièrement des certificats médicaux du docteur … des 15 octobre 2012, 13 mars 2014, 8 mai 2015 et 10 mars 2017, qu’elle ne se serait pas trouvée en état de dépendance vis-à-vis de l’alcool entre le 2 avril 2014, date de restitution de son permis de conduire, et le 17 janvier 2018, date à laquelle elle se serait vue de nouveau retirer son permis de conduire. Il résulterait plus particulièrement desdits certificats médicaux qu’il n’existerait aucune contre-indication à son droit de conduire, de sorte que la commission médicale n’aurait pas pu retenir, à défaut de production d’un screening toxicologique des cheveux, une dépendance à l’alcool dans son chef.

Dans la mesure où elle satisferait dès lors aux conditions minima prévues à l’article 77, point 8.1. de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, la demanderesse conclut que la décision ministérielle déférée devrait encourir l’annulation.

Le délégué du gouvernement, pour sa part, estime que la décision ministérielle attaquée serait fondée en fait et en droit et il conclut au rejet du recours sous analyse 6 Le tribunal relève tout d’abord que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinés à protéger des intérêts privés. Confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, tel que cela est le cas en l’espèce, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, peut examiner si la mesure prise n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux faits établis, en ce sens que cette disproportion laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité, étant relevé que la sanction d’une disproportion est limitée au cas exceptionnel où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité. Par ailleurs, il ne saurait annuler la décision prise qu’au cas où l’erreur d’appréciation reprochée au ministre, qu’il aurait commise dans le cadre de la marge d’appréciation qui lui est laissée plus particulièrement en l’espèce à travers l’article 2 de la loi du 14 février 1955, est manifeste7.

Il convient ensuite de rappeler que l’article 2 de la loi du 14 février 1955 concernant la réglementation sur toutes les voies publiques, ci-après désignée par « la loi du 14 février 1955 », prévoit que :

« Le ministre ayant les Transports dans ses attributions, désigné ci-après «le ministre», délivre les permis de conduire civils; il peut refuser leur octroi, restreindre leur validité, les suspendre et les retirer, refuser leur restitution, leur renouvellement ou leur transcription et même refuser l’admission aux épreuves si l’intéressé:

[…] 4) souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire; […] ».

En ce qui concerne la nature des infirmités et troubles ainsi visés, il convient de se référer, par analogie, en ce qui concerne l’éthylisme, au point 8.1. de l’article 77 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, intitulé « Alcool », article visant la délivrance et le renouvellement d’un permis de conduire, lequel dispose quant à lui que :

« Le permis de conduire n’est ni délivré ni renouvelé si l’intéressé se trouve en état de dépendance vis-à-vis de l’alcool ou s’il ne peut dissocier la conduite de la consommation d’alcool. […] ».

Il ressort des dispositions légales précitées qu’une personne doit être considérée comme souffrant d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire si elle se trouve en état de dépendance vis-à-vis de l’alcool ou si elle ne peut pas dissocier la conduite de la consommation d’alcool.

En l’espèce, la demanderesse conteste toutefois souffrir de telles infirmités ou troubles et estime dès lors que ce serait à tort qu’elle s’est vue retirer son permis de conduire sur base des articles 2 et 3 de la loi du 14 février 1955, la demanderesse soutenant en effet que toutes 7 Trib. adm., 27 février 2013, n° 30584 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

7 les conditions de l’article 77, point 8.1. de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 seraient remplies dans son chef, de sorte qu’elle devrait se faire restituer son permis de conduire.

Il est constant en cause pour ressortir tant du dossier administratif, et notamment du certificat médical du docteur … du 15 octobre 2012, que des explications circonstanciées et non contestées de la partie étatique que la demanderesse a souffert pendant de nombreuses années d’alcoolisme causant des crises d’épilepsie dans son chef (ivresse convulsivante).

Il ressort par ailleurs du dossier administratif que la commission médicale, dans son avis du 15 janvier 2018, a retenu que la demanderesse ne satisferait toujours pas aux conditions minima prévues par l’article 77 sous 8.1) de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1995 et qu’il serait partant établi qu’elle souffre s’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire, conclusion qui est toutefois contestée par la demanderesse.

Il convient à cet égard de rappeler que d’après l’article 90, paragraphe 2, alinéa 4 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 « La commission se prononce sur les inaptitudes ou incapacités permanentes ou temporaires d’ordre physique ou psychomental des personnes visées à l’alinéa qui précède en se basant sur le résultat de son examen médical ainsi que sur les rapports d’expertise fournis par des médecins-experts spécialement chargés ou sur des certificats médicaux versés par les personnes examinées ».

Force est de constater que si la commission médicale, dans son avis du 15 janvier 2018, a certes pu se baser sur son examen médical, il lui était toutefois impossible de prendre en considération des rapports d’expertise, prenant, en cas d’une dépendance vis-à-vis de l’alcool, le plus souvent la forme d’un screening toxicologique des cheveux, la demanderesse ayant en effet refusé de se soumettre à de telles analyses capillaires.

Si dans le cadre du présent recours, la demanderesse conteste certes les conclusions de la commission médicale basées sur l’examen médical effectué, elle ne rapporte toutefois aucune preuve de nature à les infirmer.

Il convient ici encore de se référer par analogie à l’article 77, point 8.1. de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 qui prévoit en son deuxième alinéa que : « En cas de dépendance vis-à-vis de l’alcool, le permis de conduire peut être délivré ou renouvelé, sur avis motivé de la commission médicale, au terme d’une période prouvée d’abstinence et sous réserve d’un contrôle médical régulier. ».

Il ressort de ladite disposition réglementaire qu’une personne dépendante de l’alcool peut se voir renouveler ou délivrer son permis de conduire suite à une phase d’abstinence prouvée et à condition qu’elle se soumette à un contrôle médical régulier.

Afin de prouver son abstinence, l’intéressé peut notamment se soumettre à un screening toxicologique de ses cheveux, un tel screening toxicologique permettant en effet de déterminer la consommation d’alcool d’une personne déterminée pendant les mois précédant ces analyses capillaires.

Or, comme retenu ci-avant, la demanderesse, malgré les courriers successifs des 7 et 27 avril, 21 juillet et 7 novembre 2017, a toujours refusé de se soumettre à un tel screening 8 toxicologique des cheveux, lequel aurait pourtant aisément pu prouver son abstinence alléguée.

Malgré ce refus systématique et inexpliqué, témoignant d’une mauvaise foi certaine dans le chef de la demanderesse, cette dernière entend rapporter la preuve de son abstinence à travers divers certificats médicaux établis par le docteur … du Groupe Neurologique du Nord, la demanderesse soutenant en effet qu’il ressortirait à suffisance desdits certificats médicaux qu’elle ne consommerait plus d’alcool depuis plusieurs années.

Or, force est de constater que contrairement aux affirmations de Madame …, les certificats médicaux figurant au dossier administratif ne laissent pas conclure à une période d’abstinence prouvée dans son chef.

En effet, si dans son certificat médical du 15 octobre 2012, le docteur … a certes retenu que Madame … serait abstinente depuis février 2010, ledit certificat précisant en effet que « Die Patientin ist weiterhin anfallsfrei. In der Vergangenheit hatte die Patientin mehrere Gelegenheitsanfälle im relativen Alkoholentzug erlitten. Die Patientin ist seit Februar 2010 glaubhaft abstinent. », le même médecin, dans le certificat établi en date du 1er août 2013, témoigne d’une rechute de Madame …, le docteur … y ayant en effet noté que « […] Jetzt hatte die Patientin zwei epileptische Anfälle am 17. Mai 2013 erlitten. […] Die Patientin ist weiterhin nicht alkoholabstinent. Die Patientin trinkt ca 1,5 Flaschen Wein pro Tag. ». Cette rechute, ayant entraîné de nouvelles crises épileptiques, est encore confirmée par le docteur … dans un certificat médical établi le 29 mai 2013, certificat duquel il résulte que « Neurologischerseits ist vor dem Hintergrund von Anamnese und Klinik bei einer umfassend dokumentierten hochgradig eingeschränkten Krankheitseinsicht und Kritikfähigkeit der Patientin die Weiterführung der anti-epileptischen Therapie lebenslang indiziert, da es sich bei diesen rezidivierenden Grand-Mal-Anfällen nicht mehr um Gelegenheitsanfälle, sondern um Anfälle im Rahmen einer symptomatischen Epilepsie bei Verdacht auf Alkohol-

Encephalopathie handelt, wobei sich die Prognose auch diesbezüglich durch den fortgesetzten Alkoholabusus ständig weiter verschlechtert. ». Il convient encore de relever que si dans son certificat médical du 13 mars 2014, le docteur … atteste certes que Madame … n’aurait plus consommé d’alcool depuis le mois de septembre 2013, et atteste de sa capacité de conduire un véhicule automoteur, le même médecin reste toutefois muet sur la consommation d’alcool de Madame … dans les certificats médicaux subséquents émis le 8 mai 2015 et le 10 mars 2017.

Dans la mesure où la demanderesse n’avance dès lors aucune preuve qui permettrait de conclure à une abstinence en matière de consommation d’alcool dans son chef, qu’elle refuse par ailleurs systématiquement de se soumettre à un screening toxicologique des cheveux et ce malgré le fait qu’un tel screening pourrait aisément prouver sa prétendue abstinence et que les certificats médicaux figurant au dossier administratif témoignent à suffisance de l’instabilité de la demanderesse en ce qui concerne sa consommation d’alcool et de ses conséquences, à savoir des crises épileptiques répétées, la commission médicale a valablement pu retenir, dans son avis du 15 janvier 2018, sur base de son seul examen médical que les conditions minima prévues par l’article 77, point 8.1. de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 ne sont pas remplies en l’espèce, de sorte qu’aucune erreur d’appréciation, de fait ou de droit ne saurait être reprochée au ministre pour avoir, sur base dudit avis, retenu que Madame … souffre d’infirmités ou d’un troubles susceptibles d’entraver son aptitude à conduire, étant encore souligné à cet égard que la finalité primordiale du retrait administratif d’un permis de 9 conduire est de protéger la sécurité de l’usager lui-même et surtout celle des autres usagers de la route.

Il s’ensuit que le ministre a, à juste titre, pu se baser sur l’article 2, paragraphe (1), point 4) de la loi du 14 février 1955 pour retirer le permis de conduire de la demanderesse.

Aucun autre moyen n’ayant été invoqué en cause, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en annulation irrecevable pour autant qu’il est dirigé contre « la décision du MINISTRE DU DEVELOPPEMENT DURABLE ET DES INFRASTRCTURES en date du 12 avril 2018 ayant confirmé cette première décision comme suite à un recours gracieux » ;

le déclare recevable pour le surplus ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juin 2019 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Stéphanie Lommel, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juin 2019 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 41436
Date de la décision : 05/06/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-06-05;41436 ?

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