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03/06/2019 | LUXEMBOURG | N°40914

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 juin 2019, 40914


Tribunal administratif N° 40914 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2018 1re chambre Audience publique du 3 juin 2019 Recours formé par Monsieur …et …, …, contre une décision du Fonds pour le Développement du Logement et de l’Habitat, en présence des consorts …, en matière de préemption

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40914 du rôle et déposée le 16 mars 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Georges Krieger, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, agricult...

Tribunal administratif N° 40914 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2018 1re chambre Audience publique du 3 juin 2019 Recours formé par Monsieur …et …, …, contre une décision du Fonds pour le Développement du Logement et de l’Habitat, en présence des consorts …, en matière de préemption

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40914 du rôle et déposée le 16 mars 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Georges Krieger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, agriculteur, demeurant à L-…, et de la …, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son ou ses gérants actuellement en fonctions, tendant à l’annulation de la décision, ainsi qualifiée, du conseil d’administration du Fonds pour le Développement du Logement et de l’Habitat du 25 janvier 2018, notifiée par courrier du 19 février 2018, portant exercice du droit de préemption par rapport à un terrain inscrit au cadastre de la commune de Koerich sous le numéro …, lieu-

dit « Auf dem Gringert »;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 20 mars 2018, portant signification de ladite requête au Fonds pour le Développement du Logement et de l’Habitat, établissement public autonome institué par la loi modifiée du 25 février 1979 portant modification et coordination des dispositions légales et réglementaires en matière d’aide au logement, établi à L-2155 Luxembourg, 74, Mühlenweg, représenté par son comité-directeur actuellement en fonction, ainsi qu’aux indivisaires - Madame ……, demeurant à L-…, - Madame ……, demeurant à L-…, - Monsieur … …, demeurant à L-…, - Madame …, demeurant à L-…, - Monsieur …, demeurant à L-…, vendeurs de la parcelle concernée ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 18 avril 2018, n° 40915 du rôle ;

Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 juin 2018 par la société anonyme …, inscrite au barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente par Maître Christian Point, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom du Fonds pour le Développement du Logement et de l’Habitat, préqualifié ;

1 Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 septembre 2018 par Maître Georges Krieger, au nom de de Monsieur …et de la …, préqualifiés ;

Vu le mémoire en duplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 octobre 2018 par Maître Christian Point, au nom du Fonds pour le Développement du Logement et de l’Habitat, préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’acte attaqué ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Georges Krieger, et Maître Martial Barbian, en remplacement de Maître Christian Point, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 mars 2019.

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En date du 14 septembre 2017, Monsieur …signa un compromis de vente pour un terrain inscrit au cadastre de la commune de Koerich sous le numéro …, au lieu-dit « Auf dem Gringert », d’une contenance de 1 hectare, 44 ares, 38 centiares, avec les indivisaires … …, … …, … …, …et …(« les consorts …»), ledit compromis comprenant une clause de substitution quant à la personne de l’acquéreur.

Monsieur …constitua en date du 24 novembre 2017, ensemble avec la société anonyme …, la société …, ci-après désignée par « … », celle-ci censée se substituer à Monsieur …au moment de la passation de l’acte notarié, conformément au prescrit de la clause de substitution figurant dans le prédit compromis de vente.

Le notaire instrumentant ayant informé tant l’administration communale de Koerich, que le Fonds pour le Développement du Logement et de l’Habitat, ci-après désigné par « le Fonds du Logement », de la transaction envisagée, le Fonds du Logement informa par courrier daté du 19 février 2018 le notaire de sa décision d’exercer son droit de préemption concernant la parcelle précitée dans les termes suivants :

« Je fais suite à la confirmation de réception du dossier de notification de la vente du Consorts …-…dont vous êtes en charge, que le Fonds du Logement vous a adressée en date du 19 janvier 2018.

Conformément aux dispositions des articles 3 et 10 de la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes, je vous informe que, lors de sa réunion du 25 janvier 2018, le Conseil d’Administration du Fonds du Logement a décidé d’exercer son droit de préemption, aux prix et conditions mentionnés dans le dossier de notification que vous nous avez adressé en date du 22 décembre 2017, sur la ou les parcelle(s) situées entièrement ou partiellement dans une bande de 100 mètres longeant la limite de la zone urbanisée ou destinée à être urbanisée et située à l’extérieur de ces zones, inscrite(s) au cadastre comme suit :

Commune de KOERICH section C de GOETZINGEN Numéro …, lieu-dit « Auf dem Gringert », pré, d’une contenance de 1 hectare 44 ares et 38 centiares.

2 Ce droit de préemption est exercé en vue de la réalisation de +/- 20 à 22 logements visés par les dispositions relatives aux aides à la construction d’ensembles prévues par la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement.

Par conséquent, je vous prie de bien vouloir procéder à la rédaction de l’acte authentique de vente, en application des dispositions de l’article 11 de la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes.

Un recours contre la présente décision est ouvert devant le Tribunal administratif de et à Luxembourg, et est à introduire par un avocat à la Cour inscrit soit au barreau de Luxembourg, soit au barreau de Diekirch. Ce recours doit être introduit sous peine de forclusion dans un délai de trois mois à partir de la notification de la présente décision. ».

Par requête déposée le 16 mars 2018 et inscrite sous le numéro 40914 du rôle, Monsieur …ainsi que la société … ont introduit un recours en annulation contre la décision précitée du 25 janvier 2018, matérialisée à travers le courrier précité du Fonds du Logement du 19 février 2018. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 40915 du rôle, Monsieur …et la société … ont encore demandé à voir prononcer un sursis à exécution de la décision déférée en attendant la solution de leur recours au fond, demande dont ils ont été déboutés par ordonnance du 18 avril 2018.

Les consorts …, vendeurs des terrains litigieux, principaux intéressés à l’issue de la présente affaire, quoique valablement informés par acte d’huissier de la requête en obtention d’une mesure provisoire et du recours en annulation, ne se sont pas fait représenter.

Nonobstant ce fait, le tribunal statue à l’égard de toutes les parties, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », par un jugement ayant les effets d’une décision contradictoire, même si la partie tierce intéressée n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.

Monsieur …expose d’abord être le locataire, en sa qualité d’agriculteur et en vertu d’un contrat de bail ayant fait l’objet d’un avenant signé en date du 8 mai 2016 et prolongé jusqu’en novembre 2022, du terrain inscrit au cadastre de la commune de Koerich sous le numéro …, lieu-dit « Auf dem Gringert », d’une contenance de 1 hectare, 44 ares, 38 centiares, terrain classé en zone verte suivant le plan d’aménagement général de la commune de Koerich, à l’exception de la partie avant du terrain, donnant sur la rue de Windhof, laquelle est classée en zone d’habitation existante à faible densité.

Il affirme ensuite vouloir faire construire sur la partie constructible du terrain précité une maison unifamiliale pour ses besoins personnels, souhaitant déménager à cet endroit une fois la construction érigée ; à cette fin, il aurait constitué la société ….

Le Fonds du Logement, après avoir retracé les faits et rétroactes, soulève l’incompétence des juridictions administratives pour connaître du recours.

A cet égard, il estime que le système tel qu’instauré par la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes, ci-

après désignée par « la loi du 22 octobre 2008 », impliquerait que l’information donnée au notaire par le pouvoir préemptant, selon laquelle il exerce son droit de préemption, 3 emporterait la conclusion de la vente, de sorte qu’en l’espèce, le vente serait devenue parfaite entre lui et les consorts …par le seul exercice par lui de son droit de préemption aux prix et conditions mentionnés dans le dossier de notification, cette conclusion s’imposant en application de l’article 1583 du Code civil. A cet égard, le Fonds du Logement souligne que la décision prise par lui d’exercer son droit de préemption et d’acquérir le terrain litigieux ne constituerait pas une décision détachable du contrat conclu qui serait susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux devant les juridictions administratives. Il souligne que la loi du 22 octobre 2008 ne prévoirait pas de mécanisme comparable à celui instauré en matière de marchés publics, prévoyant un mécanisme légal de standstill ayant pour objet de prévoir un délai minimum entre la décision d’attribution du marché et la conclusion du contrat afin de permettre à un soumissionnaire dont l’offre a été rejetée de saisir les juridictions administratives dans le but de suspendre l’exécution de la décision d’attribution et d’empêcher la conclusion du contrat. La loi du 22 octobre 2008 organiserait, au contraire, à travers son article 11 non pas l’intervention du juge administratif mais celle du juge judiciaire dans l’hypothèse où le propriétaire ne signe pas l’acte authentique après l’exercice du droit de préemption.

En concluant que les juridictions administratives ne seraient pas compétentes en application de l’article 84 de la Constitution, le Fonds du Logement se réfère pour le surplus à la motivation à la base de l’ordonnance du président du tribunal administratif précitée du 18 avril 2018.

Dans leur réplique, les demandeurs contestent le moyen d’incompétence tel que soulevé par le Fonds du Logement en argumentant que l’exercice du droit de préemption n’emporterait pas la conclusion de la vente puisque la décision devrait encore être notifiée au notaire et ce dans les délais impartis par la loi.

Ils estiment qu’il existerait un acte administratif préalable à la conclusion de la vente et partant détachable, à savoir la décision du conseil d’administration du Fonds du Logement faisant l’objet du présent recours.

Ils donnent à considérer que le recours ne tendrait pas à l’annulation du contrat de vente, mais à l’annulation de la décision du conseil d’administration du Fonds du Logement, qui serait à qualifier de décision administrative individuelle.

Ils ajoutent que telle serait également la solution retenue en droit comparé.

Ils font valoir que le fait que contrat de vente nait au moment où le pouvoir préemptant notifie au notaire sa décision administrative portant exercice de son droit de préemption serait sans incidence sur la compétence des juridictions administratives. En effet, en vertu de la théorie des actes détachables, les juridictions administratives resteraient compétentes pour connaître de la régularité d’un acte administratif intervenant comme préalable ou support nécessaire à la réalisation d’un rapport de droit privé, tel que cela serait le cas en l’espèce. En effet, la décision administrative portant sur la volonté d’exercer le droit de préemption sur un bien serait distincte de la naissance du contrat et partant détachable de celui-ci, qui se formerait de la rencontre de volontés entre le pouvoir préemptant et le vendeur.

Il conviendrait dès lors de distinguer, ne fut-ce que d’un point de vue temporel, entre l’acte administratif, en l’occurrence matérialisé par la décision du conseil d’administration du 4 Fonds du Logement, et la conclusion de la vente qui ne s’opérerait qu’au moment où le notaire réceptionne la réponse positive du pouvoir préemptant qu’il rencontre l’offre du vendeur. Ce ne serait qu’à ce moment que l’offre rencontrerait une acceptation et que le contrat naîtrait.

Tant que le contrat ne serait pas formé entre le vendeur et le pouvoir préemptant, l’acquéreur initial, évincé par la suite par le pouvoir préemptant, devrait pouvoir agir utilement à travers une requête en sursis à exécution. La seule circonstance que la loi du 22 octobre 2008 n’organiserait pas de délai de standstill, à l’instar de la législation sur les marchés publics, serait sans pertinence, puisque, d’une part, cette question concernerait la recevabilité des requêtes en sursis à exécution et non la compétence des juridictions administratives et, d’autre part, que le président du tribunal administratif aurait toujours admis être compétent pour toiser la requête en sursis à exécution tant que le contrat de marché public n’est pas conclu, peu importe que le délai de standstill soit dépassé. En la présente matière, la solution devrait être identique puisque tant que la vente n’est pas parfaite, c’est-à-dire tant que la décision administrative portant exercice du droit de préemption n’a pas été réceptionnée par le notaire, l’intervention du juge des référés resterait possible puisque ce ne serait qu’à ce moment-là qu’il y aurait rencontre de volontés entre le vendeur et le pouvoir préemptant.

Par ailleurs, une fois le contrat formé, les juridictions administratives resteraient compétentes pour analyser la régularité de la décision administrative du pouvoir préemptant portant manifestation de sa volonté d’exercer son droit de préemption, cette décision étant détachable de la vente.

Cette théorie de l’acte détachable serait largement appliquée dans le cadre des marchés publics : ainsi, un cahier des charges serait susceptible de faire l’objet d’un recours.

De même, la conclusion du contrat de marché public, qui constituerait certes un obstacle à l’intervention du président du tribunal administratif dans le cadre d’un recours en sursis à exécution, ne rendrait pas incompétentes des juridictions administratives pour toiser la validité de la décision d’adjudication.

Tout en admettant que d’après la doctrine française et la jurisprudence luxembourgeoise certains actes unilatéraux pourraient difficilement être considérés comme détachables du contrat, les demandeurs donnent à considérer que d’autres actes auraient vu leur caractère détachable reconnu et appliqué aux actes précédents ou accompagnant la formation du contrat de même qu’à ceux concernant son exécution.

Par ailleurs, la jurisprudence française admettrait la compétence des juridictions administratives pour connaître de la décision de préemption, certes par rapport à des dispositions légèrement différentes à la législation luxembourgeoise, mais qui seraient applicables par analogie, dans la mesure où le droit de préemption luxembourgeois serait largement inspiré de celui connu en France.

Si au Luxembourg le pouvoir préemptant ne pouvait qu’accepter l’acquisition aux mêmes prix et conditions que celles fixées entre le vendeur et l’acquéreur initial, la décision administrative du pouvoir préemptant s’inscrirait toutefois dans le cadre de ses prérogatives de puissance publique et devrait s’opérer en vue de réaliser des objectifs d’utilité publique sinon pour le moins d’intérêt général. Le fondement du droit de préemption luxembourgeois serait partant identique au fondement du droit de préemption en droit comparé.

5 Les demandeurs se réfèrent encore à un arrêt du tribunal administratif suisse du 22 novembre 2005 en matière de droit de préemption, de même qu’aux travaux préparatoires à la base de la loi du 22 octobre 2008 et plus particulièrement à l’avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 2007.

Dans sa duplique, le Fonds du Logement insiste sur la considération que la loi du 22 octobre 2008 prévoirait en son article 11 la compétence des juridictions judiciaires, de même que sur celle que la décision attaquée ne constituerait pas une décision administrative individuelle.

Le Fonds du Logement poursuit que même à admettre que la décision puisse être qualifiée de décision administrative individuelle, elle ne serait pas pour autant détachable de la conclusion du contrat de vente.

A cet égard, la référence faite par les demandeurs à la législation française ne serait pas pertinente puisque la compétence des juridictions administratives françaises découlerait en réalité du fait qu’en droit français, le juge administratif serait le juge de droit commun du contentieux administratif conformément à l’article L.211 (1) du Code de la justice administrative, de sorte qu’en droit français, les juridictions administratives seraient compétentes du moment qu’une personne de droit public est partie à un litige, ce qui expliquerait qu’en droit français, contrairement au droit luxembourgeois, le contentieux de la responsabilité civile de la puissance publique serait porté devant les juridictions de l’ordre administratif.

Or, en droit luxembourgeois, le régime de répartition des compétences entre les juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif serait prévu par les dispositions des articles 84, 85 et 95bis de la Constitution.

Alors que le juge judiciaire ayant plénitude de juridiction serait le juge de droit commun lorsque le litige porte sur des droits subjectifs, le juge administratif disposerait, quant à lui, d’une compétence d’attribution en ce que celle-ci serait limitée à l’hypothèse d’une contestation portant sur les droits politiques et dont la connaissance lui a été spécialement attribuée par la loi.

En l’espèce, le Fonds du Logement fait valoir que non seulement il n’aurait pas pris de décision distincte voire détachable du contrat de vente ayant été conclu par l’exercice du droit de préemption, mais que, de plus, le litige porterait sur une contestation visant l’exercice par lui de son droit de préemption, partant sur l’exercice d’un droit subjectif échappant de ce fait à la compétence des juridictions administratives.

Par ailleurs, il se réfère à l’alinéa 2 de l’article 11 de la loi du 22 octobre 2008 et aux commentaires à la base de ce texte tels qu’ils se dégagent des travaux parlementaires, de manière à conclure que non seulement le texte de la loi du 22 octobre 2008 mais encore l’esprit ayant guidé son élaboration auraient tenu compte des principes instaurés par l’article 1583 du Code civil, selon lequel la vente est parfaite et la propriété acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur du moment qu’il y a accord sur la chose et le prix. Partant, l’exercice du droit de préemption emporterait de plein droit la conclusion du contrat de vente.

Le Fonds du Logement souligne que, contrairement à législation en matière de marchés publics, en la présente matière, la loi ne ferait aucune distinction matérielle ou temporelle 6 entre l’exercice du droit de préemption et la conclusion du contrat de vente, de sorte que l’argumentation afférente des demandeurs serait à rejeter.

Ce serait à tort que ceux-ci font état d’une distinction temporelle entre la décision de son conseil d’administration d’exercer le droit de préemption et la conclusion de la vente, qui n’aurait matériellement lieu qu’au moment de la réponse du pouvoir préemptant adressée au notaire, le Fonds du Logement rappelant à cet égard que l’article 1583 du Code civil prévoirait que la vente est parfaite dès qu’il est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée et le prix payé. Dès lors, à partir du moment où le pouvoir préemptant décide d’exercer son droit aux prix et conditions indiqués dans le dossier de notification lui communiqué par le notaire, la vente deviendrait parfaite et le transfert de propriétaire s’opérerait et cela indépendamment de l’information donnée au notaire concernant l’exercice du droit de préemption. Le contrôle par le juge administratif de la décision d’exercer un droit de préemption reviendrait, d’après le Fonds du Logement, pour le juge administratif à s’immiscer dans une compétence constitutionnellement reconnue au juge judiciaire, le Fonds du Logement relevant qu’en l’espèce, les consorts …conserveraient la possibilité, qu’elles auraient d’ailleurs mise en œuvre, de faire contrôler le bien-fondé de l’exercice du droit de préemption par le juge compétent, à savoir le juge civil.

En application de l’article 1583 du Code civil, il serait devenu propriétaire du terrain et détiendrait sur celui-ci des droits subjectifs dont la contestation relèverait de la compétence exclusive des juridictions de l’ordre judiciaire, à défaut de texte attribuant une compétence d’attribution en la matière aux juridictions administratives.

Pour le surplus, le Fonds du Logement estime que la référence faite à des jurisprudences suisses serait inopérante.

S’agissant de l’avis du Conseil d’Etat invoqué par les demandeurs, le Fonds du Logement fait valoir que les travaux préparatoires d’une loi ne pourraient entrer en ligne de compte lorsque la loi prévoit dans des termes clairs la compétence du juge judiciaire tel que ce serait le cas de l’article 11 de la loi du 22 octobre 2008. S’y ajouterait que le Conseil d’Etat, dans son avis, ne se prononcerait pas catégoriquement en faveur de la possibilité de saisir le juge administratif, le Fonds du Logement relevant que la qualification mise en œuvre par le Conseil d’Etat aurait été guidée essentiellement par la considération qu’une décision de préemption pourrait causer grief. Or, dans la mesure où en application de l’article 7 de la loi du 22 octobre 2008, toute convention portant sur une aliénation y visée est réputée conclue sous condition suspensive de la renonciation à l’exercice du droit de préemption, et dans la mesure où lui-même aurait exercé son droit de préemption, de sorte que la condition suspensive ne se serait pas réalisée, les demandeurs ne seraient jamais devenus propriétaires du terrain, de sorte que l’exercice du droit de préemption n’aurait pas pu leur causer grief.

Force est de constater qu’il se dégage des pièces du dossier qu’à la suite de la communication du dossier par le notaire Frank Molitor en date du 21 décembre 2017, le conseil d’administration du Fonds du Logement a, lors de sa réunion du 25 janvier 2018, décidé l’approbation de l’acquisition de la parcelle litigieuse située à Goetzingen, inscrite au cadastre de la commune de Koerich, section C de Goetzingen, sous le numéro …, au lieu-dit « Auf dem Gringert », d’une contenance de 1hectare, 44 ares et 38 centiares, au prix de 640.000.- €.

7 Le 29 janvier 2018, la présidente du conseil d’administration du Fonds du Logement a soumis au ministre compétent ladite approbation du conseil d’administration du 25 janvier 2018, le ministre ayant approuvé l’acquisition par un courrier du 13 février 2018.

Le 19 février 2018, le Fonds du Logement a informé le notaire …, conformément aux articles 3 et 10 de la loi du 22 octobre 2008, que lors de sa réunion du 25 janvier 2018, le conseil d’administration avait décidé d’exercer son droit de préemption aux prix et conditions mentionnés dans le dossier de notification.

En vertu de l'article 84 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux judiciaires, tandis que l'article 95bis, (1) de la Constitution attribue le contentieux administratif aux juridictions administratives.

Aux termes de l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible », tandis qu’aux termes de l’article 7, paragraphe (1) de la même loi « le tribunal administratif statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent. ».

La compétence des juridictions administratives en droit luxembourgeois est dès lors une compétence d’attribution, celles-ci ne connaissant que du contentieux administratif qui leur est attribué par la loi.

S’agissant de la notion de « droits civils », telle que figurant à l’article 84 de la Constitution, il y a lieu de l’employer au sens le plus large, de sorte à englober tous les droits, tous les intérêts, à l’exception de ceux qui, par une loi, ont été spécialement soustraits à la connaissance de la juridiction ordinaire, de sorte à comprendre les contrats1, en ce compris les contrats passés par l’administration qui relèvent, de la sorte, de la compétence des tribunaux judiciaires2.

Si l’article 2, paragraphe (1), précité, de la loi du 7 novembre 1996 limite l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste3, étant souligné que l’acte doit émaner d’une autorité relevant, du moins pour cet acte, de la sphère du droit administratif, et participant à un titre quelconque à l’exercice de la puissance publique, c’est-à-dire exerçant des prérogatives de droit public, investie pour l’acte considéré de pouvoirs exorbitants du droit commun applicable entre particuliers, en d’autres termes du droit de prendre des décisions unilatérales opposables aux destinataires et exécutoires, au besoin, par voie de contrainte4, force est toutefois de relever 1 Alex Bonn, Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, 1966, n°101.

2 André Buttgenbach, Manuel de droit administratif, Bruylant, 1959, n°383.

3 Trib. adm. 6 octobre 2004, n° 16533 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n°1 et les autres références y citées.

4 Trib. adm. 30 octobre 2000, n°11798 du rôle, confirmé par Cour adm. 29 novembre 2001, n°12592C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 4 et les autres références y citées.

8 que le seul fait que l’acte émane d’une autorité administrative est insuffisant, étant donné que la répartition des compétences entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives s'opère, non en fonction des sujets de droit - personnes privées ou autorités administratives - mais en fonction de l'objet du droit qui engendre une contestation portée devant le juge5.

Il est admis que le contentieux des contrats conclus par l’administration, impliquant des actes unilatéraux accomplis par l’administration relatif à la conclusion, exécution ou la résiliation des contrats, relève en principe des juridictions judiciaires, non seulement dans la mesure où l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996 vise uniquement des manifestations unilatérales de volonté, alors que les contrats, produits d’un concours plus ou moins réel de consentements, n’en font pas partie, mais encore dans la mesure où un contrat donne naissance, dans le chef des parties, à des droits subjectifs dont le juge est celui de l’ordre judiciaire6 ; tel est le cas du contentieux relatif à la formation du contrat ; il en va de même du contentieux de l’exécution ou de la réalisation des contrats, qui met en jeu des droits subjectifs et qui est du ressort exclusif des tribunaux de l’ordre judiciaire7.

Aussi, lorsqu’un litige porte sur le respect ou le non-respect d’un contrat, respectivement sur sa résiliation, l’objet du litige consistant alors respectivement en la réformation ou l’annulation d’une décision par laquelle un particulier reproche à une autorité administrative d’avoir méconnu des obligations contractuellement assumées par elle, respectivement d’avoir procédé à une résiliation abusive d’un contrat, la connaissance de pareil litige relève des tribunaux judiciaires qui, dans ce cas, en imposant le respect du contrat, respectivement en accordant des dommages et intérêts, ont le pouvoir de procurer au particulier un résultat pratique équivalent à l’annulation de l’acte incriminé8.

Ce principe suivant lequel le contentieux contractuel, même impliquant une autorité administrative, relève des juridictions judiciaires, reçoit un tempérament en faveur de la théorie des actes détachables du contrat, qui veut que, par exception aux règles de compétence fixées par les articles 84 et 95bis de la Constitution, les juridictions administratives restent compétentes pour connaître de la régularité d’un acte de nature administrative intervenant comme préalable au support nécessaire à la réalisation d’un rapport de droit privé9. Tel est l’hypothèse plus particulièrement en matière de marchés publics, tel que cela a été relevé par les parties demanderesses, les décisions de refus d’octroi d’un marché, respectivement d’attribution d’un marché, préalables à la conclusion du contrat, étant susceptibles d’un recours devant le tribunal administratif.

Il convient dès lors d’examiner si, en la présente matière, l’exercice par l’autorité administrative, en l’espèce le Fonds du Logement, de son droit de préemption s’analyse en un acte détachable du contrat de vente conclu entre le vendeur et le pouvoir préemptant, ou, si, au contraire, l’exercice de ce droit emporte ipso facto conclusion du contrat, tel que le 5 Trib. adm. 15 décembre 1997, n° 10282, Pas. adm. 2018, V° Compétence, n° 31, et les autres références y citées.

6 Michel Leroy, Contentieux administratif, Bruylant, 2008, p.231.

7 Ibidem, p.234.

8 Trib. adm. 11 octobre 2001, n° 12729 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Compétence, n° 65 et l’autre référence y citée.

9 Cour adm. 12 mars 1998, n° 10497C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Compétence, n° 64 et autres références y citées.

9 soutient le Fonds du Logement pour conclure à l’incompétence du tribunal administratif pour connaître du présent recours.

Aux termes de l’article 1583 du Code civil, la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé ».

Conformément aux dispositions de la loi du 22 octobre 2008, à partir du moment où le pouvoir préemptant exerce son droit de préemption aux prix et conditions mentionnés dans le dossier de notification du notaire, l’acte notarié doit être signé endéans un délai déterminé sous peine d’une action en exécution forcée, respectivement en dommages et intérêts, étant relevé qu’en application de l’article 7 de la même loi, toute convention portant sur une aliénation visée par ladite loi est réputée conclue sous la condition suspensive de la renonciation à l’exercice du droit de préemption.

Le tribunal est amené à retenir qu’en l’espèce, l’exercice du droit de préemption légal par le Fonds du Logement aux prix et conditions tels que mentionnés dans le dossier de notification et correspondant en fait, aux prix et conditions exigés par les vendeurs, à savoir en l’espèce les consorts …, a opéré, en vertu de l’article 1583 du Code civil, précité, selon lequel une vente est parfaite et la propriété acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur dès qu’il y a accord sur la chose et le prix, transfert de propriété de plein droit au profit du Fonds du Logement. Si, par la suite, la vente doit encore être formalisée par acte authentique devant notaire, elle était parfaite du moment que le pouvoir préemptant a exercé son droit, qui s’est matérialisé par la décision de son conseil d’administration du 25 janvier 2018, portée à la connaissance du notaire le 19 février 2018.

Dès lors, au regard des termes de l’article 1583 du Code civil, et des mécanismes prévus par la loi du 22 octobre 2008, c’est à tort que les parties demanderesses voient dans la décision du Fond du Logement du 25 janvier 2018 d’exercer le droit de préemption un acte détachable de la conclusion de la vente, l’exercice du droit de préemption devant, en effet, être considéré comme mode d’acquisition d’un bien immobilier par priorité d’une personne publique ou encore comme la substitution d’une personne publique lors de la cession d’un bien immobilier.

L’invocation par les parties demanderesses de l’existence d’une décision administrative distincte, susceptible de recours, à l’instar des solutions dégagées sous l’égide de la législation en matière de marchés publics, n’est pas de nature à infirmer cette conclusion. S’il est vrai que la décision administrative susceptible de recours en matière de marchés publics est distincte et dissociable de celle emportant conclusion ultérieure du contrat avec le soumissionnaire retenu, puisque la décision administrative en question a pour premier objet de retenir un soumissionnaire déterminé - le futur contractant - au détriment d’autres concurrents, admis à contester cette décision devant les juridictions administratives, la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics, contrairement à la loi du 22 octobre 2008, prévoyant d’ailleurs explicitement une distinction, tant matérielle que temporelle, entre la décision d’attribution d’un marché et la conclusion du contrat, tel n’est pas le cas en la présente matière dans laquelle le fait pour le pouvoir préemptant d’exercer son droit emporte conclusion du contrat en application de l’article 1583 du Code civil.

10 Il est encore certes vrai que la jurisprudence, notamment française, admet la compétence du juge administratif pour connaître de la décision de préemption, mais ce dans le cadre de dispositions légales différentes de celles de la législation luxembourgeoise, dans la mesure où la législation française ne prévoit pas nécessairement une identité entre la décision de préemption et la conclusion de la vente, puisque l’entité bénéficiaire du droit de préemption peut en France soit accepter les conditions demandées, auquel cas la vente est considérée comme passée puisqu’il y a accord sur la chose et le prix, soit renégocier le prix et les conditions de vente, hypothèse dans laquelle il n’y aurait pas immédiatement vente. Dans la mesure où la loi du 22 octobre 2008 prévoit en son article 10 que le prix et les conditions de la vente sont nécessairement ceux figurant dans le dossier de notification, les demandeurs argumentent à tort que la décision de préempter serait distincte, sinon détachable de la conclusion du contrat au sens de l’article 1583 du Code civil. S’y ajoute que, tel que cela est relevé à juste titre par le Fonds du Logement, les juridictions administrative en droit luxembourgeois ne sont pas le juge ordinaire du contentieux administratif, mais ne connaissent que des contestations leur attribuées par la loi, tel que cela a été retenu ci-avant, contestations parmi lesquelles ne figurent pas les droits civils, alors que l’exercice d’un droit de préemption, emportant en application de l’article 1583 du Code civil, conclusion du contrat de vente, doit être considéré comme une contestation sur un droit civil, les parties demanderesses mettant plus particulièrement en question les conditions d’exercice du droit de préemption, partant les conditions de formation du contrat de vente.

Si les parties demanderesses affirment que le fait de retenir l’absence de toute décision administrative susceptible d’un recours devant les juridictions administratives, respectivement de considérer que la décision administrative de préemption ne serait pas détachable de la conclusion du contrat de vente, équivaudrait à fermer le prétoire à tous les acquéreurs évincés, voire aux vendeurs confrontés à un droit de préemption exercé en contravention, de leur droit subjectif de voir respecter par l’administration les procédures légales de préemption, le tribunal relève que ceux-ci ne sont pas privés de recours, dans la mesure où un recours reste ouvert devant les juridictions judiciaires.

Le tribunal est dès lors amené à se déclarer incompétent ratione materiae pour connaître du recours dirigé contre la décision déférée, celle-ci n’étant pas constitutive d’une décision administrative susceptible d’un recours contentieux devant les juridictions administratives.

Eu égard à l’issue du litige, la demande en paiement d’une indemnité de procédure telle que formulée par les parties demanderesses sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 d’un montant de 5.000 euros est rejetée.

La demande du Fonds du Logement en paiement d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 euros sur le même fondement est encore rejetée en ce qu’il n’est pas justifié à suffisance en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais non compris dans les dépens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent ratione materiae pour connaître du présent recours ;

11 rejette les demandes respectives en paiement d’indemnités de procédure formulées par les parties demanderesses et par le Fonds du Logement ;

condamne les parties demanderesses aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 juin 2019 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

s. Arny Schmit s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juin 2019 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 40914
Date de la décision : 03/06/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-06-03;40914 ?

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