Tribunal administratif N° 43000 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mai 2019 3e chambre Audience publique du 29 mai 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 43000 du rôle et déposée le 22 mai 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, retenu actuellement au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 mai 2019 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mai 2019 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Sanae IGRI déposé en date du 27 mai 2019 au greffe du tribunal administratif au nom et pour le compte de Monsieur … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2019 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sanae IGRI et Madame le délégué du gouvernement Christiane MARTIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.
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Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, commissariat Luxembourg Gare, n°… du 20 décembre 2018, que Monsieur … ayant déclaré à ce moment-là se nommer Monsieur …alias Monsieur …, fit l’objet le jour même d’un contrôle d’identité lors duquel il s’avéra qu’il était démuni de tout document d’identité et de voyage valables.
Par décision du 21 décembre 2018, notifiée à Monsieur … le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », constata que son séjour au Grand-Duché de Luxembourg était irrégulier et lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, le Maroc respectivement l’Algérie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner, le ministre ayant encore assorti cette même décision de retour d’une interdiction de territoire pour une durée de trois 1ans.
En date du même jour, le ministre prit encore un arrêté de placement en rétention à l’égard de Monsieur …. Cet arrêté, qui fut notifié à la même date, est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le procès-verbal du 20 décembre 2018 établi par la Police grand-ducale, Commissariat Luxembourg - Gare ;
Vu ma décision de retour du 21 décembre 2018 ;
Attendu que l'intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».
Par arrêté du 18 janvier 2019, notifié en mains propres à l’intéressé le 21 janvier 2019, le ministre ordonna la prorogation du placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une nouvelle durée d’un mois à partir de sa notification. Le recours introduit devant le tribunal administratif, inscrit sous le n° 42381 du rôle, contre ledit arrêté du 18 janvier 2019 fit l’objet d’un désistement d’instance en date du 25 février 2019.
Par arrêté du 15 février 2019, notifié en mains propres à l’intéressé le 21 février 2019, le ministre ordonna la prorogation du placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une nouvelle durée d’un mois à partir de sa notification. Le recours contentieux introduit contre ledit arrêté de prorogation du placement en rétention en date du 5 mars 2019 fut déclaré fondé par le tribunal de céans par jugement du 15 mars 2019, n°42454 du rôle, jugement non frappé d’appel et dans lequel le tribunal a ordonné l’assignation à résidence de Monsieur … « au domicile des consorts … sis à … jusqu’à l’exécution de la mesure d’éloignement à condition de se présenter régulièrement à intervalles à fixer par le ministre auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui après avoir remis l’original de son passeport en échange d’un récépissé valant justification de son identité ».
Par décisions successives du 20 mars et 17 avril 2019, notifiées respectivement en date des 21 mars et 19 avril 2019, le ministre prorogea, à chaque fois pour une durée d’un mois, le placement en rétention de Monsieur ….
Par un arrêté du 15 mai 2019, notifié le 17 mai 2019, le ministre prorogea, à nouveau, le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois, sur base des considérations suivantes :
« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
2 Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mes arrêtés des 21 décembre 2018, 18 janvier 2019, 15 février 2019, 20 mars 2019 et 17 avril 2019, notifiés le 21 décembre 2018, le 21 janvier 2019, le 21 février 2019, le 21 mars 2019 et le 19 avril 2019, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 21 décembre 2018 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l’éloignement de l’intéressé ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que l’éloignement de l’intéressé est prévu pour le 28 mai 2019 ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».
Par requête déposée le 22 mai 2019 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée prorogeant son placement au Centre de rétention du 15 mai 2019.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation.
Le recours principal en réformation ayant, par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Il n’y a par conséquent pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et après avoir rappelé les faits et rétroactes à la base de l’arrêté ministériel litigieux, le demandeur met en exergue que l’arrêté de prorogation de son placement en rétention du 15 février 2019 aurait été réformé par le tribunal administratif par jugement du 25 mars 2019. Dans le prédit jugement, le tribunal aurait prononcé une assignation à domicile à son égard tout en retenant qu’il devrait se présenter à intervalles à fixer par le ministre auprès des services de celui-ci après avoir remis l’original de son passeport aux autorités compétentes. Dans la mesure où il n’aurait toutefois pas été en possession de son passeport, les services consulaires du Maroc à Liège se seraient rendues au Centre de rétention afin de prendre ses empreintes et sa photo en vue d’émettre un nouveau passeport à son égard.
Il fait ensuite valoir qu’il se serait trouvé « arbitrairement retenu » au Centre de rétention entre le 15 mars 2019 et le 20 mars 2019, alors que l’arrêté de prorogation du placement en rétention du 15 février 2019 qui aurait été valable jusqu’au 15 mars 2019, n’aurait été prorogé qu’en date du 20 mars 2019, le demandeur soulignant que seule une décision de placement en rétention encore en vigueur pourrait faire l’objet d’une prorogation.
Il en conclut que l’arrêté ministériel sous analyse devrait encourir la réformation alors qu’il 3serait basé sur l’arrêté de prorogation du placement en rétention du 20 mars 2019, lequel serait « nul et de nul effet ».
Le demandeur fait ensuite plaider que les conditions pour prolonger son placement en rétention à une cinquième reprise, à savoir un manque de collaboration de sa part ou des retards éventuels subis pour obtenir de pays tiers, en l’occurrence le Maroc, les documents nécessaires pour procéder à son éloignement, ne seraient pas remplies en l’espèce, le demandeur contestant encore à cet égard que le ministre ait effectué toutes les démarches nécessaires auprès du consulat du Royaume du Maroc pour procéder à son éloignement dans les meilleurs délais.
Monsieur … affirme par ailleurs qu’il résulterait du jugement prémentionné du tribunal administratif du 15 mars 2019 qu’il présenterait suffisamment de garanties de représentation effectives au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 pour permettre au ministre de prononcer une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention à son égard, le demandeur estimant en effet que compte tenu du fait que sa sœur et son beau-frère résideraient au Luxembourg, une assignation à domicile s’imposerait dans son chef.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur, en se basant toujours sur le jugement du tribunal administratif du 15 mars 2019, n°42454 du rôle et sur l’autorité de chose jugée qui s’y attacherait, insiste sur l’absence de risque de fuite dans son chef. Il donne encore à considérer qu’il disposerait d’une nouvelle attestation d’hébergement établie par sa sœur et son beau-frère, lequel aurait la nationalité luxembourgeoise, de sorte que le ministre aurait valablement pu l’assigner à résidence au domicile de ces derniers, le demandeur estimant encore avoir des attaches particulières au Luxembourg du fait de la présence de sa sœur sur le territoire luxembourgeois.
En se basant ensuite sur l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur fait encore plaider que la mesure moins coercitive retenue par le tribunal dans son jugement du 15 mars 2019, n’aurait pu être révoquée que si les conditions y relatives n’auraient pas été respectées ou s’il existait un risque de fuite dans son chef, ce qui ne serait toutefois pas le cas en l’espèce, le demandeur soulignant encore que la partie étatique ne rapporterait aucune preuve en ce sens. Il ajoute qu’il aurait sollicité l’émission d’un nouveau passeport dans le but de se conformer au jugement prémentionné, passeport qui se trouverait actuellement entre les mains de sa sœur. Dans la mesure où la seule condition à sa mise en liberté immédiate serait la remise de l’original de son passeport aux autorités compétentes, le jugement du 15 mars 2019 pourrait être désormais exécuté, de sorte que toutes les mesures de prorogation ultérieures seraient à annuler.
Le demandeur insiste ensuite sur l’impossibilité pour le ministre de proroger une mesure de placement en rétention réformée en faisant valoir que la réformation prononcée par le tribunal devrait avoir pour conséquence « la prise d’une nouvelle décision administrative conforme aux exigences posées par le juge de réformation », ce qui n’aurait toutefois pas été le cas en l’espèce. En concluant à une erreur de droit dans le chef du ministre, le demandeur estime qu’il y aurait lieu de prononcer l’« annulation pure et simple » de la décision attaquée et d’« ordonner sa remise en liberté immédiate ».
Le délégué du gouvernement, quant à lui, estime que la décision déférée serait fondée en fait et en droit, de sorte qu’il y aurait lieu de rejeter le recours sous analyse.
4 En ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée, et plus particulièrement les développements du demandeur selon lesquels la décision de prorogation de son placement en rétention sous analyse serait illégale pour se baser sur une prorogation antérieure qui aurait, quant à elle, été arbitraire dans la mesure où elle aurait été décidée après l’expiration de la décision de prorogation la précédant, il convient de souligner, à l’instar de la partie étatique, que l’arrêté de placement en rétention datant du 15 février 2019 a pris effet, non pas à partir du moment où il a été adopté, mais à partir de sa notification, à savoir le 21 février 2019, de sorte à avoir expiré un mois plus tard, en l’occurrence en date du 21 mars 2019.
Etant donné que l’arrêté ministériel de placement en rétention subséquent datant quant à lui du 20 mars 2019, a été notifié au demandeur en date du 21 mars 2019, c’est-à-dire le jour-
même où l’arrêté ministériel de placement en rétention antérieur a expiré, Monsieur … ne se trouvait à aucun moment placé en rétention de façon arbitraire et ses développements consistant à affirmer que l’arrêté ministériel sous analyse devrait encourir la réformation pour baser sur l’arrêté de prorogation du placement en rétention du 20 mars 2019, lequel serait « nul et de nul effet » sont à rejeter pour ne pas être fondés.
En ce qui concerne les affirmations du demandeur selon lesquelles l’arrêté ministériel sous analyse devrait encourir l’« annulation pure et simple » et qu’il y aurait dès lors lieu d’« ordonner sa remise en liberté immédiate », alors que le ministre aurait omis de prendre une nouvelle décision après le jugement du tribunal de céans du 15 mars 2019, plusieurs précisions s’imposent. De prime abord, et à supposer que le demandeur, à travers ce moyen, entende voir annuler l’arrêté ministériel litigieux dans le cadre de la réformation qui est prévue par la loi en la présente matière, il ne saurait, en même temps, conclure à sa remise en liberté immédiate, alors que l’annulation éventuelle de l’arrêté ministériel sous analyse pourra tout au plus amener le tribunal à renvoyer l’affaire devant le ministre qui sera, quant à lui, tenu de prendre une nouvelle décision en lieu et place de la décision de prorogation sous analyse, le tribunal ne pouvant dans ce cas ordonner la mise en liberté du demandeur. En tout état de cause, l’ensemble de ces développements manquent de fondement, alors que contrairement aux affirmations du demandeur, le ministre n’était pas tenu de prendre une nouvelle décision après le jugement prémentionné du tribunal de céans du 15 mars 2019, puisqu’en réformant une décision administrative, le juge administratif statue à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée.
Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme1, le renvoi devant l’autorité administrative s’imposant dans ce cas uniquement pour exécution et non pas pour prise d’une nouvelle décision. Au vu des considérations qui précèdent, le moyen tendant à l’annulation pure et simple de la décision litigieuse au motif que le ministre n’aurait pas pris de nouvelle décision après le jugement du tribunal administratif du 15 mars 2019 est à rejeter pour ne pas être fondé.
Ensuite et en ce qui concerne la légalité interne de la décision ministérielle litigieuse, il y a lieu de rappeler qu’en vertu de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 :
« Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 ou d’une demande de transit par voie aérienne en vertu de l’article 127 ou lorsque le maintien en zone d’attente dépasse la durée de quarante-huit heures prévue à l’article 119, l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe 1 Voir en ce sens Cour adm. 6 mai 2008, n°23341C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en réformation, n°12, et les autres références y citées.
5(1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] » et de l’article 120 (3) de la même loi : « […] La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire […] ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
Une mesure de placement peut en effet être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Elle peut encore être prolongée à deux reprises, chaque fois pour un mois, s’il s’avère que, malgré efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires.
Une décision de prorogation est partant soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ». Dans l’hypothèse d’une cinquième prorogation, tel que c’est le cas en l’espèce, il est en outre requis que le ministre soit confronté à un manque de coopération de l’étranger ou à des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires.
Le tribunal relève qu’il est constant en cause que le demandeur est en situation irrégulière au Luxembourg, de sorte que l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite est présumé, en vertu de l’article 111, paragraphe (3) c), point 6. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite est présumé (…) si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] ».
6Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.
En ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle les conditions d’une cinquième prorogation ne seraient pas remplies dans son chef, le tribunal constate, contrairement aux allégations du demandeur, que celui-ci a fait preuve d’un défaut de collaboration manifeste en l’espèce. En effet, il résulte tant du dossier administratif que des développements circonstanciés et non contestés de la partie étatique, que l’éloignement du demandeur a été prévu à plusieurs reprises, lesdites tentatives d’éloignement ayant toutefois dû être annulées alors que les autorités marocaines ont hésité à chaque fois de délivrer un laissez-passer en faveur du demandeur et ce, notamment suite à l’intervention de son litismandataire, tel que cela ressort des courriers des autorités consulaires marocaines des 26 avril et 22 mai 2019. Force est dès lors de constater qu’en l’espèce, les retards subis pour obtenir les documents nécessaires s’expliquent en grande partie par les interventions successives du litismandataire du demandeur auprès des autorités consulaires marocaines, et que le demandeur, en essayant d’empêcher ainsi son éloignement, fait preuve d’un manque de collaboration évident.
En ce qui concerne les contestations du demandeur quant à l’efficacité des démarches entreprises par le ministre pour procéder à son éloignement dans les meilleurs délais, il convient de relever qu’il ressort tant des explications circonstanciées de la partie étatique que des pièces figurant au dossier administratif que le jour-même du placement en rétention du demandeur, l’agent compétent de la direction de l'Immigration adressa un courrier au Consulat général du Maroc situé à Liège en vue de l'identification du requérant tout en joignant un jeu d'empreintes digitales et deux photos d'identité. Suivant note au dossier, le 16 janvier 2019 l'agent de la direction de l'Immigration rencontra l'agent du Consulat général du Maroc afin de discuter de l'avancement du dossier. Il fut informé à ce moment que la demande était toujours en cours d'instruction. Le 18 janvier 2019, l’agent compétent de la direction de l'Immigration adressa encore un courrier au Consulat de la République Algérienne démocratique et populaire situé à Bruxelles en vue de l'identification du demandeur tout en y joignant un jeu d'empreintes digitales et quatre photos d'identité et par courrier du 30 janvier 2019, le même agent relança par ailleurs l'autorité consulaire marocaine. Par courrier électronique du 8 février 2019, les autorités luxembourgeoises compétentes relancèrent l'autorité consulaire algérienne et le 12 février 2019 l'agent du Consulat général d'Algérie en charge du dossier informa le ministère que le dossier était toujours en cours d'instruction. Par courrier du 13 février 2019, l'agent en charge du dossier auprès de la direction de l'Immigration relança une nouvelle fois l'autorité consulaire marocaine. Le 21 février 2019 le Consulat général du Maroc informa le ministre que le demandeur avait été formellement identifié comme étant un ressortissant marocain sous l'identité de M. …, né … à … et que les services du consulat étaient disposés à délivrer un laisser-passer en son nom si toutes les conditions nécessaires étaient remplies. Par la suite, en date du 22 février 2019, le ministre demanda au service de Police Judiciaire, section des étrangers et des jeux, d'organiser le départ du requérant. Le 25 février 2019 le ministre sollicita la délivrance d'un billet d'avion simple du Luxembourg vers le Maroc, ainsi que des billets aller-retour pour l'escorte. Il ressort encore du dossier administratif que le 14 mars 2019, la Police Grand-Ducale informa un agent du ministère en charge du dossier que l'éloignement du demandeur était prévu pour le 16 avril 2019. Le 26 mars 2019, le ministre s'est adressé à une agence de voyage en vue de la délivrance d'un billet simple Luxembourg -
Maroc à l'intéressé et des billets aller-retour à l'escorte. Le même jour, la Police Grand-
7Ducale informa un agent du ministère en charge du dossier que l'éloignement du demandeur était prévu pour le 23 avril 2019. Le service de Police Judiciaire communiqua en date du 10 avril 2019 un plan de vol, selon lequel l'éloignement de Monsieur … était finalement planifié pour le 30 avril 2019. Toujours en date du 10 avril 2019, les autorités luxembourgeoises ont demandé auprès du consulat du Maroc la délivrance d'un laisser-passer en faveur du demandeur. En date des 9 et 23 avril 2019, le ministre contacta une agence de voyage, en vue de l'émission d'un billet d'avion simple Luxembourg - Maroc à l'intéressé et des billets aller-
retour à l'escorte. Par courrier du 26 avril 2019, le Consulat du Maroc informa les autorités luxembourgeoises compétentes que les autorités marocaines auraient été averties du fait que le litismandataire du demandeur aurait introduit une demande de délivrance d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au nom et pour le compte du demandeur. Le même jour, les autorités luxembourgeoises rétorquèrent ne jamais avoir reçu une telle demande. Toujours le même jour, la prédite demande de délivrance d'une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité est entrée au ministère, demande qui a été déclarée non fondée par décision du ministre du 29 avril 2019. Le 6 mai 2019 le ministre demanda au service de Police Judiciaire, section des étrangers et des jeux, de réorganiser le départ sous escorte du requérant. A la même date, le ministre contacta une nouvelle fois l'agence de voyage, en vue de l'émission d'un billet d'avion simple Luxembourg - Maroc à l'intéressé et des billets aller-retour à l'escorte. Le service de Police Judiciaire communiqua en date du 8 mai 2019 un plan de vol, selon lequel l'éloignement du demandeur était prévu pour le 28 mai 2019. Par courrier du 22 mai 2019 le Consulat du Maroc informa le ministre que les autorités marocaines auraient été averties du fait que le litismandataire du requérant aurait introduit deux recours contentieux. Les autorités consulaires ont demandé de confirmer la véracité de ces éléments. En date du 23 mai 2019 le ministre informa le Consulat du Maroc que les recours introduits par le requérant ne concernaient pas son éloignement et confirma sa demande d'émettre un laisser-passer au nom du requérant, demande à laquelle il ne fut toutefois pas donné de suites.
Le tribunal est dès lors amené à constater que les démarches entreprises par le ministre en vue de l’organisation du rapatriement du demandeur sont suffisantes et que le fait que l’éloignement du demandeur n’a pas encore pu être mené à bien est dû au manque de collaboration de ce dernier, se traduisant par les interventions de son litismandataire auprès des autorités consulaires marocaines en vue d’empêcher la délivrance du laisser-passer requis, interventions qui ressortent sans équivoque des pièces versées en cause. Dans la mesure où c’est le demandeur-même, respectivement son mandataire qui a empêché l’aboutissement de la procédure d’éloignement, celui-ci est particulièrement malvenu d’affirmer que son éloignement ne peut être mené à bien en raison d’un prétendu manque de diligences de la part du ministre. Le moyen relatif à une prétendue absence de diligences du ministre en vue d’organiser l’éloignement rapide du demandeur n’est dès lors pas fondé.
Finalement, en ce qui concerne la demande de Monsieur … de bénéficier d’une des mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement d’une assignation à résidence au domicile de sa sœur et de son beau-
frère, il y a lieu de rappeler que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3), de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un 8risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes. 2 Pour justifier un défaut de risque de fuite dans son chef, le demandeur se prévaut du jugement prémentionné du tribunal de céans du 15 mars 2019, lequel aurait retenu un tel défaut de risque de fuite, jugement qui bénéficierait de l’autorité de la chose jugée. Cette argumentation est toutefois à rejeter dans la mesure où l’autorité de la chose jugée ne se conçoit que par rapport à une décision administrative déterminée et non pas par rapport à une décision administrative ultérieure ayant été prise dans un contexte certes similaire, mais non identique, l’article 1351 du Code civil disposant en effet que : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». Il convient par ailleurs de relever que le tribunal administratif, dans son prédit jugement du 15 mars 2019, avait expressément soumis l’assignation à résidence du demandeur à la condition qu’il remette l’original de son passeport au ministre, ce qu’il n’avait toutefois pas fait, de sorte qu’in fine, le risque de fuite n’avait en tout état de cause pas été renversé dans son chef.
Force est toutefois de constater qu’à l’audience publique de ce jour, le délégué du gouvernement s’est vu remettre l’original du passeport de Monsieur … par le litismandataire du demandeur et s’est expressément déclaré d’accord avec une assignation à résidence du demandeur au domicile de la sœur et du beau-frère de celui-ci.
Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce et plus précisément de l’accord express de la partie étatique quant à une assignation à résidence, de la remise de l’original du passeport au délégué du gouvernement et de l’engagement de la famille du demandeur à l’héberger jusqu’à son éloignement, une assignation à résidence, telle que prévue au point b) de l’article 125, paragraphe (1), combinée à l’obligation de se présenter régulièrement à intervalles à fixer par le ministre auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui doivent être considérés comme adéquats et efficaces pour fournir en l’espèce des garanties suffisantes en vue du rapatriement du demandeur.
Au vu de cette conclusion, il y a lieu de réformer l’arrêté ministériel du 15 mai 2019 en ce sens que le demandeur est à libérer du Centre de rétention et à assigner à résidence au domicile des consorts … sis à …, jusqu’à l’exécution de la mesure d’éloignement et doit se présenter régulièrement à intervalles à fixer par le ministre auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui.
Finalement, il y a lieu de rejeter la demande en allocation d’une indemnité de procédure de … euros telle que formulée par le demandeur, alors que contrairement aux affirmations de celui-ci aucun mépris de la part de l’Etat des règles de procédure administratives n’a pu être constaté en l’espèce et qu’il ne justifie pour le surplus ni la nature ni les motifs de sa demande d’allocation d’une telle indemnité de procédure, étant rappelé qu’une demande d'allocation d'une indemnité de procédure qui omet de spécifier concrètement la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qui ne précise pas concrètement en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la 2 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Etrangers, n° 876 et les autres références y citées.
9partie gagnante est à rejeter, la simple référence à l'article de loi applicable n’étant pas suffisante à cet égard3.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le dit justifié ;
par réformation, ordonne l’assignation à résidence de Monsieur … au domicile des consorts … sis à … jusqu’à l’exécution de la mesure d’éloignement à condition de se présenter régulièrement à intervalles à fixer par le ministre auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui ;
renvoie le dossier pour exécution au ministre de l’Immigration et de l’Asile ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 mai 2019 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Anne Gosset, premier juge, Hélène Steichen, juge, en présence du greffier Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 mai 2019 Le greffier du tribunal administratif 3 voir Cour adm. 1er juillet 1997, n° 9891C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, Frais, n°1069 et les autres références y citées.