Tribunal administratif N° 42572 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mars 2019 4e chambre Audience publique du 28 mai 2019 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.15)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42572 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2019 par Maître Aurore Gigot, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Gambie), de nationalité gambienne, assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, erronément attribuée au ministre des Affaires étrangères et européennes, du 15 mars 2019 par laquelle il a été décidé de le transférer vers l’Italie, comme étant l’Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 5 avril 2019, inscrite sous le numéro 42573 du rôle, par laquelle a été rejetée une demande en obtention d’un sursis à exécution introduite par rapport à la décision ministérielle précitée du 15 mars 2019 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2019 ;
Vu le courrier de Maître Aurore Gigot envoyé par télécopie au greffe du tribunal administratif en date du 14 mai 2019, par lequel elle a déclaré avoir déposé son mandat en l’absence de nouvelles de son mandant ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport.
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Le 6 février 2019, Monsieur …, de nationalité gambienne, introduisit auprès des autorités luxembourgeoises une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section de la criminalité organisée et de la police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion qu’il avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 9 novembre 2016.
En date du même 6 février 2019, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », notifia le même jour encore à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.
En date du 8 février 2019, le ministre sollicita auprès des autorités italiennes la reprise en charge de Monsieur … en exécution de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.
Par courrier du 5 mars 2019, les autorités luxembourgeoises informèrent les autorités italiennes qu’elles considèrent l’Italie comme ayant tacitement accepté la reprise en charge de Monsieur … en date du 23 février 2019 en exécution de l’article 25, paragraphe (2), du règlement Dublin III.
Par courrier en retour du 7 mars 2019, les autorités italiennes acceptèrent explicitement la reprise en charge de l’intéressé en exécution de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.
Par décision du 15 mars 2019, notifiée par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre informa Monsieur … de sa décision de le transférer vers l’Italie sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 25, paragraphe (2), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« J’accuse réception de votre demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée en date du 6 février 2019.
En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 25§2 du règlement (UE) 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.
Selon vos déclarations vous auriez quitté votre pays d’origine en 2016. Vous seriez arrivé sur le territoire de l’Union Européenne après avoir pris le bateau en Libye pour vous rendre en Italie. Vous auriez séjourné en Italie pendant plus de deux ans et vous y avez introduit une demande de protection internationale. Après le rejet de celle-ci, vous seriez venu au Luxembourg après le passage de la France.
Il résulte par ailleurs des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment dans la base de données EURODAC, que vous avez précédemment introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 9 novembre 2016.
Sur base des informations à disposition, le Grand-Duché de Luxembourg a adressé une demande de reprise en charge aux autorités italiennes qui ont tacitement accepté en date du 23 février 2019 de vous reprendre en charge en vertu de l’article 25§2 du règlement UE Nr 604/2013 susmentionné.
Lors de votre audition en date du 6 février 2019, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Italie qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9,10 et 11 du règlement UE Nr 604/2013 ;
Vous n’avez par ailleurs pas fait valoir des raisons particulières ou humanitaires qui auraient dû amener l’Etat luxembourgeois à faire application de l’article 17(1) du règlement UE Nr 604/2013.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées ; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 mars 2019, inscrite sous le numéro 42572 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 15 mars 2019.
Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif en date du même jour, inscrite sous le numéro 42573, Monsieur … a encore fait introduire une demande tendant à voir ordonner une mesure provisoire par rapport à la décision ministérielle précitée du 15 mars 2019, demande qui a été rejetée par une ordonnance présidentielle du 5 avril 2019.
Par télécopie du 14 mai 2019, Maître Aurore Gigot a informé le tribunal du dépôt de son mandat dans l’affaire introduite par ses soins en raison du fait qu’elle serait sans nouvelles de la part de son mandant.
Par courrier recommandé avec accusé de réception envoyé le 15 mai 2019, Monsieur … a été informé par les soins du greffe du tribunal administratif avec copie au délégué du gouvernement, que son avocat avait déposé son mandat et qu’il était en conséquence invité à confier la défense de ses intérêts à un autre avocat à la Cour. Par le même courrier, il a encore été informé que l’affaire paraîtrait à l’audience publique du 24 mai 2019 pour plaidoiries et qu’à défaut d’instructions de sa part, son recours risquerait d’être rejeté pour défaut d’intérêt à agir. Monsieur … a été avisé de ce courrier en date du 16 mai 2019 à l’adresse renseignée par lui dans la requête introductive d’instance, et il se dégage du document « Track and Trace » de l’entreprise des Postes que l’intéressé était absent, au moment de la remise du courrier.
A l’audience publique des plaidoiries, et en l’absence des représentants des deux parties à l’instance, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir, respectivement de son maintien conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, l’intérêt à agir conditionnant la recevabilité d’une demande s’analysant en effet en question d’ordre public1.
Le tribunal relève que, si stricto sensu l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que le maintien d’un intérêt à agir, ou plus précisément d’un intérêt à poursuivre une action doit être vérifié au jour du jugement2 sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, les juridictions administratives n’ayant pas été instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations3, ainsi que sous peine, le cas échéant, outre d’encombrer le rôle des juridictions administratives, d’entraver la bonne marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de se justifier inutilement devant les juridictions administratives et en exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier.
Or, la première personne à déterminer s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite, est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande : non seulement, il estime qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés, mais il considère que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès.
Si cette volonté vient à disparaître en cours de procès, il n’est potentiellement plus satisfait à la condition qui doit être remplie en tout premier lieu pour que l’on puisse admettre que la partie litigante conserve effectivement un intérêt concret et personnel à faire statuer sur la demande qu’elle a introduite. Cette première condition n’étant plus remplie, il y a lieu d’en conclure que le recours n’est plus recevable en raison de la disparition de l’intérêt requis en droit.
Or, le défaut de volonté de maintenir une demande peut résulter de la persistance avec laquelle le justiciable s’abstient de toute marque d’intérêt pour le déroulement du procès qu’il a engagé4. Cette absence de toute marque d’intérêt constitue dès lors un motif suffisant pour décider que l’intérêt requis en droit pour obtenir une décision sur la demande n’existe plus et qu’à défaut de cet intérêt, le recours doit être rejeté comme n’étant plus recevable.
En l’espèce, force est tout d’abord de rappeler que le litismandataire ayant introduit le recours sous analyse au nom et pour le compte de Monsieur … et en l’étude duquel il avait élu domicile pour les besoins de la présente procédure, a informé le tribunal en date du 14 mai 1 Cour adm. 29 mai 2008, n° 23728C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 5 et les autres références y citées.
2 Michel Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, p. 494.
3 trib. adm., 14 janvier 2009, n° 22029 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 55 et les autres références y citées.
4 Voir notamment Conseil d’Etat belge, 6 avril 1982, n° 22183.
2019 qu’il a déposé son mandat dans cette affaire, alors qu’il était sans nouvelles de la part de son mandant. A cela s’ajoute que le courrier recommandé envoyé le 14 mai 2019 à l’adresse à laquelle Monsieur … était hébergé, a été avisé le 16 mai 2019, avec la mention qu’il était absent.
De ce qui précède, il y a lieu de conclure que le comportement du demandeur consistant à ne pas donner suite au dépôt de mandat de son litismandataire et à ne pas indiquer son adresse exacte ni à ce dernier ni au tribunal, à ne pas se présenter ou se faire représenter à plusieurs audiences est à interpréter en ce sens qu’il n’a pas témoigné le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de l’instance qu’il a mue par sa requête introduite en date du 29 mars 2019.
Il convient dès lors de déclarer son recours irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.
Dans la mesure où le dernier avocat constitué a, en l’espèce, déposé son mandat après que la requête introductive d’instance ait été introduite pour compte du destinataire de l’acte administratif attaqué, le présent jugement est néanmoins rendu contradictoirement entre parties5.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare le recours irrecevable, partant le rejette ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 28 mai 2019 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken s. Carlo Schocksweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 mai 2019 Le greffier du tribunal administratif 5 En ce sens : Trib. adm. 24 janvier 2000, n° 11558 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 839.