Tribunal administratif N° 41275 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juin 2018 4e chambre Audience publique du 21 mai 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 41275 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 juin 2018 par Maître David Grober, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Congo), de nationalité congolaise, déclarant demeurer à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 mai 2018 portant refus d’une autorisation de séjour en vue de l’exercice d’une activité salariée et portant ordre de quitter le territoire dans un délai de 30 jours ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 septembre 2018 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2018 par Maître David Grober au nom de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître David Grober et Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en leurs plaidoiries respectives.
En date du 12 juin 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommé ci-après la « loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », demande qui fut rejetée par une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-
après désigné par « le ministre », du 17 janvier 2017, décision portant également ordre de quitter le territoire.
Le recours contentieux dirigé contre cette décision fut définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 27 mars 2018, inscrit sous le numéro 40738C du rôle, confirmant un jugement du tribunal administratif rendu le 9 janvier 2018, inscrit sous le numéro 39119 du rôle.
Le 5 avril 2018, Monsieur … introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour en vue de l’exercice d’une activité salariée sur base d’un contrat d’apprentissage signéle 23 octobre 2017 avec la société anonyme … SA.
Par une décision du ministre du 14 mai 2018, adressée à son litismandataire, Monsieur … se vit refuser une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié sur base des considérations suivantes :
« (…) J’accuse réception de votre demande en obtention d'une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié dans le chef de Monsieur ….
Je vous signale que conformément à l’article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, la demande en obtention d’une autorisation de séjour doit être introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire.
Or, vu que votre mandant a souscrit une demande de protection internationale le 12/06/2015, je constate qu'il est entré au Luxembourg au plus tard le 12/06/2015, sans préjudice quant à une date exacte de sorte que les conditions de l’article 34, paragraphe 2 point 5 de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sont plus remplies dans son chef et que son séjour est partant irrégulier au sens de l’article 100, paragraphe (1), point a), b) et c).
De ce fait, votre demande est irrecevable.
En application de l’article 111, paragraphe (2) de la loi précitée, votre mandant sera le cas échéant obligé de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination du pays dont il a la nationalité, la République démocratique du Congo, soit à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.
A défaut de quitter le territoire volontairement, l’ordre de quitter le territoire sera exécuté d'office et votre mandant sera éloigné par la contrainte (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2018, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 14 mai 2018 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour en vue de l’exercice d’une activité salariée.
Aucune disposition de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, dénommée ci-après « la loi du 29 août 2008 », ne prévoyant de recours au fond en cette matière et étant donné que l’article 113 par renvoi à l’article 109 de la même loi prévoit un recours en annulation contre les décisions de refus de séjour et d’ordre de quitter le territoire, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision litigieuse.
Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui du recours et en fait, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée tels que repris ci-dessus, tout en mettant en avant la circonstance suivant laquelle son père aurait travaillé auprès du ministère congolais des Titres Fonciers et aurait été un des conseillers de l’ancien Président congolais, Monsieur Mobutu. Depuis l’ascension au pouvoir de Laurent Kabila et la mort de son père en 1997, il explique que sa famille aurait étérégulièrement harcelée et menacée par les autorités congolaises. Il relate qu’en 2013, les attaques se seraient aggravées à son encontre et à l’encontre de sa famille, de sorte qu’il aurait été contraint de quitter le Congo pour ne plus s’y sentir en sécurité.
En droit, le demandeur conclut d’abord à la recevabilité du présent recours avant de faire plaider, en ce qui concerne le refus de sa demande d'autorisation de séjour au titre de travailleur salarié sur base de l'article 39 de la loi du 29 août 2008, que la décision ministérielle du 14 mai 2018 ne serait pas justifiée. S’il admet qu’une demande en obtention d’une autorisation de séjour serait certes à introduire avant l’entrée sur le territoire par un ressortissant d’un pays tiers, le demandeur affirme toutefois qu’il n’aurait eu aucune possibilité de respecter cette condition alors qu’il serait venu au Grand-Duché de Luxembourg pour y déposer une demande d’asile. Il donne à considérer qu’il serait dès lors entré légalement sur le territoire luxembourgeois en tant que demandeur d’asile et y aurait, par la suite, trouvé un travail. Dans la mesure où il aurait quitté son pays d’origine pour vivre en sécurité, à l’abri des menaces et harcèlements exercés par les autorités publiques congolaises et non dans le but de trouver un travail, il n’aurait eu aucune possibilité de respecter la condition lui imposant une autorisation de séjour avant son entrée sur le territoire luxembourgeois.
Le demandeur relève que la décision déférée serait contraire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, désignée ci-après par « la CEDH », alors qu’il risquerait de subir des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour au Congo. Il souligne que son père aurait travaillé pour l’ancien Président Mobutu qui aurait été chassé du pouvoir par le président Kabila, son successeur, de sorte que sous le régime actuel, tous les conseillers de l’ancien Président congolais, ainsi que les membres de leurs familles seraient systématiquement persécutés et menacés. Il fait valoir qu’il aurait été persécuté de façon répétée, et que, depuis octobre 2013, il aurait reçu quatre convocations de la police congolaise l’invitant à se présenter en raison d’une plainte déposée à son encontre. Dans ce contexte, il relate avoir subi des menaces de mort, avoir été mis sous pression de « coopérer » avec les autorités et avoir été retenu pendant deux jours sans nourriture et dans une cellule sans lumière, sans même savoir ce qui lui aurait été reproché. Le demandeur explique qu’après sa libération, sa mère et lui auraient été agressés physiquement par des membres des services secrets AMR, agents de la force publique. Suite à cette agression, il aurait été soigné par un médecin. A cet égard, il s’appuie sur un rapport de l’organisation internationale Amnesty International relatif à la République démocratique du Congo, pour affirmer que ce pays se trouverait actuellement dans une véritable crise, surtout en ce qui concerne les droits de l’homme et la situation politique. Il expose que les autorités politiques exerceraient toujours des répressions contre les opposants politiques du Président Kabila et qu’une amélioration de cette situation ne serait pas envisageable. Par ailleurs, ses biens immobiliers et ceux de sa mère auraient été réquisitionnés à plusieurs reprises illégitimement par les autorités publiques. Selon lui la police et les autres acteurs le persécutant, travailleraient pour l’Etat de sorte qu’il serait dépourvu de toute protection.
Dans le cadre de son mémoire en réplique, le demandeur fait valoir qu’il serait contesté qu’il aurait travaillé « clandestinement » au Grand-Duché de Luxembourg, alors qu’il aurait été déclaré au Centre Commun de la Sécurité Sociale. En s’appuyant sur deux articles de presse, le demandeur estime que la situation en République Démocratique du Congo se serait encore empirée en ce qui concerne les violations et atteintes aux droits de l’homme, dont seraient notamment responsables des agents de l’Etat qui agiraient contre des opposants politiques du régime. Ainsi en janvier 2018, 105 civils auraient été tués.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours.
Force est d’abord de constater, qu’en l’occurrence, la décision ministérielle du 14 mai 2018 est basée sur le constat suivant lequel la demande introduite par le demandeur en date du 5 avril 2018 serait irrecevable au sens de l’article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 qui dispose que : « La demande en obtention d’une autorisation de séjour visée à l’article 38, point 1 (…) doit être introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre et doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire. La demande doit sous peine d’irrecevabilité être introduite avant l’entrée sur le territoire du ressortissant d’un pays tiers (…) », l’article 38, point 1, y cité visant notamment l’autorisation de séjour à titre de travailleur salarié, catégorie de séjour visée par le demandeur.
Il échet de souligner d’une manière générale que si l’exigence imposée par l’article 39 de la loi du 29 août 2008 peut sembler éventuellement inopportune dans certains cas d’espèce, compte tenu des antécédents d’un demandeur et notamment de son entrée régulière au Luxembourg, il n’en demeure pas moins que ledit article reflète la volonté du législateur d’établir le principe selon lequel le ressortissant de pays tiers qui a l’intention de séjourner sur le territoire luxembourgeois pour une durée supérieure à trois mois doit disposer d’une autorisation de séjour avant son entrée au Grand-Duché de Luxembourg, un ressortissant de pays tiers qui se trouve déjà sur le territoire ne pouvant que dans certains cas exceptionnels, indiqués aux paragraphes (2) et (3) de cet article, solliciter une autorisation de séjour, le souci du législateur ayant précisément été d’éviter que le ministre soit placé devant le fait accompli1.
S’il est constant en cause que le demandeur se trouvait effectivement déjà au Luxembourg au moment où il a présenté sa demande en obtention d’une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié, il échet de relever qu’au jour de ladite demande, à savoir le 5 avril 2018, il ne se trouvait pas en séjour régulier au Luxembourg, étant donné que par décision du 17 janvier 2017, le ministre a rejeté sa demande de protection internationale, tout en prononçant à son encontre un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Le recours contentieux dirigé contre cette décision a été définitivement rejeté par un arrêt de la Cour administrative du 27 mars 2018, de sorte que depuis cette date il était dans l’obligation de quitter le territoire luxembourgeois. Ainsi, en l’absence de toute autorisation de séjour valable dans son chef, Monsieur … est demeuré illégalement sur le territoire luxembourgeois après avoir été définitivement débouté de sa demande de protection internationale. Ainsi, l’argument du demandeur selon lequel il n’aurait eu aucune possibilité de respecter la condition de la loi selon laquelle il aurait dû introduire une demande d’autorisation de séjour avant son entrée sur le territoire, n’est pas fondé, alors qu’il aurait pu se conformer aux conditions prévues à l’article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 en introduisant sa demande en obtention d’une autorisation de séjour depuis le Congo, son pays d’origine.
Concernant le moyen du demandeur selon lequel la décision ministérielle sous examen serait contraire à l’article 3 de la CEDH en ce qu’elle a ordonné son retour au Congo, il convient de rappeler que ce moyen a déjà été tranché dans le cadre de sa procédure d’asile. Dans la mesure où tant le Tribunal administratif que la Cour administrative ont conclu à une absence de violation de l’article 3 de la CEDH en cas de retour du demandeur dans son pays d’origine, le Congo, Monsieur … ne saurait remettre en cause à travers le présent recours une décision judiciaire ayant acquis autorité de chose jugée.
1 Projet de loi 5802, Avis du Conseil d'Etat, 20 mai 2008, Document 5802/10, p. 15.
Au vu des considérations qui précèdent et plus particulièrement du fait non contesté que le demandeur se trouvait d’ores et déjà sur le territoire luxembourgeois au moment où il y a introduit sa demande en obtention d’une autorisation de séjour pour travailleur salarié, c’est a priori à bon droit que le ministre a déclaré la demande irrecevable en application de l’article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, cité ci-avant. Par conséquent, la décision attaquée est légalement justifiée, le demandeur n’arguant, par ailleurs, pas tomber dans l’une des hypothèses dérogatoires visées aux paragraphes (2) et (3) de l’article en question.
Pour être tout à fait complet, le tribunal relève, à cet égard, que concernant le paragraphe (2) de l’article 39 de la loi du 29 août 2008, celui-ci prévoit les cas dans lesquels un ressortissant d’un pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire luxembourgeois pour une période allant jusqu’à trois mois peut être autorisé à introduire une demande d’autorisation de séjour en lieu et place de l’introduction d’une autorisation de séjour temporaire sollicitée avant son entrée sur le territoire, telle que prévue au paragraphe (1) de l’article 39 précité, en disposant que : « Dans des cas exceptionnels, le ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu’à trois mois, peut être autorisé à introduire endéans ce délai auprès du ministre une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, s’il rapporte la preuve qu’il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie d’autorisation qu’il vise, et si le retour dans son pays d’origine constitue pour lui une charge inique ».
Or, l’hypothèse de l’article 39, paragraphe (2) n’est pas applicable au cas du demandeur dans la mesure où il ne saurait être considéré comme « séjournant régulièrement sur le territoire », ainsi que le tribunal l’a retenu plus en avant. À défaut d’être en possession d’une autorisation de séjour en bonne et due forme ou de résider au Luxembourg en vertu d’un visa en cours de validité, le demandeur ne saurait être considéré comme constituant un étranger résidant « régulièrement » au Luxembourg. Il s’ensuit qu’une violation de ladite disposition ne saurait être reprochée au ministre.
Force est ensuite de relever qu’au vu de son séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois au moment de l’introduction de sa demande en obtention d’une autorisation de séjour, le demandeur ne saurait pas non plus se prévaloir de l’article 39, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « Par dérogation au paragraphe (1) qui précède, le bénéficiaire d’une autorisation de séjour supérieure à trois mois, à l’exception des personnes visées aux articles 49bis, 60 à 62bis et 90, peut avant l’expiration de son titre de séjour faire la demande en obtention d’une autorisation à un autre titre auprès du ministre, s’il remplit toutes les conditions pour la catégorie qu’il vise » et qui permet dès lors uniquement à un ressortissant d’un pays tiers bénéficiant d’une autorisation de séjour d’une durée supérieure à trois mois de demander, avant l’expiration de son droit de séjour, une autorisation de séjour à un autre titre, sans que sa demande ne soit frappée de l’irrecevabilité prévue par l’article 39, paragraphe (1) de la loi précitée et à condition qu’il remplisse les conditions auxquelles est subordonnée l’autorisation sollicitée.
Les dispositions dérogatoires inscrites aux paragraphes (2) et (3) de l’article 39 de la loi du 29 août 2008 n’étant pas applicables au demandeur au vu de son séjour irrégulier à la date de l’introduction de la demande litigieuse, c’est à bon droit que le ministre a décidé que l’article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 est applicable à la situation de Monsieur … et qu’il a constaté que la demande en obtention d’une autorisation de séjour de celui-ci est irrecevable.
Il s’ensuit encore que le ministre n’avait pas à analyser plus en avant la question de savoir si le demandeur remplissait, par ailleurs, les conditions fixées à l’article 42 de la loi du 29 août 2008 pour obtenir une autorisation de séjour en vue de l’exercice d’une activité salariée.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens invoqués par le demandeur à l’encontre de la décision déférée, que le recours, en ce qu’il est dirigé contre la décision ministérielle du 14 mai 2018, est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Stéphanie Lommel, juge, et lu à l’audience publique du 21 mai 2019 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 mai 2019 Le greffier du tribunal administratif 6