Tribunal administratif No 42530 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mars 2019 1re chambre Audience publique du 20 mai 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42530 du rôle et déposée le 20 mars 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Erythrée), et être de nationalité érythréenne, demeurant à L-…, élisant domicile en l’étude de Maître Faisal Quraishi préqualifé, sise à L-1331 Luxembourg, 77, boulevard Grande-
Duchesse Charlotte, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 6 mars 2019 ayant déclaré irrecevable sa demande de protection internationale sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et lui ayant ordonné de quitter le territoire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2019 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 8 mai 2019.
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Le 27 décembre 2018, Monsieur …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Par décision du 22 janvier 2018, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », ordonna son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, désignée ci-
après par « la SHUK », pour une durée de trois mois.
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Le 24 janvier 2019, les autorités luxembourgeoises requirent de la part de leurs homologues allemands la prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III. Par courrier du 1er février 2019, l’Allemagne refusa de reprendre en charge Monsieur … au motif que l’Italie serait compétente pour le traitement de sa demande de protection internationale, étant donné que les autorités italiennes auraient accepté la reprise en charge du demandeur le 5 octobre 2018 et que le délai de transfert vers l’Italie n’aurait pas encore échu, celui-ci ayant été suspendu jusqu’au 5 avril 2020 suite à la disparition du demandeur.
En date 4 février 2019, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes aux fins de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III. Par courrier du 21 février 2019, les autorités italiennes informèrent les autorités luxembourgeoises que cette reprise en charge ne pourrait pas avoir lieu en application des dispositions du règlement Dublin III, alors qu’un statut de protection internationale lui avait été accordé en Italie et qu’un « residence permit » valable jusqu’au 19 août 2015 avait été établi à son nom, de sorte que la réadmission de Monsieur … serait à opérer par le biais de la coopération policière.
Le 1er mars 2019, le demandeur fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur la recevabilité de sa demande de protection internationale.
Par décision du même jour, notifiée à l’intéressé en mains propres le 4 mars 2019, le ministre prit à l’égard du demandeur un arrêté rapportant l’arrêté d’assignation à résidence à la SHUK du 22 janvier 2018.
Par décision du 6 mars 2019, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre déclara irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur … en application de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 27 décembre 2018.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 décembre 2018, le rapport d'entretien Dublin III du 22 janvier 2019 ainsi que le rapport d'entretien du 1er mars 2019 sur la recevabilité de votre demande de protection internationale.
Il en ressort que vous avez introduit des demandes de protection internationale en Suisse les 31 décembre 2008, 9 avril 2010 et 5 juillet 2012, en Italie le 29 octobre 2009 et en Allemagne le 15 août 2018.
Vous signalez avoir quitté votre pays d'origine en 2006 et être entré en Italie vers 2008. Vous seriez par la suite à plusieurs reprises parti en Suisse, où vous auriez purgé plusieurs peines de prison, mais seriez à chaque fois retourné en Italie, où vous auriez vécu en tout pendant dix ans. Fin 2008, les autorités italiennes vous auraient délivré une autorisation de séjour valable pendant deux ans. En 2010, elles vous auraient de nouveau remis une autorisation de séjour valable jusqu'en 2015 et qui n'aurait jamais été prolongée.
Vous prétendez ne pas avoir pu prolonger votre autorisation de séjour parce que vous auriez été sans domicile fixe depuis dix ans. Ne voulant plus rester en Italie où vous auriez été sans toit et sans travail, vous auriez décidé en août 2018 d'aller en Allemagne. Vers mi-novembre 2018, vous seriez parti en Belgique avant de finalement arriver au Luxembourg le 23 décembre 2018.
A noter qu'il ressort encore de votre dossier administratif qu'en date des 10, 11, 17, 25 et 26 février 2019, vous vous êtes comporté de manière vulgaire, agressive et violente envers des personnes de votre foyer d'accueil.
Vous ne présentez pas de pièce d'identité.
Je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif qu'une protection internationale vous a été accordée par un autre Etat membre de l'Union européenne.
En effet, il résulte de la télécopie des autorités italiennes du 21 février 2019, que le statut de réfugié vous a été accordé et qu'une autorisation de séjour valable jusqu'au 19 août 2015, vous a été délivrée. Il ne ressort pas des éléments en notre possession que vous auriez à craindre en Italie pour votre vie ou pour votre liberté. En outre, l'Italie respecte le principe de non refoulement conformément à la Convention de Genève et l'interdiction de prendre des mesures d'éloignement contraires à l'interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
A cela s'ajoute que les motifs matériels et économiques qui vous ont poussé à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg ne sauraient de toute façon pas être pris en compte dans le cadre d'une demande en obtention d'une protection internationale.
Le Grand-Duché de Luxembourg ne peut par conséquent pas donner suite à votre demande déclarée irrecevable. Conformément à l'article 34 (2) votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenu définitive, à destination de l'Italie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 6 mars 2019.
1) Quant au recours visant la décision du ministre ayant déclaré la demande de protection internationale irrecevable Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond et l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation en la matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 6 mars 2019. Le recours en annulation introduit en l’espèce est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur souligne avoir quitté l’Erythrée pour se rendre dans un pays sûr et y obtenir une protection internationale. Il aurait ensuite introduit une demande de protection internationale en Italie « contre son gré », le demandeur précisant encore que les autorités italiennes auraient jusqu’à présent manqué d’exposer si, depuis le 19 août 2015, il disposait toujours d’une autorisation de séjour valable en Italie.
Il explique ensuite qu’il n’aurait jamais obtenu d’aide matérielle en Italie, qu’il n’y disposerait d’aucun hébergement de sorte à y avoir vécu dans la rue sans une aide quelconque et sans documents d’identité.
Dans la mesure où il n’aurait pas eu d’autorisation de travail, où il n’aurait pas pu aller à l’école et n’aurait pas obtenu d’aides matérielles, le demandeur soutient encore que le statut de réfugié ne lui aurait jamais été octroyé en Italie.
Le demandeur précise encore, à cet égard, que le comportement des autorités italiennes serait contraire aux articles 1 et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte ».
Il estime que les difficultés graves qu’il aurait rencontrées en Italie établiraient de « graves problèmes systémiques dans le cadre de la demande en protection internationale ».
Le demandeur donne à considérer que dans le cas où il serait à considérer comme demandeur d’asile, voire un bénéficiaire de la protection internationale, « le changement politique en Italie orientant sa politique d’immigration en méconnaissance de la Convention de Genève, vers un rejet des demandeurs d’asile du sol [i]talien et un défaut de prise en charge » constituerait un danger pour lui en cas de retour en Italie, étant donné que ses droits fondamentaux ne seraient pas garantis en Italie, de sorte qu’un tel transfert porterait atteinte à son intégrité physique et psychique.
Il en conclut que le ministre aurait tiré les mauvaises conclusions des faits et explications lui soumis, alors qu’il aurait dû les considérer comme suffisants pour déclarer sa demande de protection internationale recevable et se déclarer compétent pour l’examen de celle-ci.
En droit, le demandeur fait valoir que dans la mesure où son titre de séjour italien aurait expiré en date du 19 août 2015, l’Italie ne saurait « pas/plus » être considérée comme un pays lui ayant accordé une protection internationale au sens de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur en concluant que la motivation à la base de la décision ministérielle litigieuse serait erronée.
Il reproche encore au ministre d’avoir déclaré sa demande en obtention d’une protection internationale irrecevable sans avoir vérifié s’il bénéficiait d’une protection internationale en Italie, respectivement s’il était autorisé à y résider légalement en cas de renvoi ou éloignement, de sorte que la décision litigieuse serait, de ce point de vue, également à annuler « pour défaut de motivation sinon motivation erronée ».
Toujours en se basant sur les mêmes considérations, le demandeur estime qu’il serait impossible de le renvoyer en Italie, alors que non seulement il n’y bénéficierait « pas/plus » d’une protection internationale ou d’un droit de séjour, mais que les conditions d’accueil n’y seraient manifestement pas remplies au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.
Le demandeur en conclut que son renvoi vers l’Italie entraînerait le non-respect des articles 1 et 4 de la Charte et que les autorités luxembourgeoises seraient responsables pour l’examen de sa demande de protection internationale introduite le 27 décembre 2018, de sorte que celle-ci ne serait pas à déclarer irrecevable au sens de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015. Il souligne, à titre subsidiaire, que pour éviter un transfert vers l’Italie, il serait prêt à quitter volontairement le Grand-Duché de Luxembourg.
Finalement, le demandeur fait valoir dans le seul dispositif de la requête introductive d’instance que son éloignement vers l’Italie serait contraire « aux principes de la Convention de Genève [relative au statut des réfugiés du 28 juillet] 1951 et l’examen effectif d’une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 et du règlement UE ».
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il échet tout d’abord de rappeler que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégage.
En ce qui concerne d’abord la légalité externe de la décision sous analyse et plus particulièrement le moyen relatif à un défaut de motivation de la décision déférée, le tribunal relève que l’article 34, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les décisions prises par le ministre en matière de protection internationale sont communiquées par écrit au demandeur dans un délai raisonnable. Toute décision négative est motivée en fait et en droit et les possibilités de recours sont communiquées par écrit au demandeur.
[…] ».
En l’espèce, le tribunal est amené à retenir que la décision litigieuse contient une motivation explicite, en fait et en droit, en ce qu’elle précise qu’un autre Etat membre de l’Union européenne, à savoir l’Italie, aurait accordé au demandeur une protection internationale, en précisant qu’il ressortirait d’une télécopie des autorités italiennes du 21 février 2019 que le demandeur bénéficie du statut de réfugié en Italie et qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 19 août 2015 lui avait été délivrée. Le ministre s’est, par ailleurs, encore référé à la base légale applicable en la matière, à savoir l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015.
Il s’ensuit qu’aucun reproche quant à la motivation tant factuelle que juridique ne saurait être adressé au ministre, de sorte que le moyen tiré d’un défaut de motivation de la décision déférée est à rejeter pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision sous analyse, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: a) une protection internationale a été accordée par un autre Etat membre de l’Union européenne ; […] ».
Il ressort de cette disposition que le ministre peut déclarer irrecevable une demande de protection internationale, sans vérifier si les conditions d’octroi en sont réunies, dans le cas où le demandeur s’est vu accorder une protection internationale dans un autre pays membre de l’Union européenne.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier soumis à l’appréciation du tribunal et plus particulièrement d’une prise de position des autorités italiennes du 21 février 2019, selon laquelle « (…) He was granted the international protection in Italy and a residence permit for " / "Asylum" expiring on 19.08.2015 issued by the police headquarters in ROME.
(…) », de même que des déclarations du demandeur faites lors de son entretien du 22 janvier 2019 que celui-ci s’est vu délivrer en Italie un permis de séjour dans le cadre de l’octroi d’une protection internationale par les autorités italiennes, le demandeur ayant affirmé qu’il aurait quitté l’Italie parce qu’il n’y avait « pas de toit, pas de travail ».
S’il est certes vrai, tel que le demandeur le souligne à l’appui de son recours, que le titre de séjour lui octroyé dans le cadre de la protection internationale a expiré le 19 août 2015, cette expiration est néanmoins sans incidence sur le fait qu’une protection internationale lui a bien été accordée par un autre Etat membre de l’Union européenne, étant relevé, tel que cela a été souligné par le délégué du gouvernement, qu’il ne ressort ni du courrier des autorités italiennes du 21 février 2019, ni d’un autre élément du dossier que la protection internationale accordée ait été révoquée par les autorités italiennes, ou encore que le demandeur ne puisse pas renouveler en Italie son titre de séjour découlant de l’octroi de la protection internationale. Au-delà de ce constat, le tribunal relève encore que la circonstance que le titre de séjour italien se trouve actuellement périmé relève de la seule attitude du demandeur qui n’a pas renouvelé ce dernier. Or, admettre dans ces circonstances l’examen d’une demande de protection internationale introduite par la suite dans un autre Etat membre de l’Union européenne équivaudrait à permettre le « forum shopping » que le système européen d’asile tend justement à empêcher.
Face à ce constat, le ministre a dès lors a priori valablement pu déclarer irrecevable la demande de protection internationale du demandeur sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015.
Cette conclusion n’est pas invalidée par l’argumentation fournie par le demandeur à l’appui de son recours.
En effet, tout d’abord et tel que retenu ci-avant, la circonstance que le titre de séjour pour bénéficiaire de la protection internationale soit à l’heure actuelle expiré ne s’oppose pas à la prise d’une décision d’irrecevabilité, le demandeur n’ayant, par ailleurs, fourni aucun élément qui s’opposerait à un renouvellement de son titre de séjour en Italie.
Ensuite, il échet au tribunal de constater que l’argumentation développée par le demandeur suivant laquelle le ministre n’aurait pas tenu compte de « graves problèmes systémiques » qui affecteraient le système d’asile italien, vise à transposer à son cas personnel des dispositions qui ne lui sont pas applicables. En effet, bénéficiant d’une protection internationale en Italie, il se situe manifestement en dehors du champ d’application du règlement Dublin III, alors que le demandeur tente d’invoquer en substance et de manière détournée une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, aux termes duquel « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. ».
Or, dans la mesure où les dispositions du règlement Dublin III ne sont pas d’application en l’espèce, le ministre n’ayant pas pris une décision de transfert en Italie, mais une décision d’irrecevabilité de la demande de protection internationale déposée en Italie, le moyen du demandeur fondé sur l’existence de défaillances systémiques affectant le système d’asile en Italie est également à rejeter pour ne pas être pertinent en l’espèce.
S’agissant du moyen fondé sur une violation de sa dignité humaine telle que protégée par l’article 1 de la Charte, respectivement le risque d’être exposé à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants tels que prohibés par l’article 4 de la Charte, force est de relever que dans son arrêt du 19 mars 2019, la CJUE a retenu que lorsque la juridiction saisie d’un recours contre une décision rejetant une nouvelle demande de protection internationale comme irrecevable dispose d’éléments produits par le demandeur aux fins d’établir l’existence d’un risque de subir des traitements contraire à l’article 4 de la Charte dans l’État membre ayant déjà accordé la protection subsidiaire, cette juridiction est tenue d’apprécier, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union, la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes.
Elle a, à cet égard, souligné que, pour relever de l’article 4 de la Charte, qui correspond à l’article 3 de la CEDH, et dont le sens et la portée sont donc, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère ladite convention, les défaillances en question doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Elle a encore précisé que ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant.
Or, le demandeur reste, en l’espèce, en défaut de démontrer qu’en cas de retour en Italie, il y serait exposé à un risque d’atteinte à sa dignité humaine, respectivement de traitement inhumain ou dégradant au sens des dispositions internationales précitées, respectivement dans le sens retenu par la CJUE, ou à une violation d’un ou de plusieurs principes non autrement précisés figurant dans la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, désignée ci-après par « la Convention de Genève », ces dispositions nécessitant, en effet, des actes devant revêtir un certain seuil de gravité et entraînant des souffrances physiques ou psychologiques intenses, étant relevé qu’il se contente, en effet, de formuler des critiques générales non circonscrites par des éléments concrets de son vécu personnel ni ne fait-il état de démarches infructueuses qu’il aurait entamées à cet égard auprès des autorités ou des juridictions italiennes. En effet, la simple affirmation vague selon laquelle il n’aurait pas accès aux soins de santé, à un logement et à une autorisation de travail, par ailleurs, soutenue par aucun élément probant, ne saurait en tout état de cause suffire à établir, dans son chef, un risque d’atteinte à sa dignité humaine telle que protégé par l’article 1er de la Charte, respectivement un risque de traitements inhumains au sens de l’article 4 de la même Charte.
L’ensemble des considérations qui précédent amènent dès lors le tribunal à rejeter le moyen fondé sur une violation par le ministre des articles 1er et 4 de la Charte, ainsi que d’un ou de plusieurs principes non autrement précisés figurant dans la Convention de Genève.
Finalement et en ce qui concerne la déclaration du demandeur qu’il serait prêt à quitter volontairement le Luxembourg pour éviter d’être transféré vers l’Italie, celle-ci est sans incidence sur la légalité de la décision ministérielle litigieuse, laquelle est uniquement basée sur le constat que le demandeur s’est vu accorder une protection internationale en Italie, de sorte que sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg est irrecevable.
Le recours, en ce qu’il est dirigé contre la décision déclarant irrecevable la demande de protection internationale du demandeur, est partant rejeté comme non fondé.
2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Quant à l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du 6 mars 2019, il convient de relever qu’étant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit un recours au fond contre un ordre de quitter le territoire, seul un recours en annulation a pu valablement être dirigé contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en annulation, ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.
Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 « une décision du ministre vaut décision de retour, à l’exception des décisions prises en vertu de l’article 28, paragraphe (1) et (2), point d) […] ». La décision de l’espèce étant prise sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point a) de la loi du 18 décembre 2015, non visé parmi les exceptions de l’article 34, paragraphe (2), précité, l’ordre de quitter est dès lors la conséquence automatique de la décision ministérielle d’irrecevabilité de la demande de protection internationale, de sorte que l’ordre de quitter le territoire litigieux, compte tenu des moyens figurant dans le recours sous analyse, ne souffre d’aucune critique.
Dans la mesure où aucun autre moyen n’a été avancé dans ce contexte, le recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour être non fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours contre la décision d’irrecevabilité de la demande de protection internationale du demandeur et contre l’ordre de quitter le territoire, est rejeté pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation sous analyse ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 mai 2019, par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Carine Reinesch, attachée de justice en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 mai 2019 Le greffier du tribunal administratif 9