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15/05/2019 | LUXEMBOURG | N°41353

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 mai 2019, 41353


Tribunal administratif N° 41353 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2018 3e chambre Audience publique du 15 mai 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41353 du rôle et déposée le 27 juin 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à

la réformation, sinon à l’annulation 1) d’une décision du ministre du Développement d...

Tribunal administratif N° 41353 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juin 2018 3e chambre Audience publique du 15 mai 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41353 du rôle et déposée le 27 juin 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) d’une décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 13 avril 2018 portant retrait de cinq points du capital dont est doté son permis de conduire et constatant que le solde des points restants est réduit à zéro et 2) d’une décision du même ministre du 16 avril 2018 l’informant que son droit de conduire un véhicule automoteur est suspendu pour une durée de douze mois ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Laurent NIEDNER et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 mars 2019.

Par courrier recommandé du 27 février 2014, le ministre du Développement durable et des Infrastructures, désigné ci-après par « le ministre », constata le retrait de deux points du permis de conduire de Monsieur … suite à un jugement du Tribunal de police de Luxembourg du 26 juillet 2013 devenu irrévocable le 8 septembre 2013, et retint que le nombre des points est réduit à dix.

Par lettre recommandée du 5 janvier 2015, le ministre constata le retrait de deux points du permis de conduire de Monsieur … suite à une infraction commise en date du 30 décembre 2014, à savoir « Inobservation de la limite de vitesse de 50 km/h à l’intérieur d’une agglomération : - le dépassement étant supérieur à 15 km/h », et l’informa que le nombre des points est réduit à huit.

En date du 28 décembre 2015, le ministre informa Monsieur … par courrier recommandé du retrait de deux points de son permis de conduire suite à une infraction commise en date du 9 1décembre 2015, à savoir « Utilisation par le conducteur d’un véhicule en mouvement d’un équipement téléphonique qui ne lui permet pas de garder les deux mains au volant ou au guidon pendant l’écoute et la communication », et l’informa que le nombre des points est réduit à six.

Par courrier recommandé du 15 novembre 2016, le ministre constata le retrait de deux points du permis de conduire de Monsieur … suite à une infraction commise en date du 9 octobre 2016, à savoir « Inobservation de la limite de vitesse de 50 km/h à l’intérieur d’une agglomération : - le dépassement étant supérieur à 15 km/h », et l’informa que le nombre des points est réduit à quatre.

Par courrier du 14 décembre 2016, le ministre informa Monsieur … que suite à sa participation du même jour au cours de formation complémentaire prévu à l’article 2bis, paragraphe 4, de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, désignée ci-après par « la loi du 14 février 1955 », son permis de conduire était augmenté de trois points, de sorte que le nombre de points s’élevait à sept.

Par lettre recommandée du 14 février 2017, le ministre constata le retrait de deux points du permis de conduire de Monsieur … suite à une infraction commise en date du 7 février 2017, à savoir « Inobservation d’un signal lumineux rouge », et retint que le nombre des points est réduit à cinq.

En date du 13 avril 2018, le ministre informa Monsieur … par courrier recommandé du retrait de cinq points de son permis de conduire suite à un « jugement du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg » du 30 novembre 2017 devenu irrévocable le 15 février 2018, et retint que le nombre des points est réduit à zéro.

Cette décision est libellée comme suit :

« […] Conformément aux dispositions légales régissant le permis à points, je tiens à vous informer que 5 points ont été retirés du capital dont est doté votre permis de conduire pour les infractions suivantes au Code de la Route:

Libellé de l’infraction: Avoir circulé avec un taux d’alcool d’au moins 0,55 mg par litre d’air expiré Nombre de points déduits: 6 Date du fait: 15 octobre 2017 03:00 Lieu du fait: A6, EN DIRECTION D'ARLON - À HAUTEUR DE LA SORTIE «WINDHOF» Instance judiciaire: le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle.

Date de la décision judiciaire: 30 novembre 2017.

Date à laquelle la décision judiciaire est devenue irrévocable: 15 février 2018.

Par ailleurs, je me permets de vous rappeler que le capital de points dont est doté votre permis de conduire a déjà été réduit suite aux avertissement taxés et/ou aux condamnations judiciaires suivants:

2 Libellé de l’infraction: Inobservation d’un signal lumineux rouge Nombre de points déduits: 2 Date du fait: 7 février 2017 16:13 Lieu du fait: SALZHOF Date du paiement: 7 février 2017 Libellé de l’infraction: Inobservation de la limite de vitesse de 50 km/h à l’intérieur d’une agglomération : - le dépassement étant supérieur à 15 km/h* Nombre de points déduits: 2 Date du fait: 9 octobre 2016 02:30 Lieu du fait: RUE DE LUXEMBOURG Date du paiement: 7 novembre 2016 Libellé de l’infraction: Utilisation par le conducteur d’un véhicule en mouvement d’un équipement téléphonique qui ne lui permet pas de garder les deux mains au volant ou au guidon pendant l’écoute et la communication Nombre de points déduits: 2 Date du fait: 9 décembre 2015 10:40 Lieu du fait: RUE DE SAUL Date du paiement: 23 décembre 2015 Libellé de l’infraction: Inobservation de la limite de vitesse de 50 km/h à l’intérieur d’une agglomération : - le dépassement étant supérieur à 15 km/h* Nombre de points déduits: 2 Date du fait: 30 décembre 2014 09:55 Lieu du fait: N5 Date du paiement: 30 décembre 2014 Libellé de l’infraction: Inobservation de la limite de vitesse de 50 km/h à l’intérieur d’une agglomération - le dépassement étant supérieur à 15 km/h* Nombre de points déduits: 2 Date du fait: 1 juin 2012 19:45 Lieu du fait: LUXEMBOURG - COTE D’EICH Instance judiciaire: le Tribunal de police de et à Luxembourg Date de la décision judiciaire: 26 juillet 2013 Date à laquelle la décision judiciaire est devenue irrévocable: 8 septembre 2013 Nombre de points restants: 0 La présente est susceptible d’un recours en annulation devant le Tribunal administratif, à exercer par ministère d’avocat à la Cour endéans les trois mois à partir du jour de la notification de la présente. […] ».

Par arrêté du 16 avril 2018, et suite à la perte de l’intégralité des points dont était affecté le permis de conduire de Monsieur …, le ministre suspendit pour une durée de douze mois son droit de conduire un véhicule automoteur. Cet arrêté est basé sur les motifs et considérants suivants :

« […] Vu les articles 2bis et 13 de la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques ;

3Vu l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques ;

Considérant que Monsieur …, né le … à … et demeurant à L-…, a commis plusieurs infractions à la législation routière sanctionnées par une réduction du nombre de points dont son permis de conduire est doté en vertu de l’article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955 précitée ;

Considérant qu’à chaque infraction ayant donné lieu à une réduction de points, l’intéressé a été informé du nombre de points retirés et du solde résiduel de points ;

Considérant que le capital de points affecté au permis de conduire de l’intéressé est épuisé et qu’il y a donc lieu à application des dispositions du paragraphe 3 de l’article 2bis de la loi modifiée du 14 février 1955 précitée ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2018, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions, précitées, du ministre des 13 et 16 avril 2018.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours principal en réformation, alors qu’un tel recours ne serait pas prévu par la loi.

Dans la mesure où aucune disposition légale n’instaure de recours au fond en la matière, seul un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre les décisions ministérielles déférées.

Il s’ensuit que le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Il est en revanche compétent pour connaître du recours en annulation introduit à titre subsidiaire contre les décisions ministérielles déférées, ce recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les forme et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait plaider qu’il travaillerait en tant qu’artisan-fonctionnaire auprès du service des autobus de la Ville de Luxembourg depuis le 1er mars 2016 et que ses fonctions consisteraient notamment à conduire des dépanneuses destinées à remorquer les autobus de la Ville, tombés en panne ou accidentés.

Après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base des décisions ministérielles déférées et en précisant que les infractions à la loi du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques et à l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, désignés ci-après par « la loi du 14 février 1955 », respectivement par « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 », qu’il aurait commises en-dehors de l’exercice de ses fonctions et qui auraient engendrées un retrait de dix points, auraient à chaque reprise été « mineur[e]s et éparpillé[e]s dans le temps », le demandeur fait plaider que suite une ordonnance pénale du 30 novembre 2017, il aurait été condamné à une amende de 700 euros, ainsi qu’à une interdiction de conduire de quinze mois, assortie du sursis intégral. Il précise, en outre, que cinq points lui auraient été retirés de son permis de conduire et 4qu’ainsi, en dépit du sursis intégral qui lui aurait été accordé par l’ordonnance pénale, il se trouverait actuellement privé de son droit de conduire.

En droit, le demandeur se prévaut d’une violation du principe « non bis in idem » inscrit à l’article 4 du Protocole n° 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH », en rappelant que l’ordonnance pénale du 30 novembre 2017 aurait prononcé à son encontre une amende de 700 euros, ainsi qu’une interdiction de conduire de quinze mois assortie du sursis intégral. Cette condamnation serait intervenue pour conduite avec un taux d’alcoolémie interdit de 0,62 mg par litre d’air expiré et la suspension du droit de conduire résultant du retrait administratif de points se serait ajoutée à l’interdiction de conduire avec sursis de quinze mois. Il en conclut qu’il y aurait une double sanction et ainsi double peine, alors que chacune des infractions à sa charge aurait préalablement donné lieu à une sanction. Le demandeur souligne qu’il y aurait ainsi une disproportion manifeste, dans la mesure où les cinq premières infractions, qui seraient de moindre gravité et se seraient étalées sur une période de six ans, entraîneraient une privation de son droit de conduire ferme d’un an, interdiction qui n’aurait pas été prononcée en l’absence de ces infractions.

Le demandeur reproche ensuite au ministre d’avoir violé la règle constitutionnelle suivant laquelle les contestations concernant les droits civils seraient du ressort exclusif des tribunaux de l’ordre judiciaire en mettant en exergue que l’interdiction de conduire affecterait son droit civil de conduire et ne saurait donc être le fruit d’une décision administrative intervenant dans un système de points à caractère punitif. Une telle sanction administrative contreviendrait à l’article 84 de la Constitution luxembourgeoise. L’expression « droits civils », mise au pluriel, telle qu’elle se retrouverait dans la Constitution luxembourgeoise, serait utilisée pour désigner l’ensemble des prérogatives attachées à la personne, ensemble qui comprendrait notamment le droit d’aller et de venir, le droit au respect de la vie familiale, le droit au respect du domicile et le droit à la liberté d’expression.

Le demandeur fait finalement plaider que l’article 2bis, paragraphe (3), alinéa 6, de la loi du 14 février 1955 violerait les articles 10bis et 11, paragraphe (4), de la Constitution luxembourgeoise qui consacreraient le principe d’égalité, respectivement le droit au travail. Plus particulièrement, ledit article 2bis de la loi du 14 février 1955 violerait le principe d’égalité en ce qu’il interdirait tout aménagement, pour les besoins professionnels, de la suspension du droit de conduire constatée à la suite de la perte de la totalité des points d’un permis de conduire tandis que dans le cadre d’un retrait de permis prononcé à la suite du constat d’une infraction ponctuelle, des aménagements seraient, néanmoins, possibles, et ce sur la base de l’article 2, paragraphe (1), alinéa 2, point a) de la loi du 14 février 1955. Cette inégalité serait d’autant moins admissible qu’elle interviendrait en rapport à la liberté au travail, droit qui serait protégé par la Constitution luxembourgeoise. Ainsi, un conducteur qui aurait perdu tous ses points à la suite d’une succession malencontreuse d’infractions mineures à la loi du 14 février 1955, ainsi qu’à l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 serait moins bien traité dans la protection de son droit au travail par rapport au conducteur qui aurait commis une infraction grave auxdites dispositions, mais resterait créditeur de points sur son permis de conduire. Le demandeur souligne que les deux conducteurs se trouveraient dans des situations comparables d’un point de vue de la dangerosité des comportements adoptés et il est d’avis que la balance devrait plutôt pencher en faveur du 5 3 4 conducteur ayant perdu l’intégralité de ses points à la suite de la commission d’une succession d’infractions mineures. Ce conducteur devrait être considéré comme moins dangereux que celui se voyant retirer son permis de conduire sans sursis et à la suite d’une infraction grave, mais demeurant créditeur de points sur son permis de conduire.

Le demandeur en conclut que l’impossibilité d’aménager la suspension de son droit de conduire afin de tenir compte des besoins professionnels - décrétée par l’article 2bis, paragraphe (3), alinéa 6 de la loi du 14 février 1955 - opèrerait une distinction injustifiée par rapport à la situation du conducteur subissant un retrait de permis. Par ailleurs, cette impossibilité d’aménager la suspension du droit de conduire en fonction des besoins professionnels du conducteur serait disproportionnée dans la mesure où elle empêcherait d’apprécier la situation concrète des conducteurs au regard de leur situation professionnelle et de leur comportement plus ou moins dangereux adopté de manière générale sur la voirie publique. Le demandeur est d’avis qu’une faculté d’appréciation de ce type permettrait de manière tout autant efficace, mais moins attentatoire au principe d’égalité dans la protection du droit au travail, de garantir l’objectif de sécurité routière visé par la loi. La loi lui interdirait d’aménager la suspension de son droit de conduire, alors qu’il ne le mériterait pas moins qu’un autre conducteur ayant commis une infraction grave au Code de la route, mais n’ayant pas perdu la totalité de ses points.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A l’audience publique des plaidoiries et sur question soulevée d’office par le tribunal en ce qui concerne sa compétence quant à la demande formulée dans le dispositif du recours tendant à la limitation de « l’interdiction de conduire aux trajets d’ordre privé », le litismandataire du demandeur a déclaré renoncer à cette demande. Il y a lieu de lui en donner acte.

Force est tout d’abord au tribunal de relever que, bien que le présent recours vise tant la décision ministérielle du 13 avril 2018, ainsi que celle du 16 avril 2018, le demandeur ne se prévaut d’aucun moyen afin de contester la légalité de la décision ministérielle du 13 avril 2018. Dans la mesure où il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des parties, son analyse se limitera dès lors à la légalité de l’arrêté ministériel déféré du 16 avril 2018.

En ce qui concerne tout d’abord le moyen tiré d’une violation du principe non bis in idem consacré par l’article 4 du protocole n° 7 de la CEDH, il échet de relever que s’il est vrai que cette règle interdit aux Etats de poursuivre ou de punir pénalement pour une même infraction quiconque a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif, il a été jugé de manière constante que les sanctions prononcées, d’une part, par le Tribunal correctionnel et celles découlant, d’autre part, du retrait de points du capital dont est doté le permis de conduire poursuivent en fait deux objectifs différents. En effet, la sanction pénale réprime avant tout un fait déterminé en punissant ponctuellement le responsable, tandis que le dispositif du permis à points se veut pédagogique et préventif et tend à responsabiliser les conducteurs en jouant sur deux volets, celui de la dissuasion et celui de la réhabilitation. L’objectif en est d’agir de façon ciblée contre les récidivistes en instaurant un système qui garantit la progressivité des sanctions et qui permet par conséquent de détecter plus aisément les conducteurs à risque. Des infractions répétées trahissent un comportement dangereux qui nécessite une réponse pédagogique appropriée reposant sur des sanctions adaptées au comportement fautif. Le permis à points constitue à cet égard un instrument 6adéquat pour détecter les conducteurs potentiellement dangereux et pour influer en temps utile sur les habitudes par le retrait de plein droit de points affectés aux infractions commises sinon pour les écarter au moins temporairement de la circulation, en constatant la suspension du droit de conduire au cas où le capital de points dont est doté le permis à conduire est épuisé, si l’approche préventive échoue. Le dispositif mis en place par le permis à points s’inscrit dès lors dans un choix politique de sécurité routière1.

Cette solution s’impose notamment en ce qui concerne la décision portant suspension du permis de conduire du fait que le solde des points du permis de conduire est venu à épuisement au fil des différentes infractions ayant entraîné des retraits de points subséquents. En effet, la suspension administrative du permis de conduire ne se base pas sur l’infraction du 15 octobre 2017 sur l’autoroute A6 en direction d’Arlon qui a été sanctionnée par l’ordonnance pénale du 30 novembre 2017, mais sur le fait que le capital de points du permis de conduire du demandeur est réduit à zéro.

En ce qui concerne plus spécialement le retrait de cinq points basé sur la condamnation du 30 novembre 2017, devenue irrévocable le 15 février 2018, il se dégage de l’affaire Malige c/ France (arrêt du 23 septembre 1998), dans le cadre de laquelle la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après désignée par « la CourEDH », a retenu qu’en ce qui concerne le système français du retrait de points du permis de conduire, se caractérisant suivant la CourEDH par la circonstance que la perte de points résulte de plein droit d’une condamnation prononcée par le juge pénal et par la circonstance que la perte de points peut entraîner à terme la perte de la validité du permis de conduire, que le retrait de points revêt un caractère punitif et dissuasif et s’apparente ainsi à une peine accessoire (cf. considérants n° 38 et 39). Dans la mesure où le système du retrait de points en vigueur au Luxembourg a les mêmes caractéristiques, il échet de relever que la CourEDH a retenu dans différentes affaires que si la mesure portant sur le permis de conduire à la suite d’une condamnation pénale n’est que la conséquence directe et prévisible de la condamnation pénale et que s’il y a une étroite connexion entre les deux sanctions, la mesure portant sur le permis de conduire intervenue en second lieu s’apparente à une peine complémentaire à la condamnation pénale, la circonstance que les deux mesures sont prises par deux autorités différentes n’étant pas relevante à cet égard, de sorte qu’elle n’a pas retenu une violation du principe non bis in idem (cf.

arrêt du 17 février 2015, affaire Boman c/ Finlande, considérants n° 41 à 43).

Le moyen fondé sur une violation du principe non bis in idem est partant à rejeter.

En ce qui concerne ensuite le moyen du demandeur tiré d’une « violation de la règle constitutionnelle suivant laquelle les contestations concernant les droits civils sont du ressort exclusif des tribunaux de l’ordre judiciaire », il convient de relever que s’il est vrai qu’aux termes de l’article 84 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux judiciaires, tandis que l’article 95bis, paragraphe (1), de la Constitution attribue le contentieux administratif aux juridictions administratives, force est au tribunal de constater que le fait ou non de disposer d’un permis de conduire ne fait pas partie des droits civils d’une personne, et plus précisément de son droit d’aller et de venir, étant précisé que 1 Trib. adm., 13 décembre 2004, n° 18277 du rôle, Pas. Adm 2018, V° Transports, n° 93 et les autres références y citées.

7le demandeur peut toujours recourir aux transports en commun ou se faire conduire par un tiers afin de pouvoir jouir de sa liberté d’aller et de venir.

Il y a dès lors également lieu de rejeter ce moyen pour ne pas être fondé.

Le demandeur est ensuite d’avis que l’article 2bis, paragraphe (3), alinéa 6 de la loi du 14 février 1955 violerait le principe d’égalité, tel qu’inscrit à l’article 10bis de la Constitution aux termes duquel « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi », en ce qu’il interdirait tout aménagement pour des besoins professionnels de la suspension du droit de conduire, aménagement qui serait, néanmoins, possible dans le cadre « d’un retrait de permis prononcé à la suite du constat d’une infraction ponctuelle », et ce sur base de l’article 2, paragraphe (1), alinéa 2, point a) de la loi du 14 février 1955. Le demandeur conclut ainsi que le conducteur qui se verrait retirer son permis de conduire sur base de l’article 2 de la loi du 14 février 1955 serait traité de façon différente que celui dont le permis de conduire serait suspendu conformément à l’article 2bis de la même loi, distinction qui ne serait pas justifiée.

Il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent aux pouvoirs publics de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que les articles 2 et 2bis de la loi du 14 février 1955, auxquels le demandeur se réfère, concernent deux situations différentes en ce sens qu’il s’agit de deux décisions de nature différente, l’une étant la suspension du droit de conduire un véhicule automoteur pour une durée de douze mois consécutive à l’épuisement du capital de points dont est doté le permis de conduire de chaque administré et l’autre étant plus particulièrement le retrait administratif du permis de conduire fondé sur le constat du ministre que l’administré tombe sous une des hypothèses prévues à l’article 2, paragraphe 1er, points 1) à 6) de la loi du 14 février 1955, à savoir qu’il « 1) présente des signes manifestes d’alcoolisme ou d’autres intoxications;

2) n’offre pas, compte tenu des faits d’inhabileté ou de maladresse suffisamment concluants constatés à sa charge, les garanties nécessaires à la sécurité routière;

3) est dépourvu du sens des responsabilités requis, dans l’intérêt de la sécurité routière, pour la conduite d’un véhicule;

4) souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire;[…] «5) refuse d’exécuter la décision du ministre des Transports l’invitant à produire un certificat médical récent ou à faire inscrire sur le permis de conduire la prolongation ou le renouvellement de la période de stage ou la restriction de son droit de conduire;» 6) a fait une fausse déclaration ou usé de moyens frauduleux pour obtenir un permis de conduire, son renouvellement ou sa transcription. ».

8Les administrés faisant l’objet d’un retrait de leur permis de conduire sur base de l’article 2, paragraphe (1), précité et ceux dont le droit de conduire un véhicule automoteur est suspendu en vertu de l’article 2bis précité ne se trouvant pas dans des situations similaires, le demandeur ne saurait se prévaloir d’une violation du principe d’égalité de traitement.

Partant, il y a lieu de rejeter le moyen tiré d’une violation de l’article 10bis de la Constitution.

Le demandeur est finalement d’avis que l’alinéa 6 du paragraphe (3) de l’article 2bis de la loi du 14 février 1955 violerait, en outre, l’article 11, paragraphe (4), de la Constitution aux termes duquel « La loi garantit le droit au travail et assure à chaque citoyen l’exercice de ce droit ». Il convient de relever à cet égard qu’il n’appert pas en quoi la suspension du permis de conduire du demandeur pour une durée de douze mois entraverait son droit au travail, étant donné que la disposition constitutionnelle en question ne garantit pas à tout citoyen le droit au maintien dans un emploi déterminé. Par ailleurs, si la mesure de suspension du droit de conduire du demandeur est susceptible d’avoir une incidence sur les conditions d’exercice par celui-ci de sa profession d’artisan-fonctionnaire - tel que cela ressort de l’ « attestation » de Monsieur …, chef de service du service des transports en commun de la Ville de Luxembourg -, dans la mesure où cette suspension vise aussi bien les trajets privés que les trajets professionnels, le moyen tiré d’une atteinte au droit au travail ne saurait, s’agissant d’une mesure de police destinée à prévenir la commission d’autres infractions à la loi du 14 février 1955, ainsi qu’à l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 et à garantir la sécurité des usagers de la voie publique, utilement être invoqué.

Le moyen afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé sans que l’on puisse reprocher au ministre d’avoir pris une décision disproportionnée, étant relevé que la suspension du droit de conduire un véhicule, intervenue suite au cumul du retrait de tous les points du capital dont était doté le permis de conduire du demandeur, est la conséquence automatique de l’épuisement de tous les points dudit capital sans que le ministre n’ait un quelconque pouvoir d’appréciation à cet égard.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non fondé et en déboute ;

donne acte au demandeur qu’il renonce à sa demande formulée dans le dispositif du recours tendant à la limitation de « l’interdiction de conduire aux trajets d’ordre privé » ;

condamne le demandeur aux frais.

9Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 mai 2019 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Stéphanie Lommel, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 mai 2019 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 41353
Date de la décision : 15/05/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-05-15;41353 ?

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