Tribunal administratif Numéro 42491 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mars 2019 1re chambre Audience publique du 8 mai 2019 Recours formé par Monsieur …, alias …, alias …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42491 du rôle et déposée le 11 mars 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Egypte), et être de de nationalité égyptienne, alias …, déclarant être né le … à … (Egypte), et être de nationalité égyptienne, alias …, déclarant être né le …, et être de nationalité tchèque, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 février 2019 ayant déclaré irrecevable sa demande de protection internationale sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2019 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Michel Karp et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 avril 2019.
__________________________________________________________________________
Le 8 février 2016, Monsieur …, alias …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur …», introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par décision du 23 avril 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur …et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours, à compter du jour où ladite décision sera devenue définitive.
Monsieur …ne se présenta par la suite pas au rendez-vous fixé auprès du ministère en vue de préparer son retour volontaire en Egypte.
1Le 1er octobre 2018, les autorités françaises demandèrent aux autorités luxembourgeoises de reprendre en charge Monsieur …sur base de l’article 18, paragraphe 1, point b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, désigné ci-après par « le règlement Dublin III », demande qui fut acceptée le 4 octobre 2018. Le transfert vers le Luxembourg ne put toutefois pas avoir lieu étant donné que Monsieur …avait entretemps disparu.
Le 28 novembre 2018, les autorités allemandes demandèrent aux autorités luxembourgeoises la reprise en charge de Monsieur …sur base des dispositions du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée le 4 décembre 2018. Le transfert vers le Luxembourg ne fut toutefois pas nécessaire étant donné que Monsieur …était entretemps retourné de son propre gré au Luxembourg.
Le 14 décembre 2018, Monsieur …déposa auprès du ministère une deuxième demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.
Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Par décision du 18 décembre 2018, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre ordonna son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, désignée ci-après par « la SHUK », pour une durée de trois mois avec l’obligation de se présenter durant cette période quotidiennement au plus tard à 23.00 heures du soir ainsi qu’à 8.00 heures du matin au personnel de la structure prémentionnée.
Le même jour, Monsieur …passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.
Par décision du 19 décembre 2018, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre prit à l’égard du demandeur un arrêté rapportant l’arrêté d’assignation à résidence à la SHUK du 18 décembre 2018.
Le 23 janvier 2019, Monsieur …fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale.
Par décision du 11 février 2019, notifiée à l’intéressé en mains propres le 22 février 2019, le ministre informa Monsieur …que sa nouvelle demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015.
Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à votre deuxième demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 14 décembre 2018.
2Il ressort de votre dossier que vous avez introduit une première demande de protection internationale le 8 février 2016 qui a été refusée par décision ministérielle du 23 avril 2018. Il convient de noter que vous n'avez pas formulé de recours contre la prédite décision.
Vous avez invoqué à la base de cette demande que vous auriez quitté l'Egypte, où vous auriez travaillé jusqu'en 2014 en tant que … et chercheur au centre national de recherche, parce que vous seriez copte et … politique. En 2002, vous auriez commencé « à afficher » votre religion chrétienne et vous auriez fait une demande pour changer votre nom en nom chrétien.
Celle-ci aurait été rejetée au tribunal et en 2004, vous auriez vous-même été appelé au « Tribunal de repentance » à cause de cette affaire: Ainsi, on vous aurait « demandé de repentir et j'ai dû signer un papier sur lequel était écrit: premièrement, je n'avais plus le droit de parler ni de religion, ni de politique, même au sein de l'université; deuxièmement, l'interdiction de toute forme d'écrits comme des blogs; troisièmement, l'interdiction d'afficher n'importe quel signe religieux à part un signe de l'islam; quatrièmement, l'interdiction de parler avec qui que ce soit sur des sujets qui pourraient briser l'harmonie, l'unité du pays et qui pourraient nuire à l'intérêt supérieur du pays et à la sécurité nationale; cinquièmement, l'interdiction d'adresser des critiques aux hommes religieux actuels, même antérieurs; sixièmement l'interdiction d'humilier un autre pays musulman ». C'est également en 2002, que vous auriez commencé votre activité de … politique en publiant des articles contre le « régime politique et religieux », ce qui vous aurait finalement valu d'être enfermé pendant quatre jours en 2013.
En plus, vous auriez été agressé à plusieurs reprises et enlevé à deux reprises en 2011 et 2013 à cause de votre confession et votre activité en tant que …. Avant le premier enlèvement, vous auriez reçu des menaces sur votre portable et vos agresseurs vous auraient par la suite volé « tout » votre argent, tandis que vous auriez été détenu pendant trois nuits par six ou dix hommes non autrement identifiés qui appartiendraient aux « Frères Musulmans » lors du deuxième prétendu rapt.
Quant à la chronologie de votre vécu, vous prétendez que le 13 octobre 2014, vous seriez parti en Italie avec un visa étudiant afin d'y poursuivre vos études de médicine, mais vous auriez été « renvoyé » en Egypte en décembre 2015. Néanmoins, vous auriez de nouveau quitté l'Egypte en direction de l'Italie avant de continuer votre voyage à travers l'Europe. Vous dites aussi qu'en 2015, vous auriez vécu et travaillé pendant quelques mois en Estonie. En janvier 2016, vous auriez quitté l'Estonie et décidé de retourner en Egypte pour y séjourner pendant quelques jours avant de repartir pour l'Italie où vous seriez arrivé le 23 janvier 2016. Vous seriez ensuite passé par la Suisse, l'Allemagne et le Luxembourg avant de repartir en France et en Italie où vous seriez monté à bord d'un bateau pour rentrer en Egypte. Après y avoir passé trois mois, vous seriez reparti pour l'Italie en août 2018 avant de repartir en France, puis en Irlande et finalement revenir au Luxembourg.
Après avoir été débouté de votre demande de protection internationale au Luxembourg, vous vous êtes initialement déclaré prêt à retourner volontairement en Egypte. Ainsi, suite à votre rendez-vous avec l'Organisation Internationale pour les Migrations le 5 mai 2018, vous avez été convoqué auprès de la Direction de l'immigration le 9 mai 2018, en vue de préparer votre retour volontaire en Egypte, prévu pour le 31 mai 2018. Or, vous ne vous êtes jamais présenté à ce rendez-vous. Le 1er octobre 2018, les autorités françaises ont demandé aux autorités luxembourgeoises votre reprise en charge sur base du règlement Dublin III. Cette demande a été acceptée mais votre transfert n'a pas pu être réalisé alors que vous avez « pris la fuite » en France.
3 Le 28 novembre 2018, les autorités allemandes ont demandé aux autorités luxembourgeoises votre reprise en charge sur base du même règlement. Alors que le Luxembourg avait émis son accord, votre transfert n'a de nouveau pas été réalisé alors que vous vous êtes présenté de votre propre gré au Luxembourg, où vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale le 14 décembre 2018.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 14 décembre 2018, le rapport d'entretien Dublin III du 18 décembre 2018 ainsi que le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 23 janvier 2019.
Il en ressort qu'après avoir raté votre rendez-vous auprès de la Direction de l'immigration concernant votre retour volontaire, vous seriez parti en Italie avant de retourner vivre en Egypte entre avril ou mai 2018 et août 2018, période pendant laquelle vous n'y auriez rencontré « aucun problème ». Vous seriez ensuite reparti en Italie avant de passer par la France et le Luxembourg pour gagner l'Irlande. En Irlande, vous auriez été détenu pour possession de quatre passeports falsifiés, dont le tchèque dont vous avez remis une copie aux autorités luxembourgeoises. Vous auriez ensuite été raccompagné en France où vous auriez été convoqué plusieurs fois auprès des autorités à cause de ces faux passeports. « En contrepartie » de la remise de vos faux documents de voyage aux autorités françaises, vous auriez été « libéré » et le 2 novembre 2018, vous seriez parti en Allemagne où vous avez introduit une demande de protection internationale le 20 novembre 2018. La procédure concernant votre demande est encore en cours et vous y bénéficiez depuis d'une « Duldung ».
Vous expliquez aujourd'hui que votre vraie identité serait celle d'… et que vous en auriez donné une fausse aux autorités luxembourgeoises lors de l'introduction de votre première demande de protection internationale. De même, vous expliquez que vous n'auriez jamais travaillé comme professeur en Egypte mais que vous auriez été engagé comme « maître-
plongeur assistant » à … ainsi que comme boulanger de 1999 à 2008. En 2008, vous auriez déménagé à … où vous [auriez] vécu seul dans la maison familiale jusqu'en octobre 2014, date de votre départ pour l'Italie.
Vous auriez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg parce que « premièrement », vous n'auriez jamais pu obtenir de papier d'identité en Egypte et que « Je ne peux plus établir de faux papiers d'identité parce que c'est illégal », voire « je ne peux pas établir un deuxième passeport surtout que la validité du passeport a expiré. Troisième point: Je n'ai pas de possibilité d'aller vers un autre pays à cause des lois européennes (…) ».
Ainsi, vous vous sentiriez comme un apatride chez vous, alors que vous n'y pourriez pas ouvrir de commerce ou de compte en banque, faute de papiers d'identité. Vous n'auriez jamais entrepris de démarches en Egypte pour trouver des solutions à ce problème et vous craindriez une incarcération de trois à cinq ans en cas d'un retour dans votre pays.
Vous précisez ne pas avoir parlé de ces motifs de fuite au cours de votre première demande de protection internationale par peur d'être arrêté pour possession de faux papiers.
De même, vous auriez inventé les motifs avancés à la base de votre première demande « par bêtise. J'ai pensé que le fait de raconter des mensonges, cela pouvait marcher ». En fait, à part quelques détails, « quatre-vingt-dix pourcents » de vos explications données au cours de votre première demande constitueraient des mensonges.
4 Je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau relatifs à l'examen visant à déterminer si vous remplissez les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d'une protection internationale.
En effet, conformément à l'article 32 de la loi du 18 décembre 2015, il y a lieu de soulever que vous n'étiez manifestement pas dans l'incapacité de faire valoir vos motifs de fuite dans le cadre de votre première demande de protection internationale introduite au Luxembourg. Etant donné que vous confirmez ne jamais avoir possédé de vraie pièce d'identité en Egypte, vous auriez évidemment déjà pu en parler, ainsi que de votre prétendu sentiment d'apatridie, dans le cadre de votre première demande de protection internationale. Il en est de même de votre prétendue impossibilité d'ouvrir un compte bancaire ou un commerce.
Le fait qu'au cours de votre première demande, vous auriez préféré mentir « par peur » et « par bêtise » et inventer des motifs de fuite en espérant que « cela pouvait marcher », ne saurait évidemment pas excuser votre mutisme quant à vos prétendus véritables problèmes.
A cela s'ajoute que vous n'êtes pas en mesure de corroborer vos dires par la moindre preuve et que votre prétendu retour en Egypte suite au refus de votre première demande de protection internationale n'est nullement établi. Quand bien même il serait établi que vous avez préféré retourner volontairement en Egypte en 2018, tout comme vous y seriez retourné volontairement à plusieurs reprises après votre départ de 2014, cela démontrerait que vous n'y auriez manifestement rien à craindre et que vous-même ne prendriez pas au sérieux vos prétendues craintes d'incarcération que vous exprimez dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale. Rappelons que vous confirmez aussi n'avoir rencontré « aucun problème » lors de votre prétendu séjour en Egypte.
Au vu des nombreux mensonges que vous n'avez pas hésité à marteler, au cours de vos entretiens lors de votre première demande de protection internationale, aucun crédit ne saurait être accordé à vos dires. A cela s'ajoute que vous n'avez pas moins de trois alias connus et que vous étiez en possession de nombreux faux documents.
Enfin, il faut soulever que des motifs de pure convenance personnelle ne sauraient évidemment pas non plus constituer des éléments nouveaux tels que prévus par la loi, qui augmenteraient de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions prévues pour bénéficier d'une protection internationale. Le fait que vous auriez aussi introduit une deuxième demande de protection internationale parce que les lois européennes vous empêcheraient de voyager vers un autre pays, ne saurait donc manifestement pas non plus être perçu comme un élément nouveau défini par ledit article 32.
Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable au sens de l'article 28 (2) d). […] ».
Par requête déposée le 11 mars 2019 et inscrite sous le numéro 42491 du rôle, Monsieur …a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 11 février 2019, précitée.
Etant donné que la décision déférée déclare irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur …sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 et que l’article 35, paragraphe (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation 5en matière de nouvelles demandes de protection internationale déclarées irrecevables sur base de l’article 28, paragraphe (2) de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’audience des plaidoiries du 29 avril 2019, le litismandataire de Monsieur …a informé le tribunal que la « vraie » identité de son mandant serait celle de ….
A l’appui de son recours, le demandeur renvoie, en substance, aux faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits dans le rapport d’entretien du 23 janvier 2019 auprès de l’agent compétent du ministère. Tout en admettant avoir menti lors de son entretien en relation avec sa première demande de protection internationale, sauf pour ce qui est du nom de sa mère, de la date de décès de celle-ci et de son vrai nom, il donne à considérer qu’il n’aurait pas affirmé lors de l’entretien relatif à sa deuxième de demande de protection internationale, avoir menti de manière univoque sur les motifs sous-
jacents à sa première demande de protection internationale et qui l’auraient poussé à fuir l’Egypte, à savoir le fait d’être copte et … politique. Comme il affirme, par ailleurs, avoir menti sur 90% de ses déclarations, mais que le premier rapport d’entretien comporterait une soixantaine de pages, il devrait être admis qu’il ne serait pas établi de manière incontestable qu’il a menti sur les motifs sous-jacents à sa première demande de protection internationale. Il aurait, par ailleurs, affirmé lors de son entretien du 23 janvier 2019 que le motif sous-jacent à sa première demande de protection internationale était lié au fait d’être copte égyptien. S’il admet être retourné en Egypte, il estime toutefois que la seule raison pour laquelle il n’aurait pas rencontré de problèmes serait celle qu’il n’aurait jamais dû y montrer sa carte d’identité, de sorte que les autorités égyptiennes ne se seraient pas rendues compte qu’il s’agissait d’un faux.
Pour le surplus, il insiste plus particulièrement sur le fait qu’il aurait peur de devoir vivre comme apatride en cas de retour en Egypte, tout en précisant que comme son père ne l’aurait pas reconnu à sa naissance, sa mère n’aurait jamais pu obtenir des papiers d’identité pour lui. Il estime encore qu’en cas de retour en Egypte, il ne pourrait y ouvrir de commerce ou de compte en banque et qu’il y serait emprisonné faute d’être en possession de documents d’identité authentiques.
En droit, le demandeur estime que la décision ministérielle attaquée devrait être annulée, alors que ce serait à tort que l'autorité ministérielle a déclaré irrecevable sa demande en application de l'article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur estimant qu’il aurait exposé un élément, voire un fait nouveau, à savoir le fait d’être apatride et la crainte y afférente d’être emprisonné pour ne pas disposer de papiers d’identité, ce qui établirait qu’il serait exposé, d’une part, à des actes de persécution de la part des autorités publiques égyptiennes et, d’autre part, à une incarcération en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte à augmenter de manière significative la probabilité de remplir les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Il conclut, en conséquence, à l'annulation de la décision attaquée.
Le délégué de gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous examen.
Avant tout progrès en cause, le tribunal relève qu’afin de pouvoir utilement réformer ou annuler une décision administrative, le tribunal, en tant qu’organe juridictionnel, est appelé à 6statuer par apport aux moyens tant en droit qu’en fait qui lui sont soumis par la partie demanderesse mais il ne lui appartient pas en l’absence de moyens concrètement soumis, d’instruire de sa propre initiative une demande qui lui est adressée.1 L’article 28, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que « […] le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: […] d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale […] ».
Aux termes de l’article 32 de la même loi, « (1) Constitue une demande ultérieure une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel le ministre a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 23, paragraphes (2) et (3).
(2) Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure, ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure sont examinés dans le cadre de l’examen de la demande antérieure par le ministre ou, si la décision du ministre fait l’objet d’un recours juridictionnel en réformation, par la juridiction saisie.
(3) Le ministre procède à un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en vertu de l’article 28, paragraphe (2), point d). Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien.
(4) Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. […] ».
Il ressort de ces dispositions que le ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure – c’est-à -dire une demande de protection internationale introduite après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure émanant de la même personne – sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale. Saisi d’une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection 1 Trib.adm., 16 août 2017, n° 39839 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 434 et les autres références y citées.
7internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.
Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, premièrement, que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, deuxièmement, que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, troisièmement, qu’il ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.
En l’espèce, il est constant en cause que la demande de protection internationale du demandeur ayant donné lieu à la décision déférée a été introduite le 14 décembre 2018, soit après le rejet définitif de sa première demande de protection internationale par une décision du 23 avril 2018, cette dernière n’ayant fait l’objet d’aucun recours devant les juridictions administratives, de sorte que sa demande de protection internationale introduite le 14 décembre 2018, précitée, doit être qualifiée comme constituant chronologiquement une nouvelle demande au sens de l’article 32, paragraphe (1), précité.
En l’espèce, il apparaît, à la lecture du rapport de l’audition effectuée dans le cadre de la première demande de protection internationale, que le demandeur a invoqué avoir quitté son pays d’origine, à savoir l’Egypte, en raison du fait qu’il était « copte » et « … politique ».
A l’appui de sa nouvelle demande de protection internationale, le demandeur, déclarant toujours être de nationalité égyptienne et de confession copte, affirme qu’il aurait menti sur « quatre-vingt-dix pourcents » de ses explications données au cours de sa première demande de protection internationale, respectivement que la seule chose sur laquelle il n’aurait pas menti serait le nom de sa mère, la date de décès de celle-ci et son vrai nom. Il soutient que sa vraie identité serait celle d’… et qu’il aurait quitté l’Egypte au motif qu’il serait « comme quelqu’un d’apatride ». En effet, il ne disposerait pas d’une pièce d’identité faute d’avoir été reconnu par son père lors de sa naissance, de sorte qu’il craindrait d’être emprisonné au cas où il serait contrôlé par des agents de police vu qu’il ne serait pas en possession de papiers d’identité authentiques. Il soutient encore qu’il aurait introduit une deuxième demande de protection internationale « premièrement parce que je n’ai jamais pu obtenir de papier d’identité. Je ne peux plus établir de faux papiers d’identité parce que c’est illégal. […] Et je ne peux pas établir un deuxième passeport surtout que la validité du passeport va expirer bientôt. Troisième point :
Je n’ai pas de possibilité d’aller vers un autre pays à cause des lois européennes concernant l’asile ».
Si les motifs à la base des deux demandes de protection internationale sont effectivement différents, de sorte que les faits invoqués à l’appui de la deuxième demande sont à considérer comme nouveaux par rapport à ceux de la première, force est de constater, de concert avec la partie étatique, que le demandeur est en aveu qu’il n’a jamais possédé de vraie pièce d’identité en Egypte. Le fait qu’il aurait été « comme quelqu’un d’apatride », à supposer cette affirmation véridique, a dès lors existé au jour de la première demande de protection internationale, à savoir avant qu’il n’ait quitté l’Egypte, de sorte qu’a priori il avait la possibilité de faire valoir ces faits lors du dépôt de sa première demande de protection internationale, respectivement de compléter les motifs de la prédite demande au moment de la phase précontentieuse. Il en est de même de son affirmation qu’il ne pourrait pas ouvrir de commerce ni de compte en banque.
8 Or, le paragraphe (4) de l’article 32 précité de la loi du 18 décembre 2015 soumet la possibilité de prendre en compte des éléments ou faits nouveaux à la condition, notamment, que le demandeur a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure.
Force est de constater que le demandeur concède avoir menti au moment du dépôt de sa première demande de protection internationale. Il admet encore qu’il n’a pas mentionné la réalité de son vécu lors de sa première demande de protection internationale au motif qu’il aurait eu peur « qu’au cas où les agents ministériels découvriraient qu’il avait usurpé l’identité d’une personne décédée en Egypte, il serait emprisonné soit en Europe ou en Egypte ». Il poursuit, qu’au vu de cette crainte, il aurait été dans l’impossibilité, sinon du moins dans l’impossibilité morale, de faire valoir ces éléments voire faits nouveaux lors de son entretien dans le cadre de sa première demande de protection internationale.
Or, le tribunal est amené à retenir que le demandeur n’est pas fondé à justifier son défaut de faire état des faits actuellement relatés par un sentiment de peur de ce qui pourrait lui arriver en cas de retour en Egypte, si les autorités égyptiennes « découvrent la chose, la corruption d’un agent de l’état, l’usurpation d’identité, sortie du pays illégalement ». A cet égard, il convient de relever qu’il a encore certifié à la fin de ses entretiens qu’il n’avait plus de faits à mentionner autres que ceux qu’il avait relatés et qu’il a signé une déclaration finale en assurant qu’il ne retenait pas d’informations essentielles portant un changement significatif au contexte de sa première demande, de sorte que le constat s’impose qu’il a en connaissance de cause omis de raconter les faits dont il fait actuellement état.
En outre, quant à l’affirmation du litismandataire du demandeur selon laquelle celui-ci n’aurait pas affirmé de manière univoque avoir menti sur les motifs sous-jacents à sa première demande de protection internationale, à savoir le fait d’être copte et … politique, le tribunal relève que la décision du 23 avril 2018 par le biais de laquelle le ministre a rejeté la première demande de protection internationale du demandeur a acquis autorité de chose décidée à défaut de recours introduit contre celle-ci par le demandeur dans les délais légaux, de sorte que celui-
ci ne peut plus invoquer les motifs à la base de sa première demande de protection internationale, étant encore relevé que le demandeur n’a plus invoqué les prédits motifs lors de l’entretien du 23 janvier 2019 ayant porté sur les motifs se trouvant à la base de sa deuxième demande de protection internationale.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’indépendamment de la question de savoir si les faits invoqués à l’appui de sa nouvelle demande de protection internationale augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’une des conditions cumulatives prévues à l’article 32, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 n’est pas remplie, dans la mesure où le demandeur aurait été capable de se prévaloir des faits dont il se prévaut actuellement au cours de la précédente procédure, de sorte que le ministre a valablement pu déclarer irrecevable la demande de Monsieur …en application de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015.
Partant, au vu des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, 9 le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation dirigé contre la décision 13 février 2019 ayant déclaré irrecevable la demande de protection internationale introduite par le demandeur en date du 11 février 2019 ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 mai 2019, par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Carine Reinesch, attaché de justice en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 mai 2019 Le greffier du tribunal administratif 10