Tribunal administratif Numéro 42711 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2019 2e chambre Audience publique extraordinaire du 3 mai 2019 Recours formé par Monsieur … , alias …, alias …, alias …, Findel contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42711 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2019 par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Maroc) et être de nationalité marocaine, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité marocaine, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité marocaine, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité marocaine, alias …, déclarant être né le … à « … » et être apatride, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 mars 2019 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2019 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Ibtihal El Bouyousfi déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2019;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2019 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nathalie Gomes, en remplacement de Maître Ibtihal El Bouyousfi, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 avril 2019.
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Le 29 mars 2017, Monsieur …, alias …, alias …, alias …, dénommé ci-après « Monsieur … », déposa une demande de protection internationale auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».
1En date du même jour, il fut entendu par un agent de la Police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
L’intéressé ayant disparu par la suite, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », déclara par décision du 4 septembre 2017, notifiée par affichage public le 5 septembre 2017, la demande de protection internationale comme implicitement retirée, Monsieur … n’ayant pas répondu aux convocations lui adressées, ni procédé au prolongement de son attestation de demandeur de protection internationale depuis le 15 juin 2017.
En date du 3 janvier 2018, les autorités néerlandaises sollicitèrent des autorités luxembourgeoises la reprise en charge de l’intéressé sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b), du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Les autorités luxembourgeoises acceptèrent la reprise en charge de Monsieur … le 10 janvier 2018.
Par courriers des 19 et 20 avril 2018, les autorités néerlandaises informèrent les autorités luxembourgeoises de ce qu’il ne pouvait pas être procédé au transfert de Monsieur … du fait qu’il avait disparu.
En date du 16 mai 2018, les autorités allemandes contactèrent les autorités luxembourgeoises en vue d’une reprise en charge de Monsieur … conformément à l’article 18, paragraphe (1), point b), du règlement Dublin III, alors que celui-ci avait introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 18 avril 2018.
Cette demande de reprise en charge fut acceptée par les autorités luxembourgeoises par courrier du 28 mai 2018.
Par jugement par défaut du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle, du 5 juillet 2018, Monsieur … fut condamné à une peine d’emprisonnement de 6 mois et à une amende de 500 euros, du chef de vol.
Par arrêté du 20 novembre 2018, notifié à l’intéressé en mains propres le 21 novembre 2018, jour de son transfert au Luxembourg, le ministre constata le séjour irrégulier de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois à son encontre d’une durée de trois ans à partir de la sortie de l’Espace Schengen.
Par un arrêté séparé du même jour, notifié également à l’intéressé en mains propres le 21 novembre 2018, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté, celui-ci étant basé sur les motifs et considérations suivants:
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
2Vu la loi modifiée du 28 août 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour du 20 novembre 2018, assortie d’une interdiction de territoire de trois ans ;
Attendu que l’intéressé est dépourvu de tout document d’identité et de voyage valable ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».
Par arrêtés des 19 décembre 2018 et 18 janvier 2019, notifiés à l’intéressé le 21 décembre 2018, respectivement le 21 janvier 2019, le ministre prorogea la mesure de placement en rétention de Monsieur … à chaque fois pour une durée d’un mois à partir de la notification desdits arrêtés.
Par jugement du 31 janvier 2019, inscrit sous le numéro 42254 du rôle, le tribunal administratif rejeta le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 19 décembre 2018, précitée, prorogeant son placement en rétention pour la durée d’un mois.
Par arrêté du 15 février 2019, le ministre prorogea une troisième fois la mesure de placement en rétention de l’intéressé pour une durée d’un mois à partir de sa notification. Le recours contentieux introduit par Monsieur … contre ladite décision ministérielle fut rejeté par un jugement rendu par le tribunal administratif le 8 mars 2019, inscrit sous le numéro 42425 du rôle.
Par arrêté du 20 mars 2019, notifié à l’intéressé en date du 21 mars 2019, le ministre prolongea encore le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de sa notification, ledit arrêté étant libellé comme suit :
« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mes arrêtés des 20 novembre 2018, notifié en date du 21 novembre 2018, 19 décembre 2018, notifié en date du 21 décembre 2018, 18 janvier 2019, notifié en date du 21 janvier 2019 et 15 février 2019, notifié le 21 février 2019, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 20 novembre 2018 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches en vue de l’éloignement ont été engagées ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; (…) ».
3Par arrêté du 17 avril 2019, notifié à l’intéressé en date du 19 avril 2019, le ministre prolongea une cinquième fois le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de sa notification.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, non pas de la décision ministérielle précitée du 17 avril 2019, mais de celle du 20 mars 2019, prolongeant son placement au Centre de rétention pour la quatrième fois pour une durée d’un mois à partir de la notification.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Dans le cadre de son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a fait valoir que le tribunal ne saurait plus utilement à ce stade de la procédure contentieuse ordonner par réformation de l’arrêté du 20 mars 2019 la libération de l’intéressé du Centre de rétention, étant donné qu’il ne se trouverait plus placé audit centre par application dudit arrêté ministériel dont les effets auraient cessé le 19 avril 2019.
Il ressort des pièces soumises à l’analyse du tribunal que l’arrêté ministériel du 20 mars 2019 a été notifié le 21 mars 2019 à l’intéressé. Il s’ensuit que la mesure de placement en rétention administrative déférée n’étant plus en vigueur au jour des plaidoiries, à savoir en date du 29 avril 2019, de sorte que le tribunal n’est ainsi plus en mesure, au stade actuel de la procédure contentieuse, de faire droit à la demande tendant à la réformation de la décision déférée. Le contrôle du tribunal ne peut donc désormais plus que porter sur les moyens de légalité invoqués dans le cadre du recours en réformation.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours en réformation est recevable dans la limite des moyens d’annulation invoqués et devient sans objet pour le surplus.
Dans le cadre de sa requête introductive d’instance, le demandeur soulève deux moyens, à savoir, d’une part, une violation de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 et, d’autre part, une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH ».
En ce qui concerne son premier moyen relatif à une violation de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur explique que cinq mois se seraient écoulés depuis son placement au Centre de rétention, sans que les recherches relatives à son identification entreprises par le Consulat du Maroc situé à Liège auraient abouti. Il y aurait donc lieu de conclure que son éloignement n’aurait aucune perspective d’aboutir. Ainsi, son identification, la délivrance d’un laissez-passer ainsi que la planification du voyage de retour ne pourraient pas être organisés en un seul mois. Le demandeur conclut que son maintien au Centre de rétention serait disproportionné et constituerait un abus de pouvoir.
Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…) l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en 4rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour la durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une décision de prorogation d’une mesure de placement en rétention est partant soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien », une quatrième prorogation étant par ailleurs conditionnée par le constat que la prolongation de la durée de l’éloignement s’explique soit par un manque de collaboration de l’intéressé, soit par des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires.
S’agissant des contestations de Monsieur … quant à l’existence d’une perspective d’aboutissement de son éloignement, le tribunal relève que dans son jugement, précité, du 8 mars 2019, inscrit sous le numéro 42425 du rôle, il a retenu que les diligences entreprises par les autorités luxembourgeoises jusqu’au moment où il avait été amené à statuer étaient suffisantes pour justifier la rétention du demandeur au Centre de rétention.
5A la suite du jugement précité du 8 mars 2019, les autorités luxembourgeoises se sont de nouveau adressées par courrier du 15 mars 2019 au Consulat du Royaume du Maroc à Liège pour s’enquérir sur l’état d’avancement de la procédure d’identification du demandeur. Il ressort, par ailleurs, d’une note au dossier administratif du 2 avril 2019 que lors d’un rendez-
vous au Consulat du Royaume du Maroc à Liège le 1er avril 2019, un agent ministériel a été informé du fait que la demande d’identification était toujours en cours d’instruction. Enfin, par courrier du 12 avril 2019, les autorités luxembourgeoises ont encore relancé les autorités consulaires marocaines à Liège en se renseignant de nouveau sur l’état d’avancement de l’identification du demandeur.
Au vu des diligences ainsi accomplies par les autorités ministérielles luxembourgeoises en vue de l’éloignement du demandeur, aucun reproche tiré d’un manque de démarches ne saurait être formulé à l’égard des autorités luxembourgeoises, d’ailleurs tributaires de la collaboration et de l’efficacité des autorités marocaines auxquelles elles se sont adressées. Les démarches ainsi entreprises en l’espèce par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées comme suffisantes, de sorte qu’il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement du demandeur est toujours en cours et qu’elle est exécutée avec toute la diligence requise.
Concernant plus concrètement l’argumentaire du demandeur, le tribunal est amené à retenir qu’il n’entrevoit à l’heure actuelle pas d’éléments qui permettraient de conclure que l’éloignement vers le Maroc ne puisse pas être mené à bien. Il est certes vrai que le placement au Centre de rétention du demandeur a été prolongé pour la quatrième fois par la décision déférée, de sorte qu’en cas de réponse affirmative des autorités marocaines à la demande d’identification du demandeur, son éloignement vers le Royaume du Maroc devra être organisé dans les plus brefs délais, afin de pouvoir aboutir au cours de la période de placement en rétention, étant entendu qu’aux termes de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 un placement au Centre de rétention ne peut être prolongé qu’à cinq reprises. Une telle organisation ne s’avère pourtant pas être impossible, de sorte qu’il ne peut pas être exclu que l’éloignement du demandeur puisse être mené à bien, les autorités marocaines n’ayant en particulier jamais manifesté une quelconque opposition à une telle réadmission. Il s’ensuit que les contestations du demandeur tendant à établir que son éloignement serait disproportionné et n’aurait aucune perspective d’aboutir sont à rejeter pour ne pas être fondées.
Dans le même contexte, il convient encore de rejeter l’allégation du demandeur selon laquelle le ministre aurait commis un abus, respectivement un détournement de pouvoir en prolongeant pour la quatrième fois son placement au Centre de rétention. En effet, le détournement de pouvoir consiste dans le fait pour l’administration d’exercer une compétence dans un but autre que celui pour lequel cette compétence lui a été conférée1. Or, en l’espèce, le demandeur n’établit d’aucune manière que le ministre aurait procédé à la prolongation de son placement au Centre de rétention dans un but autre que celui prévu par l’article 120 de la loi du 28 août 2008, à savoir l’organisation de son éloignement.
Le demandeur avance un second moyen à l’encontre de la décision ministérielle déférée, en affirmant qu’elle aurait été prise en violation de l’article 3 de la CEDH, au motif que le maintien au Centre de rétention pour une durée totale de cinq mois dans le seul but d’organiser son éloignement vers le Royaume du Maroc serait constitutif d’un traitement inhumain et dégradant. Ainsi, le fait de le priver pendant cinq mois de sa liberté et de l’enfermer 1 trib. adm 15décembre 1997, n° 10282 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n° 6.
6dans un environnement « caractérisé par la promiscuité, le stress et l’exposition à la souffrance morale et psychique » constituerait une violation de l’article 3 de la CEDH.
Force est au tribunal de constater que si l’article 3 de la CEDH dispose certes que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants », une mesure de placement au Centre de rétention ne saurait, en tant que telle, être considérée comme dégradante, inhumaine ou humiliante si les conditions légalement prévues sont remplies. Il échet à cet égard de retenir que le demandeur, au-delà de ses critiques générales et abstraites, ne fournit aucun élément concret quant à son état psychologique.
Ainsi, et dans la mesure où le demandeur se limite à affirmer de manière générale que la rétention serait vécue par lui comme traitement dégradant, sans pour autant indiquer en quoi les conditions légales prévues par la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention n’auraient pas été respectées en l’espèce, le moyen du demandeur relatif à une violation de l’article 3 de la CEDH est à rejeter pour ne pas être fondé.
Dans le cadre de son mémoire en réplique, le demandeur développe un troisième moyen, en affirmant que le ministre resterait en défaut de prouver qu’une mesure autre que le placement en rétention aurait échoué.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen afférent.
Pour autant que par la formulation vague et abstraite de ce moyen, le demandeur ait entendu reprocher au ministre de ne pas lui avoir appliqué une mesure moins coercitive que le placement au Centre de rétention, en application de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, le tribunal relève que cette dernière disposition légale dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) [de la loi du 29 août 2008].
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.
La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle 7à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.
Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».
Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1) sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125 (1) pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.
L’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3), de la même loi.
Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes. 2 En l’espèce, il est constant que le demandeur est en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.
Etant donné qu’il est encore constant en cause que le demandeur ne dispose ni d’un passeport en cours de validité ni d’un visa en cours de validité, il ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 34 (2), point 1 de la loi du 29 août 2008, de sorte que l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite est présumée, en vertu de l’article 111 (3) c), point 1. de la même loi, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite est présumé (…) si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) ».
Le tribunal retient que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite qui existe dans son chef, tel que retenu ci-avant.
En effet, il n’a présenté aucun élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de 2 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Etrangers, n° 876 et les autres références y citées.
8garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose. Plus particulièrement, il n’avance aucun élément concret témoignant de l’existence d’un domicile légal au Luxembourg, d’une vie familiale et privée stable, respectivement d’attaches particulières au Luxembourg. Enfin, le demandeur n’a ni allégué ni a fortiori prouvé qu’il disposerait d’une adresse fixe au Luxembourg. Il suit des considérations qui précèdent qu’il ne peut pas être reproché au ministre de ne pas avoir appliqué les mesures moins coercitives prévues par l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, de sorte que les contestations afférentes du demandeur encourent le rejet.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation dans la limite des moyens de légalité invoqués et le déclare sans objet pour le surplus ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 3 mai 2019, à 10.00 heures, par le vice-
président, en présence du greffier assumé Lejila Adrovic.
s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 mai 2019 Le greffier du tribunal administratif 9