Tribunal administratif N° 42449 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 mars 2019 3e chambre Audience publique du 30 avril 2019 Recours formés par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42449 du rôle et déposée le 4 mars 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 février 2019 de le transférer vers la Suède comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Michel KARP en sa plaidoirie à l’audience publique du 24 avril 2019.
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Le 10 janvier 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une deuxième demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », Monsieur … ayant d’ores et déjà introduit une première demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg le 15 septembre 2017, laquelle avait été rejetée par décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », en date du 8 novembre 2017 sur base de la considération que les autorités suédoises étaient compétentes pour l’examen de sa demande de protection internationale.
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, service criminalité organisée / police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC, qu’il avait introduit une demande de protection internationale en Suède, le 15 novembre 2015, ainsi qu’une demande de protection internationale au Luxembourg le 15 septembre 2017.
Le même jour, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
Toujours le même jour, le ministre notifia à Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois.
Les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités suédoises le 15 janvier 2019 en vue de la reprise en charge de Monsieur …, demande qui fut acceptée par les autorités suédoises le 23 janvier 2019 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III.
Par décision datée du 11 février 2019, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé du 14 février 2019, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg a pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la Suède sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« […] J’accuse réception de votre deuxième demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée en date du 10 janvier 2019.
En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18§1d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Suède qui est l’Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.
Selon vos déclarations vous auriez quitté votre pays d’origine en 2015. Vous avez déposé une demande de protection internationale en Suède en 2015 et après le rejet de celle-ci, vous avez voyagé une première fois au Luxembourg en 2017 pour introduire une nouvelle demande. En date du 26 septembre 2017, les autorités suèdes ont accepté de vous reprendre en charge et le transfert a été réalisée le 7 décembre 2017. Selon vos dires, vous seriez resté pendant une année en Suède avant de revenir au Luxembourg en date du 9 janvier 2019 pour faire une deuxième demande de protection internationale.
Il résulte par ailleurs des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment dans la base de données EURODAC, que vous avez déjà précédemment introduit une demande de protection internationale en Suède en date du 15 novembre 2015.
Sur base des informations à disposition, le Grand-Duché de Luxembourg a adressé une deuxième demande de reprise en charge aux autorités suédoises qui ont accepté en date du 23 janvier 2019 de vous reprendre en charge en vertu de l’article 18§1d du règlement UE Nr 604/2013 susmentionné.
Lors de votre audition en date du 10 janvier 2019, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Suède qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l’application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement UE Nr 604/2013.
Vous n’avez par ailleurs pas fait valoir des raisons particulières ou humanitaires qui auraient dû amener l’Etat luxembourgeois à faire application de l’article 17(1) du règlement UE Nr 604/2013.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités suédoises n’ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mars 2019, inscrite sous le numéro 42449 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 11 février 2019.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond dans la présente matière, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation sous analyse, lequel est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il y a d’abord lieu de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg n’a pas fourni de mémoire de réponse en cause dans le délai légal, bien que la requête introductive ait été valablement notifiée par la voie du greffe au délégué du gouvernement en date du 4 mars 2019. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, même si la partie défenderesse n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base du présent litige, s’oppose à la décision déférée en ce que cette dernière impliquerait indirectement un refoulement par la Suède vers l’Irak, refoulement qui serait contraire à l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève », du fait d’entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant dans son chef au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », respectivement de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », de sorte que le ministre aurait dû faire usage de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III en se déclarant compétent pour connaître de sa demande de protection internationale.
Le demandeur donne à considérer qu’il ressortirait du rapport « Annex III: Standard form for requests for taking back » qu’il aurait introduit une demande de protection internationale en Suède en date du 15 novembre 2015 mais que celle-ci aurait été rejetée, de sorte qu’au vu de l’épuisement de toutes les voies de recours internes contre ladite décision de refus de l’octroi d’une protection internationale, cette dernière serait devenue définitive et une expulsion vers l’Irak aurait été ordonnée par les autorités suédoises en date du 2 août 2017.
Bien que la situation sécuritaire en Irak semblerait officiellement rétablie après de longues années de guerre, nombreuses seraient les personnes qui pensent que tel ne serait cependant pas le cas en réalité. Le demandeur cite à cet effet des extraits d’un article de presse d’un dénommé Kevin BARON du 22 mars 2018 intitulé « The War in Iraq isn’t done.
Commanders explain why and what’s next », ainsi que d’un autre article du journaliste Rozen MORGAT du 10 décembre 2017 notant que si la victoire de l’Irak contre « l’Etat Islamique » aurait officiellement été déclarée, ce dernier garderait une capacité de nuisance et pourrait encore faire couler le sang en retournant à la clandestinité et en menant « les attentats spectaculaires ».
Le demandeur estime que cette situation générale entraînerait, pour tout ressortissant irakien devant être transféré vers l’Irak, un risque réel de faire l’objet de torture ou de traitements inhumains ou dégradants en violation de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.
Il rappelle qu’il ressortirait de la décision du « Migrationverket » suédois du 2 août 2017, qu’il verse à l’appui de son recours, que son expulsion vers l’Irak serait effectuée à moins qu’il ne soit en mesure de démontrer qu’un autre pays puisse l’accepter, ce qui ne serait pas le cas.
Le demandeur donne encore à considérer que la Suède lui aurait retiré le bénéfice de toute aide sociale, ce qui aurait pour conséquence qu’il serait « également obligé, en fait, de devoir quitter le territoire suédois. ».
Etant donné que « le doute sur une situation difficile d[evra]it [lui] profiter » et que son transfert vers la Suède équivaudrait, du moins indirectement, à un retour forcé vers l’Irak en violation de l’article 3 de la CEDH, de l’article 4 de la Charte et de l’article 33, paragraphe (1) de la Convention de Genève, le Grand-Duché de Luxembourg aurait dû se déclarer responsable pour connaître de sa demande de protection internationale.
Il convient de rappeler que l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
L’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités suédoises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers la Suède et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale serait la Suède, en ce qu’il y aurait introduit auparavant une demande de protection internationale en date du 15 novembre 2015 et que les autorités suédoises auraient accepté sa reprise en charge le 23 janvier 2019, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers la Suède et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.
Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de la Suède, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais il met en avant sa crainte d’être expulsé par les autorités suédoises vers l’Irak où il risquerait de subir un traitement inhumain ou dégradant, de sorte à soutenir qu’au vu de ce risque, la décision de transfert actuellement litigieuse serait contraire aux dispositions des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Ainsi, il reproche au ministre de ne pas avoir fait application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III.
Le tribunal est tout d’abord amené à rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1.
C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants.
En ce qui concerne plus particulièrement le risque allégué d’une expulsion en cascade, le tribunal constate tout d’abord que la décision attaquée n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur, mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites, étant relevé que ledit Etat membre, en l’occurrence la Suède, a reconnu être compétent pour reprendre le demandeur en charge.
Il n’en demeure pas moins qu’en vertu notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse être de nature à entraîner un risque sérieux qu’un demandeur de protection internationale soit, en cas de transfert vers un Etat membre, traité d’une manière incompatible avec les droits fondamentaux, étant relevé que la présomption selon laquelle les Etats membres respectent 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.
les droits fondamentaux prévus par la CEDH et la Charte est réfragable2.
Force est toutefois de constater qu’en l’espèce, outre le fait que le demandeur n’affirme pas que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés en Suède lors du traitement de sa demande de protection internationale, il n’apporte pas non plus la preuve que, personnellement, ses droits ne seraient pas garantis en Suède et que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en Suède ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationale déboutés n’auraient en Suède aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que la Suède est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.
Pour ce qui est plus particulièrement de la crainte mise en avant par le demandeur d’être expulsé par les autorités suédoises vers l’Irak en violation du principe de non refoulement, force est au tribunal de relever que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement l’existence d’un tel risque dans son chef, le demandeur ne fournissant pas non plus d’éléments susceptibles de démontrer que la Suède ne respecterait pas le principe du non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement mis en danger.
Le tribunal relève encore que le demandeur ne fournit pas de précisions quant à la situation des personnes transférées vers la Suède dans le cadre du règlement Dublin III, ni n’invoque-t-il une jurisprudence de la CourEDH ou de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », relative à une suspension générale des transferts vers la Suède, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis de l’UNHCR interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la Suède dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile suédoise ou du renvoi des demandeurs d’asile déboutés irakiens qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.
Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal que si les autorités suédoises devaient néanmoins décider de rapatrier le demandeur dans son pays d’origine en violation des articles 3 de la CEDH et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités suédoises en usant des voies de droit adéquates3. A cela s’ajoute que même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait encore possible au demandeur de saisir la CourEDH pour solliciter de sa part, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, qu’elle demande aux autorités suédoises de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.
Il ne se dégage dès lors pas des éléments soumis au tribunal que le transfert du demandeur en Suède l’exposerait à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant des 2 CourEDH, Grande Chambre, F.G. c. Suède, 23 mars 2016, n°43611/11.
3 Voir article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.
articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Le moyen du demandeur fondé sur une violation par la décision ministérielle attaquée des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est, par conséquent, à rejeter pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne ensuite le moyen fondé sur une non-application, par le ministre, de la clause discrétionnaire instaurée par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, s’il est vrai que, lorsqu’en application des critères dudit règlement, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de ladite clause discrétionnaire, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres4. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge5, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée6, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte que le demandeur est resté en défaut d’établir que tout demandeur de protection internationale irakien débouté soit automatiquement et sans possibilité de recours éloigné par les autorités suédoises vers l’Irak et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Monsieur … alors même que cet examen incombe aux autorités suédoises.
En effet, comme le demandeur reste en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités suédoises n’ont pas analysé correctement sa demande de protection internationale avant de l’en débouter ou qu’en tant que demandeur de protection internationale débouté, il n’aurait pas accès à la justice suédoise pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la décision de rejet de sa demande de protection internationale ou avec une éventuelle mesure d’éloignement vers son pays d’origine, il n’appartient pas au ministre de mettre en doute leur décision de rejet, le contraire aboutissant, en effet, à ce que le ministre procède à une nouvelle analyse d’une demande d’ores et déjà rejetée dans un Etat membre, façon de procéder qui relèverait toutefois du « forum 4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
5 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.
6 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.
shopping » que le règlement Dublin III vise justement à éviter.
Il s’ensuit que c’est à bon droit et sans commettre d’erreur d’appréciation, ni excéder ses pouvoirs, que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers la Suède, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites.
Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut de tout autre moyen, le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 avril 2019 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Stéphanie Lommel, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 avril 2019 Le greffier du tribunal administratif 8