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30/04/2019 | LUXEMBOURG | N°40918

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 avril 2019, 40918


Tribunal administratif N° 40918 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2018 3e chambre Audience publique du 30 avril 2019 Recours formé par Madame …et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40918 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2018 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Syrie),

de nationalité syrienne, demeurant en Syrie et ayant élu domicile en l’étude de Maître Ardav...

Tribunal administratif N° 40918 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2018 3e chambre Audience publique du 30 avril 2019 Recours formé par Madame …et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40918 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2018 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant en Syrie et ayant élu domicile en l’étude de Maître Ardavan FATHOLAZADEH sise à L-1940 Luxembourg, 310, route de Longwy, de son fils Monsieur …, né le …. à …, et de sa belle-fille Madame …, née le … à …, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 mars 2018 rejetant la demande de regroupement familial dans le chef de Madame …;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 9 juillet 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au nom et pour le compte de Madame …, de Monsieur … et de Madame … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley FREYERMUTH, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Madame le délégué du gouvernement Christiane MARTIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 février 2019.

Par décision du 28 septembre 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », accorda à Monsieur … et à Madame … le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève ».

Par courrier de son litismandataire du 31 octobre 2017, réceptionné par le ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, le 6 novembre 2017, Monsieur … fit introduire une demande de regroupement familial en faveur de sa mère Madame …, demande qui fut refusée par le ministre par décision du 7 mars 2018, libellée comme suit :

« […] J’accuse bonne réception de vos courriers reprenant l’objet sous rubrique qui me sont parvenus en date des 6 novembre et 22 décembre 2017.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, afin de pouvoir bénéficier du regroupement familial conformément à l’article 70, paragraphe (5) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, les ascendants directs doivent être à charge du regroupant et privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine. Or, il n’est pas prouvé que Madame … est à charge de votre mandant et qu’elle ne peut pas subvenir à ses besoins élémentaires par ses propres moyens.

Selon nos informations, votre mandant a encore de la fratrie en Syrie et Madame …n’est donc pas privée du soutien familial nécessaire.

Par ailleurs, Madame … ne remplit aucune condition qui lui permettrait de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L’autorisation de séjour lui est donc refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 mars 2018, Madame …, ainsi que son fils et sa belle-fille, Monsieur … et Madame …, ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 7 mars 2018.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond à l’égard d’une décision rendue en la présente matière, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en annulation introduit contre la décision litigieuse. Le recours en annulation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Avant tout progrès en cause, il convient de relever que dans le dispositif de leur requête introductive d’instance, les demandeurs sollicitent la communication de l’intégralité du dossier administratif.

Or, force est de constater que concomitamment avec son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a versé au greffe du tribunal administratif une copie du dossier administratif et que les demandeurs n’ont, par la suite, pas fait état d’éléments qui leur feraient défaut ni d’éléments qui leur permettraient d’affirmer qu’ils n’auraient pas eu communication de l’intégralité de leur dossier. Par ailleurs, il échet de souligner que ni dans son mémoire en réplique ni à l’audience des plaidoiries, le litismandataire des demandeurs n’a réitéré sa demande de communication intégrale du dossier administratif, de sorte que cette demande est à rejeter pour défaut d’objet.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs expliquent que Madame … se trouverait actuellement en zone de guerre et dans une situation de précarité absolue. Sa maison aurait été détruite et brûlée par des groupes terroristes armés, de sorte à ne plus être habitable.

Ils précisent que l’état de santé fragile de Madame … requerrait des soins médicaux, ainsi que des médicaments auxquels l’accès serait difficile étant donné que son pays serait « en proie à 2 la guerre ». La « Charity Association of …, … Branch » aurait confirmé la situation précaire de Madame …, alors qu’elle se trouverait contrainte de réclamer des aliments de première nécessité auprès de cette association. Les demandeurs rappellent que le conflit armé perdurerait en Syrie, tant au niveau interne, qu’au niveau international sans que Madame … ne pourrait être épargnée, cette dernière dépendrait de « l’aumône accordée par cette association pour sa survie ».

Les demandeurs font encore valoir qu’en raison de la situation particulière de Madame …, il conviendrait de souligner qu’en date du 6 novembre 2017 elle aurait sollicité une demande de regroupement familial urgente conformément à l’article 69, paragraphe (2), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », demande qui aurait cependant été rejetée.

En droit, les demandeurs font plaider que Monsieur … et Madame … en tant que bénéficiaires du statut de réfugié depuis le 28 septembre 2017 et en ayant introduit la demande de regroupement familial le 6 novembre 2017, soit moins de trois mois après l’obtention dudit statut, n’auraient pas à remplir les conditions visées à l’article 69, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 et que seules les conditions figurant au point a) paragraphe (5) de l’article 70 de la même loi devraient être remplies en l’espèce. Ils estiment que Madame … ne constituerait pas une menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, de sorte qu’il serait seulement nécessaire d’examiner si cette dernière remplit les conditions cumulatives d’être à charge de Monsieur … et de Madame … et d’être privée de soutien familial en Syrie, les demandeurs se prévalant à cet égard encore d’un jugement du tribunal de céans1, concernant le pouvoir discrétionnaire du ministre, qui prévoirait que celui-ci ne devrait pas en faire un usage disproportionné.

Quant à la question de savoir si Madame … est à charge de son fils, les demandeurs renvoient aux travaux parlementaires de la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement au commentaire de l’article 12 qui définirait la notion d’« être à charge ». Ils réfutent la conclusion ministérielle selon laquelle la mère ne serait pas à charge de son fils en raison du fait qu’une partie de la fratrie vivrait encore en Syrie, tout en donnant à considérer qu’ils proviendraient d’un pays, qui serait actuellement en proie de guerre et dans lequel chacun lutterait pour sa survie. En effet, Monsieur … aurait encore de la fratrie en Syrie, à savoir deux jeunes sœurs et deux frères mariés, qui devraient également lutter pour leur propre survie, ainsi que de celle de leur famille, étant donné qu’ils pourraient être attaqués à tout moment par des groupes armés, sans pouvoir espérer une quelconque protection de la part des autorités en place.

Les demandeurs sont d’avis que les pièces versées en cause démontreraient que Monsieur … serait le seul à pouvoir subvenir aux besoins de sa mère. Il résulterait, par ailleurs, d’un certificat de résidence que les demandeurs auraient vécu ensemble avec leurs parents en Syrie. Ils mettent encore en avant qu’il résulterait des informations fournies par la « Charity Association of … », que Madame … serait privée de tout autre soutien familial. Ainsi en retenant que les autres enfants se trouvant en Syrie pourraient constituer une aide potentielle, l’autorité ministérielle aurait fait une mauvaise appréciation des faits et aurait ainsi violé la loi. Ils reprochent, en outre, au ministre d’avoir fait « un usage disproportionné dans l’interprétation de la loi », de sorte que la décision ministérielle devrait être annulée pour excès de pouvoir.

1 Trib. adm. 21 novembre 2017, n° 38908 du rôle.Les demandeurs précisent encore que Monsieur … et Madame … souhaiteraient accueillir leur mère, respectivement belle-mère afin de la sortir de l’enfer de la guerre et lui venir en aide, les demandeurs mettant encore en exergue le lien familial ancien et intense qui les unirait.

En affirmant qu’ils rempliraient tant les conditions des articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008, que celles inscrites aux articles 75 et suivants de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 », ils concluent à l’annulation de la décision ministérielle litigieuse.

Dans le dispositif de leur requête introductive d’instance, les demandeurs requièrent encore l’annulation de « la décision ministérielle » en ce qu’elle contreviendrait à l’article 12, paragraphe (2), de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ci-après désignée par « la directive 2003/86/CE », les demandeurs faisant à cet égard encore valoir dans leur mémoire en réplique que conformément audit article une demande de regroupement familial pourrait être introduite dès l’obtention de la protection internationale.

Dans leur mémoire en réplique et en se basant encore sur l’article 12 prémentionné de la directive 2003/86/CE, ainsi que sur un jugement du tribunal administratif2, les demandeurs affirment que l’article 70 de la loi du 29 août 2008 se limiterait à imposer que l’ascendant soit à charge et ce sans autrement préciser la portée exacte de cette notion, notamment en ce qui concerne le degré de dépendance financière requis. Ils ajoutent que la preuve de la nécessité d’un soutien matériel pourrait être faite par tous moyens et ils précisent que la notion d’être « à charge » serait à entendre en ce sens que le membre de la famille souhaitant bénéficier du regroupement familial devrait nécessiter le soutien matériel du regroupant à un tel point que le soutien fourni soit nécessaire, respectivement que l’absence de soutien ait pour conséquence de priver le membre de la famille des besoins essentiels, ce qui serait le cas en l’espèce. Ils contestent encore que la fratrie qui serait restée en Syrie pourrait prendre soin de leur mère, en insistant sur le climat d’insécurité régnant dans leur pays d’origine.

Les demandeurs font encore plaider que le rejet d’une demande de regroupement familial porterait atteinte au respect de la vie privée et familial et serait partant constitutif d’une violation de l’article 8 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH ».

En ce qui concerne l’application de l’article 75, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, les demandeurs font encore valoir que ladite disposition légale trouverait à s’appliquer tant pour un regroupant bénéficiant de la protection internationale que pour un regroupant bénéficiant de la protection temporaire, de sorte qu’il devrait également trouver application en l’espèce.

En insistant finalement sur la situation de grande vulnérabilité dans laquelle se trouverait Madame … dans son pays d’origine, les demandeurs concluent à l’annulation de la décision ministérielle déférée.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

2 Trib. adm. 24 septembre 2013, n°31593 du rôle.Aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».

L’article 70 de cette même loi dispose quant à lui : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants : […] (5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre : a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;[…] ».

Il ressort des articles précités que lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec un membre de sa famille, tel que défini à l’article 70 précité, concernant notamment un ascendant en ligne directe au premier degré du regroupant, dans un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale, il ne doit pas remplir les conditions du paragraphe (1) de l’article 69 précité, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

Dans la mesure où Monsieur … a obtenu le statut de réfugié par décision du 28 septembre 2017 et où il a introduit sa demande de regroupement familial par courrier daté au 31 octobre 2017 et parvenu au ministre le 6 novembre 2017, soit moins de trois mois après avoir obtenu le statut de réfugié, il ne doit pas remplir les conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, énoncées ci-avant, de sorte qu’il y a uniquement lieu d’examiner si les conditions figurant au point a) du paragraphe (5) de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 sont remplies en l’espèce.

Si la partie étatique ne conteste pas que Madame … est la mère de Monsieur …, de sorte qu’elle doit être qualifiée d’ascendant en ligne directe au premier degré du regroupant, au sens dudit article 70, paragraphe (5), point a) de la loi du 29 août 2008 et s’il n’est pas allégué qu’elle constituerait une menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, les parties sont en effet en désaccord quant à la question de savoir si l’intéressée remplit les conditions cumulatives d’être à charge du regroupant et d’être privée du soutien familial nécessaire dans son pays d’origine.

A cet égard et en ce qui concerne la première condition d’être « à charge », il échet de relever que, si l’article 70, paragraphe (5), de la loi du 29 août 2008 se limite à imposer que l’ascendant y visé soit « à charge » sans autrement préciser la portée exacte de cette notion, les travaux parlementaires se trouvant à la base de l’élaboration de la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement les commentaires des auteurs de la loi, ont circonscrit la notion d’être « à charge » par « le fait pour le membre de la famille […] de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant […] »3, de sorte que le législateur a entendu viser une situation de dépendance « matérielle ».

Etant donné que l’article 70, paragraphe (5), de la loi du 29 août 2008 ne précise ni le montant ni la fréquence des contributions matérielles qu’un regroupant doit fournir à sa famille pour que celle-ci puisse être considérée comme étant à sa charge, l’importance de ce soutien est à apprécier au regard des faits d’espèce.

La deuxième condition encore posée par l’article 70 précité de la loi du 29 août 2008 rajoute qu’au-delà de la prise en charge par le regroupant déclaré, le bénéficiaire doit encore se trouver sans possibilité concrète de trouver un soutien familial adéquat au sein même de son pays d’origine.

En d’autres termes, il se dégage de la combinaison des deux conditions que les conditions légales d’un regroupement familial ne sont données que par la preuve à rapporter par les intéressés de l’existence d’une situation de dépendance effective vis-à-vis du regroupant4.

Or, en l’espèce, force est de constater que les demandeurs restent en défaut de rapporter la preuve d’une telle dépendance matérielle. En effet, et s’il est vrai que la situation sécuritaire en Syrie reste préoccupante et que le tribunal ne met pas en doute la précarité dans laquelle semble se trouver la mère de Monsieur …, il n’en reste pas moins que les demandeurs restent en défaut d’alléguer et a fortiori de prouver qu’ils ont fait parvenir à Madame … un quelconque soutien matériel lui permettant de subvenir à ses besoins essentiels en Syrie, les demandeurs n’apportant aucun élément tendant à établir qu’elle aurait été dépendante d’eux lorsqu’ils ont séjourné en Syrie, ni qu’elle serait actuellement à leur charge depuis qu’ils résident sur le territoire luxembourgeois. Il résulte au contraire des éléments du dossier que Madame … bénéficie de l’assistance financière et matérielle de la « Charity Association of … … » et qu’elle a été déplacée dans un autre village suite à la destruction de sa maison. Les demandeurs restent ainsi en défaut de rapporter la preuve que l’absence du soutien de la part de Monsieur … aurait 3 Doc. parl. n° 5802 à la base de la loi du 29 août 2008, commentaire des articles, p. 61.

4 cf. Cour adm, 5 décembre 2017, n° 39776C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.pour conséquence de priver Madame … des moyens pour subvenir à ses besoins essentiels, de sorte que cette dernière n’est pas à considérer comme étant à charge de son fils.

La première condition de l’article 70, précité, étant rappelé que les conditions y inscrites sont cumulatives, ne se trouve partant pas remplie en l’espèce.

A titre superfétatoire, le tribunal relève encore que la preuve que la mère de Monsieur … se trouve dans l’impossibilité concrète de trouver un soutien familial adéquat en Syrie ne se retrouve pas non plus rapportée en l’espèce, alors qu’il résulte des éléments du dossier que quatre des frères et sœurs de Monsieur … résident toujours en Syrie, de sorte qu’il ne saurait être exclu que ceux-ci puissent apporter un soutien familial adéquat à Madame ….

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement rejeter la demande en vue d’un regroupement familial basée sur les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.

Quant au moyen ayant trait à une violation de l’article 8 de la CEDH, invoqué par les demandeurs dans le dispositif de leur requête introductive d’instance, en ce que la décision litigieuse les priverait de l’unité familiale à laquelle ils pourraient prétendre sur base dudit article, force est au tribunal de relever qu’aux termes de l’article 8 précité :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

L’article 8 de la CEDH, précité, est applicable en cas de refus de délivrance d’une autorisation de séjour dans la mesure où même si le ministre dispose en vertu des dispositions nationales de la faculté de procéder au refus de délivrance d’une autorisation de séjour, et s’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la CEDH. Dans ce contexte, il convient encore de relever que l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.

Il convient dans ce contexte de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère toutefois pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis, mais que, pour pouvoir utilement invoquer ladite disposition, il faut que le demandeur puisse faire état de l’existence d’une vie familiale effective et stable que le refus du titre de séjour du ministre perturberait de façon disproportionnée.

Il y a encore lieu de rappeler qu’en matière d’immigration, le droit au regroupement familial est reconnu s’il existe des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le noyau familial entend s’installer, consistant en des obstacles rendant difficile de quitter ledit Etat ou s’il existe des obstacles rendant difficile de s’installer dans leur pays d’origine.

Cependant, l’article 8 de la CEDH ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant l’obligation générale de respecter le choix par les membres d’une famille de leur domicile commun et d’accepter l’installation d’un membre non national d’une famille dans le pays5. En effet, l’article 8 de la CEDH ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et il faut des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition6.

Concernant plus particulièrement l’hypothèse de personnes adultes désireuses de venir rejoindre un membre de leur famille dans le pays d’accueil, elles ne sauraient être admises au bénéfice de la protection de l’article 8 de la CEDH que lorsqu’il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux qui caractérisent les relations d’une personne adulte avec sa famille d’origine7.

Or, mis à part les liens affectifs entre Monsieur … et sa mère, le tribunal constate que les demandeurs restent en défaut d’invoquer des éléments supplémentaires de dépendance tels que requis par la jurisprudence communautaire.

A cela s’ajoute, comme retenu ci-avant, qu’il ressort du dossier administratif que quatre frères et sœurs de Monsieur …, vivent encore en Syrie, de sorte que Madame … doit être considérée comme ayant toujours des attaches familiales et sociales dans son pays d’origine.

Etant donné que les demandeurs ne soumettent pas d’éléments de nature à retenir qu’il existe entre eux, au-delà des liens affectifs normaux, des liens de dépendance indispensables justifiant la protection prévue à travers l’article 8 de la CEDH, le moyen afférent est rejeter.

En ce qui concerne ensuite la violation alléguée de l’article 12, paragraphe (2), de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, à nouveau, invoquée par les demandeurs dans le dispositif de leur requête introductive d’instance, celui-ci dispose que « Par dérogation à l’article 8, les États membres n’imposent pas au réfugié d’avoir séjourné sur leur territoire pendant un certain temps avant de se faire rejoindre par des membres de sa famille ».

A cet égard, il y a lieu de rappeler que la directive 2003/86/CE a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 29 août 2008. Or, selon une jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union européenne, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par des particuliers à l’encontre d’un Etat que si leurs dispositions apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, et que l’Etat en question s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte.

Dans la mesure où, en l’espèce, les demandeurs ne démontrent pas que l’Etat luxembourgeois aurait été en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’ils ne sont pas fondés à se 5 CEDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, req. n° 9214/80;9473/81;9474/81;

CEDH, 19 février 1996, Gül c. Suisse, req. n° 23218/94 ; CEDH, 28 novembre 1996, Ahmut c. Pays-Bas, Aff.

C540/03. ; Cour adm. 27 octobre 2016, n° 28265C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

6 Cour adm. 27 octobre 2016, n° 38265C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

7 Cour adm. 13 octobre 2015, n° 36420C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Etrangers, n° 458 et autres références y citées.prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais qu’il leur aurait appartenu d’invoquer à la base de leurs prétentions les dispositions pertinentes de la loi du 29 août 2008. Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des parties demanderesses et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions, une telle obligation incombant au seul litismandataire des demandeurs, professionnel de la postulation, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Finalement, et en ce qui concerne les développements des demandeurs selon lesquels ils rempliraient les conditions visées à l’article 75, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, il échet de relever que c’est à bon droit que le délégué du gouvernement souligne que les demandeurs en tant que réfugiés au sens de la Convention de Genève, n’ont pas le statut de bénéficiaire de la protection temporaire, de sorte que cette disposition n’est pas applicable en l’espèce, mais que, s’agissant d’un regroupant bénéficiaire d’une protection internationale, le regroupement familial est exclusivement régi par les articles 69 et suivants de la loi du 29 août 2008.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 avril 2019 par :

Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, Stéphanie Lommel, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 avril 2019 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 40918
Date de la décision : 30/04/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-04-30;40918 ?

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