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24/04/2019 | LUXEMBOURG | N°40948

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 avril 2019, 40948


Tribunal administratif N° 40948 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mars 2018 3e chambre Audience publique du 24 avril 2019 Recours formé par Madame …, …, contre un acte du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40948 du rôle et déposée le 26 mars 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la

réformation, sinon à l’annulation d’une décision, ainsi qualifiée par la requérante, ...

Tribunal administratif N° 40948 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mars 2018 3e chambre Audience publique du 24 avril 2019 Recours formé par Madame …, …, contre un acte du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40948 du rôle et déposée le 26 mars 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision, ainsi qualifiée par la requérante, du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 3 novembre 2017 déclarant irrecevable sa demande en prolongation de la durée de validité de son permis de conduire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2018 par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI pour compte de Madame … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nathalie GOMES, en remplacement de Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, et Madame le délégué du gouvernement Stéphanie LINSTER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 février 2019.

Madame … est titulaire d’un permis de conduire catégorie B depuis le 12 juin 1996.

En date du 8 juin 2017, Madame … introduisit une demande de renouvellement de son permis de conduire.

Le 12 juin 2017, le Service des permis de conduire, adressa un « Courrier établi électroniquement sans signature » avec comme objet « votre demande de prorogation » à Madame …, libellé comme suit :

« Votre demande citée en objet nous est bien parvenue et a retenu toute notre attention.

A fin de compléter votre dossier, merci de bien vouloir nous retourner la présente après y avoir joint :

1. La photo transmise ne correspond pas aux critères suivants et nous vous prions de nous transmettre une nouvelle photo répondant à ces critères: une photo d’identité récente (maximum 6 mois), sans traces, ni perforations, ni pliures, d’un format de 1 45/35 mm, la tête prise de face et centrée, le visage mesurant entre 70 et 80 pour cent de la hauteur de la photo et découvert, sans couvre-chef (chapeau, casquette ou autre), les yeux parfaitement visibles, sur arrière-fond clair et neutre. Les photos prises à partir d’un procédé numérique doivent être à haute résolution, imprimées sur du papier photo de qualité inaltérable à l’humidité.

Entretemps votre demande sera tenue en suspens. […] ».

Par courrier électronique adressé en date du 4 juillet 2017 au ministère du développement durable et des Infrastructures, Département des Transports, Direction de la circulation et de la sécurité routières, Service permis de conduire, Contentieux et permis à points, désigné ci-après par « le ministère », le litismandataire de Madame … donna à considérer que cette dernière « est une citoyenne luxembourgeoise de confession musulmane qui en tant que telle couvre sa chevelure d’un voile / un hijab. Son visage reste dégagé. […] Sa chevelure est un élément de son intimité. Ainsi, avoir à découvrir sa chevelure sur une photo qui n’est pas privée est inconcevable. Cela constitue pour elle une violation de son intimité et de sa vie privée sans oublier l’atteinte que cela porterait à sa pratique et conviction religieuse.

Ma mandante aurait souhaité pouvoir satisfaire ce critère mais elle ne le peut sans que son droit fondamental au respect de sa vie privée, de son identité et de sa liberté religieuse ne soient atteints » et il s’enquit sur la question de savoir si « la position de la Direction des transports, qui consiste à refuser d’apposer sur le permis de conduire d’une femme musulmane une photo d’elle portant un voile couvrant uniquement sa chevelure, est toujours d’actualité et définitive », en précisant que dans l’affirmative, la demande de prorogation du permis de conduire de Madame … ne pourrait pas connaître de suite favorable.

Par courrier électronique du 7 juillet 2017, le ministère prit position comme suit :

« […] J’accuse réception de votre courriel concernant le sujet émargé.

Dans ce contexte, je vous confirme qu’il n’est actuellement pas prévu de modifier les dispositions réglementaires prévues par l’article 78 du règlement grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques.

Par conséquent, pour les photos sur les permis de conduire, la tête doit être nue, le port d’un couvre-chef (voile) est interdit […] ».

Le 19 juillet 2017, Madame … fit introduire un recours, inscrit sous le numéro 39899 du rôle, tendant d’après le libellé de la requête introductive d’instance principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de « la décision du 12 juin 2017 du département des transports relative à sa demande de prorogation telle que confirmée par décision du 7 juillet 2017, ensemble avec la décision du 27 juillet 2016 du Ministre des transports », requête de laquelle elle se désista, désistement ayant été acté par jugement du 21 février 2018. Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2017, inscrite sous le numéro 39910 du rôle, Madame … fit encore déposer un recours tendant à voir ordonner un sursis à l’exécution des actes attaqués en attendant la solution du litige au fond, requête dont elle fut déboutée par ordonnance du 27 juillet 2017.

Par courrier du 4 août 2017, le litismandataire de Madame … adressa au ministre du Développement durable et des Infrastructures, désigné ci-après par « le ministre », une « Demande d’une décision administrative signée par l’autorité compétente pour répondre à la 2 demande de prorogation du permis de conduire de Madame … », demande qui fut réitérée par courrier daté du 29 septembre 2017 et entré au ministère le 4 octobre 2017.

Le 6 octobre 2017, le ministre accusa réception de la demande de Madame … en l’informant « que toute demande en obtention ou en renouvellement d’un permis de conduire [devait] être accompagnée d’une photographie répondant aux critères énoncés à l’article 78 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 », notamment à tête-nue.

Par courrier du 30 octobre 2017, le litismandataire de Madame … sollicita une « confirmation signée par l’autorité compétente que le courrier du ministre daté du 6 octobre 2017 est à considérer comme une décision ferme et définitive attaquable en justice ».

En date du 3 novembre 2017, le ministre déclara irrecevable la demande en prolongation de la durée de validité du permis de conduire de Madame …, au motif que celle-

ci refuserait « catégoriquement de produire une photo tête-nue ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2018, inscrite sous le numéro 40948 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 3 novembre 2017, ainsi qualifiée par la requérante, portant refus de sa demande en renouvellement de son permis de conduire.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours principal en réformation, alors que la loi ne prévoirait pas un tel recours en matière de renouvellement du permis de conduire.

A cet égard, la demanderesse fait plaider dans son mémoire en réplique que d’après la jurisprudence du tribunal administratif1, le recours en réformation pourrait être exercé dès lors que le requérant justifierait d’un intérêt à agir, de sorte que le moyen tiré de l’inexistence d’un recours en réformation en matière de circulation routière serait à rejeter.

Il convient de relever qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-après par « la loi du 7 novembre 1996 », « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements ». Il résulte, en outre, de l’article 3, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996 que : « Le tribunal administratif connaît en outre comme juge du fond des recours en réformation dont les lois spéciales attribuent connaissance au tribunal administratif ».

Il y a encore lieu de rappeler que si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours2.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, désignée ci-après par « la loi du 14 février 1955 », ni l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la 1 Trib. adm., 26 janvier 1998, n° 10190 et 10352 du rôle.

2 Trib. adm., 28 mai 1997, n° 9667 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en réformation, n° 9 et les autres références y citées.circulation sur toutes les voies publiques, ci-après désigné par « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 » , ni d’autres dispositions légales, ne prévoient de recours en réformation en la présente matière, le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours principal en réformation, alors que seul un recours en annulation a pu être introduit.

Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

Madame … fait plaider que son recours en annulation serait recevable ratione temporis, alors que l’acte ministériel déféré du 3 novembre 2017 ne comporterait pas les mentions obligatoires destinées à l’informer de son droit d’exercer un recours, de la procédure à suivre, ainsi que des délais dans lesquels le recours doit être intenté, tout en donnant à considérer que conformément à l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », l’omission par l’administration d’indiquer les voies de recours, le délai de recours, ainsi que l’autorité devant laquelle celui-ci doit être intenté entraînerait la suspension du délai de recours.

Le délégué du gouvernement s’est rapporté à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité ratione temporis du recours en annulation.

Aux termes de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 « Les décisions administratives refusant de faire droit, en tout ou en partie, aux requêtes des parties ou révoquant ou modifiant d’office une décision ayant créé ou reconnu des droits doivent indiquer les voies de recours ouvertes contre elles, le délai dans lequel le recours doit être introduit, l’autorité à laquelle il doit être adressé ainsi que la manière dans laquelle il doit être présenté. ».

Ledit article impose ainsi à l’administration d’informer l’administré des voies de recours. L’omission par l’administration, d’informer l’administré des voies de recours contre une décision administrative - tel que c’est le cas en l’espèce alors que la décision ministérielle, précitée, du 3 novembre 2017 reste en défaut d’indiquer les voies de recours - entraîne que les délais impartis pour les recours ne commencent pas à courir3 et ce conformément à l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 197, précité.

Il s’ensuit que le recours en annulation introduit le 26 mars 2018 à l’encontre de l’acte ministériel déféré du 3 novembre 2017 est à déclarer recevable ratione temporis.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève ensuite l’irrecevabilité du recours en annulation au motif que l’acte déféré du 3 novembre 2017 ne constituerait pas une décision définitive par rapport à la demande de la requérante tendant au renouvellement de la validité de son permis de conduire. Il précise que l’acte litigieux ne contiendrait aucun élément décisionnel propre, mais ne ferait qu’informer Madame … du fait que sa demande en renouvellement de la validité de son permis de conduire ne répondrait pas aux critères de l’article 78 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955. Cet acte ne constituerait dès lors pas une décision administrative, mais un simple rappel des conséquences légales découlant d’un refus de se conformer aux dispositions de l’article 78 précité.

3 Trib. adm., 26 janvier 1998, n° 10244 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 251 et les autres références y citées.

A cet égard et à travers son mémoire en réplique, Madame … fait valoir que cette « décision » aurait été prise sur demande expressément formulée en date du 4 août 2017, demande qui aurait été réitérée les 29 septembre et 30 octobre 2017 et dont l’objet aurait été le suivant « Demande de confirmation signée par l’autorité compétente que le courrier du Ministre daté du 6 octobre 2017 est à considérer comme une décision ferme et définitive attaquable en justice ». Elle en conclut que contrairement aux prétentions de la partie étatique, il ne s’agirait pas d’un simple courrier d’information, mais d’une décision qui répondrait à la télécopie du 30 octobre 2017, d’autant plus que le ministre n’aurait pas précisé que sa réponse constituerait une simple lettre d’information et qu’aucune réserve n’aurait été formulée à cet égard. Contrairement à la lettre du 12 juin 2017, la décision entreprise serait signée pour le ministre par le premier conseiller de gouvernement et constituerait une prise de position ferme et définitive du ministre au regard de la demande de prorogation de son permis de conduire, prise de position qui serait, en outre, motivée en droit par l’article 78 du « règlement » grand-

ducal du 23 novembre 1955, disposition dont la légalité serait contestée par le présent recours.

La demanderesse en conclut que l’acte ministériel déféré du 3 novembre 2017 viserait sa situation individuelle et comporterait deux éléments décisionnels, à savoir, d’une part, l’obtention du permis de conduire et, d’autre part, l’interdiction de porter un couvre-chef sur les photos à apposer sur le permis de conduire, ce serait ainsi à tort que la partie étatique estime que le courrier du 3 novembre 2017 ne constituerait pas une décision définitive et donne à considérer que le fait de le qualifier « de pure information » reviendrait à donner au ministre et à l’Etat « le pouvoir unique de rendre une décision individuelle et préjudiciable pour un administré, attaquable ou non en justice ». L’administration pourrait ainsi émettre des actes sans se préoccuper de leur légalité étant donné qu’une immunité totale couvrirait lesdites décisions qui auront unilatéralement été qualifiées de simples informations, ce qui constituerait la fin du droit d’accès au juge, ainsi que la fin du contrôle du pouvoir exécutif par le pouvoir judiciaire. Si le tribunal devait estimer que le courrier du 3 novembre 2017 n’est pas définitif, il serait pris acte du refus du ministre de fournir une décision, ce qui serait contraire aux principes de loyauté, de bonne administration, de proportionnalité et constituerait un abus, sinon un excès de pouvoir. La demanderesse est d’avis que l’article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH », garantissant un recours effectif, commanderait également la recevabilité du recours.

Elle en conclut que le courrier du 3 novembre 2017 devrait dès lors être considéré comme décision administrative susceptible de recours.

Aux termes de l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996, précité, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible […] ». Cet article limite ainsi l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste4.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à 4 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l’acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n’est pas pour autant une condition suffisante. En effet, pour être susceptible de faire l’objet d’un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief5.

Plus particulièrement, n’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision6. Pareillement, une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer l’administré sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus généralement sur la situation juridique, de même qu’un avis sur l’interprétation à donner à un texte légal ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours contentieux7.

Dans cet ordre d’idées, il s’agit encore de rappeler que pour valoir décision administrative, un acte doit constituer la décision définitive dans la procédure engagée et non pas une simple mesure d’instruction destinée à permettre à l’autorité compétente de recueillir les éléments d’information en vue de sa décision ultérieure8.

Pour déterminer le caractère décisoire ou simplement informatif, respectivement préparatoire à une décision ultérieure d’un courrier, il y a lieu d’analyser son libellé et de qualifier son contenu.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que, contrairement au « Courrier établi électroniquement sans signature » du 12 juin 2017 et au courrier électronique du chef de service du Service permis de conduire, Contentieux et permis à point, du 7 juillet 2017, documents constituant de simples informations relatives aux dispositions de l’article 78 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, et plus précisément aux caractéristiques de la photographie à apposer sur les permis de conduire, le courrier ministériel déféré du 3 novembre 2017, renvoie non seulement aux dispositions de l’article 78 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 qui interdirait d’apposer sur les permis de conduire une photo avec le port d’un couvre-chef, mais déclare, en outre, irrecevable la demande en prolongation du permis de conduire formulée par Madame … dans les termes suivants « Je me dois dès lors de constater qu’à ce stade, la demande en prolongation de la durée de validité du permis de conduire de Madame …, alors que votre mandante refuse catégoriquement de produire une photo tête nue, est à considérer comme étant irrecevable au motif qu’elle ne répond pas aux dispositions réglementaires en vigueur », de sorte à revêtir un caractère décisionnel.

A cela s’ajoute que la décision ministérielle déférée affecte négativement la situation de Madame … dans la mesure où sa demande en prolongation de son permis de conduire n’a pas connu de suites favorables.

5 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 41 et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas.

adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 61 et les autres références y citées.

7 Trib. adm., 7 mars 2007, n° 21708 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 72 et les autres références y citées.

8 Trib. adm., 6 janvier 1998, n°10138 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 84 et les autres références y citées.

Au vu des considérations qui précèdent et dans la mesure où l’acte déféré est dès lors à qualifier de décision administrative susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux pour affecter négativement la situation de son destinataire, il y a lieu de rejeter les contestations y relatives pour ne pas être fondées.

A défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité soulevé de part et d’autre, il convient de déclarer le recours subsidiaire en annulation recevable.

Quant au fond, et en rappelant les faits et rétroactes gisant à la base de la décision ministérielle déférée, la demanderesse fait plaider que son permis de conduire du 12 juin 1996 aurait été prorogé le 15 mai 1998, et ce jusqu’au 19 juillet 2017, tout en précisant que sur chacun de ses permis de conduire serait apposée une photo la présentant, certes avec son voile, mais à visage dégagé, voile qui ferait partie intégrante de son identité. Dans ce même ordre d’idées, elle donne encore à considérer que tant sur sa carte d’identité luxembourgeoise, portant le numéro …, qui expirerait le 23 février 2025, que sur son passeport référencé sous le numéro …, qui expirerait le 25 février 2020, serait apposée une photo la montrant avec son voile. Elle en conclut que l’interdiction isolée du ministère de produire des photos avec la chevelure couverte d’un voile l’aurait conduit, ensemble avec d’autres femmes musulmanes concernées par cette problématique, à adresser le 20 juillet 2016 au ministre un courrier faisant part de leur étonnement quant à cette interdiction, expliquant l’atteinte et le préjudice que cette mesure leur causerait, ainsi que son adéquation avec l’esprit de la loi. Elle aurait respecté l’ensemble des critères ministériels, hormis celui de l’absence d’un couvre-chef, et elle se trouverait dans l’impossibilité de se conformer à cette exigence en raison de ses convictions religieuses et l’atteinte à sa dignité qu’une telle photo engendrerait.

La demanderesse fait encore valoir que non seulement elle aurait quatre enfants à sa charge « avec les exigences que cela implique en terme de logistique quotidienne et d’exigence d’une totale indépendance », mais qu’elle serait encore gérante administrative de la société à responsabilité limitée … SARL, activité qui impliquerait une multitude de trajets nécessitant une capacité d’adaptation et une liberté de mouvement totale.

Elle est d’avis que la décision entreprise en ce qu’elle exigerait une photo « tête-nue » afin de rencontrer sa demande de prorogation de son permis de conduire, poserait une condition à laquelle elle ne pourrait se conformer sans que ses droits fondamentaux, notamment le respect de sa dignité, l’intégrité de son identité, le respect de sa vie privée, la liberté de conscience et d’exercice de sa religion ne soient « abusivement bafoués », ce qui serait inacceptable dans un Etat de droit dans lequel les droits et libertés fondamentales bénéficieraient de la plus haute protection.

En droit, et en s’appuyant sur l’article 95 de la Constitution luxembourgeoise, la demanderesse conclut tout d’abord à l’illégalité du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016 modifiant l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 19 janvier 2016 », et plus particulièrement à l’illégalité de son article 3. A cet égard, elle met en exergue que la base légale qui motiverait la décision ministérielle déférée résulterait de l’article 3 du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016, règlement dont le projet n’aurait, néanmoins, pas été soumis à l’avis du Conseil d’Etat tel que cela serait requis par l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 12 juillet 1996 portant réforme du Conseil d’Etat, désignée ci-après par « la loi du 12 juillet 1996 ». Il résulterait du quatrième visa dudit règlement qu’il se baserait expressément sur l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 12 juillet 1996 qui permettrait au pouvoir exécutifde s’exonérer de l’obligation d’entendre le Conseil d’Etat en son avis en cas d’urgence, notion à laquelle ne seraient cependant pas apportées de précisions. A la lecture du deuxième visa du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016, il apparaîtrait que l’objectif visé par le ministre serait la transposition de la directive européenne 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire (refonte), désignée ci-après par « la directive 2006/126/CE », qui serait antérieure au règlement grand-ducal en question. La demanderesse en conclut que, dans ces conditions, l’argument de l’urgence ne serait pas tenable et que le gouvernement ne pourrait pas se prévaloir de sa propre turpitude pour arguer d’une urgence en raison de « l’initiation d’une procédure d’infraction par la Commission européenne pour non transposition de la Directive 2006 avant le 19 janvier 2013 ». En tout état de cause, la disposition litigieuse du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016, sur laquelle serait basée la décision qui ferait l’objet du présent recours, serait étrangère à la directive 2006/126/CE que le pouvoir exécutif semblerait avoir voulu transposer à travers ledit règlement. La demanderesse met encore en exergue qu’il ressortirait, de surcroît, du troisième point de l’avis II/20/2016 du 16 février 2016 de la chambre des salariés du Luxembourg que les dispositions concernées par l’obligation de transposition de la directive 2006/126/CE seraient celles relatives « Aux équivalences en matière de permis de conduire » et celles relatives « Aux conditions médicales à remplir en vue de la délivrance ou du renouvellement du permis de conduire », tout en précisant que ce même constat ressortirait, par ailleurs, de l’avis de la chambre de commerce du 15 janvier 2016. Elle met en exergue que quand bien-même il y aurait urgence au sens de l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 12 juillet 1996 au motif de la nécessité de transposer immédiatement la directive en question, la disposition relative à l’obligation de présenter une photo sans couvre-chef, obligation qui serait interprétée par le ministère comme une interdiction d’apposer sur un permis de conduire une photo avec un voile, et ce même en vertu d’une conviction religieuse, serait à considérer comme se situant hors du champ d’application de la directive et par conséquent également hors du champ d’application d’une prétendue « urgence » de transposition. La demanderesse en conclut qu’il serait ainsi démontré que l’invocation de la notion légale de l’urgence par l’exécutif serait manifestement abusive en ce qui concerne les dispositions litigieuses de l’article 3 du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016.

Dans ce même contexte et en se basant la jurisprudence des juridictions administratives9, la demanderesse fait encore valoir qu’il résulterait du troisième visa du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016 que le pouvoir exécutif aurait trouvé le temps de solliciter l’avis de la Chambre des métiers, ainsi que celui de la Chambre de commerce, dont la consultation ne constituerait néanmoins pas une obligation légale. Elle est d’avis qu’il appartiendrait au tribunal d’exercer son contrôle sur l’invocation de l’urgence par le pouvoir exécutif lors de l’adoption du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016 en général, et plus particulièrement lors de l’adoption de la clause inscrite à l’article 3 dudit règlement, clause qui lui serait préjudiciable. Il appartiendrait dès lors au tribunal de réformer, sinon d’annuler la décision entreprise pour avoir été motivée par une disposition réglementaire illégale qui aurait été prise en violation de l’article 2 de la loi du 12 juillet 1996.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, est d’avis qu’il résulterait du procès-verbal n°43/15 du Conseil de gouvernement du 16 décembre 2015 que la procédure d’urgence serait justifiée afin de mettre dans les plus brefs délais le « Code de la route » en conformité avec le droit communautaire et donner ainsi suite à la procédure d’infraction de la Commission européenne, et ce dans le délai imparti. Ce serait à bon droit que le pouvoir réglementaire 9 Trib. adm., 10 juillet 2002, n° 14598 du rôle ; Cour adm., 29 novembre 2011, n° 28563C du rôle.n’aurait pas sollicité l’avis du Conseil d’Etat, ce qui aurait retardé le dossier et entraîné une condamnation du Grand-Duché de Luxembourg pour violation du droit communautaire. Il conclut ainsi au rejet de ce moyen.

Il échet partant au tribunal d’examiner la légalité du règlement grand-ducal litigieux du 19 janvier 2016, et plus particulièrement celle de son article 3 ayant modifié le point 5) de l’article 78 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 - disposition qui constitue la base légale de la décision ministérielle déférée du 3 novembre 2017 -, ainsi que son applicabilité, au vu de l’article 95 de la Constitution aux termes duquel « Les Cours et tribunaux n’appliquent les arrêtés et règlements généraux et locaux qu’autant qu’ils sont conformes aux lois. […] », puisqu’il conditionne nécessairement la légalité de la décision ministérielle soumise au contrôle du tribunal.

Le tribunal constate que les parties sont en désaccord sur la question de savoir si l’urgence invoquée dans le cadre de l’adoption du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016, respectivement dans le cadre de l’adoption de l’article 3 dudit règlement, ayant permis de ne pas solliciter l’avis du Conseil d’Etat, était justifiée. Dans la mesure où la réponse à y apporter est de nature à avoir une incidence directe et fondamentale sur l’intégralité de la procédure ayant abouti à la décision sous examen, justifiant son examen préalable à tout autre moyen soulevé en cause, il échet de rappeler qu’en application de l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 12 juillet 1996, tel qu’en vigueur au moment de l’adoption du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016, entretemps repris par l’article 1er, paragraphe (1), de la loi du 16 juin 2017 sur l’organisation du Conseil d’Etat et portant modification 1. de la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et les fondations sans but lucratif ; 2. de la loi modifiée du 29 juin 1989 portant réforme du régime des cabarets : « Aucun projet ni aucune proposition de loi ne sont présentés à la Chambre des députés et, sauf le cas d’urgence à apprécier par le Grand-Duc, aucun projet de règlement pris pour l’exécution des lois et des traités ne sont soumis au Grand-Duc qu’après que le Conseil d’Etat a été entendu en son avis. ».

Il se dégage de cette disposition légale qu’en principe, un règlement grand-ducal ne peut être pris qu’après que le Conseil d’Etat ait été entendu en son avis, à l’exception de l’hypothèse où, en raison de l’urgence, il n’y a pas lieu de recourir à cet avis.

Il appartient aux juridictions administratives de vérifier si, dans le cadre de la procédure d’élaboration d’un règlement grand-ducal, le cas d’urgence inscrit à l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 12 juillet 1996 peut être invoqué légalement. En effet, la soumission d’un projet de règlement grand-ducal au Conseil d’Etat vise essentiellement à en assurer l’insertion conforme à la loi et aux normes supérieures dans l’ordonnancement juridique existant et, en dernière analyse, à assurer également tant la protection des droits et libertés des citoyens que leurs obligations, tels que découlant notamment de la Constitution. C’est ainsi qu’en l’absence d’éléments de motivation soumis au Grand-Duc à l’appui de l’urgence invoquée et à défaut de tout élément sous-tendant utilement le cas d’urgence produit durant la procédure contentieuse, l’urgence invoquée à la base de la non-transmission au Conseil d’Etat d’un projet de règlement grand-ducal est dénuée de tout élément de justification vérifiable10.

10 Trib. adm., 25 février 2002, n° 14010 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Lois et Règlements, n° 109 et les autres références y citées.En l’espèce, il est constant en cause que le règlement grand-ducal précité du 19 janvier 2016 actuellement critiqué quant à sa légalité par voie d’exception, n’a pas été soumis à l’avis du Conseil d’Etat.

Il échet, tout d’abord, de constater que si le règlement grand-ducal litigieux en lui-même ne contient aucune indication et aucun élément de motivation permettant de saisir les raisons qui ont amené le gouvernement à faire application de la procédure de l’urgence, il ressort toutefois du projet de règlement grand-ducal modifiant l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, désigné ci-après par « le projet de règlement grand-ducal », que : « Par courrier du 22 octobre 2015, la Commission européenne a initié une procédure d’infraction (mise en demeure) à l’encontre du Gouvernement luxembourgeois pour non-transposition de la directive modifiée 2006/126/CE relative au permis de conduire (refonte).

Dans son courrier précité, la Commission européenne attire l’attention des autorités luxembourgeoises sur certaines dispositions de la directive 2006/126/CE précitée qui n’auraient pas, ou seulement partiellement, été transposées dans la réglementation nationale, en l’occurrence, l’arrêté grand-ducal modifiée du 23 novembre 1955 émargé (Code de la Route).

Il s’agit en l’espèce de dispositions relatives :

- aux équivalences en matière de permis de conduire - aux conditions médicales à remplir en vue de la délivrance ou du renouvellement du permis de conduire.

Le présent projet de règlement grand-ducal a pour objet de faire droit aux observations formulées par la Commission européenne dans le cadre de sa procédure d’infraction et d’adapter le Code de la Route en conséquence. […] »11.

Il, en ressort, en outre, que « Le recours à la procédure d’urgence est justifié pour mettre, dans les plus brefs délais, le Code de la Route en conformité avec le droit communautaire régissant le permis de conduire et, par-là, donner suite à la procédure d’infraction de la Commission européenne dans le délai imparti et éviter que le Luxembourg ne soit assigné devant la Cour de Justice de l’Union européenne. ».

Il résulte des développements qui précèdent que le règlement grand-ducal litigieux a pour objet principal de se conformer à la directive 2006/126/CE suite à la procédure d’infraction initiée par la Commission européenne à l’encontre du gouvernement luxembourgeois pour non transposition, respectivement transposition partielle, dans sa réglementation nationale des dispositions de ladite directive ayant trait « aux conditions médicales à remplir en vue de la délivrance ou du renouvellement du permis de conduire ». Il en résulte, en outre, que le recours à la procédure d’urgence, telle que prévue à l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 12 juillet 1996, précité, se justifie a priori par la volonté de se conformer dans les meilleurs délais au droit communautaire suite à ladite procédure d’infraction.

Le tribunal constate, néanmoins, qu’il résulte, en outre, du projet de règlement grand-ducal qu’il est « par ailleurs mis à profit pour redresser certaines imperfections 11 Projet de règlement grand-ducal modifiant l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, Commentaire des articles, ad article 3, p. 6, disponible sur le site internet www.cc.lu.apparues dans la réglementation nationale »12. En ce sens et tel qu’il résulte du commentaire de l’article 3 du projet de règlement grand-ducal, ledit article « vise à compléter l’article 78 du Code de la Route, s’agissant de la photo destinée à être apposée sur le permis de conduire.

Il s’agit en l’occurrence, d’apporter quelques précisions aux dispositions actuelles pour ce qui est de l’aspect de la photo, notamment en ce qui concerne le port de couvre-chefs et de lunettes, ceci dans un souci d’harmonisation et d’amélioration de la qualité ainsi que de protection contre la fraude, du document « permis de conduire »13.

Plus précisément, aux termes de l’article 3 du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016 : « […] le point 5) du deuxième alinéa [de l’article 78 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955] est remplacé par le libellé suivant :

« 5) une photographie récente de 45/35 mm sur papier souple, la tête prise de face ayant au moins 20 mm de hauteur.

Le visage doit être dégagé. Les yeux doivent être parfaitement ouverts.

La monture des lunettes ne doit pas masquer les yeux. Les verres teintés ou colorés sont interdits. Il ne doit pas y avoir de reflets sur les lunettes.

La tête doit être nue, le port d’un couvre-chef est interdit. ».

Il s’ensuit qu’après sa modification par l’article 3 précité, l’article 78 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, et plus particulièrement son point 5), se trouve libellé comme suit :

« Pour obtenir un permis de conduire, l’intéressé doit présenter au ministre des Transports une demande indiquant ses nom et prénoms, le lieu et la date de naissance ainsi que le lieu de sa résidence normale.

La demande doit être appuyée par les pièces suivantes:

[…] 5) une photographie récente de 45/35 mm sur papier souple, la tête prise de face ayant au moins 20 mm de hauteur.

Le visage doit être dégagé. Les yeux doivent être parfaitement ouverts.

La monture des lunettes ne doit pas masquer les yeux. Les verres teintés ou colorés sont interdits. Il ne doit pas y avoir de reflets sur les lunettes.

La tête doit être nue, le port d’un couvre-chef est interdit. ».

Au vu des développements qui précèdent, force est au tribunal de constater que la modification apportée par l’article 3 du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016 au point 5) de l’article 78 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, ayant trait aux caractéristiques de la photographie à apposer sur le permis de conduire, tend à redresser des « imperfections » apparues dans la législation nationale et n’était pas visée par la Commission européenne dans le cadre de sa procédure d’infraction initiée à l’encontre du gouvernement luxembourgeois, procédure d’infraction ayant exclusivement visé les dispositions de la directive 2006/126/CE 12 Projet de règlement grand-ducal modifiant l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, Exposé des motifs, p. 5, disponible sur le site internet www.cc.lu.

13 Projet de règlement grand-ducal modifiant l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, Commentaire des articles, ad article 3, p. 6, disponible sur le site internet www.cc.lu.relatives « aux équivalences en matière de permis de conduire », ainsi qu’« aux conditions médicales à remplir en vue de la délivrance ou du renouvellement du permis de conduire ».

Il convient encore de relever que mise à part la nécessité de redresser certaines imperfections dans la législation nationale, aucune motivation quant au recours à la procédure d’urgence n’a été avancée par la partie étatique en ce qui concerne plus particulièrement l’article 3 du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016.

Il s’ensuit qu’à défaut de justification du caractère de l’urgence invoquée à la base de l’article 3 du règlement grand-ducal précité du 19 janvier 2016, celui-ci a été pris en violation de l’article 2, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi précitée du 12 juillet 1996. L’illégalité de l’article 3 du règlement grand-ducal du 19 janvier 2016 ayant ainsi été constatée par le tribunal, il doit être déclaré inapplicable en l’espèce, par application de l’article 95 de la Constitution.

En ce qui concerne la légalité de la décision ministérielle déférée du 3 novembre 2017, trouvant son fondement juridique dans le point 5) de l’article 78 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, tel qu’il a été modifié par le règlement grand-ducal du 19 janvier 2016, il convient encore de relever qu’un acte administratif individuel peut être sauvé lorsque le règlement de base est abrogatoire ou modificatif. Il faut alors rechercher si la réglementation antérieure qui revit n’est pas susceptible de procurer un fondement à l’acte individuel14.

En l’espèce, force est au tribunal de retenir, tel que constaté ci-avant, que le règlement grand-ducal du 19 janvier 2016 est modificatif en ce qu’il complète le point 5) de l’article 78 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955. Dans la mesure où la décision déférée du 3 novembre 2017 trouve son fondement dans le point 5) de l’article 78 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 et plus précisément dans son dernier alinéa aux termes duquel « La tête doit être nue, le port d’un couvre-chef est interdit », disposition qui n’existait pas dans la réglementation antérieure, telle qu’adoptée par le règlement grand-ducal du 29 mai 1992 modifiant et complétant l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, la réglementation antérieure qui revit ne saurait procurer à la décision ministérielle déférée un fondement juridique.

Il s’ensuit que la décision sous examen du 3 novembre 2017, dans la mesure où elle est nécessairement et exclusivement basée sur le point 5) de l’article 78 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955, tel que modifié par le règlement grand-ducal du 19 janvier 2016, doit être annulée.

La décision litigieuse encourant l’annulation sur base des considérations qui précèdent, il n’y a pas lieu d’examiner les autres moyens et arguments développés par la demanderesse, cet examen devenant surabondant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal ;

14 R. ERGEC, « Le contentieux administratif en droit luxembourgeois », Pas. adm. 2018, p. 29, point 46.reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 3 novembre 2017 et renvoie l’affaire en prosécution de cause devant ledit ministre ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 avril 2019 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, juge, Stéphanie Lommel, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 avril 2019 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 40948
Date de la décision : 24/04/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-04-24;40948 ?

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