Tribunal administratif Numéro 42570 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mars 2019 3e chambre Audience publique extraordinaire du 5 avril 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42570 du rôle et déposée le 28 mars 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à « … » (Maroc), et être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 mars 2019 prorogeant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2019 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Nancy CARIER, en sa plaidoirie à l’audience publique du 3 avril 2019.
___________________________________________________________________________
Par jugement du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 7 février 2019, Monsieur …, connu sous dix-huit différents alias, fut condamné à une peine d’emprisonnement de quinze mois, assortie d’un sursis à l’exécution de neuf mois pour vol commis à l’aide d’effraction et d’escalade.
A sa libération du Centre pénitentiaire de Luxembourg le 15 février 2019, Monsieur … se vit notifier le même jour un arrêté pris par le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », par le biais duquel celui-ci constata son séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai soit à destination du pays dont il a la nationalité, soit à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner, tout en lui interdisant l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans à partir de sa sortie de l’espace Schengen.
Par un arrêté du même jour, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour du 15 février 2019, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire de 5 ans ;
Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;
Attendu que l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public ;
Attendu que l’intéressé est dépourvu de tout document d’identité et de voyage valable ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; ».
Toujours le 15 février 2019, les autorités luxembourgeoises contactèrent le Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège afin de solliciter un laissez-passer en faveur de Monsieur … et en vue de son identification, demande qu’ils réitèrent en date des 8 et 22 mars 2019.
Par arrêté du 13 mars 2019, notifié à l’intéressé le 15 mars 2019, le ministre prorogea le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification de la décision.
Ladite décision est basée sur les motifs et considérations suivants :
« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 15 février 2019, notifié le même jour, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 15 février 2019 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
2 Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 13 mars 2019 prorogeant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Monsieur … expose tout d’abord les faits et rétroactes gisant à la base de son recours, pour soutenir ensuite, en droit, après avoir cité le prescrit de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, que le placement en rétention devrait être considéré comme ultime remède, alors qu’il porterait atteinte à sa liberté de mouvement, de sorte qu’il ne constituerait qu’une simple faculté pour le ministre, faculté qui ne serait cependant pas discrétionnaire, mais qui devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
Il fait ensuite valoir que les démarches entreprises par le ministre en vue de son éloignement ne progresseraient pas, étant donné que depuis son placement en rétention une seule demande d’identification et de réadmission aurait été envoyée au Consulat Général du Royaume du Maroc en date du 15 février 2019 et un seul rappel en date du 8 mars 2019. Il en conclut que dans la mesure où près de deux mois se seraient écoulés depuis son placement en rétention sans que les démarches n’aient abouties, son maintien en rétention ne serait pas justifié.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne en premier lieu le moyen tiré d’une motivation insuffisante de la décision déférée du 13 mars 2019, le tribunal est amené à conclure que s’il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérées doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, le cas d’espèce sous examen ne tombe cependant dans aucune des hypothèses énumérées à l’alinéa 2 de l’article 6 précité, de sorte que l’obligation inscrite à l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, d’ailleurs non invoqué par le demandeur, ne trouve pas d’application en l’espèce. Dans la mesure où il n’existe en outre aucun autre texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention, sans demande expresse del’intéressé, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision de placement, de sorte que le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs doit, en tout état de cause, être rejeté pour ne pas être fondé.
Par ailleurs, le tribunal tient à relever, qu’en tout état de cause, la sanction de l’absence de motivation ne consiste pas dans l’annulation de l’acte visé, mais dans la suspension des délais de recours et celui-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse1.
Ainsi, un acte n’est susceptible d’encourir l’annulation qu’au cas où la motivation le sous-tendant ne ressort d’aucun élément soumis au tribunal au moment où l’affaire est prise en délibéré, étant donné qu’une telle circonstance rend tout contrôle de la légalité des motifs impossible.
Or, en l’espèce, force est au tribunal de constater que la décision déférée indique la cause juridique, ainsi que les circonstances de fait à sa base, en se référant aux articles 111 et 120 à 123 de la loi du 29 août 2008 et en précisant que les motifs à la base de la mesure de placement du 15 février 2019 subsisteraient dans le chef du demandeur et que toutes les diligences en vue de son identification auraient été entreprises, mais n’auraient pas encore abouti, de sorte que le ministre a, à suffisance de droit, exposé les motifs sous-tendant la décision déférée et que partant le moyen relatif à un défaut de motivation laisse d’être fondé.
Quant au fond, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008: « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.
Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. […] ».
L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour 1 Cour adm. 20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 85 et les autres références y citées.ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment l’identification de l’intéressé, s’il ne dispose pas de documents d’identité, ensuite la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1), de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de trois conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours et que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise.
Le tribunal constate qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, ayant notamment fait l’objet d’une décision de retour le 15 février 2019, qu’il n’est ni en possession d’un passeport ni d’un visa en cours de validité, qu’il ne dispose pas d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois au Luxembourg, ni d’une autorisation de travail, de sorte qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi ou encore s’il ne dispose pas de documents d’identité ou de voyage en cours de validité. Le ministre pouvait donc a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement et également proroger cette mesure, étant relevé que le demandeur n’a pas fourni le moindre élément visant à renverser la présomption de risque de fuite pesant sur lui.
En ce qui concerne les diligences effectuées en vue de l’éloignement du demandeur, force est au tribunal de constater qu’il ressort du dossier administratif qu’en date du 15 février 2019, les autorités luxembourgeoises ont contacté le Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège en vue de l’identification de Monsieur … et en vue de l’obtention d’un laissez-passer en sa faveur, demande qui fut réitérée à deux reprises, en date des 8 et 22 mars 2019.
Par courrier du 1er avril 2019, le Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège a identifié Monsieur … comme ressortissant marocain et a informé les autorités luxembourgeoises qu’il est disposé à lui délivrer un laissez-passer si toutes les conditions nécessaires étaient remplies.
Au vu des démarches concrètement déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, tributaire de la coopération des autorités étrangères et de la nécessité d’identification du demandeur dépourvu de tout document d’identité, il y a lieu de conclure que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.
Le moyen fondé sur une absence de diligences suffisantes du ministre en vue d’organiser l’éloignement du demandeur est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Au vu des développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 5 avril 2019 par :
Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, Stéphanie Lommel, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 avril 2019 Le greffier du tribunal administratif 6