Tribunal administratif Numéro 42351 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 février 2019 2e chambre Audience publique du 4 avril 2019 Recours formé par Monsieur …. et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42351 du rôle et déposée le 13 février 2019 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …. , né le …. à …. (Irak), agissant en son nom personnel et au nom et pour le compte de ses enfants mineurs …. , née le ….. à …., et …. , né le …. à …. (Liban), tous de nationalité irakienne, sans adresse connue et élisant domicile en l’étude de leur litismandataire préqualifié, sise à L-1940 Luxembourg, 310, route de Longwy, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 janvier 2019 ayant déclaré irrecevable sa demande de protection internationale sur le fondement de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2019 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en leurs plaidoiries à l’audience publique du 1er avril 2019.
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Le 8 janvier 2019, Monsieur …. , accompagné de ses enfants mineurs …. et …. , déposa auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur …. sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Suite à une recherche dans la base de données EURODAC effectuée le même jour, il apparut que Monsieur …. avait déposé une demande de protection internationale en Italie le 3 mai 2016 et que ses enfants et lui-même étaient bénéficiaires d’une protection internationale, qui leur a été délivrée par les autorités italiennes le 1er juin 2016. Monsieur …. , toujours 1accompagné de ses deux enfants, a également déposé des demandes de protection internationale en Allemagne le 11 août 2017, en France le 22 septembre 2017 et aux Pays-Bas le 10 octobre 2018.
Le 16 janvier 2019, Monsieur …. fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur la recevabilité de sa demande de protection internationale.
Par décision du 28 janvier 2019, notifiée à l’intéressé en mains propres le 29 janvier 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur …. que sa demande de protection internationale était irrecevable sur base de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015.
Cette décision est libellée comme suit :
« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 8 janvier 2019.
Vous êtes accompagné de vos enfants mineurs, …. …. , née le …. à …./Irak et …. , né le …. à …../Liban, les deux de nationalité irakienne.
En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 8 janvier 2019 et le rapport d'entretien du 16 janvier 2019 sur la recevabilité de votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.
Il en ressort que vous avez introduit des demandes de protection internationale en Italie, le 3 mai 2016, en Allemagne le 11 août 2017, en France le 22 septembre 2017 et aux Pays-Bas le 10 octobre 2018. Vous êtes par ailleurs répertorié en Allemagne pour coups et blessures et vous y avez été recherché aux fins de découvrir votre lieu de résidence. En outre, lors de votre séjour en France, il était prévu que vous preniez le train « pour un relogement à Nantes. Ils n'arrivaient jamais à la gare ou les attendait le personnel de l'association accueil sans frontière. (…) Le père présente une paranoïa, une schizophrénie et une psychose. Les enfants doivent être protégés ».
Vous signalez avoir quitté l'Irak en 2009 et avoir vécu au Liban jusqu'en 2016. Vous auriez ensuite obtenu un visa pour l'Italie, après qu'une chaine de télévision aurait fait un reportage sur votre fille malade. En Italie, vous et vos enfants auriez été traités « comme des rois » et vous y auriez bénéficié du statut de réfugié; un constat confirmé par les recherches effectuées sur base du système Eurodac. Or, vous auriez par la suite décidé de partir en Allemagne alors que votre fille n'aurait pas reçu les soins adéquats en Italie. Vous précisez avoir introduit des demandes de protection internationale en Allemagne, en France et aux Pays-Bas afin que votre fille y soit soignée. Néanmoins, les « hôpitaux » n'auraient pas pu l'aider et vous auriez alors décidé de venir au Luxembourg pour la faire soigner.
Vous ajoutez qu'en Italie, des gens bénévoles non autrement identifiés d'une association qui vous aurait aidé, seraient une fois entrés chez vous et auraient volé tous vos documents, dont ceux attestant de l'assassinat de votre épouse. La police n'aurait pas constaté d'infraction mais vous dites qu'elle serait sous l'influence de ces gens. A cela s'ajoute que vos enfants auraient vu un homme tunisien qui les aurait suivis.
2Vous présentez trois attestations de demandeurs de protection internationale émises par les autorités néerlandaises, deux copies de passeport et trois copies de plaintes parmi les nombreuses que vous auriez déposées auprès de la police italienne. Votre titre de voyage pour réfugié se trouverait aux Pays-Bas.
Je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif qu'une protection internationale vous a été accordée par un autre Etat membre de l'Union européenne.
En effet, il résulte de vos déclarations et des informations obtenues grâce au système Eurodac que vous et vos enfants bénéficient du statut de réfugié en Italie.
De plus, vous dites que votre fille n'aurait pas été adéquatement soignée en Italie, respectivement qu'elle n'aurait par la suite plus eu accès aux soins. Or, il ne ressort pas des éléments en notre possession que vous auriez à craindre en Italie pour votre vie ou pour votre liberté. En outre, l'Italie respecte le principe de non refoulement conformément à la Convention de Genève et l'interdiction de prendre des mesures d'éloignement contraires à l'interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
A cela s'ajoute que des motifs médicaux ne sauraient de toute façon pas fonder une demande en obtention d'une protection internationale, comme on vous l'aurait déjà fait comprendre en Allemagne, en France ou aux Pays-Bas, où votre fille n'aurait donc, comme en Italie, pas non plus été soignée adéquatement.
Le Grand-Duché de Luxembourg ne peut par conséquent pas donner suite à votre demande déclarée irrecevable.
Conformément à l'article 34 (2) votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Italie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».
Par courrier du 4 février 2019, les autorités luxembourgeoises requirent des autorités italiennes la réadmission de Monsieur …. et de ses enfants sur le territoire italien sur base de l’article 6 (2) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, disposant que « Les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre et titulaires d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre. En cas de non-respect de cette obligation par le ressortissant concerné d’un pays tiers ou lorsque le départ immédiat du ressortissant d’un pays tiers est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité nationale, le paragraphe 1 s’applique ».
Par courrier du 20 mars 2019, les autorités italiennes acceptèrent le retour de Monsieur …. et de ses enfants sur leur territoire.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 février 2019, Monsieur ….
a fait introduire, en son nom personnel et au nom et pour compte de ses deux enfants mineurs, 3un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 28 janvier 2019 par laquelle sa demande en obtention de la protection internationale a été déclarée irrecevable.
Etant donné qu’aucune disposition légale n’instaure un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce.
Il échet, à titre préliminaire, de relever que la décision du 28 janvier 2019 contient deux volets distincts, à savoir (i) celui déclarant la demande de protection internationale introduite par Monsieur …. irrecevable et (ii) celui ordonnant à ce dernier et ses deux enfants de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours à compter du jour où la décision d’irrecevabilité sera définitive. Il convient dès lors de vérifier la recevabilité et le bien-fondé du recours contre ces deux volets.
En l’espèce, le tribunal constate que dans leur requête introductive d’instance, les demandeurs ont seulement visé le volet de la décision déclarant irrecevable la demande de protection internationale introduite par Monsieur …. . Ils n’ont ainsi formulé aucune contestation quant au volet leur ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours à compter du jour où la décision d’irrecevabilité sera définitive, ni dans l’introduction, ni dans le corps de sa requête, ni dans son dispositif.
Dans la mesure où les demandeurs n’ont ainsi introduit aucun recours quant au volet leur ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois, le tribunal n’est pas saisi d’un tel recours et n’examinera ni la légalité ni le bien-fondé de ce volet de la décision déférée.
Le recours en annulation dirigé contre le volet de la décision déclarant la demande de protection internationale introduite par Monsieur …. irrecevable est, quant à lui, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, Monsieur …. explique avoir quitté son pays d’origine, l’Irak, accompagné de ses deux enfants mineurs et avoir déposé une demande de protection internationale en Italie. Les autorités italiennes leur auraient accordé le statut de réfugié. Sa fille …. présenterait un grave handicap, à savoir une malformation veineuse congénitale du membre gauche. Elle n’aurait pas été soignée en Italie et Monsieur …. aurait décidé d’introduire une requête auprès de la Cour européenne des droits de l'Homme, ci-après désignée par « la CourEDH ». Il se serait, en outre, renseigné pour qu’elle puisse bénéficier de soins en Allemagne et aurait décidé de s’y rendre, avec ses enfants, puis, en France et aux Pays-Bas, pays dans lesquels il aurait déposé une demande de protection internationale. Il précise que toutes ses demandes auraient été motivées par l’état de santé de sa fille et le fait qu’il ne pouvait payer les soins qui lui auraient été nécessaires. L’enfant …. serait à l’heure actuelle prise en charge par un médecin luxembourgeois. Monsieur …. donne encore à considérer que la situation générale des bénéficiaires d’une protection internationale en Italie serait alarmante et se réfère à un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) publié en août 2016, intitulé « Conditions d’accueil en Italie – A propos de la situation actuelle des requérant-e-s d’asile et des bénéficiaires d’une protection, en particulier de celles et ceux de retour en Italie dans le cadre de Dublin ». Il renvoie également à un rapport, publié le 9 février 2017, par le Danish Refugee Council et l’OSAR, intitulé « Is mutual trust enough ? », concernant les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie, notamment ceux qui sont considérés comme vulnérables, et qui font l’objet d’un retour en Italie en application du règlement Dublin III. Il se réfère encore à un article publié sur le site « www.woxx.lu » le 26 octobre 2018 et intitulé « Expulsions vers l’Italie : Asselborn réagit », dans lequel le ministre 4aurait affirmé que les transferts dans le cadre du règlement Dublin III concerneraient non pas les bénéficiaires, mais les demandeurs de protection internationale, pour en déduire que les réfugiés ne pourraient pas non plus faire l’objet d’un transfert vers l’Italie.
En droit, Monsieur …. conclut à l’annulation de la décision pour erreur d’appréciation des faits, violation de la loi sinon fausse application de celle-ci, et reproche plus particulièrement au ministre d’avoir violé l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », alors qu’en cas de retour en Italie, il serait exposé, ainsi que ses enfants, à un traitement inhumain ou dégradant. En effet, étant donné qu’ils auraient le statut de réfugié et que l’enfant …. souffrirait d’un handicap, qu’ils appartiendraient de ce fait à une catégorie particulièrement vulnérable, et que l’enfant …. ne pourrait bénéficier de soins médicaux suffisants en Italie, il en résulterait une souffrance physique et mentale prohibée par l’article 4 de la Charte. Monsieur …. soutient finalement que la présomption simple selon laquelle tout Etat membre de l’Union européenne partagerait les mêmes valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité, se trouverait renversée en l’espèce et se réfère dans ce contexte à plusieurs arrêts de la CourEDH.
A l’audience des plaidoiries, le litismandataire des demandeurs se base également sur des photos du bras de l’enfant …. , des documents en langue italienne, une décision du Comité contre la torture du 6 décembre 2018, ainsi que sur des échanges de courriers électroniques entre Monsieur …. et des médecins italiens, pour conclure que les demandeurs risqueraient des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte en cas de retour en Italie, où l’enfant …. ne pourrait bénéficier d’aucun soin.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour être non fondé.
Aux termes de l’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: (…) a) une protection internationale a été accordée par un autre Etat membre de l’Union européenne (…) ».
Il ressort de cette disposition que le ministre peut déclarer irrecevable une demande de protection internationale, sans vérifier si les conditions d’octroi en sont réunies, dans le cas où le demandeur s’est vu accorder une protection internationale dans un autre pays membre de l’Union européenne.
En l’espèce, il ressort des éléments du dossier soumis à l’appréciation du tribunal, notamment de la recherche effectuée dans la base de données EURODAC, que les demandeurs bénéficient du statut de réfugié en Italie depuis le 1er juin 2016, ce que Monsieur …. a par ailleurs confirmé lors de son audition devant l’agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux.
Face à ce constat, le ministre pouvait a priori valablement déclarer irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur …. sur le fondement de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015.
En ce qui concerne les conditions d’accueil en Italie, il échet de relever que le rapport publié le 9 février 2017 par le Danish Refugee Council et l’OSAR, ainsi que l’article du site « www.woxx.lu » concernent l’accueil des demandeurs de protection internationale et qu’en 5conséquence, les demandeurs entendent faire valoir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie.
Or, le tribunal est amené à constater que l’article 3 (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, qui dispose que « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. », est limité aux demandeurs d’une protection internationale, situation dans laquelle Monsieur …. et ses enfants ne se trouvent pas, ces derniers ayant obtenu le statut de réfugié en Italie.
Le moyen des demandeurs fondé sur l’existence de défaillances systémiques affectant le système d’asile en Italie est partant à rejeter pour ne pas être pertinent en l’espèce.
Les demandeurs font encore plaider qu’en cas de retour en Italie, ils seraient confrontés à des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte, et invoquent deux éléments à cet effet : (i) le fait qu’il n’existerait aucun recours contre des individus, membres d’une association qui les aurait aidé dans un premier temps, qui seraient entrés dans leur logement pour y dérober des documents et qui les auraient menacés suite à la plainte déposée par Monsieur …. à leur encontre, et (ii) l’absence de soins adéquats pour l’enfant …. .
En ce qui concerne tout d’abord l’insécurité ressentie par Monsieur …. sur le territoire italien en raison de l’agissement des membres d’une association, au-delà du fait que les déclarations de ce dernier sur les évènements qui se sont produits sont floues et rendent, de ce fait, leur compréhension difficile, il en ressort tout de même que Monsieur …. aurait eu accès aux autorités italiennes pour requérir leur protection. En effet, (i) il serait « allé porter presque chaque jour plainte contre ces gens » 1 - même s’il estime que les policiers ne l’auraient pas écouté et que ces derniers seraient sous l’influence des prédits membres de l’association -, (ii) sa plainte aurait été enregistrée, vu ses affirmations selon lesquelles les membres de cette association l’auraient menacé afin qu’il retire sa plainte, et les pièces qu’il a versées en ce sens au ministre, et (iii) il se serait adressé au procureur général. Le tribunal est partant amené à constater que les demandeurs ont eu accès aux autorités italiennes pour faire valoir leurs droits et qu’ils restent donc en défaut de démontrer un quelconque risque de traitement inhumain ou dégradant en cas de retour en Italie de la part de ces dernières.
Il convient de préciser à ce propos que la protection fournie par les autorités d’un pays n’implique pas une sécurité physique absolue de ses habitants contre la commission de tout acte de violence, protection qui relève de l’utopie.
En ce qui concerne ensuite l’accès aux soins en Italie, les demandeurs estiment que l’absence de soins pour l’enfant …. serait constitutive d’une violation de l’article 4 de la Charte.
Ils versent à cet effet une décision du Comité contre la torture du 6 décembre 2018, dans lequel ledit Comité est arrivé à la conclusion que l’expulsion de la personne concernée vers l’Italie 1 Page 3 du rapport d'audition de Monsieur ….. du 16 janvier 2019.
6constituerait une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », alors que celle-ci a été victime de graves tortures dans son pays d'origine, s’est vue reconnaître le statut de réfugié par l’Italie, n’a bénéficié d’aucun soin dans ledit pays pour guérir les blessures consécutives aux tortures subies, et que les autorités italiennes l’ont laissée ainsi dans un état déplorable dans la rue pendant trois années où ses maux ont empiré. Ils versent aussi l’opinion dissidente de Monsieur …. dans le cadre de la même affaire, qui estime que le renvoi du concerné vers l’Italie serait constitutif d’une violation des articles 3, 14 et 16 de la CEDH.
Or, le tribunal est amené à constater que la décision du Comité contre la torture n’est pas transposable au cas d’espèce.
En premier lieu, les demandeurs ne fournissent aucun élément quant à la gravité de la situation médicale de l’enfant …. , hormis une ordonnance médicale du Docteur ….. du 11 février 2019, dans lequel il est indiqué qu’elle souffre d’une « malformation veineuse congénitale du membre supérieur gauche qui requiert une prise en charge spécifique », une ordonnance médicale du 15 janvier 2019, dans laquelle des séances de rééducation orthopédique lui sont prescrites, et des photos de son bras. Les demandeurs restent dès lors, d’ores et déjà, en défaut de démontrer la gravité de son handicap, d’expliquer les conséquences qu’une absence de soins pourrait avoir sur son état de santé, et les raisons pour lesquelles cette absence de soins serait à considérer comme constitutive d’une violation de l’article 4 de la Charte.
En deuxième lieu, les demandeurs avaient accès à des soins en Italie, contrairement à ce qu’ils prétendent à présent. En effet, Monsieur …. a affirmé, lors de son audition devant un agent de la police grand-ducale, que « (…) Ich blieb bis 2016 im Libanon. Da ein Fernsehsender eine Reportage über meine kranke Tochter drehte, bekam ich ein Visum um nach Italien auszureisen, wir wurden wie Könige behandelt. Wir bekammen auch das Flüchtlingsstatut (…) »2. Il en ressort dès lors qu’il a été invité en Italie, suite à un reportage réalisé sur l’état de santé de sa fille, pour qu’elle y soit soignée. Il ressort également de l’échange de courriers électroniques avec les médecins italiens, versé par les demandeurs, que des soins avaient été prévus pour cette dernière et qu’elle les a refusés, et qu’en conséquence, la procédure de prise en charge devait être recommencée depuis le début. Les demandeurs restent ainsi en défaut d’expliquer les raisons pour lesquelles ils n’ont pas effectué les démarches nécessaires pour la prise en charge des soins à administrer à l’enfant …. .
Il échet dès lors de relever qu’au vu des pièces du dossier, il ne peut pas être reproché aux autorités italiennes de ne pas remplir leurs obligations suite à l’octroi aux demandeurs du statut de réfugié, ces derniers restant également en défaut de démontrer qu’ils auraient vécu en Italie dans des conditions contraires à l’article 4 de la Charte, Monsieur …. ayant d’ailleurs affirmé, à cet égard, qu’ils auraient été traités « comme des rois » en Italie.
Partant, au vu de ces constatations, le tribunal est amené à rejeter le moyen fondé sur une violation par le ministre de l’article 4 de la Charte.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour être non fondé.
2 Page 2 du rapport d'audition de M. Al-Dabbagh du 8 janvier 2019.
7Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation dirigé contre la décision du 28 janvier 2019 ayant déclaré irrecevable la demande de protection internationale introduite par Monsieur ….
en date du 8 janvier 2019 ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 4 avril 2019 par le juge Hélène Steichen, en présence du greffier assumé Lejila Adrovic.
s.Lejila Adrovic s.Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 avril 2019 Le greffier du tribunal administratif 8