Tribunal administratif N° 42461 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mars 2019 1re chambre Audience publique extraordinaire du 15 mars 2019 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42461 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 mars 2019 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le 6 mars 2000 et être de nationalité érythréenne, alias …, né le … à … (Ethiopie), de nationalité éthiopienne, actuellement retenu au Centre de rétention, tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 février 2019 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2019 ;
Vu le courrier de Maître Ardavan Fatholahzadeh du 12 mars 2019 informant le tribunal administratif du dépôt de son mandat ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Nancy Carier en sa plaidoirie à l’audience publique du 13 mars 2019.
Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale, commissariat Luxembourg-Gare, portant le n°R55166, que le 26 février 2019, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », fut appréhendé par les forces de l’ordre alors qu’il circulait à bord du train faisant le trajet entre Arlon et Luxembourg sans être en possession d’un titre de voyage ou de documents d’identité valables.
Par décision du 26 février 2019, notifiée à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai.
Par arrêté du même jour, notifié le jour-même, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :
« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport no R55166 du 26 février 2019 établi par la Police grand-ducal ;
Vu ma décision de retour du 26 février 2019 ;
Attendu que l'intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Attendu qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu qu’il ressort de la base de données Eurodac que l’intéressé a précédemment introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 25 février 2016 ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 mars 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 26 février 2019 ordonnant son placement au Centre de rétention.
Avant tout autre progrès en cause, le tribunal relève que le litismandataire de Monsieur … a demandé, à travers le dispositif de la requête introductive d’instance, à se voir communiquer l’intégralité du dossier administratif. Dans la mesure où le dossier administratif a été déposé par la partie étatique, conformément à l’article 8 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il y a lieu d’admettre que le dossier administratif tel que déposé par la partie étatique est complet, et que, par conséquent, la demande est devenue sans objet.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1), de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur passe en revue les rétroactes de l’affaire, tels que repris ci-avant, tout en précisant que, dès son interpellation par la police grand-ducale, il aurait manifesté son intention de retourner en Allemagne et en soulignant qu’il ne voulait pas introduire une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg.
En droit, le demandeur, après s’être rapporté à la sagesse du tribunal quant à la régularité de la décision entreprise, reproche au ministre de ne pas avoir entrepris les diligences suffisantes en vue d’écourter son placement en rétention. Il fait, à cet égard, valoir, en renvoyant aux termes du considérant n°16 de la directive 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, qu’au risque de violer le principe de proportionnalité entre le but poursuivi par l’autorité administrative qui décide de prendre une mesure de placement en rétention et les moyens utilisés pour atteindre ce but, il faudrait que cette même autorité entreprenne toutes les mesures relevant de sa compétence pour écourter au maximum l’atteinte à la liberté que subirait l’administré.
Or, le demandeur est d’avis qu’en l’espèce, alors même qu’il se serait dégagé des éléments ayant trait à sa situation administrative et plus particulièrement des résultats de la base de données EURODAC que les autorités luxembourgeoises devraient contacter les autorités allemandes en vue de sa reprise en charge, aucune démarche en ce sens n’aurait été entreprise entre le 26 février et le 6 mars 2019. Il insiste, à cet égard, sur le fait que la privation de liberté d’un citoyen, respectivement d’un administré devrait toujours rester l’exception et cela au risque de violer le principe de proportionnalité.
Ensuite, le demandeur met en avant qu’il aurait bien indiqué être un demandeur de protection internationale en Allemagne et qu’il n’existerait, a priori, aucun empêchement à son transfert vers ce pays. Il est dès lors d’avis que l’ensemble des démarches nécessaires pour assurer que la mesure d’éloignement vers l’Allemagne puisse être exécutée sans retard n’aurait pas été accompli.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008: « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement et ce, notamment pour permettre de l’identifier si l’intéressé ne dispose pas de papiers d’identité. De même, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères plus particulièrement en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Le tribunal constate qu’en l’espèce, le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, ayant notamment fait l’objet d’une décision de retour en date du 26 février 2019, qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse, qu’il ne dispose pas d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois au Luxembourg, ni d’une autorisation de travail, de sorte qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement, étant relevé que le demandeur n’a pas fourni le moindre élément visant à renverser la présomption de risque de fuite pesant sur lui.
S’agissant ensuite des contestations du demandeur, fondées sur le principe de proportionnalité tenant à ce que le ministre n’aurait pas entrepris les diligences nécessaires en vue d’écourter au maximum sa privation de liberté et ce, alors même que, selon lui, il aurait pu, dès son interpellation, être transféré sans délai en Allemagne, il se dégage des éléments du dossier administratif qu’une comparaison des empreintes digitales du demandeur effectuée dans la base de données EURODAC le 26 février 2019, suite à son interpellation sur le territoire luxembourgeois par la police grand-ducale, avait révélé qu’il avait introduit le 25 février 2016 une demande de protection internationale en Allemagne. Il résulte ensuite du dossier administratif, ainsi que des explications complémentaires fournies par la partie étatique, que le 7 mars 2019, le demandeur a été auditionné par un agent de la direction de l’Immigration dans le cadre du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l'examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après le « règlement Dublin III », et que, lors de cette audition, il a admis avoir menti au sujet de son identité au moment de son interpellation, tout en précisant qu’en réalité, il s’appellerait …, qu’il serait né le 1er janvier 1993 à Hosanna (Ethiopie), qu’il serait de nationalité éthiopienne et qu’il aurait déposé sous sa véritable identité une demande de protection internationale en Allemagne qui aurait été rejetée. Il se dégage, à cet égard, également des pièces du dossier administratif qu’à la suite de l’entretien Dublin, les autorités luxembourgeoises ont contacté le jour même les autorités allemandes en vue de solliciter la reprise en charge du demandeur sur base des articles 20, paragraphe (5), 24, paragraphe (1), et 28, paragraphe (3), du règlement Dublin III.
Pour être tout à fait complet, le tribunal est amené à relever qu’il se dégage de l’attestation sur l’honneur émanant de l’agent de la direction de l’Immigration en charge de l’entretien Dublin du demandeur que ledit entretien n’a matériellement pas pu avoir lieu avant le 7 mars 2019, faute d’avoir pu trouver un traducteur assermenté disponible avant cette date, de sorte que de ce point de vue, aucun reproche ne saurait être adressé au ministre.
Dans la mesure où l’éloignement du demandeur nécessite d’obtenir préalablement l’accord de reprise en charge des autorités allemandes, de même que, par la suite, l’organisation matérielle du retour, il doit être admis, au vu des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise depuis le placement du demandeur au Centre de rétention, que le dispositif d’éloignement est actuellement toujours en cours et est toujours poursuivi avec la diligence requise conformément aux exigences posées par l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est, en l’absence d’autres moyens, à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
dit que la demande tendant à la communication de l’intégralité du dossier administratif est devenue sans objet ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 15 mars 2019 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Carine Reinesch, attaché de justice, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15/3/2019 Le Greffier du Tribunal administratif 5