Tribunal administratif Numéro 41222 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2018 2e chambre Audience publique du 14 mars 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 41222 du rôle et déposée le 4 juin 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Guinée), demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 mars 2018 portant refus d’un report de l’éloignement ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 septembre 2018 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sabah Hentour, en remplacement de Maître Frank Wies et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2018.
Le 26 avril 2016, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dont il fut définitivement débouté par arrêt de la Cour administrative du 14 décembre 2017, inscrit au numéro 40311C du rôle.
Par courrier du 16 janvier 2018, Monsieur … sollicita par l’intermédiaire de son litismandataire un report de l’éloignement sur base de l’article 125bis de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 ».
Par décision du 16 mars 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », refusa d’y faire droit, aux motifs suivants :
« J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 16 janvier 2018 par lequel vous sollicitez pour le compte de votre mandant une demande en obtention d’un report à l’éloignement conformément à l’article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration.
Par la même occasion, vous exposez la situation sociale, scolaire et professionnelle de votre mandant ainsi que la situation dans son pays d’origine.
En réponse permettez-moi de vous informer que je ne suis malheureusement pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande étant donné que Monsieur … ne remplit pas les conditions de à l’article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2018, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision du 19 mars 2018, précitée, lui refusant un report de l’éloignement.
Etant donné qu’en la présente matière aucun recours au fond n’est prévu ni par la loi du 29 août 2008 précitée ni par une autre disposition légale, le demandeur a valablement pu introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle déférée.
Le recours en annulation contre la décision déférée est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, Monsieur … fait d’abord valoir qu’il serait inscrit depuis deux ans au Lycée technique du Centre et bénéficierait d’un contrat d’apprentissage en qualité de commis de vente depuis le 16 novembre 2016. Dans la mesure où il aurait de bons résultats scolaires, il aimerait terminer la classe de 12e ce qui contribuerait à son épanouissement personnel et son intégration sociale et professionnelle.
En droit, le demandeur invoque en premier lieu une violation du principe de proportionnalité, dans la mesure où son renvoi dans son pays d’origine ruinerait ses chances de bénéficier de bonnes opportunités et de construire un avenir.
Monsieur … reproche ensuite au ministre d’avoir violé l’article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l’Enfant, adoptée le … à …, respectivement l’intérêt supérieur de l’enfant en ce que « l’exécution de cette interdiction de séjour » à l’égard d’un enfant scolarisé serait manifestement contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Le demandeur fait finalement valoir que la décision attaquée violerait le droit de l’enfant à l’instruction tel que prévu à l’article 2 du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». Il précise à cet égard que l’éducation aurait pour finalité d’améliorer la qualité de vie de l’enfant et qu’eu égard au fait qu’il aurait déjà passé trois années de sa scolarité au Luxembourg, il risquerait d’être gravement préjudicié s’il devait reprendre à zéro sa scolarité en Guinée.
Le délégué du gouvernement, de son côté, estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.
Il échet d’abord de constater que l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 dispose que : « (1) Si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays conformément à l’article 129, le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances propres à chaque cas et jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation. L’étranger peut se maintenir provisoirement sur le territoire, sans y être autorisé à séjourner. (…) », tandis qu’aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
La combinaison des articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008 précités ouvre dès lors la possibilité d’un report de l’éloignement dans deux cas de figure distincts, à savoir, d’une part, si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté et, d’autre part, s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays parce que sa vie ou sa liberté y seraient gravement menacées ou qu’il y serait exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH.
Force est au tribunal de constater que le demandeur n’allègue pas que sa vie ou sa liberté seraient gravement menacées, respectivement qu’il serait exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH en cas de retour dans son pays d’origine, mais soutient en substance qu’il souhaiterait terminer la classe de 12e au Luxembourg.
Le juge administratif saisi d’un recours en annulation est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie.
Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en un dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité1.
Aux termes de l’article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l’Enfant « 1.
Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
2. Les Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres 1 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n° 48 et les autres références y citées.
personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
3. Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. » Il résulte de cette disposition que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
Or, il échet au tribunal de constater que Monsieur … reste en défaut de démontrer, voire même d’alléguer, qu’il ne puisse poursuivre sa scolarité dans son pays d’origine et n’expose pas que ses études nécessiteraient un enseignement spécialisé ou des infrastructures spécifiques qui n’existeraient pas dans son pays d’origine. En effet, la scolarité du demandeur ne saurait constituer une impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté, de sorte que le tribunal ne saurait constater une violation par le ministre ni de la Convention précitée, ni de manière générale de l’intérêt supérieur de l’enfant, ni par ailleurs du principe de proporitionnalité.
Il s’ensuit que les moyens afférents encourent le rejet.
Aux termes de l’article 2 du Protocole additionnel de la CEDH « nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ».
En l’espèce, par le refus d’accorder au demandeur un report de l’éloignement, le ministre ne porte pas atteinte au droit à l’instruction, l’objet de la décision ministérielle portant sur le droit de la personne en séjour irrégulier de se maintenir sur le territoire alors qu’il ne lui est pas possible de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté et non pas sur son droit à l’instruction. Le moyen basé sur une prétendue violation du droit à l’instruction n’est dès lors pas pertinent en l’espèce. Même à supposer que le droit à l’instruction soit violé en l’espèce, cela ne saurait constituer un empêchement matériel à l’éloignement de l’étranger vers son pays d’origine, seule condition légale prévue pour l’octroi d’un report à l’éloignement.
Le moyen relatif à une violation de l’article 2 du Protocole additionnel de la CEDH encourt donc également le rejet.
Partant, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder le report de l’éloignement à Monsieur ….
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour être non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Hélène Steichen, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 14 mars 2019 par le vice-président, en présence du greffier assumé Lejila Adrovic.
s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 mars 2019 Le greffier du tribunal administratif 5