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12/03/2019 | LUXEMBOURG | N°40950

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mars 2019, 40950


Tribunal administratif N° 40950 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mars 2018 4e chambre Audience publique du 12 mars 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40950 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 mars 2018 par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à

la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, n...

Tribunal administratif N° 40950 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mars 2018 4e chambre Audience publique du 12 mars 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40950 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 mars 2018 par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 février 2018 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 mai 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître José Steffen, en remplacement de Maître Françoise Nsan-Nwet, et Madame le délégué du gouvernement Stéphanie Linster en leurs plaidoiries respectives.

Le 31 décembre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale en date du 20 juin 2017.

Par décision du 27 février 2018, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été déclarée non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à compter du jour où la décision sera devenue définitive et ce à destination de l’Irak ou de tout autre pays dans lequel il serait autorisé à séjourner. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez déposée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 31 décembre 2015.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 31 décembre 2015.

Il ressort dudit rapport que vous êtes entré de façon illégale dans l'Union européenne.

Monsieur, vous prétendez que vous vous seriez rendu en Turquie en avion depuis l'Irak en date du 6 décembre 2015. Là-bas, vous auriez rencontré un passeur, auquel vous auriez payé la somme de 950 dollars, afin qu'il vous emmène en Grèce par voie maritime. De là, vous auriez continué votre périple jusqu'au Luxembourg en passant par la Macédoine, la Serbie, la Croatie, la Slovénie, l'Autriche et l'Allemagne.

Vous indiquez que vous auriez quitté votre pays d'origine puisque vous auriez été menacé par des milices. Vous indiquez également que vous n'auriez jamais servi dans l'armée irakienne, que vous n'auriez ni été politiquement engagé, ni engagé dans une milice, mais que vous seriez diplômé en sciences informatiques.

Vous présentez une carte d'identité irakienne.

La comparaison de vos empreintes digitales avec la base de données EURODAC a révélé un résultat positif. En effet, vos empreintes digitales ont été enregistrées à Mytilène en Grèce en date du 9 décembre 2015. De plus, d'après les renseignements fournis par le Centre de coopération policière et douanière, vous êtes entré de manière illégale sur le territoire allemand en date du 14 décembre 2015. Vous déclarez que les autorités allemandes auraient gardé votre passeport.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes 20 juin 2017 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Monsieur, il se dégage de votre entretien que vous auriez quitté l'Irak, étant donné que votre vie serait en danger.

En effet, vous expliquez qu'en été 2015, vous auriez été bénévole dans une association caritative qui aurait aidé les personnes déplacées à l'intérieur du pays. Cette association caritative du nom de « … » aurait collecté des denrées alimentaires et les aurait distribuées aux personnes dans le besoin.

Vous indiquez qu'un jour d'automne 2015, lorsque vous auriez été en train de distribuer des denrées alimentaires devant la mosquée « … », vous auriez remarqué qu'une voiture serait passée à plusieurs reprises devant ladite mosquée. Vous énoncez que ceci vous aurait paru suspect et vous auriez décidé de continuer votre travail à l'intérieur de la mosquée, du fait que vous vous seriez senti observé.

2 Vous continuez vos dires en évoquant que le même jour, durant la soirée, vous auriez été à la maison avec votre famille, quand vous auriez entendu une fusillade devant votre maison. Lorsque vous seriez sorti afin de vérifier ce qui se serait passé, vous vous seriez rendu compte que votre maison aurait été la cible de coups de feu alors que vous auriez constaté des impacts de balle sur votre façade.

Vous déclarez que, suite aux événements de l'après-midi devant la mosquée, vous auriez cru que l'attaque sur votre maison serait un avertissement que vous devriez arrêter d'aider les personnes déplacées internes, « weil sie als Daesh oder Ungläubige von den schiitischen Milizen angesehen werden » (p.5/12 du rapport d'entretien).

Suite à cet incident, vous vous seriez réfugié dans la maison de votre oncle paternel à …. Vous indiquez que vous vous seriez caché à … jusqu'à votre départ définitif d'Irak.

Vous n'avez déposé aucun document pour étayer vos dires.

Enfin, il ressort du rapport d'entretien du 20 juin 2017 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi précitée du 18 décembre 2015, votre demande de protection internationale est évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.

1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.

Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 f) de la loi 18 décembre 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

3 * En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amené à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par l’un des critères de fond défini par lesdites Convention de Genève et la loi du 18 décembre 2015.

Monsieur, il y a tout d'abord lieu de relever que les faits que vous avez mis en avant lors de votre entretien avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes, en date du 20 juin 2017, pour justifier votre demande de protection internationale, se résument à un prétendu avertissement de la part d'une prétendue milice chiite qui aurait pris la forme de tirs de balles sur votre maison, milice qui serait opposés à votre activité de bénévole.

Toutefois, vous déclarez vous-même, que vous n'auriez vu ni les prétendues personnes qui vous auraient observé devant la mosquée, ni les personnes qui auraient tiré devant votre maison. Vous supposez simplement que ces prétendues personnes appartiendraient à une milice chiite. Il n'est cependant nullement établi que vous auriez effectivement été averti par une milice chiite. De ce fait, les personnes à l'origine de la fusillade restant inconnues, les motifs de la fusillade ne peuvent pas non plus être établis.

Il convient donc de déduire que les prétendus tirs sur votre maison ne seraient pas liés à votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un groupe social ou à vos convictions politiques.

Il s'ensuit que la première des trois conditions cumulatives pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié fait défaut en l'espèce.

Il convient dès lors de conclure que nonobstant le fait que vous n'apportez aucun élément de preuve pouvant corroborer vos allégations et même à supposer les faits que vous alléguez établis, ils ne sauraient pour autant constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu'ils ne peuvent à eux seuls établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève, ainsi que les articles 42 et 43 de la loi précitée du 18 décembre 2015.

Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par conséquent pas remplies.

2. Quant à la Protection subsidiaire En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.

Selon l'article 2 sous g) de la Loi de 2015 peut bénéficier de la protection subsidiaire « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes (1) et (2), n'étant pas applicable à 4 cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L'article 48 de cette même loi définit en tant qu'atteintes graves :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 48 de la loi précitée du 18 décembre 2015, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

- Quant à l'article 48 sous a) de la Loi de 2015 L'article 48 sous a) de la Loi de 2015 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution ». Monsieur, il ressort clairement de vos déclarations que vous ne risquez pas une condamnation à la peine de mort, respectivement l'exécution découlant d'une telle condamnation par les autorités de votre pays d'origine.

- Quant à l'article 48 sous b) de la Loi de 2015 L'article 48 sous b) de de la Loi de 2015 définit en tant qu'atteintes graves « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine ». En l'espèce vous indiquez que vous supposez que la fusillade devant votre maison aurait été un avertissement de la part de présumés miliciens chiites, afin que vous arrêtez d'effectuer des activités de bénévolats.

Les actes dont vous faites état sont certes condamnables et regrettables, mais ils ne sauraient emporter la conviction du Ministre que vous courriez un risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants dans votre pays d'origine.

- Quant à l'article 48 sous c) de la Loi de 2015 L'article 48 sous c) définit en tant qu'atteintes graves, « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

A titre préliminaire, il convient de signaler que le seul fait d'être originaire d'Irak ne justifie pas automatiquement l'octroi du statut conféré par la protection subsidiaire. En effet, la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire sur base de l'article 48 sous c) n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa 5 situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour dans son pays d'origine.

En l'espèce, vous déclarez, Monsieur, être de confession musulmane sunnite et avoir vécu à Bagdad, dans le quartier d'Al-Saydiya.

La ville de Bagdad ne saurait être considérée comme étant le théâtre de violences aveugles exposant chaque ressortissant, du seul fait de sa présence sur son territoire, au risque de subir des atteintes graves.

En effet, suivant les dernières statistiques fournies par l'Organisation des Nations-

Unies sur la ville de Bagdad, 24 civils auraient été tués au mois de décembre 2017, respectivement 51 au mois de novembre 2017 et 38 au mois d'octobre 2017.

Si ces chiffres sont certes déplorables, il y a lieu de les ramener à la population totale que compte la ville de Bagdad, à savoir environ 8 millions de personnes. En 2017, 3.298 victimes ont été recensées à Bagdad. Si ce nombre est non-négligeable, il ne saurait pourtant être supérieur, voire manifestement supérieur au nombre d'homicides d'autres grandes villes du monde. A titre de comparaison, 160 personnes seraient tuées par jour au Brésil selon un bilan publié par une ONG en 2014, ce qui fait pour le seul Etat de Rio 5719 meurtres en 2014 pour une population d'environ 6,5 millions d'habitants. Ce constat s'applique également à la ville de Chicago qui compte 2,7 millions d'habitants et qui déplore 762 victimes en 2016.

Par ailleurs, la vie à Bagdad continue de suivre son cours, alors que notamment les institutions, les établissements d'enseignement scolaire et universitaire, les transports, les restaurants, les chaînes de télévision fonctionnent parfaitement.

Il s'agit par exemple de constater que l'Aéroport international de Bagdad, qui compte plus de 7 millions de passagers par année, fonctionne et que de grandes compagnies aériennes telles que British Airways et Qatar Airways desservent Bagdad. Le même constat s'applique à l'Université de Bagdad dont le site Internet témoigne de la bonne marche de ses activités. A cela s'ajoute qu'une vie culturelle continue de s'organiser et de se développer.

De plus, notons que les structures étatiques continuent de fonctionner. Il y a lieu de noter à cet égard la délivrance de permis de résidence (permettant aux résidents de circuler entre quartiers) ou encore de documents d'identité valables pour ses résidents. De plus, notons la tenue d'élections parlementaires considérées comme relativement bien organisées.

A cela s'ajoute que des visites diplomatiques ont toujours lieu à Bagdad. Aussi, des ONG continuent de délivrer une assistance et une protection aux civils touchés par le conflit en Irak.

À cela s'ajoute que les autorités irakiennes ont toujours le contrôle politique et administratif sur Bagdad et les représentants diplomatiques de divers pays, ainsi que différentes organisations humanitaires et agences des Nations Unies, sont encore présents dans la capitale.

Concernant plus particulièrement le quartier d'Al-Saydiya à Bagdad où aurait vécu l'intimé, force est de constater que de nombreux cafés, restaurants, magasins, centres commerciaux et supermarchés sont toujours ouverts et actifs.

6 Par ailleurs, le fait que votre famille serait restée vivre à la même adresse à Al-

Saydiya, « Sie leben ganz normal weiter in diesem Haus und arbeiten wie gewohnt » (p.5/12 du rapport d'entretien), indique que vous pourriez retourner auprès de votre famille et y reprendre votre vie. De plus, vous mentionnez que vous auriez travaillé avec votre père dans son agence immobilière. Vous pourrez donc certainement reprendre votre ancien travail auprès de votre père.

En cas de retour dans votre pays d'origine, vous retrouverez dès lors facilement un entourage social et un soutien financier vous garantissant les bases nécessaires pour redémarrer une vie décente.

Eu égard à ce qui précède, il s'avère que ni la ville de Bagdad ni votre quartier d'origine ne se trouvent dans une situation de conflit armé interne ou international d'une intensité telle qu'il s'agirait de violences aveugles, de sorte que vous ne risquez pas de subir de menaces graves et individuelles contre votre vie en cas de retour dans votre pays d'origine.

Il résulte de ce qui précède que les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.

De tout ce qui précède, une protection internationale ne peut vous être octroyée.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2018, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 27 février 2018 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi qu’un recours en réformation de l’ordre de quitter le territoire y énoncé.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 27 février 2018 portant refus d’une protection internationale En application de l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, qui prévoit l’ouverture d’un recours en réformation contre les décisions ministérielles de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par Monsieur … contre la décision du ministre du 27 février 2018 portant refus de sa demande de protection internationale.

Ledit recours, ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur fait notamment valoir qu’il aurait fui l'Irak au cours de l'été 2015 afin d'échapper à la traque des milices qui auraient cherché à l'assassiner en raison de son engagement au sein d’une organisation d'aide aux réfugiés intérieurs d'Irak dénommée « … », dans le cadre de laquelle il aurait aidé à distribuer de lanourriture aux déplacés internes à majorité sunnite et principalement originaires des régions contrôlées par l'organisation terroriste Daesh, sachant que ces personnes n’auraient pas bénéficié de la bienveillance des milices à majorité chiite en raison de leur confession religieuse et de leur soutien supposé à ladite organisation terroriste.

Le demandeur explique qu’au cours de l'une de ces distributions, il aurait constaté qu'une voiture les aurait observés, passant à plusieurs reprises près du lieu de distribution des denrées alimentaires, ce qui l’aurait rapidement inquiété, relevant qu’il serait lui-même de confession sunnite et que la surveillance par une milice aurait pu signifier des arrestations et contrôles arbitraires, du racket, des enlèvements, ainsi que toute sorte de violences pouvant aller jusqu'à l'exécution.

Il donne à considérer que ses craintes auraient été confirmées le soir même, étant donné que la maison dans laquelle il aurait vécu avec sa famille aurait été visée par des tirs de balles. Malgré l’arrivée de la police appelée sur les lieux, cette dernière n’aurait ni dressé procès-verbal ni donné de suites à ladite enquête.

Après avoir quitté son domicile pour se réfugier auprès de sa famille dans le quartier de … par peur que les attaques ne se multiplient, le demandeur fait valoir qu’il aurait décidé de quitter son pays, « [l]assé de se cacher alors qu'il n'avait commis aucun crime ».

En droit et quant à la décision de refus d'accorder une protection internationale, le demandeur estime que le ministre aurait fait une interprétation erronée des faits de l'espèce et se serait abstenu d'examiner sa situation particulière, malgré la pertinence de sa demande et la crédibilité de son récit.

Il critique ainsi le ministre pour avoir retenu que la raison principale qui aurait motivé sa demande de protection internationale se résumerait à un seul avertissement constitué par la fusillade perpétrée sur sa maison par des personnes inconnues, et que, de ce fait, les motifs de ladite fusillade ne pourraient être connus.

Or, en excluant tout motif religieux, le ministre se serait bien gardé d'examiner la situation générale des citoyens sunnites depuis la reprise par l'Etat irakien des zones contrôlées auparavant par Daesh. En effet, dans ces régions, la population aurait été prise en otage par les terroristes, de sorte que la plupart de ces personnes devraient être considérées comme des victimes. Le demandeur relève néanmoins que, malgré leur état de vulnérabilité, les milices chiites ne les considèreraient pas comme tel et que, souvent, leur confession religieuse sunnite ferait d'eux la cible des revanches communautaires, qui se multiplieraient actuellement en Irak.

Le demandeur donne à considérer que du fait d’avoir aidé ces personnes, il serait assimilé à un sympathisant de la cause sunnite, qui, elle, en Irak, serait assimilée, la plupart du temps et sans autre fondement, à la cause de l'Etat islamique. A ce sujet, il affirme que la notion de religion recouvrirait, en particulier, le fait d'avoir des convictions théistes, non théistes ou athéistes, la participation à des cérémonies de cultes privées ou publiques, seul ou en communauté, ou le fait de ne pas y participer, ainsi que les autres actes religieux ou expressions d'opinions religieuses, et les formes de comportement personnel ou communautaire fondées sur des croyances religieuses ou imposées par ces croyances.

Le demandeur fait ainsi plaider qu’en s'abstenant d'analyser sa situation personnelle et notamment son engagement au sein d'une organisation d'aide aux réfugiés internes d'Irak, eten prenant sa décision en se fondant sur des considérations générales qui ne seraient pas pertinentes compte tenu de sa situation personnelle, le ministre n’aurait pas respecté les prévisions de l'article 37 de la loi du 18 décembre 2015.

Il estime encore que les actes subis suffiraient au degré de gravité requis par l'article 42 de la loi du 18 décembre 2015, en ce que, d’après le Haut-Commissariat des Nation Unies (UNHCR), le seul caractère isolé d’un acte ne saurait justifier le refus d’une protection, alors que les actes évoqués devraient être analysés à la lumière de la globalité de la demande de protection internationale, en ce compris la situation dans le pays d'origine, le profil du demandeur, mais aussi ses opinions, ses sentiments et son état d'esprit face aux expériences passées, relevant que, dans cette analyse, l'élément subjectif serait crucial et l'impact de ces mesures sur la personne concernée en constituerait un facteur clé. Le demandeur en conclut que la gravité intrinsèque d'une fusillade serait toujours établie dès lors que tout tir de balle pourrait avoir pour conséquence la mort d'un individu.

Au vu de ces considérations, le demandeur estime que le ministre aurait commis une erreur manifeste d'appréciation, relevant que, dans ce contexte également, le ministre n’aurait pas considéré qu’au vu de la situation générale de son pays d'origine, son activité serait considérée comme un soutien implicite à une idéologie islamiste radicale du seul fait de son appartenance à la religion sunnite.

Le demandeur relève finalement qu’il pourrait légitimement craindre pour sa vie dès lors qu'une attaque aurait été perpétrée à son domicile et qu'il aurait ainsi subi une tentative d'assassinat par fusillade qui devrait être considérée comme une atteinte suffisamment grave au droit à la vie ainsi qu’à celui de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants tels que ces droits seraient protégés par les articles 2 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH ».

Enfin, la troisième condition pour pouvoir bénéficier de la protection internationale serait également donnée, étant donné que les faits émaneraient des membres des milices chiites opérant dans le pays devant être qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi du 18 décembre 2015.

Quant à sa demande d’une protection subsidiaire, le demandeur estime que sa situation personnelle telle qu'exposée lors de son audition tomberait dans le champ d'application de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, dès lors que les actes de persécution subis par lui cadreraient avec les hypothèses retenues aux points a) b) et c) dudit article.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout 9 apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a) (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi: « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il ne soit nécessaire que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal relève de prime abord que c’est à tort que le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir analysé sa situation personnelle, alors qu’il ressort de la lecture de la décision déférée, telle que reprise in extenso ci-avant, que le ministre a bien pris en compte, dans le cadre de son analyse, les faits invoqués par le demandeur à savoir le fait qu’il aurait été menacé et attaqué par des membres d’une milice chiite en raison de son engagement dans une association d’aides aux réfugiés internes d’Irak.

Nonobstant la question de savoir si c’est à bon droit que le demandeur tente de rattacher les menaces dont il fait état, ainsi que l’attaque contre sa maison, à des convictions religieuses lui imputées par les miliciens chiites en raison de son engagement à caractère caritatif auprès de la population sunnite déplacée, il y a lieu de souligner qu’au vu des explications du demandeur dans le cadre de son audition auprès du ministère, sa crainte est plutôt à considérer comme hypothétique, alors qu’elle ne repose pas sur des éléments suffisamment objectifs. En effet, il est relevé que le demandeur n’a jamais été personnellement approché par des membres d’une milice qui lui auraient fait savoir qu’ils désapprouveraient son action au sein de son association d’aides aux déplacés internes d’Irak, de même qu’il explique ne jamais avoir été empêché par quiconque de procéder à la distribution de vivres aux démunis même sunnites. Ainsi, en ce qui concerne d’abord les faits s’étant déroulés pendant la distribution de vivres devant la mosquée, le demandeur s’est limité à expliquer qu’il se serait senti observé en raison d’une même voiture jaune qui serait passée plusieurs fois près de cet endroit. De même, en ce qui concerne les impacts de balles dans la façade de la maison familiale, le demandeur concède également qu’il aurait alors seulement supposé que ce serait lui qui serait personnellement ciblé par cette attaque, alors que sur laquestion spéciale de l’agent en charge de l’entretien, il explique ne pas être en mesure d’identifier les auteurs de la fusillade et que d’autres maisons du quartier avaient également subi des tirs. Par ailleurs, le demandeur, dans le cadre de son audition, relève encore que, mis à part ces coups de feu, sa famille aurait pu continuer de vivre normalement dans ladite maison sans que le moindre incident ne se soit produit depuis lors.

Il s’ensuit que la crainte dont le demandeur fait état, repose essentiellement sur des hypothèses et non sur des éléments de fait personnels suffisamment concrets permettant de conclure de manière objective qu’il aurait été personnellement en danger en Irak, de sorte que la crainte invoquée par le demandeur est plutôt à analyser comme un sentiment général d’insécurité, qui, à lui seul, n’est pas suffisant pour accéder au bénéfice d’un statut de réfugié.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies dans le chef de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation, pour autant qu’il est dirigé contre le refus d’octroi du statut de réfugié, est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent endéfinitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate d’abord qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié sans pour autant préciser de quelle manière les faits invoqués rentreraient dans les différentes catégories prévues par l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

i. Quant au risque de subir les atteintes graves définies à l’article 48, sous les points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour en Irak En ce qui concerne ce volet de la demande, il y a lieu de rappeler que l’application de l’article 48, points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 suppose qu’un demandeur fasse état d’un risque suffisamment concret de subir personnellement la peine de mort ou l’exécution, respectivement la torture ou des traitements inhumains ou dégradants, de sorte qu’il n’y a pas lieu de se départir, concernant ce volet de la demande de protection internationale, des considérations prises plus haut relatives au caractère hypothétique de la crainte du demandeur de faire l’objet de persécutions. Dès lors, l’existence d’un simple sentiment général d’insécurité, tel qu’il a été retenu ci-avant et qui s’impose également au tribunal dans le cadre du volet de la demande d’une protection subsidiaire, ne saurait partant suffire pour établir un risque d’atteintes graves répondant aux critères de l’article 48, points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015.

ii. Quant au risque de subir les atteintes graves découlant de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour en Irak Quant au risque de subir des atteintes graves en application de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il y a lieu de rappeler que le demandeur doit établir qu’il existe dans son pays d’origine « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Le demandeur ne fournit aucune argumentation quant à ce point précis et notamment quant aux considérations de la décision déférée à ce sujet.

Force est de relever que la Cour administrative a encore retenu très récemment que la situation en Irak, et plus spécialement à Bagdad, ne pourrait pas être qualifiée de situation de conflit interne1.

Il se dégage partant de tout ce qui précède et en l’absence d’autres éléments, que c’est également à juste titre que le ministre a refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit partant de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est également à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection subsidiaire sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation relatif à ce volet est également à rejeter comme non fondé.

2) Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire 1 Cour adm. 17 janvier 2019, n° 41936C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.luEtant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Le demandeur expose que l’ordre de quitter le territoire devrait être réformé alors qu’il constituerait une violation de l’article 3 de la CEDH, ainsi que de l’article 30, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire qui découlerait du rejet de la demande de protection internationale sous examen en faisant valoir que le demandeur serait resté en défaut d’établir qu’un retour en Irak entraînerait pour lui le risque de faire l’objet de traitements contraires à la CEDH, respectivement violerait le principe de non-refoulement.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Le tribunal vient de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que le ministre pouvait a priori valablement assortir le refus de ladite protection d’un ordre de quitter le territoire.

S’agissant de prime abord de la violation du deuxième paragraphe de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015, invoquée par le demandeur, il convient de relever que cet article dispose qu’ « Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres, du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr:

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre. » Etant donné qu’il n’existe aucun règlement grand-ducal désignant l’Irak comme pays d'origine sûr et que le ministre n’a, en outre, pas pris sa décision sur base du prédit article 30, le moyen afférent est à rejeter comme étant dénué de pertinence.

S’agissant du moyen fondé sur une violation de l’article 3 de la CEDH, interdisant la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, il convient de relever que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé dans ce contexte, dans son arrêt du 17 février 2009, « Elgafaji c. Pays-Bas », et plus précisément dans son considérant 28, que « si le droit fondamental garanti par l’article 3 de la CEDH fait partie des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect et si la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est prise en considération pour l’interprétation de la portée de ce droit dans l’ordre juridique communautaire, c’est cependant l’article 15, sous b), de la directive [2004/83/CE, transposée en droit national sous l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015] qui correspond, en substance, audit article 3. ».

La Cour européenne des droits de l’Homme (CourEDH) a également décidé dans son arrêt du 23 août 2016 « J.K. et autres c. Suède », numéro 59166/12, dans l’hypothèse d’un renvoi vers l’Irak, que « Dès lors que la situation générale en matière de sécurité en Irak n’empêche pas en soi l’éloignement des requérants, la Cour doit rechercher si leur situation personnelle est telle qu’ils se trouveraient exposés à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 s’ils étaient expulsés vers l’Irak » (considérant 111).

Etant donné que le tribunal a retenu précédemment que le demandeur restait en défaut de démontrer qu’il serait exposé à des violences aveugles dans le cadre d’un conflit armé interne en cas de retour dans son pays d’origine, et qu’ainsi la situation générale en Irak n’empêche pas en soi l’éloignement de Monsieur … et que les risques prétendument encourus en cas de retour en Irak restent les mêmes que ceux invoqués par Monsieur … dans le cadre de sa demande d’octroi d’une protection internationale, dans le cadre de laquelle le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’absence dans son chef de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, le tribunal ne saurait pas se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Au vu de ce qui précède, le tribunal est donc également amené à conclure qu’il n’existe pas un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur en Irak soit, dans ces circonstances, incompatible avec le principe de non-refoulement et l’article 3 de la CEDH.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 février 2018 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 27 février 2018 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 12 mars 2019 par le premier vice-président en présence du greffier Marc Warken.

s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 mars 2019 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 40950
Date de la décision : 12/03/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-03-12;40950 ?

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