La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/03/2019 | LUXEMBOURG | N°40865

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 mars 2019, 40865


Tribunal administratif N° 40865 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mars 2018 1ere chambre Audience publique du 4 mars 2019 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40865 du rôle et déposée le 7 mars 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Ouganda), de nationalité ougandaise, d...

Tribunal administratif N° 40865 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mars 2018 1ere chambre Audience publique du 4 mars 2019 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40865 du rôle et déposée le 7 mars 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Ouganda), de nationalité ougandaise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 décembre 2017 portant refus d’un report à l’éloignement ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Philippine Ricotta-Walas, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 janvier 2019.

Le 19 juillet 2011, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection internationale, abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », dont il fut définitivement débouté par arrêt de la Cour administrative du 25 septembre 2014, inscrit au numéro 34491C du rôle.

Par courrier de son litismandataire du 18 décembre 2014, Monsieur … sollicita un report à l’éloignement sur base de l’article 125bis de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », demande qui fut rejetée par décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », du 23 décembre 2014. Cette décision ministérielle fut définitivement confirmée par un arrêt de la Cour administrative du 10 décembre 2015, inscrit au numéro 37127C du rôle.

Par courrier du 24 novembre 2017, Monsieur … sollicita, par le biais de son litismandataire, de nouveau un report à l’éloignement sur base de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008, demande qui fut refusée par décision du ministre du 13 décembre 2017 sur base des motifs et considérations suivants :

« J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 24 novembre 2017 par lequel vous sollicitez pour le compte de votre mandant une demande en obtention d’un report à l’éloignement conformément à l’article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration.

Par la même occasion, vous exposez la situation de votre mandant et expliquez qu’il lui serait difficile d’obtenir un document de voyage.

En réponse permettez-moi de vous informer que je ne suis malheureusement pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande étant donné que Monsieur … ne remplit pas les conditions de [à] l’article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration. En revanche, j’invite votre mandant à prendre contact avec Mme …. de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui l’assistera lors de ses démarches auprès de son ambassade en vue d’un retour volontaire.

[…] ».

Par courrier de son litismandataire du 6 mars 2018, Monsieur … sollicita encore une fois un report de son éloignement sur base des articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008, demande à laquelle le ministre refusa de faire droit par décision du 13 mars 2018. Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre de cette décision ministérielle le 16 avril 2018 devant le tribunal administratif et portant le numéro de rôle 41026 fut déclaré non fondé par jugement du 4 février 2019.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2018, inscrite sous le numéro 40865 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle du 13 décembre 2017, précitée, lui refusant un report à l’éloignement.

Etant donné qu’en la présente matière aucun recours au fond n’est prévu ni par la loi du 29 août 2008 précitée ni par une autre disposition légale, le demandeur a valablement pu introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, Monsieur … reproche au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation en refusant de lui accorder un report à l’éloignement. Il explique que lors d’un entretien avec les autorités ougandaises en date du 19 septembre 2017, dans le cadre de sa rétention administrative, celles-ci auraient confirmé sa citoyenneté ougandaise, mais refusé de lui délivrer un laissez-passer pour son retour en Ouganda. Il souligne, à cet égard, qu’encore que le rapport d’entretien resterait muet à cet égard, les autorités consulaires ougandaises lui auraient expliqué lors de cet entretien que leur refus de lui délivrer un laissez-

passer serait motivé par le fait qu’il encourrait en Ouganda un risque réel et avéré pour sa vie ou sa liberté. Le demandeur explique, dans ce contexte, qu’il aurait été membre du parti politique « Forum of Democratic Change » (FDC) et qu’il aurait participé le 29 avril 2011 à une manifestation contre la vie chère lors de laquelle il aurait été arrêté par la police et placé en détention pendant deux semaines avant d’être présenté devant les tribunaux de son pays d'origine et libéré sous caution. Il invoque à l’appui de ses déclarations un rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, intitulé « Réponses aux demandes d’information », du 21 novembre 2016 relatant les manifestations qui auraient eu lieu en 2016 suite aux élections, les arrestations qui en auraient découlé et les difficultés rencontrées par les membres du parti politique auquel il appartiendrait. Le demandeur en conclut qu’en raison de la situation actuelle en Ouganda et de son passé d’activiste politique du parti FDC, il craindrait pour sa vie et sa liberté, de sorte qu’il ne pourrait retourner dans son pays d'origine, tout en réitérant que ce serait également pour cette raison que les autorités consulaires ougandaises refuseraient de lui délivrer un laissez-passer. Il estime qu’au vu du fait que le refus des autorités consulaires ougandaises de lui délivrer un laissez-passer serait indépendant de sa volonté, et compte tenu de la situation politique et sécuritaire dans son pays d’origine, le ministre aurait dû lui octroyer un report à l’éloignement, tout en insistant sur le fait qu’il ne pourrait pas non plus se rendre dans un autre pays. Il estime ainsi remplir les conditions des articles 125 et 129 de la loi du 29 août 2008, et conclut que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation, ou bien une erreur de droit, sinon un excès de pouvoir.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

L’article 125bis de la loi du 29 août 2008 dispose que : « (1) Si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays conformément à l’article 129, le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances propres à chaque cas et jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation. L’étranger peut se maintenir provisoirement sur le territoire, sans y être autorisé à séjourner. […] », tandis qu’aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. ».

La combinaison des articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008, précités, ouvre dès lors la possibilité d’un report à l’éloignement dans deux cas de figure distincts, à savoir, d’une part, si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté et, d’autre part, s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays parce que sa vie ou sa liberté y seraient gravement menacées ou qu’il y serait exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-

après dénommée « la CEDH ».

En ce qui concerne l’affirmation suivant laquelle Monsieur … serait exposé à un risque pour sa vie et/ou sa liberté, ainsi qu’à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH en cas de retour en Ouganda, il y a lieu de rappeler que le demandeur a déposé le 19 juillet 2011 une demande de protection internationale au Luxembourg, qu’il a été débouté de celle-ci et que la décision ministérielle de refus a été confirmée par les juridictions administratives, à savoir par un jugement du tribunal administratif du 3 avril 2014, inscrit au rôle sous le numéro 33286, confirmé à son tour par un arrêt de la Cour administrative du 25 septembre 2014, inscrit au rôle sous le numéro 34491C.

Pour ce qui est des motifs invoqués à la base de ladite demande de protection internationale, il ressort du prédit jugement du tribunal administratif du 3 avril 2014 que Monsieur … a affirmé avoir quitté son pays d’origine suite à la participation le 29 avril 2011 à une manifestation contre la vie chère, qui aurait dégénéré. Il aurait ainsi pris part aux débordements et aurait mis le feu à des pneus qui auraient été lancés en direction des forces de police ougandaises. Il aurait également renvoyé les grenades de gaz lacrymogène utilisées par les policiers sur ces derniers, ce qui lui aurait valu d’être arrêté, placé en détention pendant deux semaines et déféré devant les juges ougandais avant d’être relâché suite au paiement de sa caution. Il n’aurait alors pas comparu lors de la deuxième audience et se serait enfui pour aller au Kenya.

Dans ledit jugement, le tribunal a été amené à constater que le demandeur n’apportait pas la preuve que le fait qu’il ait participé à une manifestation et qu’il ait été arrêté rentrait dans le champ d’application de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 qui a été abrogée par la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où il a été arrêté pour avoir participé aux débordements et qu’il a lui-même reconnu avoir été responsable de dégradations importantes et d’atteintes physiques aux représentants des forces de l’ordre. Monsieur … avait en outre, suite à sa comparution devant des juges ougandais et sa remise en liberté, refusé de comparaître à une deuxième audience. Le tribunal avait également relevé que Monsieur … n’avait pas exercé d’activité politique en sa qualité de membre du parti FDC qui lui aurait valu des ennuis avec le parti politique en fonctions, de sorte que le tribunal avait conclu que ce dernier ne remplissait pas les conditions prévues par la loi pour l’octroi du statut de réfugié. Il a, en outre, relevé que le demandeur était resté en défaut d’établir qu’en cas de retour dans son pays d'origine, il risquerait la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, et lui refusa le statut conféré par la protection subsidiaire. En conséquence, le tribunal a refusé d’annuler l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision lui refusant la protection internationale.

Ledit jugement a été confirmé par la Cour administrative qui a retenu dans son arrêt du 25 septembre 2014 que son arrestation semblerait a priori plutôt être due à un comportement violent et à des infractions de droit commun commises lors de la manifestation contre la vie chère, pour rejeter sa demande de protection internationale et confirmer l’ordre de quitter le territoire.

Si l’arrêt précité de la Cour administrative ne bénéficie pas de l’autorité de chose jugée par rapport à l’objet du présent litige conformément à l’article 1351 du Code civil qui dispose que : « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement.

Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause ;

que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. », le tribunal ne saurait toutefois se départir des conclusions tirées dans le cadre dudit arrêt, alors que le demandeur sollicite un report à l’éloignement en se fondant sur un récit identique à celui qui a d’ores et déjà été jugé par la Cour administrative, à savoir le fait d’être membre du parti politique FDC, d’avoir participé à une manifestation contre la vie chère et d’avoir par la suite été arrêté et déféré devant des juges ougandais, sans fournir un quelconque nouvel élément probant. Partant, étant donné que le demandeur ne saurait à présent s’appuyer sur les mêmes faits que ceux relatés lors de sa demande de protection internationale pour tenter d’établir son impossibilité de regagner son pays d’origine parce que sa vie et/ou sa liberté y seraient gravement menacés, sinon qu’il risquerait d’y être exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, le moyen y afférent est à rejeter pour être non fondé.

Pour ce qui est ensuite de l’affirmation du demandeur suivant laquelle les autorités ougandaises auraient refusé de lui délivrer un laissez-passer au vu des risques pour sa vie et sa liberté qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine et qu’en conséquence, l’impossibilité de quitter le territoire luxembourgeois serait indépendante de sa volonté, ce qui justifierait ainsi la délivrance d’un report à l’éloignement, le tribunal est amené à constater que cette affirmation est contredite par les éléments figurant au dossier administratif, et notamment par le contenu du rapport dressé lors de l’entretien de Monsieur … avec les autorités ougandaises le 14 novembre 2017 à l’ambassade d’Ouganda à Bruxelles, dans lequel il est indiqué que, suite à la question de l’agent ministériel en charge quant à la délivrance d’un laissez-passer, les autorités ougandaises ont répondu que celui-ci ne pouvait être délivré « que si la personne concerné donne son[t] consentement au retour, voire seulement dans le cas d’un retour volontaire. ». Force est encore de constater qu’il ne se dégage d’aucun élément du dossier administratif que Monsieur … souhaiterait retourner volontairement dans son pays d’origine, qu’il en aurait fait la demande auprès des autorités ougandaises ou encore qu’un refus à une demande en ce sens lui aurait été opposé par celles-ci, de sorte que le demandeur reste en défaut de démontrer qu’il est dans l’impossibilité de quitter le territoire luxembourgeois pour des raisons indépendantes de sa volonté ou qu’il ne peut retourner en Ouganda.

Partant, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder le report à l’éloignement à Monsieur ….

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 4 mars 2019 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4.3.2019 Le greffier du tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 40865
Date de la décision : 04/03/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-03-04;40865 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award