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26/02/2019 | LUXEMBOURG | N°40523

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 février 2019, 40523


Tribunal administratif N° 40523 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 décembre 2017 4e chambre Audience publique du 26 février 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre un acte de l’Agence pour le Développement de l’Emploi en matière d’indemnité compensatoire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40523 du rôle et déposée le 27 décembre 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Gross, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-… tendant à la

réformation sinon à l’annulation d'une « décision rendue par l’ADEM en date du 06 décembre 2...

Tribunal administratif N° 40523 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 décembre 2017 4e chambre Audience publique du 26 février 2019 Recours formé par Monsieur …, …, contre un acte de l’Agence pour le Développement de l’Emploi en matière d’indemnité compensatoire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40523 du rôle et déposée le 27 décembre 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain Gross, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-… tendant à la réformation sinon à l’annulation d'une « décision rendue par l’ADEM en date du 06 décembre 2017 par laquelle l’administration maintient sa position quant au calcul de l’indemnité compensatoire et entend se baser sur les salaires perçus […] avant le 15 juin 2009 » ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 mars 2018 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 avril 2018 par Maître Alain Gross au nom et pour compte de son mandant ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 juillet 2018, suivant laquelle Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, se présente pour la défense des intérêts de Monsieur … en remplacement de Maître Alain Gross ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’acte critiqué ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan Holler, en remplacement de Maître Jean-Marie Bauler, et Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en leurs plaidoiries respectives.

___________________________________________________________________________

Par un contrat d’engagement signé le 15 mars 2005, Monsieur … fut engagé, avec effet au 1er mars 2005, comme employé de bureau à l’administration gouvernementale - Ministère de la Famille et de l’Intégration - Service nationale de la jeunesse, pour une durée indéterminée et à tâche complète à raison de 40 heures par semaine.

Par décision du 15 juin 2009, la Commission mixte de reclassement des travailleurs incapables à exercer leur dernier poste de travail, dénommée ci-après « la Commission Mixte », décida de procéder au reclassement interne de Monsieur … auprès de l’administration gouvernementale sans réduction de travail.

Suite à une dégradation de l’état de santé de Monsieur … due à un accident du travail survenu en mai 2016, la Commission Mixte informa, par courrier du 2 mai 2017, le médecin-

chef de service de l’administration des services médicaux du secteur public qu’elle « ne voit pas d'objection à une réduction du temps de travail à trente heures par semaine dans le cadre du reclassement interne de Monsieur …. » sur base de l’avis dudit médecin du 20 avril 2017.

En date du 7 juin 2017, Monsieur … adressa le courrier suivant à l’administration de l’Emploi, dénommée ci-après « l’Adem », :

« (…) J'ai l'honneur de m'adresser à vous au sujet de calcul[…] de l'indemnité compensatoire.

En date du 21 avril 2017 la Commission mixte a pris un[e] [dé]cision de réduire mon temps de travail de 40h [à] 30h par semaine.

Or le Service Handicap et reclassement professionnel voudr[ait] calculer le montant de mon indemnité compensatoire par rapport [à] ma rémunération de la période de juin 2008 [à] mai 2009.

Je suis d'avis que le salaire brut que j[‘ai] reçu le[s] 12 mois avant la dernier[e] [dé]cision de réduction de tâche que doi[t] former la base de calcul de mon indemnité compensatoire respectivement période du juin 2016 au mai 2017.

Je vous prier de bien vouloir prendre position par rapport à ce sujet: (…) ».

Par courrier du 26 juin 2017, l’Adem répondit comme suit :

« (…) En mains votre courrier daté du 7 juin qui a retenu toute mon attention.

Après analyse de votre dossier, il ressort que vous avez bénéficié d'un reclassement interne qui vous a été notifié le 15 juin 2009.

Dans le cadre de ce reclassement, le médecin du travail compétent a introduit en date du 20 avril 2017 auprès de la Commission mixte des travailleurs incapables d'exercer leur dernier poste de travail, une demande de réduction du temps de travail à trente heures.

Conformément à la législation en vigueur, la Commission mixte a examiné votre dossier lors de sa séance du 21 avril 2017 et a retenu par courrier daté du 2 mai 2017 qu'elle n'avait pas d'objection à ce que cette réduction soit accordée afin d'adapter votre reclassement.

De ce fait, l'employeur a donc la possibilité d'ajuster votre temps de travail et de procéder à un avenant au contrat. La perte de salaire permet l'introduction d'une demande d'indemnité compensatoire.

A ce sujet, il y a lieu de rappeler l'article L-551-2 (3) qui dispose qu'au cas où le reclassement interne comporte une diminution du salaire, le salarié sous contrat de travail a droit à une indemnité compensatoire représentant la différence entre l'ancien salaire et le nouveau salaire. L'ancien salaire est calculé sur la base du salaire mensuel brut effectivement touché par le salarié au cours des douze mois entiers précédant immédiatement la décision de reclassement et résultant du dernier contrat de travail en vigueur avant la décision de reclassement.

Votre décision de reclassement interne datant du 15 juin 2009, les salaires à prendre en considération se situent donc logiquement avant le 15 juin 2009. La Commission mixte n'ayant pas été saisie par le Contrôle médical de la sécurité sociale en vue d'une nouvelle procédure, une nouvelle décision de reclassement fait défaut. La seule décision de reclassement applicable à ce jour reste celle du 15 juin 2009.

Par conséquent, nous ne sommes pas en droit de donner une suite favorable à votre demande. (…) ».

En date du 29 novembre 2017 et par le biais de son mandataire de l’époque, Monsieur … fit parvenir le courrier suivant à l’Adem :

« (…) La présente pour vous informer que je suis le conseil de Monsieur …, demeurant à L-….

Mon mandant me remet votre courrier du 26 juin 2017 à son attention.

De l'avis du soussigné, votre estimée ne semble pas prendre ne compte l'ensemble des éléments du dossier de Monsieur ….

A l'origine (en 2005), mon mandant avait été embauché comme employé de bureau auprès du Ministère de la Famille.

Il est exact que par décision de la Commission Mixte du 15 juin 2009, ce dernier a bénéficié d'un reclassement interne.

Celui-ci s'est toutefois effectué sans réduction du temps de travail.

Au cours de l'année 2015, sans préjudice quant à une date plus exacte, Monsieur … est embauché en tant qu'employé du bureau au sein du Ministère de la Fonction Publique.

Suite à un accident du travail survenu en mai 2016 - Monsieur … ayant été heurté par un bus - le médecin du travail a saisi la Commission Mixte qui s'est prononcée par décision du 21 avril 2017 sur une réduction du temps de travail de 25%.

Cette réduction du temps de travail a eu pour conséquence une réduction salariale.

Cette perte de salaire entraine, tel que vous l'indiquez dans votre courrier, la possibilité d'introduire une demande d'indemnité compensatoire.

Toutefois, la période que vous entendez prendre en considération pour le calcul de ladite indemnité n'est pas conforme à l'esprit de la loi, pas plus qu'à l'effet utile qu'elle cherche à consacrer.

La diminution de salaire n'a eu cours qu'au mois d'avril 2017 et il apparaît donc logique de prendre en compte les salaires des douze mois précédents.

A défaut, l'idée même d'une indemnité compensatoire serait réduite à une notion chimérique.

Aussi, je vous prie de bien vouloir revoir votre décision, sinon de me faire tenir une décision susceptible de recours. (…) ».

Suite à ce courrier, l’Adem réagit comme suit en date du 6 décembre 2017 :

« (…) En mains votre courrier du 29 novembre 2017, réceptionné le 4 décembre et qui a retenu toute mon attention.

Il n'apporte cependant pas d'éléments nouveaux par rapport au courrier de votre mandant du 7 juin 2017.

Aussi, je me permets de vous renvoyer à l'article L.551-2(3) qui est très clair et qui dispose qu'au cas où le reclassement interne comporte une diminution du salaire, le salarié sous contrat de travail a droit à une indemnité compensatoire représentant la différence entre l'ancien salaire et le nouveau salaire. L'ancien salaire est calculé sur la base du salaire mensuel brut effectivement touché par le salarié au cours des douze mois entiers précédant immédiatement la décision de reclassement et résultant du dernier contrat de travail en vigueur avant la décision de reclassement.

La décision de reclassement interne datant du 15 juin 2009, les salaires à prendre en considération se situent donc logiquement avant le 15 juin 2009. La Commission mixte n'ayant pas été saisie par le Contrôle médical de la sécurité sociale en vue d'une nouvelle procédure, une nouvelle décision de reclassement fait défaut. La seule décision de reclassement applicable à ce jour reste celle du 15 juin 2009.

Par conséquent, nous ne sommes pas en droit de donner une suite favorable à votre demande. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2017 et inscrite sous le numéro 40523 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation sinon à l’annulation de la « décision rendue par l’ADEM en date du 6 décembre 2017 ».

Dans son mémoire en réponse, la partie gouvernementale soulève de prime abord l’irrecevabilité du recours, en ce qu’il serait dirigé contre un acte qui ne saurait être qualifié de décision administrative susceptible de recours, alors que le courrier déféré de l’Adem du 6 décembre 2017 serait plutôt à considérer comme une simple lettre d'information et ce, malgré le fait que cette dernière ferait suite à une intervention de la part du mandataire de Monsieur ….

Ainsi, tant le courrier du 26 juin 2017 que celui du 6 décembre 2017 ne contiendraient que des informations relatives aux modalités de calcul de l'indemnité compensatoire telles que prévues par la loi. Ce serait d'ailleurs la raison pour laquelle aucune voie de recours n'aurait été indiquée dans ledit courrier.

Comme Monsieur … n'aurait, jusqu'à présent, pas introduit sa demande d'octroi de l'indemnité compensatoire par renvoi du formulaire fourni, il ne pourrait y avoir de décision administrative à ce sujet.

Monsieur … fait rétorquer, dans son mémoire en réplique, que tant la formulation du courrier litigieux que son contenu véhiculeraient clairement l'intention effective et actuelle d'écarter sa demande visant à voir déterminer la période à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité compensatoire.

Même à considérer qu'il s'agisse d'une décision préliminaire à caractère informatif, quod non, il n'en demeurerait pas moins que ce courrier affecterait ses droits et intérêts, en ce que la « décision » déférée serait de nature à lui causer un préjudice individualisé, d’autant plus qu’elle serait intervenue suite à un courrier de son mandataire sollicitant, soit une révision de la décision, soit « de [lui] faire tenir une décision susceptible de recours. », Monsieur … relevant encore que l'absence d'indication des voies de recours dans un courrier émanant d'une autorité administrative n'aurait pas pour effet de le priver de tout caractère décisionnel, mais aurait seulement comme conséquence de ne pas faire courir les délais de recours.

Force est d’abord de relever que l'article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif limite l'ouverture d'un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l'acte litigieux doit constituer une décision administrative, c'est-à-dire émaner d'une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et que cet acte doit affecter les droits et intérêts de la personne qui le conteste1. En d’autres termes, l’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux doit constituer, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision de nature à faire grief, c’est-à-dire, un acte final dans la procédure susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de l’intéressé2.

Il faut à ce sujet rappeler que la compétence ratione materiae des juridictions administratives est définie par rapport au contrôle des actes administratifs et non des autorités dont ils émanent. Il a ainsi été jugé qu’« au Luxembourg, la loi qui confère au juge administratif le pouvoir d'annuler les actes administratifs ne vise pas les autorités administratives en tant que telles, mais les actes administratifs, ce qui appelle l'application de critères matériel ou fonctionnel plutôt qu'organique pour la détermination de l'existence d'un acte administratif3. » La nature décisionnelle d'un acte ne dépend pas uniquement de son libellé et de sa teneur, mais également de la demande qu'il entend rencontrer4.

Si, d’après l’article L-551-2, paragraphe (3), dernier alinéa du Code de Travail, l’Adem, en sa qualité de gestionnaire du Fonds pour l’emploi, est effectivement responsable du paiement de l’indemnité compensatoire y prévue, c’est pourtant à bon droit que la partie gouvernementale souligne, tel que confirmé d’ailleurs par le dossier administratif versé en cause et non contesté sur ce point par Monsieur …, qu’aucune demande en ce sens n’a été formellement introduite par ce dernier, notamment au moyen du formulaire y expressément dédié, de même qu’il ne ressort pas du dossier soumis au tribunal que le contrat de travail de 1 trib. adm. 26 août 2010, n° 23551 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Acte administratif n° 1.

2 trib. adm. 18 juin 1998, nos 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Acte administratif n° 38.

3 Cour adm. du 13 janvier 2009, n° 24616C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Acte administratif n° 2 4 trib. adm. 5 février 2007, n° 21736 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Acte administratif n° 39.

Monsieur … ait effectivement été amendé dans le sens de la décision précitée de la Commission Mixte du 2 mai 2017.

En effet, il ressort de la lecture du courrier qu’il a adressé à l’Adem en date du 7 juin 2017, tel que repris in extenso ci-avant, que Monsieur … demande à la directrice de l’Adem de « prendre position » par rapport à une information lui donnée par le « service Handicap » suivant laquelle son indemnité compensatoire serait calculé par rapport à sa rémunération de la période de juin 2008 à mai 2009.

La réponse de l’Adem à cette demande, après avoir informé Monsieur … que « [l]a perte de salaire permet l’introduction d’une demande d’indemnité compensatoire », se limite à confirmer l’interprétation de l’article L-551-2, paragraphe (3) du Code de Travail critiquée par Monsieur … quant à la période de référence pour le calcul de l’indemnité compensatoire y prévue, position confirmée par son courrier, actuellement déféré du 6 décembre 2017, quand bien même le courrier précité du litismandataire de Monsieur … du 29 novembre 2017 avait expressément sollicité « une décision susceptible de recours ».

En effet, il a été jugé qu’une lettre qui n'est que l'expression d'une opinion destinée à éclairer l'administré sur les droits qu'il peut faire valoir ou plus généralement sur sa situation juridique, de même qu'un avis sur l'interprétation à donner à un texte légal ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation5.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que la partie gouvernementale a conclu à l’absence de décision susceptible de recours, de sorte que le recours est à déclarer irrecevable pour défaut d’objet.

Au vu de l’issu du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de Monsieur … en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 750 euros présentée en application de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours irrecevable ;

rejette la demande de Monsieur … en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne Monsieur … aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, 5 trib. adm. 7 mars 2007, n° 21708 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Acte administratif n° 72.

et lu à l’audience publique du 26 février 2019, par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 février 2019 Le greffier du tribunal administratif 7


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 40523
Date de la décision : 26/02/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-02-26;40523 ?

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