Tribunal administratif N° 42099 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2018 1re chambre Audience publique du 13 février 2019 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42099 du rôle et déposée le 13 décembre 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. Hellal, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Liban), et être de nationalité libanaise, ayant été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, élisant domicile en l’étude de Maître Nour E. Hellal, préqualifié, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 novembre 2018 décidant de le transférer vers la France, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2019 ;
Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour de Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2019 pour compte de Monsieur …, préqualifié, en remplacement de Maître Nour E. Hellal, préqualifié ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître José Steffen, en remplacement de Maître Michel Karp, et Madame le délégué du gouvernement Nancy Carier en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 février 2019.
Le 30 octobre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur… fut entendu par un agent de la police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la Police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC et les informations du CCPD, ainsi que suivant ses propres déclarations, que Monsieur… avait précédemment 1introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 25 décembre 2012, une en Suisse en date du 9 août 2013 et une en France en date du 25 janvier 2018.
Toujours le 30 octobre 2018, Monsieur… fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III».
Par arrêté du 30 octobre 2018, notifié en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », ordonna son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois à partir de la notification dudit arrêté.
En date du 7 novembre 2018, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités françaises en vue de la prise, respectivement de la reprise en charge de Monsieur…, sur base de la considération que l’intéressé avait précédemment introduit une demande de protection internationale en France. Cette demande fut acceptée par les autorités françaises le 21 novembre 2018 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III.
Par décision datée du 27 novembre 2018, notifiée par courrier recommandé du 29 novembre 2018, le ministre informa Monsieur… de sa décision de le transférer vers la France sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« J'accuse réception de votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée en date du 30 octobre 2018.
En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18§1d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l'Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Liban en décembre 2012. Vous seriez parti en avion vers l'Italie où vous seriez resté pour une durée de huit mois. Ensuite, vous auriez voyagé vers la Suisse. Après un séjour de quelques mois en Suisse, vous seriez retourné en Italie. Environ deux ans plus tard, vous auriez quitté l'Italie pour vous rendre en France où vous seriez resté deux ans avant d'arriver au Luxembourg à la mi-août 2018.
Il résulte par ailleurs des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment dans la base de données EURODAC, que vous avez déjà précédemment introduit une demande de protection internationale en Italie en date du 25 décembre 2012, une en Suisse en date du 9 août 2013 et une en France en date du 25 janvier 2018.
2Sur base des informations à disposition, le Grand-Duché de Luxembourg a adressé une demande de reprise en charge aux autorités françaises qui ont accepté en date du 21 novembre 2018 de vous reprendre en charge en vertu de l'article 18§1d du règlement UE Nr 604/2013 susmentionné.
Lors de votre audition en date du 30 octobre 2018, vous avez mentionné des séquelles suite à des coups. Cependant vous n'avez pas fourni des éléments concrets sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement UE Nr 604/2013.
Vous n'avez par ailleurs pas fait valoir des raisons particulières ou humanitaires qui auraient dû amener l'Etat luxembourgeois de faire application de l'article 17(1) du règlement UE Nr 604/2013.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n'ont pas été constatées. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2018, inscrite sous le numéro 42099 du rôle, Monsieur… a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 27 novembre 2018 décidant de son transfert vers la France.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2019, inscrite sous le numéro 42199 du rôle, Monsieur… a encore fait introduire un recours tendant à voir ordonner une mesure provisoire consistant en l’institution d’un sursis à exécution, sinon d’une autorisation de séjour par rapport à la décision ministérielle, précitée, du 27 novembre 2018, ledit recours ayant été rejeté par ordonnance du président du tribunal administratif en date du 10 janvier 2019.
Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la présente matière, l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 27 novembre 2018.
Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur déclare être une personne âgée de soixante ans présentant un « profil social atypique », ne pas être marié et ne pas avoir d’enfants.
Il explique avoir vécu des semaines dans la rue avant de présenter une demande de protection internationale au Luxembourg. Il affirme avoir vécu en France au moins depuis le début de l’année 2016, tout en insistant sur le fait qu’il refuserait obstinément d’y retourner en raison des constants problèmes d’insécurité qui y régneraient. Il soutient ne pas avoir pu bénéficier d’une solution d’hébergement et d’avoir été obligé de vivre dans la rue. Il déclare, en outre, avoir été victime d’agressions physiques à plusieurs reprises et d’avoir fait l’objet d’un vol, raison pour laquelle il aurait déposé une plainte le 29 avril 2016 à laquelle aucune suite n’aurait toutefois été réservée.
3 En droit, le demandeur fait valoir qu’il aurait dû se faire remettre, dans une langue qu’il comprend et par écrit, des brochures l’informant de la mise en œuvre du règlement Dublin III conformément à l’article 4 dudit règlement, Or, en l’espèce, il ne serait pas établi que tel aurait été le cas.
Il affirme, ensuite, ne pas vouloir retourner en France, alors qu’il ne s’y sentirait pas en sécurité, tout en se fondant, à cet égard, sur « l’actualité critique ». Le demandeur estime que le ministre aurait dû faire application de l’article 17 du règlement Dublin III qui permettrait aux autorités luxembourgeoises de déroger au mécanisme de transfert prévu par le même texte.
Même si la compétence pour examiner une demande de protection internationale n’était pas une obligation légale au sens dudit article 17, il souligne que la particularité de sa demande en ferait une obligation morale au vu notamment du fait qu’un renvoi en France l’exposerait à vivre dans la rue.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
En ce qui concerne la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale, il y a tout d’abord lieu de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
Aux termes de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été prise, « 1. L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».
Il suit de ces dispositions que l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale est obligé de reprendre en charge le suivi de cette demande dans l’hypothèse où le ressortissant de pays tiers ou l’apatride concerné s’est vue rejeter sa demande de protection internationale et a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre.
Force est au tribunal de constater que la décision déférée du 27 novembre 2018, prise en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, a un double objet, conformément à la même disposition, à savoir celle, d’une part, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre compétent - en l’espèce la France -, et, d’autre part, de ne pas 4examiner sa demande de protection internationale, ce dernier volet étant la conséquence du premier volet de la décision.
Le tribunal constate ensuite que le bien-fondé de la décision ressort des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, de même que du récit du demandeur, celui-ci ayant déclaré avoir introduit une demande de protection internationale en France qui a été rejetée, étant relevé qu’il ressort des éléments du dossier que la France a accepté sa reprise en charge le 21 novembre 2018.
C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.
Le tribunal constate d’ailleurs que le demandeur ne remet pas en cause la responsabilité de principe des autorités françaises pour procéder à l’examen de sa demande de protection internationale, mais qu’il affirme, en substance, qu’il ne serait pas établi qu’il aurait reçu, dans une langue qu’il comprend et par écrit, la brochure l’informant de la mise en œuvre du règlement Dublin III visée à l’article 4 dudit règlement, de même qu’il estime que le ministre aurait dû faire application de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, en raison des problèmes d’insécurité constants en France dont il fait état, d’une part, et du fait qu’un retour en France le forcerait à vivre dans la rue, d’autre part.
Quant au premier moyen fondé sur un prétendu vice de procédure, force est de constater que l’article 4 du règlement Dublin III prévoit ce qui suit : « 1. Dès qu’une demande de protection internationale est introduite au sens de l’article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l’application du présent règlement, et notamment :
a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d’une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d’un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l’État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ;
b) des critères de détermination de l’État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu’une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n’est pas fondée sur ces critères ;
c) de l’entretien individuel en vertu de l’article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ;
d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ;
e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d’exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ;
5f) de l’existence du droit d’accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l’objet d’un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l’article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel.
2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3.
(…) 3. La Commission rédige, au moyen d’actes d’exécution, une brochure commune ainsi qu’une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l’application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 44, paragraphe 2, du présent règlement. ».
Il ressort dudit article 4 du règlement Dublin III que les informations y énumérées sont à transmettre au demandeur de protection internationale par écrit par le biais d’une brochure commune à tous les Etats membres.
En l’espèce, le tribunal constate, d’une part, qu’il ressort du dossier administratif et plus particulièrement d’un certificat du 30 octobre 2018, signé par le demandeur, qu’à cette date, l’intéressé « (…) a reçu en mains propres et a pris connaissance [d’une] (…) Brochure d’informations pour demandeurs de protection internationale en langue arabe (…) » et, d’autre part, que Monsieur… n’a ni allégué ni a fortiori établi que le contenu de cette brochure ne serait pas conforme aux exigences inscrites à l’article 4 du règlement Dublin III ni qu’il ne maîtriserait pas la langue arabe. Il y a dès lors lieu de conclure que le demandeur avait connaissance, notamment, de l’application dudit règlement et de ses objectifs, ainsi que des critères de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande, en ce compris celui prévu à l’article 18, paragraphe (1), du susdit règlement, sur lequel la décision déférée est fondée.
Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 4 du règlement Dublin III est à rejeter.
S’agissant ensuite du reproche fait au ministre de ne pas avoir appliqué la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement », le tribunal relève tout d’abord que le ministre ne saurait déroger à l’application du règlement Dublin III et se déclarer compétent pour connaître de la protection internationale d’un ressortissant d’un pays-tiers, nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre, que dans le cadre de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement 6Dublin III - à savoir lorsque le transfert expose le demandeur de protection internationale à un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et ce compte tenu de l’existence de défaillances systémiques existantes dans l’Etat membre requis -, ou dans le cadre de l’article 17 du règlement Dublin III.
S’agissant plus précisément de l’article 17 du règlement Dublin III, invoqué exclusivement par le demandeur, cette disposition constitue une clause discrétionnaire qui relève d’une faculté pour les autorités administratives et qui ne permet pas à un demandeur d’asile individuel de choisir lui-même par quel pays il souhaite voir traiter sa demande d’asile, mais qui offre uniquement à un Etat membre la possibilité, lorsque cela se révèle nécessaire ou opportun, de prendre lui-même la responsabilité du traitement d’une demande d’asile, sans qu’il ne puisse être déduit des termes de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III une obligation pour un Etat membre de traiter une demande d’asile, lorsque sur la base des critères repris au chapitre III dudit règlement, il est constaté qu’un autre Etat membre doit traiter cette demande1, l’article 17, visant d’autres hypothèses que celles prévues à l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, en l’occurrence des hypothèses « humanitaires » et cet article n’ayant pas vocation à pallier, de manière subsidiaire, au résultat d’une application correcte des règles de répartition de compétence du règlement Dublin III.
En l’espèce, force est au tribunal de constater que le demandeur n’a fait valoir aucun élément exceptionnel tenant à des considérations d’ordre humanitaire qui aurait dû conduire le ministre à faire application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 du règlement Dublin III, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de le transférer vers la France. En effet, l’affirmation vague et non autrement étayée concernant sa crainte de vivre dans la rue en France et la situation d’insécurité à laquelle il risquerait d’être exposé, n’est en tout état de cause pas suffisante à cet égard, ce d’autant plus qu’il résulte de ses propres déclarations lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration que suite au vol avec violences exercé sur sa personne, il a pu déposer une plainte auprès des autorités policières françaises et qu’il a eu accès aux soins médicaux d’urgence. La seule affirmation du demandeur selon laquelle les autorités policières françaises n’auraient pas réservé de suite à sa plainte, n’est en tout état de cause pas de nature à ébranler cette conclusion.
Quant à l’affirmation du demandeur qu’il se retrouverait dans la rue en cas de transfert vers la France, le tribunal constate qu’il ressort du dossier administratif ainsi que des déclarations du demandeur lors de son entretien qu’il a été débouté définitivement de sa demande de protection internationale en France et qu’il y fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire, de sorte qu’il ne saurait être reproché aux autorités françaises de ne pas avoir mis à sa disposition dans le cadre de leurs obligations découlant la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, un logement ou en hébergement, alors qu’il n’appartient pas à un Etat de mettre à disposition un hébergement aux personnes se trouvant en séjour irrégulier sur son territoire, la susdite directive ne visant, en effet, que le « demandeur » d’asile, c’est-à-dire « tout ressortissant de pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ».
1 Voir CJUE., 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Slovénie, C-578/16.
7Il s’ensuit que le demandeur n’a produit en l’espèce aucun élément objectif qui aurait dû amener le ministre à faire application de la clause discrétionnaire prévue par l’article 17, précité, du règlement Dublin III.
S’agissant, enfin, du certificat médical d’hospitalisation établi par le docteur …. en date du 5 février 2019 attestant que le demandeur a été hospitalisé du 18 janvier 2019 au 5 février 2019 suite à des douleurs abdominales et dont le litismandataire du demandeur s’est plus particulièrement prévalu à l’audience des plaidoiries, il échet de souligner que dans la mesure où la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise, une pièce postérieure à la décision déférée ne saurait, en principe, être prise en considération dans le cadre d’un tel recours. Il en va autrement dans l’hypothèse où cette pièce se rapporte à une situation de fait ayant existé au jour de la prise de la décision en question2.
Or, en l’espèce, il échet de constater que ni lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration ni dans sa requête introductive d’instance, le demandeur n’a fait état de problèmes de santé particulièrement graves empêchant son transfert vers la France, de sorte que le tribunal ne peut pas en tenir compte pour apprécier la légalité de la décision déférée.
A cela s’ajoute, à titre superfétatoire, que ledit certificat médical atteste que l’état de santé de Monsieur… est « Satisfaisant » et que sa sortie de l’hôpital a été permise dès le 31 janvier 2019, de sorte que les problèmes de santé dont il fait actuellement état sont manifestement insuffisants pour s’opposer à son transfert vers la France.
Il s’ensuit que c’est à bon droit et sans commettre d’erreur d’appréciation, ni excéder ses pouvoirs, que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers la France, l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites, sans faire application de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut de tout autre moyen, le recours en annulation sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 13 février 2019 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, 2 Trib adm., 8 juin 2015, n° 35102 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n° 26, et les autres références y citées.
8en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14/2/2019 Le Greffier du Tribunal administratif 9