Tribunal administratif N° 40292 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 octobre 2017 1re chambre Audience publique du 11 février 2019 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de l’Environnement en matière de protection de la nature
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40292 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 octobre 2017 par Maître Steve Helminger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de l’Environnement du 24 avril 2017 lui refusant l’autorisation pour la transformation d’une grange sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de …, section BC d’…, sous le numéro …, ainsi que de la décision confirmative de refus du même ministre du 24 juillet 2017 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 janvier 2018 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Steve Helminger, déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2018, pour compte de Madame …, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2018 ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 17 septembre 2018 ayant autorisé les parties à déposer chacune un mémoire additionnel ;
Vu le mémoire additionnel de Maître Steve Helminger, déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2018, pour compte de Madame …, préqualifiée ;
Vu le mémoire additionnel du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif le 2 novembre 2018 ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment les décisions ministérielles déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Steve Helminger et Madame le délégué du gouvernement Jeannine Dennewald en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 novembre 2018.
1 Vu l’avis du tribunal administratif du 17 décembre 2018 ayant informé les parties du prononcé de la rupture du délibéré ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Steve Helminger et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries complémentaires respectives à l’audience publique du 19 décembre 2018.
En date du 14 février 2017, Madame … introduisit auprès du ministère du Développement durable et des Infrastructures, département de l’Environnement, une demande tendant à se voir accorder dans le cadre de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 19 janvier 2004 », l’autorisation de transformer une grange sise sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de …, section BC d’…, sous le numéro ….
Par courrier du 24 avril 2017, le ministre de l’Environnement, ci-après désigné par « le ministre », rejeta ladite demande dans les termes suivants :
« […] Je me réfère à votre requête du 14 février 2017 par laquelle vous sollicitez l’autorisation pour la transformation d’une grange sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de … : section BC d’… sous le numéro ….
En ce qui concerne l’aménagement d’une unité d’habitation dans la grange, j’ai le regret de vous informer qu’en vertu de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je ne saurais y réserver une suite favorable.
Seules sont autorisables des constructions nécessaires à l’exploitation agricole ayant un lien fonctionnel direct avec l’exploitation agricole. Les bâtiments doivent correspondre à une nécessité concrète dans le cadre de l’exploitation agricole envisagée et les dimensions doivent être en rapport avec cette nécessité.
Or, il existe déjà des structures d’habitation sur les lieux de sorte qu’une présence permanente sur le site de l’exploitation agricole est garantie en vue de garantir le bien-être du bétail et que l’ajoute d’une unité d’habitation supplémentaire sur le site n’est pas justifiée par rapport aux besoins de l’exploitation agricole.
En ce qui concerne l’installation d’un magasin pour la vente directe des produits d’élevage, je vous prie de bien vouloir me communiquer les informations suivantes afin de pouvoir statuer en la matière :
- un relevé détaillé de votre cheptel (actuel/projeté), - un plan reprenant votre propriété foncière agricole (en propriété/en location), - des plans détaillés reprenant les transformations/rénovations envisagées (locaux de la vente directe) ainsi que - des informations supplémentaires sur la production alimentaire (p.ex. provenance de la matière brute, quantités produites envisagées, etc.) Contre la présente décision, un recours peut être interjeté auprès du Tribunal Administratif statuant comme juge du fond. Ce recours doit être introduit sous peine de 2déchéance dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision par requête signée d’un avocat à la Cour. […] ».
Par courrier recommandé du 31 mai 2017, Madame … introduisit un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée. Ledit recours gracieux a la teneur suivante :
« […] Ich komme hiermit auf Ihr Schreiben vom vergangenen 24. April zurück, in dem Sie mir unter anderem mitteilten, dass es für sie nicht in Frage käme, meiner Genehmigungsanfrage zur Einrichtung einer Wohnung in einer recht baufälligen Scheune stattzugeben, weil schon genügend Wohnstrukturen an Ort und Stelle wären und somit eine ständige Präsenz zur Gewährleistung des Tierwohls gegeben sei.
Ich erlaube mir respektvoll, die von Ihnen angeführten Gründe nicht zu teilen und möchte Ihnen diesbezüglich folgende Argumente unterbreiten :
1. Die permanente Präsenz zur Gewährleistung des Tierwohls ist im einschlägigen Fall nicht gegeben, da ich nicht von meiner Oma oder meinen Eltern, die in Rente sind respektiv in naher Zukunft sein werden (meine Mutter hat das Rentenalter erreicht), verlangen kann, meine Arbeit zu tun.
2. Ich wohne nämlich derzeit mit meinem Mann sowie unserem gemeinsamen Sohn in …, also 8,5 km Fahrweg vom Bauernhof entfernt. Dies erschwert natürlich die Überwachung der Tiere. Auβerdem muss ich immer auf die sanitären Anlagen und andere privaten Räume meiner Eltern vor Ort zurückgreifen.
3. Ich muss somit mehrmals am Tag zwischen den beiden Örtlichkeiten pendeln, um zum Beispiel Geburtshilfe zu leisten.
4. Mein Mann, der im Schichtbetrieb arbeitet, muss somit auch manchmal hin und her pendeln, um unseren Sohn vor Ort abzuholen, sowie mir bei meiner Arbeit beizustehen.
Immer wieder wurde seitens der Politik dafür plädiert, dass das Wohnen und die Arbeit wieder näher zusammenrücken sollten : Das wollen wir in unserem Fall tun, und nun wird es uns verweigert oder unmöglich gemacht.
5. Meine Groβmutter hat auβerdem laut notariellem Akt vom 28. Juli 1978 ein lebenslängliches Wohnrecht in dem an die oben erwähnte Scheune angebauten Wohnhaus. Sie hat 86 Jahre, ist derzeit noch immer bei bester Gesundheit und kümmert sich alleine um ihren Haushalt. Ihr Haus begreift eine reine Wohnfläche von etwa 100 m2 und somit sicherlich ungeeignet, einen weiteren Haushalt mit 3 Personen aufzunehmen.
6. Es ist also offensichtlich, dass eine weitere Wohnung nötig ist, um Familie und Haushalt und Beruf besser unter einen Hut zu bekommen. Wenn die geplante Direktvermarktung mit Hofladen einmal eingerichtet ist, kann ich nicht von meiner Oma/meinen Eltern verlangen, diese zu überwachen.
7. Vor Ort sind alle notwendigen Anschlüsse vorhanden. Diese wurden erst 2016 erneuert, wobei die Kosten auch von Ihrem Ministerium mitgetragen wurden, um 3den Abwasserkanal mit einer Pumpe auszustatten und das Abwasser in den höher gelegenen, zur Kläranlage führenden Kanal zu pumpen.
8. Es wäre eine Bereicherung für das Gelände sowie für das kulturelle Erbe, wenn die Scheune restauriert würde und eine an den Betrieb angepasste Funktion erhielt.
Andernfalls haben wir keine direkte Verwendung mehr für diese Scheune, da sie unpraktisch und nicht mehr den heutigen funktionellen Gegebenheiten entspricht.
Die Scheune ist baufällig und eine Renovierung macht nur Sinn, wenn der Kosten-
Nutzen-Faktor stimmt. Ich will die alte renovierungsdürftige Scheune nicht abreiβen und eine moderne funktionelle Halle an Ort und Stelle errichten, da dies den ländlichen Charme zunichtemachen würde. Um die bestehenden Gebäude zu erhalten, möchten wir diese logischerweise auch so funktionsfähig und wirtschaftlich wie möglich einteilen.
Die Wohnung würde im ersten Stockwerk der Scheune untergebracht werden und nur eine reine Wohnfläche von etwa 170 m2 haben. Im Falle des Ablebens meiner Groβmutter würde das derzeitige Wohnhaus von mir übernommen werden, womit danach auch nur ein Haushalt bestehen bleibt.
9. Früher gab es sogenannte Bauerndörfer, die heutzutage immer mehr aus unserer Gesellschaft verschwinden. Die Landwirte müssen aussiedeln, um unter professionellen, wirtschaftlicheren Bedingen für den Markt zu produzieren, um ihre Gebäude auf den neuesten Stand zu haben, aber auch um den Rest der Bevölkerung in den Ortschaften nicht durch Lärm oder Gestank zu stören.
10. Würde der Bauernhof in einem Dorf liegen, könnte ich aussiedeln und ein Haus dazu bauen für meine junge Familie. Da ich aber einen bestehenden Betrieb übernehmen werde, der in der Grünzone liegt und es keine andere Möglichkeit gibt, um dort zu wohnen, werde ich jetzt bestraft.
11. Momentan gehören mir etwa 4 ha Land/Wiesen, also keine Flächen, die mir irgendwo eine Wohnbaumöglichkeit bieten würden.
Bezüglich der Einrichtung eines Hofladens möchte ich Ihnen präzisieren, dass unser Vorhaben weit darüber hinausgeht und die komplette Einrichtung für die Direktvermarktung begreift. Wie in meiner prinzipiellen Anfrage vermerkt, sind ebenfalls ein Schlachtraum, ein Verschneideraum, Kühlräume sowie die notwendigen dazugehörenden Räume, wie von der Veterinärverwaltung gefordert, vorgesehen.
Wir halten Galloway-Rinder in Mutterkuh-Haltung. Unser Viehbestand, wie wir ihn zum Stichtag des 1. April 2017 an das Landwirtschaftsministerium einsenden müssen, sieht wie folgt aus :
Insgesamt : 61 Tiere.
Davon :
23 Mutterkühe 7 weibliche Tiere über 2 Jahre, die noch nicht gekalbt haben 3 männliche Tiere über 2 Jahre 5 männliche Tiere zwischen 1 und 2 Jahren 7 weibliche Tiere zwischen 1 und 2 Jahren 10 Tiere zwischen 6 Monaten und 1 Jahr 4 6 Kälber unter 6 Monaten.
Die Rinder laufen teils auf Biodiversitätsfläche (etwa 26 ha), teils auf Weiden (etwa 17 ha), die in einem Agrar-Umwelt-Klimaprogramm gemeldet sind.
In Zukunft sehe ich meine Herde wie folgt:
25 Mutterkühe, Tendenz steigend mit 3 Generationen Nachwuchs, da die Galloway-
Rinder spät schlachtreif werden.
Direkt am Hof bewirtschaften wir noch knapp 19 ha Ackerland; diese könnten nach und nach in Grünland umgewandelt werden, um so die Weidefläche und den Viehbestand zu vergröβern.
Ich kann mir aber auch vorstellen, in die extensive Haltung von Schweinen und/oder Geflügel einzusteigen.
Mein Mann hält derzeit noch Schweine der Rasse Mangalica/Wollschweine (die zu der seltenen und vom Aussterben bedrohten Tierrasse gehören) und Ziegen, welche in den Betrieb integriert würden, wenn wir dann bis auf dem Hof leben.
Was die notwendigen Kurse für die Direktvermarktung anbelangt, habe ich denjenigen betreffend den Verkauf, das Zerlegen und das Verarbeiten im Frühjahr 2016 absolviert, sowie denjenigen „Le bien-être de l’animal à l’abattage” jetzt Ende April/Anfang Mai 2017 (siehe Zertifikate im Anhang).
Der Betrieb bewirtschaftet rund 137 ha. Mit der Betriebsübernahme werde ich das nötige Land mit den Wirtschaftsgebäuden, sowie es im aktuellen Agrargesetz vorgeschrieben ist, übernehmen. Wann die Betriebsübernahme stattfindet, hängt von der hier im Raum stehenden Genehmigung ab. Ohne diese Genehmigung weiβ ich nicht, was die Zukunft bringen wird.
Zu den Plänen bezüglich der Direktvermarktung, die Sie im Anhang finden, kann ich mitteilen, dass ich schon in Kontakt mit der Veterinärverwaltung war und eine prinzipielle Genehmigung hierfür habe.
Des Weiteren möchten Sie zusätzliche Informationen über die Herkunft der Rohstoffe (matières brutes) haben. Im Rahmen der Direktvermarktung werden die Tiere geschlachtet, verarbeitet und verkauft, die 2 bis 3 Jahre auf meinen Weiden groβgezogen werden ; diese Wiesen sind im Biodiversitätsprogramm respectiv im Agrarklima-Umweltprogramm eingebunden. Das heiβt, die Tiere wachsen auf Weiden auf, auf denen weder Pestiziden noch Dünger zum Einsatz kommen. Im Winter werden die Tiere mit Heu von Wiesen zugefüttert auf denen ebenfalls weder Pestiziden noch Dünger verwendet werden ; es wird auch kein Kraftfutter eingesetzt.
Die Durchführung der Direktvermarktung erfolgt nach der europäischen sowie luxemburgischen Gesetzgebung (groβherzogliches Reglement vom 25. November 2011).
Wir wollen die Tiere auf dem Hof schlachten, damit sie so wenig wie möglich dem Stress ausgesetzt werden (z.B. beim Transport ins Schlachthaus) und ihr Wohl steigern. Wir wollen 5ein qualitativ hochwertiges Produkt produzieren und nachhaltig produziertes Fleisch verkaufen.
Nach dem Schlachten werden die Schlachtkörper mindestens drei Wochen im Kühlraum reifen, bevor sie weiterverarbeitet werden. Dies steigert die Qualität des Fleisches.
Was die Quantität betrifft, so kann bei 25 Mütterkühen mit der Schlachtung von 2 Rindern pro Monat gerechnet werden. Da aber noch Flächen zur Verfügung stehen, um mehr Rinder halten zu können, könnte die Quantität erhöht werden, falls die Nachfrage der Kundschaft dies verlangt.
Da ich mir vorstellen kann, in die Schweine- und/ oder Geflügelhaltung einzusteigen, kann die Produktpalette gegebenenfalls erweitert werden. Des Weiteren besteht die Möglichkeit, zusätzliche selbst angebaute Produkte wie Obst und Gemüse im Hofladen zu verkaufen.
Auf Grund all dieser Erwägungen bitte ich Sie, sehr geehrter Herr Staatssekretär, Ihren negativen Entscheid zu überdenken und mir die beantragte Genehmigung zu erteilen.
Auch lade ich Sie nach … auf die „…“ ein, damit Sie sich ein besseres Bild der ganzen Situation machen und weitere Erklärungen an Ort und Stelle erhalten können. […] ».
Par courrier du 24 juillet 2017, le ministre prit position comme suit par rapport audit recours gracieux : « […] Je me réfère à votre courrier du 31 mai 2017 dans le cadre de la transformation d’une grange sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de … : section BC d’… sous le numéro ….
En ce qui concerne votre recours gracieux par lequel vous sollicitez un réexamen de la décision 88077 du 24 avril 2017 relative à l’aménagement d’une unité d’habitation dans la grange sous rubrique, j’ai le regret de vous informer qu’en vertu de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, je maintiens ma décision négative du 24 avril 2017.
En effet, votre demande ne comporte aucun nouvel élément justifiant une décision autre que celle prise le 24 avril 2017.
En ce qui concerne l’installation d’un magasin pour la vente directe des produits d’élevage et en vue de l’obtention de l’autorisation y relative, je vous invite à me soumettre des plans détaillés (dimensions, façades, …) des travaux reprenant clairement - les éléments à maintenir - les éléments à rénover et - les éléments à transformer.
Ces plans seront à élaborer et dûment signés par un architecte expert en matière de rénovation.
Contre la présente décision, un recours peut être interjeté auprès du Tribunal Administratif statuant comme juge du fond. Ce recours doit être introduit sous peine de déchéance dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision par requête signée d’un avocat à la Cour. […] ».
6 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2017, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 24 avril et 24 juillet 2017.
A l’audience des plaidoiries et au vu du constat que les courriers ministériels des 24 avril et 24 juillet 2017 comportent deux volets, à savoir, d’un côté, le refus ministériel opposé à l’aménagement d’une unité d’habitation dans la grange située sur le fonds inscrit au cadastre de la commune de …, section BC d’…, sous le numéro … et, de l’autre côté, la demande du ministre à se voir communiquer des informations supplémentaires concernant le projet d’installation d’un magasin pour la vente directe des produits d’élevage dans cette même grange, le litismandataire de Madame … a précisé, sur question afférente du tribunal, que le recours sous analyse vise uniquement le refus ministériel opposé à l’aménagement d’une unité d’habitation dans la grange. Il y a, en conséquence lieu, de lui en donner acte.
Suivant un avis du 17 septembre 2018, le tribunal a invité les parties à prendre position par rapport à l’incidence éventuelle de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles modifiant 1° la loi modifiée du 31 mai 1999 portant institution d’un fonds pour la protection de l’environnement ; 2° la loi modifiée du 5 juin 2009 portant création de l’administration de la nature et des forêts ; 3° la loi modifiée du 3 août 2005 concernant le partenariat entre syndicats de communes et l’Etat et la restructuration de la démarche scientifique en matière de protection de la nature et des ressources naturelles, en abrégé « la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles », ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 2018 », ayant abrogé la loi du 19 janvier 2004, la partie étatique, de même que Madame … ayant chacune déposé un mémoire additionnel à cet effet.
La partie étatique n’a pas pris position sur la question de la nature du recours susceptible d’être introduit en l’espèce à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018, ni quant à la question de savoir si le présent recours est à examiner au regard de la loi du 19 janvier 2004 ou de celle du 18 juillet 2018, mais s’est limitée à prendre position quant au bien-fondé de la décision déférée par rapport à la loi du 18 juillet 2018.
Madame … donne, quant à elle, à considérer qu’à défaut de dispositions transitoires contenues dans la loi du 18 juillet 2018, ce serait a priori la nouvelle loi qui devrait trouver application à partir de son entrée en vigueur, la loi du 19 janvier 2004 ayant été abrogée purement et simplement. Il se poserait toutefois le problème que la nouvelle loi ne prévoirait plus la possibilité d’un recours en réformation, mais uniquement un recours en annulation contre les décisions prises en vertu de la loi du 18 juillet 2018, ce qui, selon elle, serait lourd de conséquences puisque si les juges administratifs venaient à la conclusion que le recours dirigé contre une décision ministérielle était justifié, ils ne pourraient, sous l’égide de la nouvelle loi, plus qu’annuler la décision ministérielle leur soumise et non plus prendre une autre décision en lieu et place de celle du ministre. Une autre conséquence se dégageant du pouvoir d’annulation conféré au tribunal administratif par la nouvelle loi serait cependant celle que si en matière de réformation, les juges administratifs devaient se baser non pas sur la situation légale ayant existé au moment où la décision litigieuse a été prise mais sur celle existant au moment de sa propre prise de décision, il en irait tout autrement en matière de recours en annulation, puisqu’en tant que juge de l’annulation, le juge administratif devrait se limiter à apprécier la légalité de la décision lui soumise au moment où elle a été prise sur base de la législation et de la réglementation en vigueur à ce moment-là.
7Au vu de ces considérations, Madame … est d’avis que le tribunal serait, en l’espèce, en tant que juge de l’annulation, amené à devoir appliquer l’ancienne loi du 19 janvier 2004 afin de vérifier la légalité des décisions entreprises au moment où elles ont été prises. Madame … estime que son argumentation développée dans le cadre de sa requête introductive d’instance de même que dans son mémoire en réplique sur le fondement de l’ancienne loi pourrait être intégralement maintenue puisque la nouvelle loi ne trouverait pas application dans la présente affaire.
Quant à la nature du recours et quant à la recevabilité Il convient de prime abord de déterminer la nature du recours susceptible d’être introduit en l’espèce, dans la mesure où la loi du 19 janvier 2004, sur base de laquelle la décision litigieuse a été prise et qui était en vigueur au moment du dépôt du recours sous analyse, a été abrogée par la loi du 18 juillet 2018, publiée au Mémorial A le 5 septembre 2018 et entrée en vigueur 3 jours après sa publication à défaut de disposition spéciale de mise en vigueur contraire. En effet, la loi du 19 janvier 2004 prévoyait un recours au fond contre les décisions prises en vertu de cette loi, alors que la loi du 18 juillet 2018 prévoit en son article 68 un recours en annulation contre les décisions prises en vertu de cette loi.
Le tribunal constate encore que par l’article 83 de la loi du 18 juillet 2018, le législateur s’est limité à abroger purement et simplement la loi du 19 janvier 2004 dans son intégralité, sans prévoir de mesures transitoires autres que celles visant les roulottes et les mesures compensatoires, non pertinentes en l’espèce.
En ce qui concerne les voies de recours à exercer contre une décision prise sur le fondement de la loi du 19 janvier 2004, seule la loi en vigueur au jour où la décision a été prise est applicable pour apprécier la recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre elle, étant donné que l’existence d’une voie de recours est une règle du fond du droit judiciaire, de sorte que les conditions dans lesquelles un recours contentieux peut être introduit devant une juridiction doivent être réglées suivant la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée, en l’absence, comme en l’espèce, de mesures transitoires1. Il s’ensuit que la recevabilité d’un recours contre une décision prise sur le fondement de la loi du 19 janvier 2004 devra être analysée conformément aux dispositions de cette même loi, qui en son article 58 disposait que « Contre les décisions prises en vertu de la présente loi un recours est ouvert devant le tribunal administratif qui statuera comme juge du fond ».
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal contre les décisions déférées. Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours subsidiaire en annulation.
Dans son mémoire en réponse, la partie étatique invoque toutefois tout d’abord l’irrecevabilité du recours sous analyse au motif que Madame … aurait implicitement mais nécessairement renoncé à son projet en introduisant le 4 octobre 2017 une nouvelle demande visant uniquement à pouvoir transformer le premier étage de la grange litigieuse en salle de dégustation et non plus en unité d’habitation. La partie étatique en déduit que la demanderesse ne jugerait elle-même plus nécessaire de vivre sur le site, tout en insistant sur le fait qu’il existerait déjà deux autres maisons d’habitation sur le site en question et que la demanderesse 1 Trib. adm., 5 mai 2010, n° 25919 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 315 et l’autre référence y citée ; Cour adm., 13 décembre 2018, n° 41218C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
8elle-même n’habiterait qu’à 9 km seulement de l’exploitation. Le recours serait dès lors devenu sans objet.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse insiste sur le fait qu’elle n’entendrait aucunement renoncer à son projet visant à créer une unité d’habitation au premier étage de la grange et qu’en introduisant une nouvelle demande le 4 octobre 2017, elle aurait uniquement souhaité envisager toutes les solutions possibles s’offrant à elle. En effet, après avoir eu un retour mitigé, elle aurait décidé de voir si le ministre était plus enclin à autoriser un autre projet légèrement modifié. Elle ajoute qu’aucune disposition légale n’interdirait à un administré de formuler plusieurs demandes et que sa demande du 4 octobre 2017 ne vaudrait pas renonciation au premier choix qu’elle aurait exprimé dans sa demande du 14 février 2017.
La demanderesse explique encore qu’au vu de l’attitude du ministre, elle aurait été réticente à engager des frais pour établir des plans d’architecte avant même d’avoir un accord de principe. Elle conclut, en tout état de cause, au rejet du moyen d’irrecevabilité soulevé par la partie étatique.
En l’espèce, la partie étatique estime en substance qu’en ayant demandé, dans un premier temps, le 14 février 2017, à se voir autoriser à transformer une grange existante en y aménageant une unité d’habitation au premier étage, ainsi qu’un magasin pour la vente directe de produits d’élevage au rez-de-chaussée - demande par rapport à laquelle le ministre a opposé un refus en ce qui concerne l’unité d’habitation envisagée par le biais d’une décision du 24 avril 2017, confirmée sur recours gracieux par une décision du 24 juillet 2017 -, pour ensuite introduire le 4 octobre 2017, une nouvelle demande d’autorisation en vue, cette fois-ci, de pouvoir aménager dans cette même grange uniquement un magasin et une salle de dégustation en relation avec les produits de son élevage, Madame … devrait être considérée comme ayant renoncé à sa demande initiale visant à transformer le premier étage de la grange en une unité d’habitation, de sorte que le recours dirigé contre le refus ministériel de l’autoriser à mettre en place une telle unité d’habitation serait devenu sans objet.
Il échet, à cet égard, toutefois de relever que si, en règle générale, lorsqu’un administré présente devant l’administration deux projets successifs portant sur le même objet et qui ne spécifient pas autrement leurs positionnements respectifs, s’agissant pourtant de la même localisation, l’administration et, à sa suite, les juridictions saisies, peuvent a priori partir de la pétition en principe que la seconde demande est appelée à remplacer la première et que le second objet autorisé rend sans objet la première demande et, le cas échéant, le refus afférent prononcé2, tel n’est toutefois pas le cas s’il se dégage des circonstances de la cause que le projet initial est maintenu, le simple fait d’introduire auprès d’une autorité administrative un projet modifié par rapport à un premier projet ayant rencontré un refus n’emportant pas en toute hypothèse et ipso facto renonciation au premier projet3. Ce n’est que si l’un des projets est exécuté et que cette exécution rend celle des autres impossible, que se pose, le cas échéant, la question de la renonciation au premier projet refusé et corrélativement celle de l’objet du recours, respectivement de l’intérêt à agir.
Or, outre le fait qu’en l’espèce, il se dégage des explications non contestées fournies par le litismandataire de Madame … à l’audience des plaidoiries du 7 novembre 2018 que jusqu’à présent, aucune autorisation n’a été délivrée à sa mandante en réponse à sa nouvelle 2 Cour adm., 17 mars 2015, n° 35461C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n° 643.
3 Trib. adm., 8 mars 2000, n° 11241 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Urbanisme, n°671.
9demande du 4 octobre 2017, de sorte que le projet modifié qu’elle a soumis au ministre n’a de toute façon pas encore pu trouver de matérialisation, il se dégage encore et surtout des éléments soumis au tribunal que les circonstances telles que décrites par Madame … dans sa demande initiale et dans son recours gracieux pour justifier la nécessité de la mise en place d’une troisième unité d’habitation sur le site de l’exploitation agricole, à savoir son désir de vivre au plus proche de son exploitation afin de gérer au mieux le quotidien avec les animaux de son élevage sans avoir à faire des allers-retours quotidiens et répétés entre son domicile actuel et son exploitation, n’ont pas changé entre la demande initiale du 14 février 2017 et la nouvelle demande du 4 octobre 2017. Il doit dès lors, au contraire, être admis que face au refus ministériel lui opposé à travers les décisions des 24 avril et 24 juillet 2017, Madame … a uniquement voulu connaître toutes les options s’offrant à elle si le premier choix qu’elle a exprimé était définitivement voué à l’échec sans qu’il ne puisse être déduit des éléments de la cause qu’elle ait renoncé, par le biais de l’introduction de sa demande du 4 octobre 2017, implicitement ou explicitement à son projet initial.
Le tribunal est, par conséquent, amené à conclure que le recours contentieux sous analyse garde tout son objet et que le moyen d’irrecevabilité afférent invoqué par la partie étatique est, en conséquence, à rejeter pour ne pas être fondé.
A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, le recours principal en réformation est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond Il convient de prime abord au tribunal de déterminer la loi applicable à l’examen du bien-fondé de la décision litigieuse.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d'une décision administrative s'apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise4, dans le cadre d'un recours en réformation, le tribunal est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse5.
Il s’ensuit qu’en l’espèce, le tribunal, saisi d’un recours en réformation, sera amené à examiner le bien-fondé des décisions déférées au regard de la loi du 18 juillet 2018, en vigueur au moment où il statue6.
Ces considérations amènent le tribunal aux constats suivants :
D’une part, l’application de la loi du 18 juillet 2018 au procès en cours implique que seuls les moyens tels que présentés par la demanderesse au regard des motifs de refus avancés par la partie étatique fondés sur les dispositions de la loi du 18 juillet 2018 sont susceptibles d’être pertinents, l’examen de ceux présentés par rapport à l’ancienne loi, abrogée, devenant ainsi nécessairement surabondant, l’appréciation à opérer par le tribunal consistant, en effet, à 4 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n° 20 et les autres références y citées.
5 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en reformation, n° 18 et l’autre référence y citée.
6 cf. Cour adm.,13 décembre 2018, n° 41218C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
10déterminer si les travaux ou constructions pour lesquels une autorisation est sollicitée sont susceptibles d’être autorisés sur base de la nouvelle loi du 18 juillet 2018, applicable au jour où il statue, et cela compte tenu des motifs de refus opposés par la partie étatique par rapport à cette même loi, - les références jusqu’à présent faites par rapport à la loi du 19 janvier 2004 ayant perdu leur pertinence -, ensemble les moyens avancés par la demanderesse à cet égard.
D’autre part, l’absence de dispositions transitoires figurant dans la loi du 18 juillet 2018, ainsi que les effets des mécanismes propres au recours en réformation conduisent le tribunal à appliquer la nouvelle loi à un procès en cours dont l’instruction a été menée sous l’égide de l’ancienne loi du 19 janvier 2004 et qui porte sur des décisions ayant été prises sur base de cette même loi, de sorte qu’à ce stade, aucun débat utile n’a pu être mené par rapport à la loi du 18 juillet 2018.
Au regard de ces considérations et afin de préserver à l’administré le respect de ses droits de la défense et, de manière générale, son droit à un procès équitable et de lui permettre ainsi de prendre position en connaissance de cause par rapport à des décisions dont le bien-
fondé sera apprécié par le tribunal par rapport à des dispositions légales non encore en vigueur au moment où il a introduit son recours, le tribunal estime qu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de rouvrir les débats et de permettre aux parties de produire chacune un mémoire additionnel qui sera considéré comme mémoire récapitulatif de l’ensemble des arguments et moyens que les parties entendent invoquer dans la présente affaire à la lumière de la loi du 18 juillet 2018, étant relevé que tout moyen ou motif non expressément mentionné dans le mémoire récapitulatif mais contenu dans les écrits antérieurs sera considéré comme abandonné.
L’Etat est ainsi invité à produire un mémoire récapitulatif de l’ensemble des motifs et arguments, trouvant leur fondement dans la loi du 18 juillet 2018, qu’il entend invoquer en défense des décisions déférées, respectivement opposer au recours.
La demanderesse est à son tour invitée à déposer un mémoire récapitulatif de l’ensemble des moyens qu’elle entend continuer à invoquer à l’appui de son recours en prenant position uniquement par rapport aux moyens et motifs qui lui sont opposés sur le fondement de la loi du 18 juillet 2018.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
donne acte à Madame … que le recours en réformation, sinon en annulation sous analyse est limité au refus ministériel opposé en date des 24 avril et 24 juillet 2017 à sa demande d’aménagement d’une unité d’habitation dans une grange sise sur le fonds inscrit au cadastre de la commune de …, section BC d’…, sous le numéro … ;
se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
dit que le présent recours est à examiner par rapport aux dispositions de la loi du 18 11juillet 2018 ;
avant tout autre progrès en cause, autorise les parties à déposer chacune un mémoire récapitulatif conformément à la motivation du présent jugement ;
fixe le délai pour l’Etat pour déposer son mémoire récapitulatif au 22 mars 2019, sous peine de forclusion ;
fixe le délai pour Maître Steve Helminger pour déposer son mémoire récapitulatif au 26 avril 2019, sous peine de forclusion ;
fixe l’affaire pour continuation des débats à l’audience publique de la 1re chambre du 15 mai 2019, à 15.00 heures ;
réserve frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 février 2019 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11.2.2019 Le greffier du tribunal administratif 12