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07/02/2019 | LUXEMBOURG | N°41233

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 février 2019, 41233


Tribunal administratif N° 41233 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2018 2e chambre Audience publique du 7 février 2019 Recours formé par Monsieur …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41233 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2018 par Maître Aurore Gigot, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avoca

ts à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … en Azerbaïdjan, de nationalité azerbaïdjanai...

Tribunal administratif N° 41233 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2018 2e chambre Audience publique du 7 février 2019 Recours formé par Monsieur …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41233 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2018 par Maître Aurore Gigot, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … en Azerbaïdjan, de nationalité azerbaïdjanaise, retenu au Centre de rétention de Findel au moment de l’introduction de sa requête, tendant à l’annulation d’une décision du 3 mai 2018 du ministre de l’Immigration et de l’Asile ordonnant « au requérant de quitter le territoire luxembourgeois à destination de l’Azerbaïdjan ou tout pays dans lequel il est autorisé à séjourner » ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 7 juin 2018, portant le numéro 41235 du rôle ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 octobre 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Nancy Carier en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 janvier 2019.

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Le 3 mai 2018, Monsieur …, de nationalité azerbaïdjanaise, fut appréhendé par la police grand-ducale, circonscription régionale Luxembourg, CP Ville-Haute.

Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … n’était en possession ni d’un passeport ni d’un document d’identité, ni d’un visa en cours de validité.

Par arrêté du 3 mai 2018, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de le quitter sans délai, tout en lui interdisant l’entrée sur le même territoire pour une durée de 3 ans, ladite décision étant libellée comme suit :

« Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu le Rapport no 2018/17605/218/BM du 3 mai 2018 établi par la Police Grand-

Ducale, CR Luxembourg CI Ville-Haute ;

Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un passeport ou d’un document d’identité en cours de validité ;

Attendu que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail ;

Arrête:

Art. 1er.- Le dénommé …, né le 15 mai 1991, de nationalité azerbaidjanaise, est en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.

Art. 2.- L’intéressé devra quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, l’Azerbaïdjan ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

Art. 3.- Copie du présent arrêté est remise à l’intéressé.

Art 4.- L’entrée sur le territoire est interdite à l’intéressé pour une durée de 3 ans. » Le même jour, le ministre notifia encore à l’intéressé un arrêté ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification.

De la recherche dans la base de données EURODAC, il s’avéra que Monsieur … avait précédemment introduit des demandes de protection internationale en Suisse, en Allemagne, au Liechtenstein, au Danemark, en Norvège et en Suède.

Par courrier du 24 mai 2018, les autorités danoises acceptèrent sa reprise sur base de l’article 18 (1) b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du 25 mai 2018, le ministre décida du transfert de Monsieur … vers le Danemark.

Monsieur … voulut introduire le 1er juin 2018 une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, puis finalement renonça à la déposer suite aux explications de l’agent chargé de recueillir sa demande, qui s’était rendu à cet effet au Centre de rétention le 4 juin 2018.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2018, inscrite sous le numéro 41231 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation visant la décision ministérielle précitée du 3 mai 2018 ordonnant son transfert vers le Danemark. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 41232 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à se voir provisoirement autorisé à demeurer sur le territoire luxembourgeois jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.

Il fut débouté de sa demande en institution d’une mesure provisoire par ordonnance du président du tribunal administratif du 7 juin 2018.

Il se désista ensuite de son action au fond, ce qui fut acté par jugement du tribunal administratif du 9 juillet 2018.

Par une autre requête déposée au greffe du tribunal administratif également le 5 juin 2018, inscrite sous le numéro 41233 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation visant la décision ministérielle de retour précitée du 3 mai 2018. Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 41235 du rôle, il a encore introduit une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à se voir provisoirement autorisé à demeurer sur le territoire luxembourgeois jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.

Par ordonnance du 7 juin 2018, le président du tribunal administratif refusa de faire droit à sa demande en institution d’une mesure provisoire.

Le 13 juin 2018, Monsieur … fut transféré et remis aux autorités danoises.

Etant donné qu’aucune disposition légale n’instaure un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce.

L’arrêté du 3 mai 2018 contient une décision ayant deux volets distincts, à savoir (i) celui constatant le séjour irrégulier au Luxembourg de Monsieur … et ordonnant son départ et (ii) celui lui interdisant l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans, il échet dès lors de vérifier la recevabilité et le bien-fondé du recours contre ces deux volets.

En l’espèce, le tribunal constate que dans sa requête introductive d’instance, le demandeur a seulement visé le volet de l’arrêté constatant son séjour irrégulier au Luxembourg et lui ordonnant de quitter le territoire, dans la mesure où il requiert l’annulation de la décision litigieuse lui ordonnant « de quitter le territoire luxembourgeois à destination de l’Azerbaïdjan ou tout pays dans lequel il est autorisé à séjourner ». Il n’a ainsi formulé aucune contestation quant au volet lui interdisant l’entrée sur le territoire luxembourgeois pendant une durée de trois ans ni dans l’introduction, ni dans le corps de sa requête où il n’a pas cité l’arrêté attaqué en entier, notamment la partie lui interdisant l’entrée sur le territoire, ni dans son dispositif.

Dans la mesure où Monsieur … n’a ainsi introduit aucun recours quant au volet lui interdisant l’entrée sur le territoire luxembourgeois pendant une durée de trois ans, le tribunal n’est pas saisi d’un tel recours et n’examinera ni la légalité ni le bien-fondé de ce volet de l’arrêté déféré.

Quant à la décision de retour, le délégué du gouvernement soulève, à titre liminaire, l’irrecevabilité du recours dirigé contre le volet de la décision litigieuse constatant le séjour irrégulier et ordonnant de ce fait à Monsieur … de quitter le territoire pour défaut d’intérêt à agir. Dans la mesure où Monsieur … requerrait l’annulation de l’arrêté en ce qu’il ordonne son renvoi vers l’Azerbaïdjan, sans remettre en cause l’illégalité de son séjour sur le territoire luxembourgeois, et qu’il aurait été transféré au Danemark où la procédure relative à sa demande de protection internationale serait en cours, il n’aurait plus d’intérêt à ce que l’arrêté attaqué soit annulé.

En ce qui concerne tout d’abord le moment auquel l’intérêt à agir du demandeur doit exister, s’il est de jurisprudence constante que l’appréciation de son existence se fait au jour du dépôt de la requête introductive d’instance pour vérifier la recevabilité de la demande, il est également de jurisprudence que, dans le cadre d’un recours en annulation, le juge est amené à analyser la situation de fait et de droit au jour où l’acte a été posé, de sorte que l’évolution ultérieure de la situation en fait et en droit n’est pas appelée à être prise en considération, fût-

ce sous un aspect de maintien de l’intérêt à agir se doublant en général d’une question de maintien d’un élément litigieux ou de maintien de l’objet du litige1.

Le tribunal est amené à retenir que, lors de l’introduction de sa requête, Monsieur … avait un intérêt à ce que la décision de retour prise à son encontre soit annulée, étant donné qu’il craignait un retour vers son pays d'origine et qu’il estimait devoir être soigné au Luxembourg. Il avait également intérêt à la voir annulée pour éviter d’être placé en rétention et transféré sur base de ladite décision.

Le moyen de la partie étatique y afférent est dès lors à rejeter.

Dès lors, et à défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, le tribunal retient que le recours en annulation contre la décision de retour est recevable pour avoir été introduit selon les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur fait valoir qu’il aurait reçu le 25 mai 2018 une décision de transfert vers le Danemark contre laquelle il aurait déposé un recours, décision qui serait contradictoire avec l’arrêté attaqué qui lui ordonnerait de quitter le territoire luxembourgeois à destination de l’Azerbaïdjan. Son pays d'origine ne lui aurait jamais offert de soins adéquats et il estime que, de ce fait, il serait absolument nécessaire qu’il puisse rester au Luxembourg pour y être soigné.

L’article 100 de la loi du 29 août 2008, sur lequel ladite décision est, entre autres, basée, prévoit ce qui suit :

« (1) Est considéré comme séjour irrégulier sur le territoire donnant lieu à une décision de retour, la présence d’un ressortissant de pays tiers:

a) qui ne remplit pas ou plus les conditions fixées à l’article 34;

b) qui se maintient sur le territoire au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, au-delà de la durée de trois mois à compter de son entrée sur le territoire;

c) qui n’est pas en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ou d’une autorisation de travail si cette dernière est requise;

d) qui relève de l’article 117. (…) ».

1 Cour adm. 9 juillet 2009, n° 25485C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 30 et les autres références y citées.

Il échet de constater que ledit article 100 (1) prévoit des critères alternatifs permettant de conclure au caractère irrégulier du séjour d’un étranger, de sorte qu’il suffit que l’étranger en question tombe dans l’une des hypothèses visées au prédit article en ses points a), b), c) et d), pour que le ministre puisse déclarer son séjour comme étant irrégulier.

Dans la mesure où, au moment de la prise de la décision déférée, Monsieur …, de nationalité azerbaïdjanaise, ne disposait ni d’un passeport ni d’un document d’identité en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour pour une durée de plus de trois mois, ni d’une autorisation de travail, il échet de conclure que, lors de l’adoption de la décision litigieuse, le demandeur ne remplissait pas les conditions de l’article 34 de la loi du 29 août 2008, notamment son deuxième paragraphe, point 12, et qu’en conséquence le demandeur ne remplissait aucune des conditions de l’article 100 (1) a) et c) de la loi du 29 août 2008, de sorte que le ministre pouvait valablement, sur base de cet article 100 (1) a) et c), déclarer irrégulier son séjour et prononcer un ordre de quitter le territoire à son égard.

Hormis le fait que le demandeur requiert l’annulation de l’arrêté en ce qu’il lui ordonnerait uniquement de quitter le territoire à destination de son pays d'origine, argument qui est par ailleurs contredit par l’arrêté lui-même qui ordonne en effet à Monsieur … de quitter le territoire luxembourgeois à destination de l’Azerbaïdjan ou d’un pays qui lui aurait délivré un document de voyage en cours de validité ou d’un pays dans lequel il est autorisé à séjourner, il invoque encore de manière lapidaire ses problèmes de santé qui empêcheraient son éloignement vers son pays d'origine. Or, le tribunal est amené à rejeter son argumentation puisqu’il ne lui appartient pas au tribunal à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.

Le recours introduit contre la décision de retour est dès lors à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, vice-président, Daniel Weber, juge, Michèle Stoffel, juge, 2 « (…) [Le ressortissant de pays tiers] a le droit d’entrer sur le territoire et d’y séjourner pour une période allant jusqu’à trois mois sur une période de six mois, s’il remplit les conditions suivantes: 1. être en possession d’un passeport en cours de validité et d’un visa en cours de validité si celui-ci est requis (…) ».

et lu à l’audience publique du 7 février 2019 par le vice-président, en présence du greffier assumé Lejila Adrovic.

s. Lejila Adrovic s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 février 2019 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 41233
Date de la décision : 07/02/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-02-07;41233 ?

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