Tribunal administratif N° 40175 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 septembre 2017 4e chambre Audience publique du 29 janvier 2019 Recours formé par Madame …, … (BE) contre une décision implicite de rejet de la Commission de surveillance du secteur financier en matière d’organisme de placement collectif
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40175 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2017 par Maître Cathy Arendt, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, veuve de Monsieur …, demeurant à B-…, tendant à « annuler la décision implicite sinon explicite de rejet émanant de la CSSF de la demande du 27 avril 2017 d’appliquer la circulaire 02/77 aux deux compartiments de fonds suivants : - … (anciennement …) …- … (anciennement …) … » ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Luc Konsbruck, en remplacement de l’huissier de justice Geoffrey Gallé, tous deux demeurant à Luxembourg, du 8 septembre 2017, portant signification de la requête introductive d’instance à la Commission de surveillance du secteur financier, établissement public, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro J26, représentée par sa direction actuellement en fonction, établie et ayant son siège à L-1150 Luxembourg, 283, route d’Arlon ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2017 par la société Allen & Overy, société en commandite simple, établie et ayant son siège à L-1855 Luxembourg, 33, avenue J.F. Kennedy, avocat à la Cour, inscrite à la liste V du barreau de Luxembourg, représentée pour les besoins du recours par Maître Pierre Schleimer, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, demeurant à L-
1855 Luxembourg, 33, avenue J.F. Kennedy, au nom de l’établissement public Commission de surveillance du secteur financier, ledit mémoire en réponse ayant été notifié par acte d’avocat à avocat du même jour au mandataire de la partie demanderesse ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2018 par Maître Cathy Arendt, préqualifée, au nom de Madame …, ledit mémoire en réplique ayant été notifié par acte d’avocat à avocat du même jour au mandataire de la partie défenderesse;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 février 2018 par la société Allen & Overy, préqualifiée, au nom de l’établissement public Commission de surveillance du secteur financier, ledit mémoire en duplique ayant été notifié par acte d’avocat à avocat en date du même jour au mandataire de la partie demanderesse ;
1 Vu l’avis du tribunal administratif du 21 mars 2018 autorisant les parties à déposer un mémoire supplémentaire exclusivement par rapport aux pièces versées par la partie défenderesse à l’appui de son mémoire en duplique ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2018 par Maître Cathy Arendt, préqualifée, au nom de Madame …, ledit mémoire supplémentaire ayant été notifié par acte d’avocat à avocat du même jour au mandataire de la partie défenderesse;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2018 par la société Allen & Overy, préqualifiée, au nom de l’établissement public Commission de surveillance du secteur financier, ledit mémoire supplémentaire ayant été notifié par acte d’avocat à avocat en date du même jour au mandataire de la partie demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Cathy Arendt et Maître Pierre Schleimer en leurs plaidoiries respectives.
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Madame … adressa le 27 avril 2016, à la Commission de surveillance du secteur financier, dénommée ci-après « la CSSF », une lettre de « mise en demeure » « (…) d’enjoindre la Banque … d’appliquer dans les meilleurs délais la circulaire 02/77 aux compartiments … (anciennement …) … …et … (anciennement …) … … (…). Au cas où la CSSF déciderait de ne pas faire appliquer la circulaire 02/77, [elle] met[trait] la CSSF en demeure de lui confirmer clairement cette décision administrative par écrit en la motivant de manière claire et détaillée. A défaut d’une décision de la CSSF dans les trois mois à dater du jour de la notification de la présente mise en demeure, [elle] considérera que, sur la base de l’article 4.(1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, sa demande d’application de la circulaire 02/77 [aura] été rejetée.».
Il lui fut répondu par lettre du litismandataire de la CSSF en date du 28 juin 2017, ce qui suit :
« (…) La présente fait suite à votre surprenante lettre de « mise en demeure », reçue par la CSSF en date du 3 mai 2017, visant à voir « appliquer dans les meilleurs délais la Circulaire 02/77 » aux compartiments des fonds d'investissement « … (anciennement … …) … et … (anciennement…) … ».
Vous n'êtes pas sans savoir que les griefs tardivement exposés dans votre missive sont identiques à ceux déjà soumis à la CSSF par le biais de la société … (…)/M. … …, par courrier du 17 février 2014.
Par lettre en réponse du 22 janvier 2014, la CSSF a fait part de ses conclusions définitives, en informant … représentant les investisseurs concernés de la famille … que :
« we may inform you that in light of the argumentation presented by …, the CSSF was ultimately not in a position to make a conclusive determination by way of a compelling administrative decision that the relevant sub-fund breached its investment policy. Thus the 2CSSF accepted the redress proposal presented by … and the CSSF circular 02/77 redress procedure did not have to be applied » Le contentieux subséquent a été tranché par jugement du 30 juin 2016 du Tribunal Administratif (n°35.976 du rôle), déclarant le recours de M. … … irrecevable, décision confirmée par l'arrêt de la Cour Administrative du 6 avril 2017 (n°38.340C).
Il convient de relever que le Tribunal Administratif a jugé régulière et justifiée « (…) la position retenue par la CSSF de ne pas mettre en œuvre la procédure prévue dans le cadre de la Circulaire CSSF 02/77 - alors que d'une part, elle n'est pas légalement tenue de le faire compte-tenu des précisions faites [plus avant dans le jugement] quant à la valeur juridique des circulaires de la CSSF, et que, d'autre part, il lui est loisible de prendre en considération un certain seuil de tolérance dans l'appréciation du non-respect des règles de placement des organismes de placement collectif - n'est pas un acte administratif susceptible de faire grief dans le chef de Monsieur … …. Il s'ensuit que c'est à juste titre que la CSSF conclut à l'irrecevabilité du recours faute d'être dirigé contre une décision administrative de nature à faire grief ».
La Cour Administrative a confirmé l'irrecevabilité du recours, mais en raison de sa tardiveté. En effet, même à considérer par impossible que « le courrier de la CSSF du 22 janvier 2014 était à qualifier de décision administrative attaquable, le délai de recours pour agir à son encontre a expiré au plus tard six mois après l'introduction du recours gracieux du 17_février 2014, soit le 17 août 2014 ».
C'est ainsi en faisant fi des décisions rendues par les juridictions administratives que vous entendez réitérer l'injonction faite à la CSSF d'appliquer à l'égard de … des mesures ou sanctions sur base de la circulaire 02/77 relative à la protection des investisseurs en cas d'erreur dans le calcul de la VNI et de réparation des conséquences de l'inobservation des règles de placement qui sont applicables aux organismes de placement collectif.
Outre le fait que votre « mise en demeure » est à l'évidence tardive et irrecevable per se, la démarche qui est la vôtre constitue une tentative d'obvier aux enseignements à tirer des décisions rendues par la juridiction administrative.
Compte tenu de l'acharnement de mauvais aloi dont a été la cible la CSSF dans cette affaire, il va sans dire qu'un recours administratif de votre part, évoqué allusivement en conclusion de votre missive, non seulement serait déclaré irrecevable, mais nous inciterait à conseiller à la CSSF d'exercer à votre encontre une action en dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.
Vous comprendrez de ce qui précède que la CSSF n'est, ni tenue, ni n'entend prendre une quelconque « décision administrative » en réponse à votre mise en demeure manifestement vaine et de mauvais aloi. (…) ».
Madame … prit position par rapport audit courrier par lettre du 14 juillet 2017.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2017, inscrite sous le n°40175 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant à « « annuler la décision implicite sinon explicite de rejet émanant de la CSSF de la demande du 27 avril 32017 d’appliquer la circulaire 02/77 aux deux compartiments de fonds suivants : - … (anciennement …) …- … (anciennement …) … ».
A titre liminaire, la CSSF sollicite tout d’abord du tribunal de céans qu’il écarte les développements, moyens et arguments adverses qui excèderaient l’objet du mémoire supplémentaire autorisé par avis du tribunal du 21 mars 2018.
Par avis du 21 mars 2018, le tribunal a indiqué que lors de l’audience publique du 20 mars 2018, il a autorisé le litismandataire de Madame … à déposer un mémoire supplémentaire exclusivement par rapport aux pièces déposées par la CSSF à l’appui de son mémoire en duplique.
Il s’ensuit que le tribunal n’examinera les moyens et arguments invoqués par Madame … dans son mémoire supplémentaire que pour autant qu’ils se situent dans le cadre limitativement circonscrit par l’avis précité. Partant, il y a lieu d’écarter les développements, moyens et arguments de Madame … qui sont de nature à excéder l’objet du mémoire supplémentaire autorisé par avis du 21 mars 2018 tel que limitativement circonscrit dans ledit avis.
Aucun recours au fond n’étant prévu par la loi en la présente matière, seul un recours en annulation a, le cas échéant, pu être introduit contre l’acte attaqué.
Dans son mémoire en réponse, la CSSF soulève plusieurs moyens d’irrecevabilité du recours sous examen tenant, premièrement, au défaut d’objet en l’absence de décision administrative attaquable, deuxièmement, au défaut de qualité ou d’intérêt à agir dans le chef de Madame …, et troisièmement, à la tardivité du recours.
Quant au premier moyen d’irrecevabilité, la CSSF soulève l’absence d’objet du recours sous examen. Elle estime que le recours serait basé sur la prémisse erronée selon laquelle l’application de la Circulaire 02/77 du 27 novembre 2002 relative à la protection des investisseurs en cas d’erreur dans le calcul de la VNI et de réparation des conséquences de l’inobservation des règles de placement qui sont applicables aux organismes de placement collectif, ci-après désignée par « la Circulaire CSSF 02/77 », permettrait à Madame … d’obtenir réparation du dommage qu’elle prétend avoir subi par l’inobservation des règles d’investissement du fonds en cause, dans le cadre d’une procédure collective et entièrement contrôlée par la CSSF. Or, la CSSF affirme fermement qu’il ne serait nullement dans ses pouvoirs de rendre une décision d’indemnisation ou même un avis comminatoire qui s’imposerait aux organismes de placement collectif, ci-après désignés par « OPC », en cas de litige avec des investisseurs. Elle rappelle que les seuls pouvoirs contraignants lui accordés seraient ceux prévus par la loi modifiée du 17 décembre 2010 concernant les organismes de placement collectif, ci-après désignée par « la loi OPC », qui ne comporteraient pas celui de prononcer administrativement une indemnisation d’un OPC ou de ses investisseurs. Elle qualifie de fantasmatiques les prétendus griefs ou dommages invoqués par Madame …. Elle considère, dès lors, sous ce rapport, le recours comme étant dénué d’objet dans la mesure où la finalité poursuivie par Madame …, à savoir l’obtention d’une réparation automatique du dommage allégué en s’épargnant la saisine des juridictions judiciaires, seules compétentes en la matière, ne pourrait être obtenue par l’application de la Circulaire 02/77. Elle cite la jurisprudence du tribunal de céans dans le cadre d’une affaire similaire rendue dans le cadre 4du jugement du 30 juin 2016, inscrit sous le numéro 35.976 du rôle1, pour conclure à l’irrecevabilité du recours sous examen.
Dans le cadre de son mémoire en duplique, elle précise que contrairement à l’affirmation de Madame …, une application automatique de la Circulaire 02/77 donnant mécaniquement lieu à une indemnisation des investisseurs lésés relèverait du fantasme, étant donné que toute la question qui se poserait serait précisément celle de déterminer, au vu des éléments contractuels à prendre en considération, s’il y a eu ou non inobservation des règles d’investissement justifiant une compensation. Il s’ensuit que ce ne serait que dans le cas où une telle inobservation des règles d’investissement serait admise par l’OPC lui-même, qu’il indemniserait, par voie de conséquence, spontanément les investisseurs en considération des lignes de conduite édictées dans la Circulaire 02/77. Elle explique qu’en revanche, si l’OPC -
ce qui serait le cas en l’espèce - conteste l’inobservation des règles de placement, elle ne saurait sur base de la Circulaire 02/77 le contraindre à indemniser les investisseurs lésés, et ce, même dans le cas - non avéré en l’espèce – où elle en serait venue à la conclusion définitive qu’il y aurait eu violation des règles d’investissement. Elle rappelle, à cet égard, qu’il appartiendrait aux juridictions judiciaires de se prononcer sur les éventuels manquements contractuels résultant d’une éventuelle inobservation des règles de placement et sur l’indemnisation à allouer aux investisseurs.
Madame … conteste, en substance, énergiquement que le recours soit sans objet, faute de décision administrative attaquable. Elle estime qu’elle serait bien en présence d’une décision administrative émanant d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales, obligatoires pour les administrés, et que le refus de la CSSF lui ferait grief du fait que le refus d’application de la circulaire litigieuse affecterait négativement la situation des investisseurs dont elle ferait partie. Elle se livre à une analyse détaillée de la nature d’une circulaire en s’appuyant sur la doctrine et la jurisprudence pour estimer que la finalité qu’elle poursuivrait serait l’application de la Circulaire 02/77, qui pourrait être atteinte en obtenant gain de cause dans le cadre de la présente instance. Elle fait valoir que l’application de la Circulaire 02/77 serait indépendante d’un éventuel litige, de sorte à devoir être mise en œuvre même si l’un ou l’autre investisseur a introduit une action en justice. Dans son mémoire en réplique, elle recense encore le nombre de cas d’application de ladite circulaire tels qu’ils ressortiraient des rapports annuels de la CSSF pour en déduire que ce serait, à tort, que la CSSF prétendrait que l’indemnisation d’investisseurs « ne [pourrait] être atteinte » sans saisine des tribunaux civils. Elle fait encore valoir que dans le cadre de la jurisprudence citée par la CSSF, la Cour administrative n’aurait pas pris position sur la question de l’existence d’une décision administrative susceptible de recours, de sorte qu’il n’y aurait pas de décision définitive sur la question.
Il échet tout d’abord de relever que Madame … a introduit un recours tendant à « annuler la décision implicite sinon explicite de rejet émanant de la CSSF de la demande du 27 avril 2017 d’appliquer la circulaire 02/77 aux deux compartiments de fonds suivants : - … (anciennement …) …- … (anciennement …) … ».
Ainsi, l’action de Madame … tend à faire vérifier par le tribunal de céans la légalité d’un prétendu manquement de la CSSF de donner suite à la « mise en demeure » qu’elle lui a adressée en date du 27 avril 2017, manquement qu’elle qualifie de « refus » d’appliquer la Circulaire 02/77 aux deux compartiments sus-visés, de sorte que ce refus serait constitutif 1 Voir Pas. adm. 2018, V° Régulation économique, n°4 5d’une « décision implicite de rejet » à son encontre. Il s’ensuit que Madame … remet en cause la conclusion à laquelle CSSF était arrivée et lui communiquée par par courrier du 28 juin 2017 de son litismandataire, selon laquelle l’analyse qu’elle avait menée ne lui aurait pas permis de déterminer de manière concluante que les sous-fonds concernés de la SICAV … … auraient enfreint leur politique d’investissement respective ainsi qu’elle l’avait indiqué dans une lettre de son litismandataire du 22 janvier 2014 à la société …, représentant les intérêts de la famille …, dans les termes suivants : « (…) we may inform you that in light of the argumentation presented by …, the CSSF was ultimately not in a position to make a conclusive determination by way of a compelling administrative decision that the relevant sub-fund breached its investment policy. Thus the CSSF accepted the redress proposal presented by … and the CSSF circular 02/77 redress procedure did not have to be applied ».
De ce fait, Madame … reproche à la CSSF de s’être abstenue de faire appliquer la Circulaire CSSF 02/77, alors qu’elle aurait elle-même constaté la non-observation des règles de placement dans les compartiments concernés ainsi qu’elle l’indique en ces termes dans la lettre de mise en demeure précitée « (…) [c]omme le démontrent les rapports annuels de …, cette limitation de maximum 30% pouvant être investi dans un autre compartiment a été violée pendant plusieurs années, tant dans le compartiment … …que dans le compartiment … …. (…) L’inobservation significative de la règle de 30% maximum a entrainé une concentration du risque pour les investisseurs dans les deux compartiments de fonds concernés. De ce fait, ils ont subi, lors de la crise, des pertes anormalement élevées (…) ».
Il appartient au tribunal à ce stade des développements d’analyser la portée de la circulaire litigieuse, en ce que Madame …, dans la lettre précitée, met la CSSF en demeure « (…) d’enjoindre la Banque … d’appliquer dans les meilleurs délais la circulaire 02/77 aux compartiments … (anciennement …) … …et … (anciennement …) … … (…) »2.
Il ressort du prospectus relatif à l’émission des actions de la SICAV … … la SICAV étant désignée ci-après par « … », daté de décembre 2008, ci-après désigné par le « Prospectus », dont relèvaient les compartiments : « … (anciennement …) … …» et « … (anciennement …) … … » que cette dernière est constituée selon les dispositions de la loi modifiée du 10 août 1915 relative aux sociétés commerciales, ci-après désignée par « la loi du 10 août 1915 », et était, au moment des faits litigieux qui se sont cristallisés lors de « la crise de 2008 » ainsi que cela ressort de la mise en demeure du 27 avril 2016 de Madame … à la CSSF, régie par les dispositions de la loi modifiée du 20 décembre 2002 concernant les organismes de placement collectif, ci-après désignée par « la loi du 20 décembre 2002 », actuellement abrogée par la loi du 17 décembre 2010. … relèvait plus particulièrement des dispositions de la Partie II de ladite loi.
En tant que société d’investissement à capital variable relevant des dispositions de la Partie II de la loi du 20 décembre 2002, … n’était pas soumise à des restrictions spécifiques d’investissement. En effet, l’article 72(1) de la loi du 20 décembre 2002 renvoyait à l’adoption d’un règlement grand-ducal pour la fixation des limites d’investissement. Or, ce règlement grand-ducal ne fut jamais adopté et la CSSF détailla dans le cadre de la Circulaire 91/75 telle que modifiée par la Circulaire CSSF 05/177 relative à la révision et refonte des règles auxquelles sont soumis les organismes luxembourgeois qui relèvent de la loi du 30 mars 1988 relative aux organismes de placement collectif, les limites d’investissement qu’elle estimait devoir être respectées3. Au-delà de l’absence légale de définition des restrictions 2 voir en ce sens trib. adm. 30 juin 2016, op. cit..
3 Organismes de placement collectif et véhicules d’investissement apparentés en droit luxembourgeois, 2ème édition, Claude Kremer et Isabelle Lebbe, Larcier, point 256.
6d’investissement d’une société d’investissement à capital variable relevant des dispositions de la Partie II de la loi du 20 décembre 2002, … avait indiqué dans les parties idoines de son Prospectus4 les restrictions d’investissement à respecter.
En cas de dépassement des restrictions d’investissement d’une société d’investissement à capital variable, les dispositions de la Circulaire CSSF 02/77 en son volet portant sur la réparation des conséquences de l’inobservation des règles de placement qui sont applicables aux organismes de placement collectif ont vocation à s’appliquer5. Ce volet de cette circulaire a pour objectif d’édicter des règles de conduite à l’égard des dirigeants de l’organisme de placement collectif concerné dès la découverte d’inobservations des règles de placement, telles que, notamment, l’obligation de procéder à la réalisation des placements non conformes à la politique d’investissement qui est définie dans le prospectus, ou de procéder à la réalisation des positions excédentaires, ou encore de ramener les emprunts contractés au niveau de la limite autorisée. Le tribunal relève qu’en ultime ressort, cette circulaire érige une obligation « à ceux qui ont causé les préjudices d’en assurer la réparation, lorsqu’ils n’ont pas respecté les obligations qui leurs sont applicables. Au cas où ce principe ne [pourrait] être appliqué, il appartient aux promoteurs de procéder à la réparation ». Il convient encore de constater que la Circulaire 02/77 indique spécifiquement s’adresser « A tous les organismes de placement collectif luxembourgeois et à tous les intervenants dans le fonctionnement et le contrôle de ces organismes ».
Quant à sa portée juridique, une circulaire émise par la CSSF constitue un mode de réglementation sui generis ayant pour objectif de préciser le contenu de certaines normes légales tout en revêtant une forme souple et modulable. Par le truchement de cet instrument, la CSSF entend informer les tiers de la teneur de sa position dans le domaine concerné par la circulaire. En considération du fait que la CSSF peut être amenée à accorder des dérogations sur les positions qu’elle a adoptées, il ne saurait être question de considérer une circulaire comme un instrument édictant une norme de droit. Ainsi, il y a lieu de considérer une circulaire comme un outil de transparence plutôt qu’un instrument de réglementation6.
Il découle du contenu de la lettre de « mise en demeure » adressée à la CSSF en date du 27 avril 2017 par Madame … que ses griefs portent sur le prétendu refus opposé par la CSSF « d’enjoindre la Banque … d’appliquer dans les meilleurs délais la circulaire 02/77 » prise en son volet ayant trait à la réparation des conséquences de l’inobservation des règles de placement qui sont applicables aux organismes de placement collectif.
Il y a lieu de rappeler que la CSSF est arrivée à la conclusion suivant laquelle l’analyse qu’elle avait menée ne lui aurait pas permis de déterminer de manière concluante que les sous-fonds concernés de … auraient enfreint leur politique d’investissement respective ainsi que cette position ressort d’une lettre de son litismandataire du 22 janvier 2014 à la société …. Ainsi, outre qu’elle a uniquement vocation à s’adresser aux dirigeants de … voire en ultime ressort aux promoteurs du fond d’investissement, la Circulaire 02/77 n’a manifestement pas pour objet de produire des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de Madame … dès lors que, premièrement, elle n’en est manifestement pas le destinataire et, deuxièmement, le refus par la CSSF d’enjoindre aux 4 Annexe 1. Restrictions d’investissement p. 40 5 Organismes de placement collectif et véhicules d’investissement apparentés en droit luxembourgeois, 2ème édition, Claude Kremer et Isabelle Lebbe, Larcier, point 1017 et ss.
6 Organismes de placement collectif et véhicules d’investissement apparentés en droit luxembourgeois, 3ème édition, Claude Kremer et Isabelle Lebbe, Larcier, points 82 et 83.
7destinataires de celle-ci, à savoir les dirigeants ou les promoteurs de …, de prendre certaines mesures visant à régulariser la situation du ou des compartiments concernés ne saurait aucunement s’analyser comme constitutive d’une décision implicite de rejet de nature à affecter négativement sa situation en fait ou en droit, étant encore précisé que la question d’un éventuel non-respect de dispositions d’un prospectus relatif à l’émission d’actions d’un OPC se meut dans le cadre de l’examen de l’exécution de ses obligations contractuelles par l’OPC concerné, question qui est du ressort des juridictions ordinaires seules habilitées à allouer des dommages et intérêts aux parties préjudiciées dans le cas où la responsabilité dudit OPC venait à être engagée.
En effet, si l’article 4 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisations des juridictions de l’ordre administratif dispose certes qu’un recours contre une décision administrative peut être introduit lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il ne soit intervenu une décision de sorte que les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée, il n’en demeure pas moins qu’il est de jurisprudence constante qu’au-delà de la question de l’intérêt à agir, l'acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de celui qui réclame. A contrario, tout acte qui n’est pas destiné à produire par lui-même des effets juridiques, n’a pas la qualité de décision faisant grief.7 Or, l’abstention, de la part d’une autorité administrative, de statuer ou d’agir dans un cas où elle n’est pas légalement tenue d’intervenir n’est pas un acte administratif susceptible de faire grief8 permettant d’introduire un recours devant le tribunal de céans. Cette conclusion s’impose d’autant plus en l’espèce, dès lors que c’est à juste titre que la CSSF précise que ce n’est que dans le cas où une inobservation des règles d’investissement serait reconnue et admise par l’OPC de sorte qu’il en viendrait à indemniser les investisseurs en considération des lignes de conduite édictées dans la Circulaire 02/77, que celle-ci trouverait vocation à s’appliquer, étant, par ailleurs, encore précisé que la CSSF ne dispose elle-même d’aucun pouvoir coercitif à l’égard de l’OPC quant à une indemnisation des investisseurs lésés lorsqu’il conteste, comme en l’espèce, que des règles de la politique de placement n’auraient pas été observées et ce, nonobstant le fait que la CSSF serait elle-même arrivée à la conclusion qu’il y aurait eu violation des règles d’investissement par l’OPC, ce qui n’est pas le cas de figure en la cause.
En l’espèce, le tribunal a retenu plus en avant que la circulaire est un instrument instituant un mode de réglementation sui generis ayant pour objectif de préciser le contenu de certaines normes légales. Ainsi, la position retenue par la CSSF de ne pas mettre en œuvre la procédure prévue dans le cadre de la Circulaire 02/77 alors qu’elle n’est pas légalement tenue de le faire n’est pas un acte administratif susceptible de faire grief dans le chef de Madame ….
Il s’ensuit que c’est à juste titre que la CSSF conclut à l’irrecevabilité du recours faute d’être dirigé contre une décision administrative de nature à faire grief.
A titre superfétatoire, le tribunal observe que par le truchement de son action, Madame … vise indirectement à faire contrôler par le juge administratif la régularité de l’exercice de la surveillance prudentielle de la CSSF qui lui est dévolu en vertu de l’article 2 de la loi 7 trib. adm. 23 juillet 1997, n°9658 du rôle, confirmé sur ce point par Cour adm. 19 février 1998, n°10263C du rôle, V° Acte administratifs, n° 52 et les autres références y citées.
8 J.Falys, La recevabilité des recours en annulation des actes administratifs, Bruylant, 1975, n° 59 et 62.
8modifiée du 23 décembre 1998 portant création d’une commission de surveillance du secteur financier, aux termes duquel « la CSSF est l’autorité compétente pour la surveillance (…) des organismes de placement collectif (…) ». Or, il n’est pas sans intérêt de rappeler à cet égard que l’exercice de la surveillance prudentielle par la CSSF des entités surveillées est encadrée à l’article 20 de sa loi organique comme suit : « (1) La surveillance exercée par la CSSF n’a pas pour objet de garantir les intérêts individuels des entreprises ou des professionnels surveillés ou de leurs clients ou de tiers, mais elle se fait exclusivement dans l’intérêt public.
(2) Pour que la responsabilité civile de la CSSF pour des dommages individuels subis par des entreprises ou des professionnels surveillés, par leurs clients ou par des tiers puisse être engagée, il doit être prouvé que le dommage a été causé par une négligence grave dans le choix et l’application des moyens mis en œuvre pour l’accomplissement de la mission de service public de la CSSF. ». Ainsi, dans l’éventualité où, en sa qualité d’actionnaire des compartiments concernés par d’éventuels dépassements de leur politique d’investissement respective, Madame … venait à exciper d’un préjudice, il lui appartient de faire valoir ledit préjudice afin d’en obtenir réparation devant les juridictions civiles pour autant que les conditions afférentes à ladite réparation soient remplies, ainsi que le tribunal l’a retenu plus en avant, étant encore précisé que les critères conditionnant la mise en œuvre de la responsabilité de la CSSF sont dérogatoires au droit commun, puisqu’il appartient à la personne qui fait état d’un préjudice de démontrer une négligence grave dans le choix et l’application des moyens mis en œuvre pour l’accomplissement de la mission de service public de la CSSF, cette dernière n’ayant pas vocation à garantir les intérêts individuels des entreprises ou des professionnels surveillés ou de leurs clients ou de tiers mais se porte bien garante de l’intérêt public.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
écarte des débats les moyens et arguments invoqués par la demanderesse dans son mémoire supplémentaire du 23 avril 2018 pour autant qu’ils excèdent l’autorisation afférente telle que se dégageant de l’avis du tribunal du 21 mars 2018 ;
déclare le recours irrecevable ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 29 janvier 2019 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 janvier 2019 Le greffier du tribunal administratif 9