Tribunal administratif N° 40432 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 novembre 2017 1re chambre Audience publique du 28 janvier 2019 Recours formé par Madame …et consort, … contre une décision du ministre de l’Environnement en matière de protection de la nature
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40432 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 novembre 2017 par Maître Pierre Goerens, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …et de Madame …, les deux demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Environnement du 25 août 2017 portant refus d’une demande d’autorisation présentée en date du 13 janvier 2017 sur le fondement de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, dont l’objet était libellé comme suit : « Behindertengerechter Umbau eines bestehenden Einfamilienhauses » concernant une parcelle sise sur le territoire de la commune de …, référence cadastrale …, lieu-
dit « …» ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 février 2018 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Pierre Goerens déposé au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2018 pour compte de Madame …et de Madame …, préqualifiées ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2018 ;
Vu l’avis du tribunal du 17 septembre 2018 ayant autorisé la production de mémoires additionnels ;
Vu le mémoire additionnel du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 novembre 2018 Vu le mémoire additionnel de Maître Pierre Goerens déposé au greffe du tribunal administratif le 19 novembre 2018 pour compte de Madame …et de Madame …, préqualifiées ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision ministérielle déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pierre Goerens et Madame le délégué du gouvernement Jeannine Dennewald en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 décembre 2018.
1 En date du 27 octobre 2016, une demande d’autorisation sur le fondement de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 19 janvier 2004 », fut introduite au nom de « Madame et Monsieur …» auprès du ministère du Développement durable et des Infrastructures, département de l’Environnement, et ayant l’objet suivant : « Behindertengerechter Umbau eines bestehenden Einfamilienhauses. Das Dach muss teilweise zum Einbau eines Liftes angehoben werden. Sanierung des bestehenden Daches », visant un immeuble sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de …, section A de …, sous le numéro …, au lieu-dit « …».
En date du 16 novembre 2016, le préposé forestier du triage de …/…, après avoir constaté que des travaux sur la maison litigieuse étaient déjà en cours d’exécution, émit un avis défavorable au motif que les travaux de modification envisagés ne seraient pas conformes aux dispositions de l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004, tout en précisant que dans l’hypothèse où une suite favorable était laissée à la demande, il conviendrait de disposer de plans comportant des renseignements plus détaillés.
Par un courrier du 18 novembre 2016, l’entité mobile de l’administration de la Nature et des Forêts adressa au ministre de l’Environnement, ci-après désigné par « le ministre », une demande de fermeture de chantier sur le terrain précité.
Par un arrêté du 21 novembre 2016, le ministre ordonna la fermeture du chantier en cours sur la parcelle numéro …, précitée, et interdit toute continuation des travaux. Par courrier du même jour, le ministre transmit ledit arrêté au Procureur d’Etat de même qu’au Procureur Général d’Etat.
Le même jour, le ministre s’adressa à Monsieur et Madame …dans les termes suivants :
« Je me réfère à votre requête du 27 octobre 2016 par laquelle vous sollicitez l’autorisation pour l’assainissement d’une maison unifamiliale sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de … ; section A de …, sous le numéro ….
Mes services m’informent que les travaux faisant l’objet de la présente demande ont d’ores et déjà été entamés sans autorisation ministérielle au mois d’octobre 2016.
En date du 24 octobre 2016 l’entreprise de construction …, responsable du projet, a été informée par le préposé de la nature et des forêts de l’illégalité des travaux et a été demandée d’arrêter les travaux litigieux de suite.
Vu le non-respect de cette intervention orale, une deuxième réunion sur place a eu lieu le 27 octobre 2016 en présence du préposé de la nature et des forêts, de l’entrepreneur … et de l’architecte …. A cette occasion, la demande d’arrêter sans délai les travaux litigieux a été réitérée.
Malgré les interventions du préposé de la nature et des forêts, une continuation des travaux a dû être constatée par l’entité mobile de l’Administration de la nature et des forêts en date du 18 novembre 2016, ce qui m’oblige de prononcer une fermeture de chantier avec effet immédiat en date du 21 novembre 2016.
2En ce qui concerne votre demande d’autorisation pré-mentionnée et afin de pouvoir trancher en connaissance de cause, je vous invite à compléter le dossier moyennant - l’affectation existante et projetée du bâtiment litigieux, y inclus le détail des différents volumes, et un historique de l’évolution du site, - une levée exacte et détaillée de l’ensemble du volume bâti « …» existant (aménagement et affectation de tou[te]s les étages), - un plan détaillé du projet de construction reprenant l’ensemble du volume bâti « …» (tou[te]s les étages) et indiquant clairement le bâti à conserver, le bâti à transformer ainsi que les nouvelles constructions (éléments nouvellement rajoutés).
Sachez toutefois, que je ne saurai réserver une suite favorable ni à un changement d’affectation du volume bâti non conforme à l’article 5 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ni à un agrandissement du volume bâti.
En effet, conformément aux dispositions des articles 5 et 10 de la loi précitée ainsi que selon une jurisprudence du Tribunal Administratif, confirmée en instance d’appel par la Cour Administrative en matière de modification extérieures, d’agrandissements ou de reconstructions de constructions existantes en zone verte, l’affectation de l’immeuble concerné doit répondre aux prévisions de l’article 5, alinéa 3, selon lesquelles seules peuvent être érigées des constructions servant à l’exploitation agricole ou similaire, ou à un but d’utilité publique.[…] ».
En date du 13 janvier 2017, l’architecte de Madame … fit parvenir au ministre des plans détaillés visant les travaux de transformation litigieux.
En date du 30 janvier 2017, le préposé forestier du triage de …/… rendit encore un avis défavorable.
Par un courrier du 19 juin 2017, Madame … s’adressa au ministre pour expliquer la situation du projet de transformation de la maison habitée par sa mère, tout en affirmant introduire un recours gracieux contre une décision implicite de rejet résultant du silence gardé par l’administration depuis la demande d’autorisation du 27 octobre 2016.
En date du 25 août 2017, le ministre s’adressa à Monsieur …dans les termes suivants :
« Je me réfère aux nouveaux plans soumis le 13 janvier 2017 ainsi qu’au courrier de votre fille, Mme … du 19 juin 2017 dans le cadre d’une demande d’assainissement d’une maison unifamiliale sise sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de … : section A de …, sous le numéro ….
Dans son courrier du 19 juin 2017, Madame … m’informe que, contrairement à ce qui était convenu lors des réunions du 29 mars 2017 en présence de l’entrepreneur en charge, Monsieur …, et du 28 avril 2017 en présence de votre fille, Madame …, elle souhaite maintenir votre demande initiale qui comprend la création d’un deuxième logement sur le site du « Madame … » moyennant la transformation et l’agrandissement substantiel, voire même de la démolition et nouvelle construction des annexes de la maison d’habitation existante.
Votre projet soumis en janvier 2017 vise non seulement à procéder à une rénovation, voire un « assainissement » tel que dénommé dans votre demande, mais il est prévu de ne 3conserver qu’une partie mineure de la construction existante, la majeure partie de la construction étant en effet destinée à accueillir de nouvelles maçonneries, dalles, toitures et ouvertures lumineuses de sorte qu’elle tend en réalité à pouvoir opérer une transformation par reconstruction majeure dépassant le cadre spécifique d’une rénovation, consistant à mettre à neuf un immeuble vétuste, et que par conséquent l’hypothèse d’une simple rénovation est à écarter.
Conformément aux dispositions des articles 5 et 10 de la loi précitée ainsi que selon une jurisprudence du Tribunal Administratif, confirmée en instance d’appel par la Cour Administrative en matière de modifications extérieures, d’agrandissements ou de reconstructions de constructions existantes en zone verte, l’affectation de l’immeuble concerné doit répondre aux prévisions de l’article 5, alinéa 3, selon lesquelles seules peuvent être érigées des constructions servant à l’exploitation agricole, jardinière, maraîchère, sylvicole, viticole, piscicole, apicole, cynégétique ou à un but d’utilité publique.
Or, les travaux projetés ne s’inscrivent pas dans l’une de ces catégories de construction et ne sont pas autorisables au regard de la législation afférente.
Dès lors, je maintiens ma position antérieure du 21 novembre 2016, et j’ai le regret de vous informer qu’en vertu de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles un agrandissement, voire une démolition et reconstruction de certains volumes bâtis et la création d’un deuxième logement moyennant un changement d’affectation des anciennes annexes agricoles, sans lien direct et fonctionnel avec l’agriculture, ne peut en aucun cas être autorisé.
Seule l’installation d’un ascenseur dans le logement existant sans agrandissement aucun de l’emprise au sol et de la surface construite brute saura être acceptée.
De plus, je tiens à vous rappeler que la levée prétendument « exacte » de la situation initiale figurant aux plans soumis est imprécise, voire même incorrecte, notamment en ce qui concerne la taille des fenêtres et la hauteur des toitures.
Dès lors, je vous invite à revoir vos plans et de me soumettre des plans précis et corrects aussi bien de la situation initiale que de celle envisagée, respectant la législation et les jurisprudences en la matière pour approbation. Sachez que je ne tarderai pas à établir une autorisation et de procéder à une levée de la fermeture de chantier dès réception de ces plans.
[…] ».
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 novembre 2017, Madame …et Madame …, ci-après désignés par « les consorts … », ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre du 25 août 2017 « portant refus d’une demande d’autorisation présentée en date du 13 janvier 2017 ».
A titre liminaire, le tribunal relève que le courrier du ministre du 25 août 2017 comporte deux volets, à savoir, d’une part, un refus d’autoriser les travaux envisagés par les consorts Madame … suivant les plans soumis, et, d’autre part, une information que l’installation d’un ascenseur est susceptible d’être autorisée, une fois que des plans précis et corrects aient été introduits, ce deuxième volet n’étant pas à qualifier de décision susceptible de recours mais de simple déclaration d’intention en attendant l’introduction de plans plus précis.
4 Il s’ensuit que seul le refus d’autorisation suivant les plans soumis, hormis l’installation d’un ascenseur, est susceptible de recours, étant relevé qu’au regard du libellé de la requête introductive d’instance, seul ce refus est déféré.
Suivant un avis du 17 septembre 2018, le tribunal a invité les parties à prendre position par rapport à l’incidence éventuelle de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles modifiant 1° la loi modifiée du 31 mai 1999 portant institution d’un fonds pour la protection de l’environnement ; 2° la loi modifiée du 5 juin 2009 portant création de l’administration de la nature et des forêts ; 3° la loi modifiée du 3 août 2005 concernant le partenariat entre syndicats de communes et l’Etat et la restructuration de la démarche scientifique en matière de protection de la nature et des ressources naturelles, en abrégé « la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles », ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 2018 », ayant abrogé la loi du 19 janvier 2004, la partie étatique et les consorts Madame … ayant chacun déposé un mémoire additionnel à cet effet.
La partie étatique n’a pas pris position sur la question de la nature du recours susceptible d’être introduit en l’espèce à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018, ni quant à la question de savoir si le présent recours est à examiner au regard de la loi du 19 janvier 2004 ou de celle du 18 juillet 2018, mais s’est limitée à prendre position quant au bien-fondé de la décision déférée par rapport à la loi du 18 juillet 2018, tout en déclarant renvoyer à l’ensemble de ses moyens développés dans ses mémoires antérieurs.
Les consorts Madame … n’ont pas pris position sur la nature du recours à exercer à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 et ont examiné le bien-fondé de leur recours au regard de la loi du 18 juillet 2018, en déclarant se rapporter, pour le surplus, aux moyens présentés dans leurs écrits antérieurs.
1. Quant à la nature du recours et quant à la recevabilité Tel que constaé ci-dessus, ni la partie étatique, ni les consorts Madame … n’ont pris position sur la question de la nature du recours susceptible d’être introduit en l’espèce à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018.
Il convient de prime abord de déterminer la nature du recours susceptible d’être introduit en l’espèce, dans la mesure où la loi du 19 janvier 2004, sur base de laquelle la décision litigieuse a été prise et qui était en vigueur au moment du dépôt du recours sous analyse, a été abrogée par la loi du 18 juillet 2018, publiée au Mémorial A le 5 septembre 2018 et entrée en vigueur 3 jours après sa publication à défaut de disposition spéciale de mise en vigueur contraire. En effet, la loi du 19 janvier 2004 prévoyait un recours au fond contre les décisions prises en vertu de cette loi, alors que la loi du 18 juillet 2018 prévoit en son article 68 un recours en annulation contre les décisions prises en vertu de cette loi.
Le tribunal constate encore que par l’article 83 de la loi du 18 juillet 2018, le législateur s’est limité à abroger purement et simplement la loi du 19 janvier 2004 dans son intégralité, sans prévoir de mesures transitoires autres que celles visant les roulottes et les mesures compensatoires, non pertinentes en l’espèce.
5En ce qui concerne les voies de recours à exercer contre une décision prise sur le fondement de la loi du 19 janvier 2004, seule la loi en vigueur au jour où la décision a été prise est applicable pour apprécier la recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre elle, étant donné que l’existence d’une voie de recours est une règle du fond du droit judiciaire, de sorte que les conditions dans lesquelles un recours contentieux peut être introduit devant une juridiction doivent être réglées suivant la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée, en l’absence, comme en l’espèce, de mesures transitoires1. Il s’ensuit que la recevabilité d’un recours contre une décision prise sur le fondement de la loi du 19 janvier 2004 devra être analysée conformément aux dispositions de cette même loi, qui en son article 58 disposait que « Contre les décisions prises en vertu de la présente loi un recours est ouvert devant le tribunal administratif qui statuera comme juge du fond ».
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Le recours principal en réformation est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu d’analyser le recours subsidiaire en annulation.
2. Quant au fond 2.1 Moyens des parties A l’appui de leur recours, les demanderesses exposent de prime abord les faits et rétroactes de l’affaire tels que retranscrits ci-avant, tout en passant en revue l’historique du « …». Elles soulignant que Madame …aurait habité depuis l’année 1978 le …et en aurait assuré l’exploitation agricole. En 1995, la propriété du …aurait été transférée à sa fille, Madame …, alors que ses parents auraient continué à vivre dans la maison. En 2001, Madame … aurait encore procédé à un certain nombre de travaux d’aménagement intérieurs dans la maison en question. Madame … ajoute que depuis 2004, l’état de santé de ses parents se serait dégradé, de sorte qu’elle aurait décidé d’un projet d’aménagement de la maison destiné à rendre l’habitabilité compatible avec la prise en charge de ses parents, son père étant toutefois décédé le 13 octobre 2016, en envisageant plus particulièrement l’installation d’un ascenseur et l’équipement des chambres et salles de bains pour y accueillir des personnes invalides, de même que l’installation d’un nouveau système de chauffage, ces travaux étant réalisés dans la partie postérieure de l’habitation.
En droit, les demanderesses invoquent à l’appui de leur recours les moyens suivants :
- La décision litigieuse serait entachée d’une erreur de base légale, dans la mesure où le ministre se serait référé de façon erronée à l’alinéa 3 de l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004, alors qu’a priori il aurait entendu s’appuyer sur l’alinéa 2 du même article.
- Les demanderesses insistent ensuite sur le caractère légal de l’habitation sur la parcelle «…» et sur le caractère continu de l’existence d’une maison d’habitation, en soulignant que la construction aurait été autorisée selon les dispositions existantes applicables au moment de la construction de l’immeuble, que l’une des constructions édifiées sur le 1 Trib. adm. 5 mai 2010, n° 25919 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 315 et l’autre référence y citée ; Cour adm. 13 décembre 2018, n° 41218C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
6site aurait toujours servi à l’habitation des personnes exploitant l’activité agricole et ceci depuis au moins 1950, que leur famille y aurait résidé depuis que Monsieur et Madame …auraient commencé à y travailler en 1950 et qu’il aurait été logique que la famille ait continué à y habiter même après l’arrêt de l’exploitation agricole, Madame …insistant encore sur sa volonté de finir sa vie dans cette maison au lieu d’être placée dans une maison de soins, en se prévalant plus particulièrement de la loi du 16 mars 2009 relative aux soins palliatifs, à la directive anticipée et à l’accompagnement en fin de vie, prévoyant que les soins puissent être prodigués à domicile. Les demanderesses font, par ailleurs, état d’un vide juridique concernant des constructions en zone verte dépourvues d’affectation adéquate dès lors que l’ancienne affectation ne coïncide plus avec la réalité du fait de l’abandon de l’activité agricole, en concluant qu’à défaut de dispositions législatives spécifiques, il appartiendrait au juge administratif de mettre en balance les dispositions légales afin de sauvegarder les droits de toute partie intéressée et cela dans le respect des normes relatives à la protection de l’environnement, le principe de la protection de l’environnement, le respect de la fin de vie et le respect des personnes à besoins spécifiques et handicapées devant être mis en balance, tout en respectant le principe de proportionnalité.
- Les travaux seraient autorisables au regard des dispositions de la loi du 19 janvier 2004, la décision litigieuse étant le fruit d’une appréciation erronée de l’étendue des pouvoirs du ministre.
Par rapport à ce dernier reproche, les demanderesses invoquent six ordres de griefs, à savoir:
- Elles critiquent les bases légales et jurisprudentielles citées par le ministre, en lui reprochant de s’être contenté de références tout à fait générales sans préciser concrètement les dispositions et jurisprudences visées. En outre, la référence à l’article 5 de la loi du 19 janvier 2004 serait inopérante, puisque le deuxième alinéa de cette disposition ne viserait pas les constructions déjà existantes mais uniquement l’hypothèse de constructions à ériger. S’agissant de la seconde base légale invoquée, à savoir l’article 10 de la loi du 19 janvier 2004, les demanderesses font valoir que ces dispositions ne créeraient aucun principe d’interdiction générale de construction en zone verte, ni ne définiraient-elles les conditions dans lesquelles le ministre est appelé à refuser une autorisation, puisque la prescription habilitante serait limitée à la dernière phrase de l’article 10, fondant le principe de la compétence ministérielle de délivrance d’autorisation.
- Les demanderesses critiquent ensuite l’appréciation faite par le ministre quant à l’envergure de leur projet de construction en soulignant que les travaux envisagés concerneraient uniquement a) la modification de l’inclinaison de la pente du toit par surélévation, destinée à accueillir le local technique de l’ascenseur, b) la création de deux fenêtres sur la façade ouest à l’étage supérieur et c) la rectification de la pente du toit du garage pour la rendre plane. L’appréciation du ministre suivant laquelle il ne serait prévu que de conserver une partie mineure de la construction existante et de remettre à neuf un immeuble vétuste ne correspondrait partant pas la réalité. Les demanderesses critiquent encore le ministre en ce qu’il a retenu un changement d’affectation des anciennes annexes agricoles. A cet égard, elles font valoir que s’agissant de travaux à l’intérieur de la construction, un refus d’autorisation serait dépourvu de base légale puisque l’article 6 ne viserait que l’aspect extérieur de la construction. S’agissant des travaux ayant un impact sur l’aspect intérieur, les compétences du ministre seraient les suivants : a) ordonner la modification de l’aspect 7extérieur de façon à ce qu’il s’harmonise avec le milieu environnement uniquement lorsque la construction existante compromet le caractère d’un site, b) prescrire des mesures appropriées pour remédier à une utilisation de la construction constitutive d’un danger pour la conservation du sol, du sous-sol etc., et c) autoriser pour les constructions existantes en zone verte les modifications extérieures, l’agrandissement et les reconstructions.
Dans le présent cas, la compétence du ministre ne serait assise que sur la dernière phrase de l’article 10, posant un principe d’autorisation préalable pour les constructions existantes en zone verte si les travaux impliquent une modification de l’aspect extérieur, ou un agrandissement ou une reconstruction, les demanderesses reprochant à la loi de ne donner aucune définition de ces termes. Pour le surplus, les demanderesses se réfèrent au projet de loi numéro 7048 ayant donné lieu à la loi du 18 juillet 2018.
- Elles discutent, par ailleurs, les travaux éventuellement acceptés, en l’occurrence l’installation d’un ascenseur.
- Les demanderesses font état de l’absence de servitude environnementale spécifique sur la parcelle « …», le ministre n’ayant pas non plus fait usage de la prérogative lui conférée par l’article 57 de la loi du 19 janvier 2004 lui permettant d’assortir son autorisation de conditions, de sorte que le refus d’autorisation ne serait pas motivé par des considérations relevant de la protection de la nature et des ressources naturelles.
- Elles insistent encore sur le caractère autorisable des travaux projetés sur le fondement des dispositions du règlement des bâtisses de la commune de …, en se prévalant, par ailleurs, de l’article 2 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement du territoire et le développement urbain, ci-après désignée par « la loi du 19 juillet 2004 ».
- La décision litigieuse violerait enfin les dispositions de l’article 16 de la Constitution, Madame … se trouvant dans une situation où les travaux nécessaires de par son état de santé ne seraient pas autorisés, la contraignant de ce fait à quitter son habitation et la privant ainsi de jure et de facto de sa propriété.
Dans sa réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Il souligne que la maison litigieuse n’aurait fait l’objet d’aucune décision du ministre ayant la protection de la nature dans ses attributions autre que celle relevée dans l’exposé des faits et rétroactes ci-avant.
Le délégué du gouvernement affirme encore qu’à l’heure actuelle, il existerait une exploitation agricole au « Madame …» comprenant également une unité d’habitation, ceux-ci correspondant à ce jour à une affectation agricole. Tel ne serait cependant plus le cas du « …» sur lequel il n’existerait plus aucune exploitation agricole, ni Madame …, propriétaire de l’immeuble et employée privée, ni sa mère, âgée de 93 ans et retraitée, n’étant des exploitantes agricoles.
Le délégué du gouvernement insiste ensuite sur la considération que malgré la fermeture du chantier, des travaux illégaux auraient été continués.
En droit, il insiste sur le principe de non-constructibilité en zone verte, en soulignant que seules pourraient être autorisées les constructions dont l’affectation correspond aux activités énumérées à l’article 5, alinéa 2 de la loi du 19 janvier 2004.
8 Après avoir conclu au rejet d’un moyen fondé sur une motivation erronée, il se réfère, s’agissant du sort d’un volume d’habitation ayant fait partie d’une exploitation agricole entre-
temps abandonnée, à la jurisprudence des juridictions administratives à cet égard et plus particulièrement à un arrêt de la Cour administrative du 11 novembre 2008, numéro 23251C du rôle. Or, en l’espèce, il se dégagerait des plans d’architecte de même que des photos que les demanderesses envisageraient la création d’un deuxième logement sur le site « …» moyennant transformation et agrandissement substantiels, voire même la démolition et nouvelle construction des annexes de la maison existante, le délégué se référant plus particulièrement au plan « annexe et volume « grange, étable stockage, atelier » ».
Les travaux projetés consisteraient à transformer en un deuxième logement la partie nord de l’immeuble qui aurait autrefois eu une affectation agricole et aurait servi en tant qu’étable et grange et qui, en raison des transformations antérieures, serait devenue un local technique et utilitaire.
Or, si un changement d’affectation en zone verte ne serait pas interdit comme tel, il ne saurait viser qu’une des affectations limitativement autorisables en zone verte d’après la législation en vigueur, le délégué du gouvernement se référant encore à un jugement du tribunal administratif du 18 janvier 2016, numéro 35802 du rôle. Dans la mesure où le changement d’affectation en surfaces habitables, tel que prévu par les demanderesses, ne serait pas conforme à l’article 5, alinéa 2, de la loi du 19 janvier 2004, il ne serait pas autorisable. Il se dégagerait, en outre, des photos que l’ancienne annexe adossée au volume dénommé « grange/étable/stockage/atelier » aurait quasi entièrement été détruite et reconstruite, qu’il serait prévu de faire couronner cette construction par une terrasse respectivement un balcon et que les demanderesses entendraient augmenter le volume bâti dénommé « grange/étable/stockage/atelier » en soulevant le toit non simplement pour y installer un ascenseur, mais en plus pour y créer une pièce de séjour avec des larges baies vitrées. Si la jurisprudence admettait que les travaux visant la simple restauration ne pourraient être regardés comme des travaux de construction ou de reconstruction et ne tomberaient partant pas sous l’interdiction de construction prévue à l’article 5, alinéa 2 de la loi du 19 janvier 2004, tel ne serait pas le cas pour les travaux planifiés en l’espèce dépassant, d’après le délégué du gouvernement, largement le cadre spécifique d’une rénovation, qui consisterait à remettre à neuf un immeuble vétuste. L’hypothèse d’une simple rénovation serait partant à écarter.
Le délégué du gouvernement donne encore à considérer que l’Etat ne s’opposerait pas à une transformation permettant à une personne à mobilité réduite de résider dans l’unité d’habitation existante aussi longtemps que possible à condition que cette transformation se fasse dans la partie existante de la construction servant déjà à l’habitation, tout en soulignant que les dimensions de la construction existante en l’espèce devraient largement le permettre.
Il ajoute que si un ascenseur est prévu suivant les plans afin de permettre à Madame … de passer un maximum de temps dans sa maison d’habitation, la maison ne serait, par ailleurs, pas adaptée aux besoins de personnes à mobilité réduite, le délégué du gouvernement se référant à la largeur des portes et des couloirs ne permettant pas un déplacement en chaise roulante. S’y ajouterait que l’ascenseur ne s’ouvrirait que sur le côté de l’unité d’habitation existante, ledit ascenseur ne justifiant, par ailleurs, en rien la nouvelle création d’un logement supplémentaire dans le volume dénommé « grange/étable/stockage/atelier » destiné à servir à Madame …. Il souligne que si sur le côté Est du volume bâti, les travaux dans la toiture se seraient limités strictement à l’installation de l’ascenseur, du côté Ouest, les travaux 9comprendraient un rehaussement substantiel de la toiture, la modification de la pente de celle-
ci et l’insertion de grandes baies vitrées.
Le délégué du gouvernement conclut qu’en l’espèce le ministre n’aurait pas eu d’autres options que de refuser l’autorisation sollicitée comme la conformité du projet à l’affectation de la zone verte ne serait pas vérifiée, de sorte que l’examen de l’impact environnemental ne se poserait pas.
Pour le surplus, le délégué du gouvernement conclut au rejet des moyens tels que présentés par les parties demanderesses.
2.2 Quant à la loi par rapport à laquelle le présent litige sera examiné :
Dans leurs mémoires additionnels respectifs, ni la partie étatique, ni les consorts Madame … n’ont pris position sur la question de savoir si le présent recours est à examiner au regard de la loi du 19 janvier 2004 ou de celle du 18 juillet 2018, mais se sont limités à prendre position quant bien-fondé de la décision déférée par rapport à la loi du 18 juillet 2018, tout en déclarant renvoyer à l’ensemble de leurs moyens développés dans leurs écrits antérieurs.
Il convient de prime abord au tribunal de déterminer la loi applicable à l’examen du bien-fondé de la décision litigieuse.
A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d'une décision administrative s'apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise2, dans le cadre d'un recours en réformation, le tribunal est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse3.
Il s’ensuit qu’en l’espèce, le tribunal, saisi d’un recours en réformation, sera amené à examiner le bien-fondé de la décision déférée au regard de la loi du 18 juillet 2018, en vigueur au moment où il statue4.
Ces considérations amènent le tribunal aux constats suivants :
D’une part, l’application de la loi du 18 juillet 2018 au procès en cours implique que seuls les moyens tels que présentés par les demanderesses au regard des motifs de refus avancés par la partie étatique fondés sur les dispositions de la loi du 18 juillet 2018 sont susceptibles d’être pertinents, l’examen de ceux présentés par rapport à l’ancienne loi, abrogée, devenant ainsi nécessairement surabondant, l’appréciation à opérer par le tribunal consistant, en effet, à déterminer si les travaux pour lesquelles une autorisation est sollicitée sont susceptibles d’être autorisées sur base de la nouvelle loi du 18 juillet 2018, applicable au jour où il statue, et cela compte tenu des motifs de refus opposés par la partie étatique par rapport à cette même loi, -
les références jusqu’à présent faites par rapport à la loi du 19 janvier 2004 ayant perdu leur pertinence-, ensemble les moyens avancés par les demanderesses à cet égard.
2 Trib. adm. , 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n° 20 et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en reformation, n° 18 et l’autre référence y citée.
4 Cf. Cour adm.13 décembre 2018, n° 41218C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
10 D’autre part, l’absence de dispositions transitoires figurant dans la loi du 18 juillet 2018, ainsi que les effets des mécanismes propres au recours en réformation conduisent le tribunal à appliquer la nouvelle loi à un procès en cours dont l’instruction a été menée sous l’égide de l’ancienne loi du 19 janvier 2004 et qui porte sur une décision ayant été prise sur base de cette même loi, de sorte qu’à ce stade, aucun débat utile n’a pu être mené par rapport à la loi du 18 juillet 2018.
Au regard de ces considérations et afin de préserver à l’administré le respect de ses droits de la défense et, de manière générale, son droit à un procès équitable et de lui permettre ainsi de prendre position en connaissance de cause par rapport à une décision dont le bien-
fondé sera apprécié par le tribunal par rapport à des dispositions légales non encore en vigueur au moment où il a introduit son recours, le tribunal estime qu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de rouvrir les débats et de permettre aux parties de produire chacune un mémoire additionnel qui sera considéré comme mémoire récapitulatif de l’ensemble des arguments et moyens que les parties entendent invoquer dans la présente affaire à la lumière de la loi du 18 juillet 2018, étant relevé que tout moyen ou motif non expressément mentionné dans le mémoire récapitulatif mais contenu dans les écrits antérieurs sera considéré comme abandonné.
L’Etat est ainsi invité à produire un mémoire récapitulatif de l’ensemble des motifs et arguments, trouvant leur fondement dans la loi du 18 juillet 2018, qu’il entend invoquer en défense de la décision déférée, respectivement opposer au recours.
Les demanderesses sont à leur tour invitées à déposer un mémoire récapitulatif de l’ensemble des moyens qu’elles entendent continuer à invoquer à l’appui de leur recours en prenant position uniquement par rapport aux moyens et motifs qui leur sont opposés sur le fondement de la loi du 18 juillet 2018.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
dit que le présent recours est à examiner par rapport aux dispositions de la loi du 18 juillet 2018 ;
avant tout autre progrès en cause, autorise les parties à déposer chacune un mémoire récapitulatif conformément à la motivation du présent jugement ;
fixe le délai pour l’Etat pour déposer son mémoire récapitulatif au 6 mars 2019, sous peine de forclusion ;
fixe le délai pour Maître Pierre Goerens pour déposer son mémoire récapitulatif au 22 avril 2019, sous peine de forclusion ;
11fixe l’affaire pour continuation des débats à l’audience publique de la 1re chambre du 15 mai 2019, 15.00 heures ;
réserve frais de même que la demande en paiement d’une indemnité de procédure formulée par les demanderesses ;
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 janvier 2019 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
Schmit Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29.1.2019 Le greffier du tribunal administratif 12