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22/01/2019 | LUXEMBOURG | N°40867

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 janvier 2019, 40867


Tribunal administratif N° 40867 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mars 2018 4e chambre Audience publique du 22 janvier 2019 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40867 du rôle et déposée le 7 mars 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc Thewes, avocat à la Cour, inscrit au ta

bleau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1) Monsieur … et Madame …, demeurant ...

Tribunal administratif N° 40867 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mars 2018 4e chambre Audience publique du 22 janvier 2019 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40867 du rôle et déposée le 7 mars 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc Thewes, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de 1) Monsieur … et Madame …, demeurant ensemble à L-… ;

2) Monsieur … et Madame …, demeurant ensemble à L-… ;

tendant à la réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 7 décembre 2017, inscrite sous le n° C 23165 du rôle ayant déclaré non fondée leur réclamation en ce qu’elle était dirigée contre :

1) le bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés dénommée …-… & …-… de l’année 2013 du 16 novembre 2016 2) le bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés dénommée …-… & …-… de l’année 2014 du 16 novembre 2016 3) le bulletin d’établissement des revenus d’entreprises collectives et de copropriétés dénommée …-… & …-… de l’année 2015 du 16 novembre 2016 Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marc Thewes en sa plaidoirie.

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Par un courrier du 25 octobre 2016 et en application du paragraphe 205, alinéa 3 de la loi générale d’impôt, dite Abgabenordnung, en abrégé « AO », le bureau d'imposition de Capellen, dénommé ci-après « le bureau d’imposition », informa Monsieur …, en tant que représentant des copropriétés « … » et « …-… & …-… » (n° de dossiers 1602 7925 522 et 1602 7960 441), que l'imposition pour les années 2013 à 2015 allait diverger des déclarations aux motifs suivants :

« (…) La mise à disposition à loyer réduit des habitations situées à …, … et …, est à interpréter dans le sens d'une mise à disposition gratuite par le propriétaire avec participation aux frais par l'occupant. En effet, il n'est pas d'usage entre tiers de convenir un loyer réduit pour des raisons personnelles, sans tenir compte de la valeur de l'immeuble, de sa situation et de son rendement possible. Il en résulte, suivant art. 98 LIR, que le propriétaire est imposé du chef de la valeur locative comme s'il occupait personnellement ces habitations. (…) ».

Le même courrier informa Monsieur … de son droit de formuler ses observations par écrit jusqu’au 8 novembre 2016, ce que ce dernier fit par un courrier daté du 29 octobre 2016.

Malgré cette prise de position, le bureau d'imposition émit, en date du 16 novembre 2016, les bulletins d'établissement des revenus d’entreprises collectives des années 2013 à 2015 pour les deux copropriétés respectives relevant, à chaque fois, un revenu locatif de « 0, 00 » euros avec comme remarques générales : « Mise à disposition gratuite svt notre lettre AO du 25 octobre 2016 ».

En date du 30 novembre 2016, le bureau d'imposition émit encore le bulletin d’impôt sur les revenus des époux … et … pour l’année 2013. Les bulletins d’impôt sur leur revenu des années 2014 et 2015 furent émis en date du 15 février 2017.

Une réclamation fut dirigée par les époux …-… contre les différents bulletins d'établissement des revenus d’entreprises collectives des années 2013 à 2015 pour les deux copropriétés litigieuses, ainsi que contre le bulletin d’impôt sur leurs revenus de l’année 2013 émis le 30 novembre 2016, en date du 10 février 2017, réceptionnée en date du 13 février 2017.

Une deuxième réclamation fut introduite en date du 1er mars 2017 contre les bulletins d’impôt sur le revenu des époux …-… des années 2014 et 2015, émis en date du 15 février 2017.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 octobre 2017, les époux …-

…, Monsieur … et Madame …, ainsi que Monsieur … et Madame …, dénommés ci-après « les consorts … », ont fait introduire un recours tendant à la réformation des bulletins sur le revenu des époux …-… des années 2013 à 2015, des bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives de la copropriété dénommée « … » des années 2013 à 2015, ainsi que des bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives de la copropriété dénommée « …-… & …-… » des années 2013 à 2015.

En date du 7 décembre 2017, le directeur de l’administration des Contributions directes, dénommé ci-après « le directeur », a rendu une décision, répertoriée sous le numéro C 23165, relative à la réclamation précitée des époux …-… du 13 février 2017, réformant les bulletins visés in pejus en établissant « le revenu net provenant de la location en commun pour les années 2013, 2014 et 2015 » à la somme de … euros, répartie à raison de … euros dans le chef des époux … … et de … euros dans le chef de Monsieur … et Madame …. Cette décision est motivée comme suit :

« (…) Vu la requête introduite le 13 févier 2017 par Maître Marc Thewes, au nom des époux, le sieur … et la dame …, ainsi qu'au nom des époux, le sieur … et la dame …, pour réclamer contre les bulletins de l'établissement en commun des revenus d'entreprises collectives et de copropriétés de la copropriété « …-… & …-… » des années 2013, 2014 et 2015, tous émis le 16 novembre 2016 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 107, 228, 238, 254 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que si l'introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n'est incompatible, en l'espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d'examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu'il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes ;

Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu'elles sont partant recevables ;

Considérant que les réclamants font grief au bureau d'imposition de ne pas avoir pris en compte la perte de location en relation avec l'immeuble sis à …, … ;

Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens des réclamants, la loi d'impôt étant d'ordre public ; qu'à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-fondé ;

qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique ;

Considérant que suivant acte de vente du 6 juillet 2012, les réclamants sont devenus, respectivement à raison d'une quote-part de … pour cent (époux …-…), respectivement à raison d'une quote-part de … pour cent (époux …-…), propriétaires de l'immeuble litigieux ;

que depuis le 6 juillet 2012, les époux …-… louent leur quote-part aux époux …-… (la fille des époux …-…) pour un loyer mensuel de … euros ;

Considérant que les réclamants ont également déclaré pour les années litigieuses des frais d'obtention en relation avec cette maison ; que le bureau d'imposition a refusé la déduction de ces frais, du fait que l'occupation de l'immeuble serait à considérer comme une mise à disposition à titre gratuit ;

Considérant qu'en l'espèce, il y a d'abord lieu d'examiner, si le loyer annuel s'élevant à (… x 12 i.e.) … euros est à considérer comme loyer approprié tel qu'il se ferait entre tiers ;

Considérant qu'il n'est pas d'usage entre tiers de convenir d'un loyer réduit pour des raisons personnelles, sans tenir compte de la valeur de l'immeuble, de sa situation et de son rendement possible ;

Considérant qu'aux termes de l'article 98, alinéa 1er, n° 1 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.), est considéré comme revenu provenant de la location de biens le revenu provenant de la location et de l'affermage de biens meubles ou immeubles, pour autant que ce revenu n'est pas à classer aux numéros 2 et 3 ; qu'il faut néanmoins, que le contribuable ait une intention sérieuse de s'enrichir et de gagner de l'argent moyennant cette source de revenu ;

Considérant que la loi du 27 août 1987 portant réforme de la législation sur les baux à loyer a été remplacée par la loi du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d'habitation et modifiant certaines dispositions du Code civil ; que l'ancienne loi avait retenu que « le taux de l'intérêt normal devant servir de base pour le calcul du loyer des immeubles à usage d'habitation dont la construction a été achevée après le 10 septembre 1944 est fixé à 5% l’an » ; que « sont compris dans ce taux les frais d'entretien et autres qui sont à charge du propriétaire » ; que cette formulation a été remplacée par l'article 3, alinéa 1er de la nouvelle loi aux termes duquel « la location d'un logement à usage d'habitation ne peut rapporter au bailleur un revenu annuel dépassant un taux de 5 % du capital investi dans le logement » ;

Considérant, à titre purement indicatif, que, contrairement aux dispositions du Code civil qui sont supplétives, la nouvelle loi spéciale est impérative et d'ordre public ; que par conséquent, les dispositions de la loi de 2006 priment les dispositions générales contenues dans le Code civil (ainsi, par exemple, l'article 12 sur la prorogation légale du bail prime l'article 1738 du Code civil sur l'expiration du bail) ; qu'on peut noter qu'un des principes introduits par la loi du 14 février 1955 en matière de baux à loyer, à savoir la fixation du loyer des logements en fonction du capital investi, est maintenu dans la nouvelle loi ;

Considérant qu'aux termes des articles 25 et 26 L.I.R., le prix d'acquisition d'un bien se compose de l'ensemble des dépenses nécessaires pour mettre le bien dans son état au moment de l'évaluation et que le prix de revient englobe toutes les dépenses assumées en raison de la fabrication du bien envisagé ;

Considérant qu'en l'espèce le prix de revient de la maison entière se détermine comme suit :

Prix d'acquisition … euros Frais d'enregistrement et frais de transcription … euros Frais d'investissement (2013-2015) … euros Prix de revient … euros Considérant que même en ne tenant pas compte des frais pour les investissements achevés en 2015, le prix de revient total de la maison de … euros, correspondant à un loyer de (… x 5% i.e.) … euros par an pour l'immeuble entier et … euros pour … pour cent de la maison ; que le montant de … euros, réclamé aux locataires par année reste largement en dessous, non seulement du montant que les réclamants étaient légalement en droit d'exiger, mais encore du montant d'usage entre tiers pour un objet similaire, même compte tenu d'une certaine réduction du loyer concédée par le bailleur au preneur du bail pour des motifs familiaux ;

Considérant qu'en outre, une comparaison des prix du marché concernant la location d'immeubles similaires à …, a également révélé que le loyer litigieux est à considérer comme fortement sous-évalué ;

Considérant que dès lors l'activité de « location » était fondée plutôt sur la volonté de mettre à disposition de la fille des requérants une habitation moyennant participation aux frais que sur celle de gagner de l'argent ;

Considérant que, si un contrat de bail, tel qu'en l'espèce, est à écarter du point de vue fiscal comme un contrat n'étant pas d'usage entre tiers, il s'ensuit que le loyer réduit est à interpréter dans le sens d'une mise à disposition gratuite par le propriétaire avec participation aux frais par les occupants ;

Considérant que le revenu de location est dès lors à déterminer comme si le propriétaire disposait lui-même de l'immeuble (article 12, alinéa 2 L.I.R.) ; que de ce fait la valeur locative forfaitaire (article 96, alinéa 2 et 3 L.I.R. ; article 98, alinéa 1er, n° 5 L.I.R.) devient imposable à raison de … pour cent dans le chef des époux …-… et à raison de … pour cent dans le chef des époux …-…, qui occupent la totalité de l'immeuble en tant que résidence principale depuis le 9 juillet 2012 ; qu'en vertu des dispositions de l'article 4 du règlement grand-ducal du 12 juillet 1968, la valeur locative forfaitaire est fixée, en l'espèce, à (… (valeur unitaire) x 4% i.e.) … euros pour les années litigieuses ; qu'il résulte de ce qui précède, que les frais d'obtention en relation économique avec l'immeuble en question ne sont pas déductibles en ce qui concerne les années litigieuses, cet immeuble étant à considérer en outre, eu égard que les époux …-… disposent également à titre de propriétaires d'une résidence principale, de résidence secondaire ; qu'en ce qui concerne les résidences secondaires, il importe de noter que l'article 4, alinéa 5 du règlement grand-ducal du 12 juillet 1968 dispose que les intérêts passifs et les arrérages de rentes viagères, ne sont pas déductibles, lorsqu'ils sont en rapport économique avec une résidence secondaire ;

Considérant que pour le surplus, les établissements en commun sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d'ailleurs pas autrement contestés ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2018, les époux …-…, ainsi que Monsieur … et Madame …, dénommés ci-après « les consorts … », ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision directoriale précitée du 7 décembre 2007.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 131 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après désignée par « AO », et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur portant rejet d’une réclamation dirigée contre des bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives.

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation dirigé contre la décision directoriale précitée du 7 décembre 2017, recours qui est encore recevable pour avoir été introduit, dans les formes et délai de la loi.

Il y a d’abord lieu de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg n’a pas fourni de mémoire en réponse en cause dans le délai légal, bien que la requête introductive ait été valablement notifiée par la voie du greffe au délégué du gouvernement en date du 7 mars 2018. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, même si la partie défenderesse n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.

A l’appui de leur recours et en fait, les consorts … expliquent qu’entre 2011 et 2012, ils auraient procédé, de manière indivise, à l'acquisition de deux immeubles à …, sis respectivement au … et …, et dont la quotepart des époux … … s’élèverait à 2/3 pour la maison au … et à …% pour la maison au ….

Ils font valoir que lors de l'acquisition de ces biens, l’administration des Contributions directes, en la personne de Messieurs … et …, aurait approuvé la possibilité de procéder à la mise en location de la partie de l'immeuble détenue par les époux …-… aux autres copropriétaires respectifs de ces immeubles, à savoir leurs enfants et les partenaires de ces derniers, en ce que la qualité de membres de la famille n'enlèverait aucunement « la matérialité du contrat de bail ».

Ainsi, après avoir procédé à la résiliation du précédent bail conclu le 7 août 2009 pour l'immeuble sis au … pour un loyer mensuel de …,- euros, les époux …-… auraient loué, à partir du 1er décembre 2012 à Monsieur … et son épouse, Madame …, détenant 1/3 de ladite maison, les 2/3 restant de la maison pour un montant mensuel de …,- euros.

De la même manière, les époux …-… auraient loué, par contrat de bail du 6 juillet 2012, les … % qu'ils détiennent dans l'immeuble sis au … à Monsieur … et sa partenaire, Madame …, détenant les … % restant, pour un loyer mensuel de …,- euros.

Après avoir eu, entre 2012 et 2015, un certain nombre d'échanges avec l'administration des Contributions directes quant à la division de l'immeuble, ou quant au calcul de la base d'amortissement de la valeur de construction et des frais de rénovation ou quant à l'imputabilité de la TVA sur ces factures, les époux …-… auraient déposé toutes les déclarations pour les années 2011 à 2014 conformément aux instructions et aux recommandations reçues, ce qui aurait d’ailleurs eu comme conséquence l'acceptation par le bureau d'imposition des déclarations pour les années 2011 et 2012 en application de l'article 98, paragraphe (1), point 1, de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, dénommée ci-après « LIR ».

Or, en date du 18 avril 2016, lors de la remise en mains propres des déclarations pour l'année 2015, deux personnes travaillant pour l'administration des Contributions directes, à savoir Mesdames … et …, auraient indiqué à Monsieur … que les frais relatifs aux immeubles d’… seraient élevés et qu'il conviendrait de procéder à la vérification de l'adéquation des loyers pratiqués, de sorte que ce dernier aurait, par courrier du même jour, transmis à l’administration des Contributions directes des explications devant justifier la justesse des loyers convenus, preuves de paiement à l’appui. Par un courrier complémentaire du 9 mai 2016, Monsieur … aurait encore détaillé le rendement locatif des deux immeubles d'… en apportant des clarifications sur le choix des investissements opéré en application de la loi modifiée du 30 juillet 2002 déterminant différentes mesures fiscales destinées à encourager la mise sur le marché et l'acquisition de terrains à bâtir et d'immeubles d'habitation.

Les consorts … rappellent ensuite les rétroactes de l’affaire résumés ci-avant.

En droit, les demandeurs estiment que le bureau d'imposition aurait procédé à une appréciation incorrecte de leur situation par rapport à l'article 98, paragraphe (1), point 1. LIR, en ce qu’il a été décidé que la location des parties d’immeubles litigieux devrait être assimilée à une occupation personnelle au motif que le montant des loyers ne correspondrait pas à ce qui serait d'usage entre tiers, ce qui s'expliquerait de par la qualité de membres de famille des locataires, en l’occurrence le couple … et Madame ….

Or, les demandeurs font plaider que le montant du loyer convenu devrait s'apprécier par rapport à l'ensemble des circonstances permettant de dégager la réalité économique de la convention, et ce conformément à la jurisprudence de la Cour administrative qui aurait retenu que si le niveau du loyer convenu entre parties peut certes constituer un élément d'appréciation dans l'analyse de la réalité économique de l'opération pour autant qu'il se situe en-dessous du plafond légal admissible, il ne constituerait néanmoins pas le seul élément à prendre en considération.

En l’espèce, la réalité et l'adéquation économique de la location devrait s'analyser en prenant en compte non seulement du niveau du marché immobilier dans le secteur d’…, mais également la circonstance que les loyers seraient fixés en raison du prorata du pourcentage de détention de l'immeuble par les copropriétaires respectifs et la diminution temporaire des loyers en raison des travaux de rénovation en cours.

Ainsi, en ce qui concerne le niveau du marché immobilier dans le secteur d’…, les demandeurs affirment qu’une recherche sur le site Internet www.athome.lu réalisée le 7 février 2017 permettrait de dégager que le montant des loyers des maisons du même gabarit sur le secteur de … - …- … - … - … serait d'une moyenne d'approximativement …,-€.

Dans ce contexte, ils soulignent qu'après la fin des travaux de transformation, les loyers demandés pour les deux maisons, par extrapolation à une location à 100% des copropriétés, seraient supérieurs à la moyenne susmentionnée, à savoir …,- euros pour celle sise au ….

Il ressortirait encore de la prise en compte des données sur le loyer moyen au m2 disponibles sur le site Internet de l'Observatoire de l'Habitat, qu’avec un loyer moyen de 13,06 euros par m2 au 21 janvier 2017, le loyer s’élèverait à … € pour la maison sise au … (170 m2 habitable), ce qui serait inférieur au loyer demandé, par extrapolation à une location à 100%, après la fin des travaux de transformation.

En effet, les demandeurs insistent, dans ce contexte, sur la circonstance suivant laquelle le loyer aurait été calculé au prorata du pourcentage de détention de l'immeuble par les époux …-… qui ne résideraient pas personnellement dans les immeubles loués. La parfaite illustration de cette situation se trouverait dans le constat selon lequel loyer facturé aurait été purement et simplement repris du contrat de bail convenu avec les précédents locataires de la maison, sise à …, …, dont le montant aurait uniquement été réduit pour prendre en compte le fait que les époux …-… ne détiendraient que …% de l’immeuble litigieux.

D’après les demandeurs, il faudrait également prendre en considération les augmentations de loyers convenues avec les locataires pour les années 2017 et suivantes, augmentations qui auraient été prévues dès la conclusion du contrat de bail, et tel que reporté d'un an, pour le bail conclu pour l'immeuble sis …, selon avenant du 20 septembre 2016.

Les demandeurs précisent encore à cet égard qu’en raison des nombreux travaux durant les années litigieuses, une adaptation des loyers aurait été nécessaire afin de prendre en considération les incommodités constantes subies par les locataires au cours de la phase des travaux de rénovation et de transformation, de sorte que les époux …-… auraient décidé de baser le montant des loyers sur le capital investi à l'achat non pas au taux de 5 %, mais à un « taux honnête ».

Ainsi, il résulterait de la lecture de l'article 6 du contrat de bail relatif à l’immeuble litigieux qu’« [e]n accord avec l'article 3(2) de la loi du 21 septembre 2006 sur le bail d'habitation et des dispositions du Code civil régissant le bail à loyer, le loyer annuel portant sur les premières 4 années de loyer à verser se base sur le capital investi à l'achat (bâtiment plus terrain) à un taux honnête. Cette disposition a pour but de considérer les incommodités constantes à subir par le Locataire au cours de la phase des travaux de rénovation et de transformation de l'immeuble, période pendant laquelle le Locataire occupe les lieux. » Au vu de ces considérations, les demandeurs estiment que la seule considération relative au lien de parenté existant entre les bailleurs et les locataires ne permettrait pas de remettre utilement en cause le caractère économique de la relation impliquant que les revenus qui sont perçus devaient être pris en compte dans le cadre de l'imposition, conformément à l'article 98, paragraphe (1), point 1, LIR, relevant que la jurisprudence retiendrait que seuls les loyers fictifs ou les loyers qui se révèlent être manifestement en dessous du rendement possible seraient à exclure d'une prise en considération comme recettes provenant d’une location et ce, à condition que cette interprétation économique se dégage des indices concrets et concordants du dossier soumis, alors que l'autonomie du droit fiscal ne pourrait pas aller jusqu'à priver d'effet des dispositions claires et précises d'autres branches du droit, telles que notamment l'institution d'un plafond légal pour la fixation d'un loyer ou le principe de la liberté contractuelle consacrée par l'article 1134 du Code civil.

Ainsi, même si le niveau de rendement ne permettrait de réaliser des recettes qu'à partir de l'année 2021, pour l'immeuble sis au …, l'opération immobilière devrait être considérée, dans son ensemble, comme ayant été effectuée dans un but de réaliser des recettes.

Les demandeurs font plaider que la partie gouvernementale ne saurait conclure au caractère fictif du revenu sur base de la seule comparaison du montant des loyers litigieux avec le loyer maximal autorisé au sens de l'article 3, alinéa 1er de la loi du 21 septembre 2006, à savoir 5% du capital investi dans le logement, sans tenir compte des circonstances de nature à dégager la réalité économique de l'opération sous-jacente. Ils se réfèrent, à ce sujet, à une jurisprudence de la Cour administrative qui aurait rappelé que le niveau du loyer entre parties, pour autant qu'il se situe en-dessous du plafond légal admissible, ne constituerait pas le seul élément à prendre en considération pour dégager la réalité économique de l'opération sous-

jacente à l'usage de certaines formes juridiques.

De plus, les demandeurs font relever que la partie gouvernementale ne verserait aucune pièce à l’appui de son affirmation selon laquelle « une comparaison des prix du marché concernant la location d'immeubles similaires à …, a[urait] également révélé que le loyer litigieux est à considérer comme fortement sous-évalué ».

Les demandeurs soulignent encore que les époux …-… auraient perçu à titre de loyer un montant mensuel de …,- euros et que les augmentations des loyers à partir des années 2017 et suivantes auraient été convenues dès la conclusion du bail d'habitation avec les locataires afin notamment de respecter le montant du coût des transformations en faisant entrer ces derniers dans le capital investi, de sorte qu’il ne saurait être contesté que les époux …-… auraient bien une intention sérieuse de s'enrichir.

Ils citent ensuite la doctrine luxembourgeoise suivant laquelle l’on ne saurait simplement analyser ex post les résultats économiques des activités de location entreprises par le contribuable, alors que ce qui compterait, ce serait son désir de gagner de l'argent au moyen de la location.

En ce qui concerne la fixation du loyer à raison de 5 % du capital investi, les demandeurs relèvent que la détermination même du capital investi ne serait réglée par la loi qu’à défaut d’accord entre parties.

Or, il ne se dégagerait d'aucun élément d'appréciation que les loyers convenus en l’espèce ne correspondraient pas à ce qui serait d'usage entre tiers, les demandeurs se référant, à ce titre, au principe de la liberté contractuelle évoqué dans leur requête introductive d’instance.

Dès lors, la considération exclusive par la partie gouvernementale du plafond légal de 5 % du capital investi, sans tenir compte de toutes les circonstances de nature à dégager la réalité économique de l'opération sous-jacente, ne permettrait pas de remettre utilement en cause le caractère économique de la relation contractuelle de location effective se dégageant des éléments de fait et de droit.

Il s’ensuivrait que les revenus réalisés par les époux …-… devraient être qualifiés de revenus de location de biens au sens de l'article 98, paragraphe (1), point 1 LIR, de sorte que les frais d'obtention en relation économique avec les parties des immeubles en question devraient être déclarés déductibles en ce qui concerne les années litigieuses.

Force est d’abord de relever que l’article 98 paragraphe (1) LIR définit et délimite cinq catégories de revenus de location de biens qui, fiscalement, déclenchent un revenu taxable et parmi lesquelles figurent :

• au point 1., une source de revenus effective provenant de « la location et de l’affermage de biens meubles ou immeubles, pour autant que ce revenu n’est pas à classer aux numéros 2 [concessions de droits d’exploitation ou d’extraction de substances minérales ou fossiles] et 3 [redevances payées pour l’usage ou la concession de l’usage, de droits d’auteur, de brevets etc.] ci-après », et • au point 5., une source de revenus fictive constituée par « la valeur locative de l’habitation occupée par le propriétaire, y compris celle de dépendances ».

Le litige sous examen soulève la question de savoir si les revenus que les époux …-… ont perçus durant les années d’imposition litigieuses au titre de la mise en location de leur quote-part dans la maison sise à …, …, rentrent dans les prévisions du point 1 de l’article 98 (1) LIR ou s’il faut qualifier la relation contractuelle litigieuse de simple mise à disposition gratuite, engendrant une taxation forfaitaire suivant le point 5 de l’article 98 (1) LIR et impliquant dès lors que les frais d’obtention y relatifs, hormis les intérêts débiteurs, ne seraient pas déductibles.

Il est admis qu’un contrat de bail à loyer conclu en conformité avec les dispositions applicables du droit civil dégage une apparence juridique susceptible de soutenir la réalité du contrat à l’appui d’une qualification des revenus afférents comme revenus de location au sens de l’article 98 (1) 1. LIR1.

D’autre part, le droit fiscal, en général, ne se limite pas à considérer et à qualifier fiscalement les apparences créées par les formes juridiques, notamment de droit civil, utilisées pour une opération déterminée, mais il tend à aller au-delà de ces qualifications et à rechercher et à dégager la réalité économique, c’est-à-dire il permet le renversement des apparences juridiques et une requalification fiscale de l’opération concernée et, en particulier, il implique qu’il importe aussi d’avoir égard à la formation et à l’exécution des concepts juridiques employés, qui doivent correspondre à ce qui est d’usage entre tiers.

Si le principe de l’interprétation économique s’oppose plus particulièrement à ce que des loyers fictifs ou des loyers qui se révèlent être manifestement en-dessous du rendement possible soient fiscalement reconnus comme des recettes, il est néanmoins nécessaire que des indices concrets et concordants se dégagent des éléments d’appréciation soumis en cause2.

Il a été jugé que si le niveau du loyer convenu entre parties peut constituer un élément d’appréciation dans l’analyse de la réalité économique de l’opération pour autant qu’il se situe en-dessous du plafond légal admissible, il ne constitue néanmoins pas le seul élément à prendre en considération et il y a lieu de tenir compte de toutes les circonstances de nature à dégager la réalité économique de l’opération sous-jacente à l’usage de certaines formes juridiques, en l’occurrence celle d’un contrat de bail3.

Force est au tribunal de constater que les époux …-… ont perçu au cours des années d’imposition litigieuses un loyer mensuel de …,- euros conformément aux termes du contrat de bail conclu le 6 juillet 2012 avec le couple … et … pour la location de leur quote-part dans la maison sise à …, …, correspondant à … %.

Il ressort encore des explications des consorts …, ensemble les pièces versées au débat que ce loyer est aligné sur le montant du loyer antérieurement perçu pour l’immeuble sis à …, … aux termes d’un contrat de bail conclu trois ans auparavant. Il ressort également du contrat de bail litigieux que pour les quatre premières années, le loyer est stipulé réduit en raison des inconvénients des travaux de rénovation et qu’une augmentation du loyer est prévue à partir du mois d’août 2017 en fonction des frais de rénovation investis par les époux …-…, ce qui, d’après la documentation fournie par les consorts …4, a abouti à la fixation d’un loyer mensuel définitif de …,- euros pour la quote-part des … % appartenant aux époux …-….

Il échet d’abord de relever que la fixation du revenu annuel d’un bailleur à un taux de 5 % du capital investi dans le logement, telle que prévue par l’article 3, paragraphe (1) de la loi du 21 septembre 2006 invoqué par la partie gouvernementale, est expressément définie comme constituant le maximum autorisé, cette disposition dérogeant à l’autonomie de la volonté des parties dans le seul but de protéger les locataires louant un bien immobilier aux fins d’y établir leur résidence principale.

1 Cour adm. 18 novembre 2008, n° 24712C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Impôts n° 787 et l’autre référence y citée.

2 ibidem 3 Cour adm. 9 mars 2010, n° 26350C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Impôts n° 254 et les autres références y citées.

4 Pièce n° 17 des consorts Bastian.

Il s’ensuit que rien n’empêche un bailleur à réclamer un loyer moindre que celui correspondant à la limite maximale fixée, en application de la liberté contractuelle à laquelle il est d’ailleurs expressément fait référence au 2ième paragraphe du même article 3.

Eu égard aux explications concordantes des consorts …, ensemble les pièces versées par eux, notamment en ce qui concerne le caractère exagéré du taux de 5 % au regard de la situation actuelle caractérisée par des prix de l’immobilier surévalués et par de faibles taux intérêts bancaires sur l’épargne, force est de retenir que le loyer litigieux n’est pas à considérer comme étant manifestement trop bas, étant encore relevé que le loyer initial réduit de …,-

euros est aligné sur le prix du bail antérieur relatif à l’immeuble sis à …, … (…,- euros pour l’immeuble entier) tel qu’il existait au moment de l’achat du bien en question, que le montant initial est expressément motivé par les dérangements provoqués par les travaux de rénovation prévus aux cours des quatre premières années du bail, en application de l’article 1724, alinéa 2 du Code civil, justifiant une diminution du prix du bail « à proportion du temps et de la partie de la chose louée dont [le locataire] aura été privé », et que la partie gouvernementale, elle-

même, concède qu’il est permis de prévoir une réduction de loyer pour des motifs familiaux.

De plus, la volonté de s’enrichir dans le chef des époux …-… est corroborée par la circonstance suivant laquelle le loyer est augmenté à partir du mois d’août de l’année 2017 à un montant de …,- euros par mois (équivalant à … euros pour 100 % du bien loué), ce qui correspond à un loyer adéquat par rapport aux nombreux éléments concrets de comparaison fournis par les demandeurs et que la simple affirmation non autrement circonstanciée de l’administration des Contributions directes selon laquelle le loyer serait loin « du montant d'usage entre tiers pour un objet similaire » ne saurait énerver. En effet, le loyer final se trouve notamment être supérieur à celui résultant des données de l’Observatoire de l’Habitat (… euros par mois) ainsi qu’au loyer moyen des annonces de locations de maisons individuelles publiées sur le site internet immobilier www.athome.lu. (… euros).

Il ressort des considérations qui précèdent que les justifications avancées par les demandeurs pour attester de la réalité du montant du loyer perçu sont parfaitement convaincantes au regard de l’ensemble des circonstances de l’affaire et que le simple constat suivant lequel le loyer réclamé ne correspond pas au rendement maximum toléré par la loi du 21 septembre 2006 ne saurait suffire à le considérer comme sous-évalué à tel point qu’il démontrerait que les époux …-… n’auraient pas été animés par une intention de s’enrichir et que le bail en question devrait partant être requalifié de mise à disposition gratuite d’une habitation moyennant participation aux frais.

Il s’ensuit que le recours est fondé et que, par réformation de la décision directoriale déférée, le tribunal retient que les recettes perçues constituent un revenu de location au sens de l’article 98, paragraphe (1), point 1, LIR avec toutes les conséquences de droit qui s’ensuivent, notamment quant aux dépenses d’obtention déductibles et quant aux bulletins d’imposition en aval.

Les consorts … sollicitent finalement une indemnité de procédure d’un montant de …,-

€ sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Etant donné que le présent recours est exclusivement dû au fait que le directeur a néanmoins statué, en ce qui concerne l’imposition de la copropriété …-… & …-…, sur le bien-

fondé de la réclamation introduite le 10 février 2017, alors même qu’un recours contentieux avait déjà été déposé en temps utile au greffe du tribunal administratif contre les bulletins d’établissement des revenus d’entreprises collectives de ladite copropriété pour les années 2013 à 2015, faute de décision directoriale intervenue dans le délai de six mois, le tribunal fixe ex aequo et bono une indemnité de procédure à la somme de 1.500,- euros.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant, par réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 7 décembre 2017, répertoriée sous le numéro C 23165, dit que les recettes perçues pour les années 2013 à 2015 par la copropriété « …-… & …-

… » constituent un revenu de location au sens de l’article 98 (1) 1 LIR avec toutes les conséquences de droit qui s’y attachent, notamment quant aux dépenses d’obtention déductibles ;

renvoie le dossier devant le directeur de l’administration des Contributions directes en vue de sa transmission au bureau d’imposition compétent pour exécution ;

condamne l’Etat à payer aux demandeurs une indemnité de procédure d’un montant de 1.500,- euros ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Anne Gosset, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 22 janvier 2019 par le premier vice-président en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 janvier 2019 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 40867
Date de la décision : 22/01/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-01-22;40867 ?

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