Tribunal administratif N° 40669 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 janvier 2018 1re chambre Audience publique du 9 janvier 2019 Recours formé par Madame …et consort, … (France), contre une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’aides financières de l’Etat pour études supérieures
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40669 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2018 par Maître Pascal Peuvrel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …et de Monsieur …, les deux demeurant à F-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 27 octobre 2017 lui refusant l’octroi d’aides financières de l’Etat pour études supérieures ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2018 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Pascal Peuvrel déposé au greffe du tribunal administratif le 24 mai 2018 ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2018 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Xavier Leuck, en remplacement de Maître Pascal Peuvrel, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 décembre 2018.
Moyennant un formulaire établi par le Centre de Documentation et d’Information sur l’Enseignement Supérieur (CEDIES) auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Madame …sollicita une aide financière pour études supérieures en rapport avec son inscription dans une formation de concepteur/réalisateur 3D organisée par l’Ecole … à … (…), pour le semestre d’hiver de l’année académique 2017/2018.
Par un courrier du 27 octobre 2017, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :
« Je suis au regret de vous annoncer que votre demande en vue de l’obtention d’une aide financière de l’Etat pour études supérieures pour le semestre d’hiver 2017-2018 a été refusée pour la raison suivante :
La formation que vous suivez ne constitue pas un cycle d’études supérieures relevant du système d’enseignement supérieur de l’Etat où le titre sanctionnant la formation est conféré, tel que défini à l’article 2 point (1) de la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière pour études supérieures.
[…]. » Par requête inscrite sous le numéro 40669 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2018, Madame …a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision de refus prévisée du ministre. Monsieur … …déclara intervenir volontairement dans le cadre dudit recours.
Quant à la recevabilité Etant donné que ni la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, ci-après « la loi du 24 juillet 2014 », ni aucune autre disposition légale ne prévoient la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction en matière de refus d’aides financières de l’Etat pour études supérieures, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière.
Il convient toutefois de vérifier la recevabilité de l’intervention volontaire introduite par Monsieur …, en sa qualité de père de l’étudiante.
A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une intervention est recevable dès lors que l’intervenant justifie d’un intérêt direct ou indirect, matériel ou moral, la jurisprudence des juridictions civiles admettant même que le risque que le jugement à intervenir ne crée un simple préjugé favorable comme constitutif d’un intérêt suffisant pour intervenir1, l’intérêt à intervenir étant d’ailleurs apprécié de manière plus libérale que l’intérêt à agir, de sorte que sont recevables à intervenir tous ceux qui n’ont pas un intérêt direct à la solution du litige, mais à l’égard desquels le principe de cette solution peut avoir des incidences2.
A ce titre, Monsieur … …expose avoir un intérêt à intervenir aux côtés de sa fille, à sa charge, et ce tant du point de vue de la suppression des allocations familiales qu’il ne percevrait plus, que de celui des bonifications fiscales qui y seraient liées et qu’il perdrait également. A cela s’ajouterait que si le tribunal venait à ne pas accueillir la demande en annulation de sa fille, celle-ci n’aurait droit à aucune aide financière, ce qui aurait pour conséquence que le coût de ses études resterait à la charge définitive de son père.
Le tribunal est amené à retenir qu’au regard de ces explications, Monsieur … …doit être considéré comme justifiant d’un intérêt suffisant pour intervenir volontairement dans le présent litige et présenter ses moyens en appui du recours. Une requête en intervention volontaire, lorsqu’elle intervient en appui à une requête, peut en effet seulement étayer les moyens développés dans la requête principale ; ainsi, par une intervention, un intervenant ne peut ni 1 Voir Lux. 21 juin 1972, Pas. 22, p. 229.
2 Trib. adm. 22 juillet 2009, n° 24495 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n°478 et les autres références y citées ; voir aussi Trib. adm. 11 janvier 2012, n° 27576, 27679, 27689 et 28442 du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.
étendre la portée de la requête, ni exposer des moyens nouveaux3 : en d’autres termes, l’intervenant ne peut que s’associer à l’action principale.
Sous cette réserve, il y a lieu d’admettre que tant le recours en annulation, que l’intervention volontaire, sont recevables pour avoir été, par ailleurs, introduits dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond A l’appui de leur recours, les parties demanderesse et intervenante font valoir que les études suivies par Madame …respecteraient les exigences posées à l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 24 juillet 2014 pour qu’un étudiant puisse se voir octroyer des aides financières de l’Etat pour études supérieures.
La partie demanderesse déclare, en effet, être inscrite dans un programme d’enseignement supérieur au sens de l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 24 juillet 2014 qui désignerait, selon elle, tout programme d’enseignement post-baccalauréat, tel que ce serait le cas en l’espèce.
La partie demanderesse estime encore remplir la condition tenant à la poursuite d’un cycle d’études dont la réussite procure à l’étudiant un grade, diplôme, certificat ou autre titre délivré par une autorité compétente, puisque la formation suivie par elle permettrait la délivrance d’un diplôme intitué « Concepteur et Réalisateurs 3D », qui serait visé au niveau 1 BAC+5 par le ministère français de l’Education Nationale et de l’Enseignement supérieur.
La demandresse ajoute que l’institut … serait, par ailleurs, un établissement d’enseignement supérieur privé reconnu par l’Etat français qui délivrerait un titre inscrit par la Commission Nationale pour la Certification professionnelle (CNCP) au Registre National de la Certicification Professionnelle (RNCP) et donc reconnu par l’Etat français au plus haut niveau, à savoir le niveau 1 « BAC+5, ingénieur, master », en citant les dispositions des articles R.335-12 et R.335-16 du Code de l’Education français.
En outre, dans la mesure où l’école … figurerait sur la liste des établissements supérieurs visés par le CROUS en France pour bénéficier d’une bourse d’enseignement sur critères sociaux, il conviendrait de conclure qu’il s’agirait d’un établissement d’enseignement supérieur, la demanderesse soulignant qu’à la lecture des documents émanant du CROUS, il y aurait assimilation entre les étudiants de la … et les étudiants se trouvant dans d’autres formations, comme notamment les classes préparatoires aux grandes écoles.
Dans son mémoire en réplique, la partie demanderesse affirme que le formation qu’elle suit donnerait lieu à la délivrance d’un diplôme national par une entité reconnue par l’Etat français dont le ministère de tutelle serait le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
La partie étatique conclut, quant à elle, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
3 M. Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, p.566.
Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
L’article 2 de la loi du 24 juillet 2014, tel que modifié par la loi du 23 juillet 2016, précitée, dispose comme suit :
« (1) Pour être éligible à l'aide financière dans le cadre de la présente loi, l'étudiant doit être inscrit à temps plein ou à temps partiel dans un cycle d'études supérieures dont la réussite confère un diplôme, titre, certificat ou grade de l'enseignement supérieur correspondant aux lois et règlements régissant l'enseignement supérieur de l'Etat où le titre est conféré. Le cycle d'études doit être reconnu par l'autorité compétente de cet Etat comme relevant de son système d'enseignement supérieur. […]».
Aux termes de cet article, applicable au cas d’espèce, les aides financières sont réservées aux seuls étudiants inscrits dans un cycle d’études supérieures à l’issu duquel l’étudiant qui a réussi se voit attribuer un diplôme, titre, certificat ou grade de l’enseignement supérieur correspondant aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre est conféré, ce cycle d’études devant être reconnu par l’autorité compétente de l’Etat conférant le titre en question comme relevant de son système d’enseignement supérieur. Le tribunal relève, à cet égard, que, par le biais de la loi du 23 juillet 2016, précitée, la définition de l’éligibilité des formations de l’enseignement supérieur au bénéfice d’une aide financière de l’Etat a fait l’objet d’une ouverture pour y inclure également les cycles qui sont diplômés par une université ne se situant pas sur le territoire où la formation a lieu, et ce, par opposition à la loi du 24 juillet 2014, qui exigeait que le diplôme devait être reconnu par les autorités du pays dans lequel la formation se déroulait4.
Ce n’est donc pas la qualité de l’établissement dispensant une formation donnée qui est déterminante pour que des études soient éligibles aux aides financières de l’Etat prévues à l’article 2, paragraphe (1), prévisé, mais celle des études poursuivies elles-mêmes qui doivent faire partie d’un cycle d’études reconnu par une autorité compétente du pays où ledit cycle est diplômé comme relevant de son système d’enseignement supérieur.
Il y a ensuite lieu de relever que le refus ministériel d’octroyer à la partie demanderesse l’aide financière sollicitée est fondé sur le constat que la formation suivie par celle-ci ne constituerait pas un cycle d’études supérieures au sens de l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 24 juillet 2014, à savoir un cycle d’études relevant du système d’enseignement supérieur de l’Etat où le titre sanctionnant la formation est conféré.
Il résulte des pièces versées en cause par la demanderesse à l’appui de sa demande d’aides financières, et plus particulièrement de l’attestation émise par la … sise à …, qu’elle y était inscrite, en ce qui concerne le semestre visé par la demande d’aide litigieuse, en première année du Cycle 1 « concepteur-réalisateur 3D », de sorte qu’en l’espèce, c’est l’Etat français qui doit reconnaître la formation litigieuse comme relevant de son système d’enseignement supérieur.
Force est de relever que si la partie demanderesse affirme certes que ses études 4 Projet de loi n°6975, commentaires des articles, ad article 2.
rempliraient les conditions fixées à l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 24 juillet 2014, le tribunal constate toutefois que cette affirmation n’est étayée par aucun élément de preuve tangible.
En effet, la seule circonstance que l’enseignement dispensé par la … soit un enseignement post-baccalauréat ne signifie en tout état de cause pas qu’il corresponde forcément à un enseignement supérieur reconnu comme tel par l’Etat français, un enseignement post-baccalauréat pouvant également viser un enseignement supérieur certes poursuivi après le baccalauréat mais ne relevant pas nécessairement du système d’enseignement supérieur reconnu par l’Etat français.
Ensuite, la partie demanderesse ne fournit aucun document probant dont il résulterait que les autorités compétentes françaises reconnaîtraient, tel qu’exigé par l’article 2 de la loi du 24 juillet 2014, la formation suivie par elle comme étant un programme d’enseignement supérieur faisant partie d’un cycle d’études à l’issue duquel l’étudiant qui a réussi se voit attribuer un grade, diplôme ou autre titre d’enseignement supérieur et étant reconnue par l’autorité compétente française comme relevant de son système d’enseignement supérieur, la demanderesse se contentant de verser une « newsletter » de la … invitant à une journée porte ouverte.
Plus particulièrement, la partie demanderesse n’a pas fourni de certificat de l’autorité française compétente pour reconnaître le programme d’enseignement et le cycle d’études dans lequel elle était inscrite en ce qui concerne l’année visée par la demande d’aides litigieuse comme relevant de son système d’enseignement supérieur.
Il ressort, au contraire, du dossier administratif et des explications non contestées de la partie gouvernementale que la formation poursuivie par la partie demanderesse au sein de la … est sanctionnée non pas par un diplôme national, un diplôme d’Etat, un diplôme conférant un grade académique ou un diplôme revêtu d’un visa officiel, mais par un certificat d’école qui sanctionne une formation propre à l’établissement sans bénéficier de la reconnaissance par l’Etat, ni d’aucune garantie de qualité par un organisme référent.
S’agissant ensuite de l’inscription, non contestée, de la formation litigieuse au RNCP, force est de relever qu’il ressort des pièces versées en cause par la partie étatique et des explications fournies par celle-ci, et tel que le tribunal a eu l’occasion de le retenir dans d’autres affaires5, qu’à côté des diplômes qui sont inscrits de plein droit au RNCP, tels que les diplômes nationaux, délivrés au nom de l’Etat, à vocation professionnelle, les titres ou certificats d’écoles délivrés par un établissement privé, reconnu ou non par l’Etat français, en son nom peuvent également être inscrits, sur demande et après examen par une commission, au RNCP. Les inscriptions sur demande de formations dans ce répertoire sont effectuées suite à une évaluation par la CNCP des titres et des certificats d’écoles menant à un métier, étant relevé que la CNCP évalue non pas la qualité de la formation, mais s’intéresse aux compétences nécessaires pour exercer un métier et à l’insertion professionnelle. Les titres privés enregistrés au répertoire national, bien que certifiés à un niveau de qualification, ne sont toutefois pas, du seul fait de leur inscription, académiquement équivalents à des diplômes délivrés par les ministères de l’Education nationale ou d’autres ministères. La partie demanderesse confond, dans ce 5 Trib. adm, 14 décembre 2015, n° 35733 du rôle, 28 avril 2016, n° 35911 du rôle, 13 juillet 2016, n° 36100 du rôle, 5 avril 2017, n° 37801 du rôle, c. Cour adm. 19 octobre 2017, n°39576C du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.
contexte, la valeur professionnelle et le niveau de qualification conféré par ladite inscription et la valeur académique d’un grade universitaire. Ainsi, s’il y a bien deux systèmes de reconnaissance de formations en France, à savoir la reconnaissance professionnelle et la reconnaissance académique, l’analyse de la partie demanderesse méconnaît le fait qu’il s’agit de deux systèmes distincts.
Dès lors, l’inscription, non contestée, de la formation litigieuse dispensée par l’établissement … au RNCP, et plus particulièrement la circonstance avancée par la demanderesse que du fait de cette inscription, cette formation serait classée à un niveau de qualification professionnelle I, à savoir à un niveau BAC+5, à défaut de tout autre élément d’appréciation soumis au tribunal, n’est pas, à elle-seule, de nature à établir qu’il s’agit d’une formation à l’issue de laquelle la demanderesse se verrait attribuer un grade, diplôme ou autre titre d’enseignement supérieur et qui est reconnue par l’autorité compétente française comme relevant de son système d’enseignement supérieur au sens de l’article 2 de la loi du 24 juillet 2014.
Enfin, s’agissant du fait avancé par la demanderesse que le CROUS accorde une bourse sur critères sociaux pour la formation litigieuse, le tribunal est amené à retenir qu’au regard des explications fournies par la partie étatique, pièces à l’appui, suivant lesquelles des formations non issues du système d’enseignement supérieur français sont également éligibles pour l’octroi de bourses, la demanderesse n’est pas fondée à en tirer argument pour conclure que les conditions de l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 24 juillet 2014 seraient remplies.
Au vu de ce qui précède et à défaut de preuve contraire en ce sens rapportée par les parties demanderesse et intervenante, le tribunal est amené à conclure que la formation litigieuse n’est pas sanctionnée par un diplôme, titre, certificat ou grade de l’enseignement supérieur correspondant aux lois et règlements régissant l’enseignement supérieur de l’Etat où le titre est conféré, de sorte que les conditions posées par l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 24 juillet 2014 ne sont pas remplies en l’espèce.
C’est dès lors à bon droit, sans violer la loi, ainsi que sur base d’une appréciation correcte des faits de l’espèce que le ministre a refusé d’octroyer à la partie demanderesse l’aide sollicitée.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours sous analyse doit être rejeté pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Compte tenu de l’issue du litige, la demande en paiement d’une indemnité de procédure de 2.500 euros formulée par les parties demanderesse et intervenante est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
reçoit en la forme l’intervention volontaire introduite par Monsieur … …;
au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure formulée par les parties demanderesse et intervenante;
condamne les parties demanderesse et intervenante aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 janvier 2019 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10/01/2019 Le Greffier du Tribunal administratif 7