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02/01/2019 | LUXEMBOURG | N°42160

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 janvier 2019, 42160


Tribunal administratif Numéro 42160 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 décembre 2018 1re chambre Audience publique du 2 janvier 2019 Recours formé par Monsieur …, sans adresse connue, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 42160 du rôle et déposée le 24 décembre 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahza

deh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif Numéro 42160 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 décembre 2018 1re chambre Audience publique du 2 janvier 2019 Recours formé par Monsieur …, sans adresse connue, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 42160 du rôle et déposée le 24 décembre 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le …, sans indication de l’année de naissance et être de nationalité érytréenne, retenu au Centre de rétention au Findel au moment de l’introduction du présent recours, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 décembre 2018 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 décembre 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Ardavan Fatholahzadeh au greffe du tribunal administratif en date du 31 décembre 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 janvier 2019.

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En date du 13 décembre 2018, Monsieur … fut présenté au commissariat Luxembourg-groupe gare de la Police grand-ducale par un agent de sécurité d’une entreprise de sécurité privée, alors qu’il avait emprunté le train sans être en possession d’un titre de transport valable. Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … n’était pas en possession de documents de voyage ou d’identité.

En date du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », prit à l’égard de l’intéressé une décision de retour comportant interdiction du territoire pour une durée de trois ans, ledit arrêté étant fondé sur les considérations suivantes :

« Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu le rapport no 54691/2018 du 13 décembre 2018 établi par la police grand-ducale, unité : Région Capitale, commissariat Luxembourg-Groupe Gare ;

Attendu que l'intéressé n'est pas en possession d'un passeport en cours de validité ;

Attendu que l’intéressé ne justifie pas l’objet et les conditions du séjour envisagé ;

Attendu que l’intéressé ne justifie pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie ;

Attendu que l'intéressé n'est ni en possession d'une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d'une autorisation de travail ;

Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé ; ».

A la même date, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté, qui fut notifié à l’intéressé le même jour, est basé sur les considérations et motifs suivants :

« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no 54691/2018 du 13 décembre 2018 établi par la police grand-ducale, unité : Région Capitale, commissariat Luxembourg-Groupe Gare ;

Vu mes décisions de retour et d’interdiction d’entrée sur le territoire du 13 décembre 2018, lui notifiée le même jour ;

Attendu que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les meilleurs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches. » Par requête déposée le 24 décembre 2018 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête auquel le tribunal peut seul avoir égard, à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision ministérielle de placement en rétention.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’audience des plaidoiries, le tribunal a d’office soulevé la question de la recevabilité du recours pour autant qu’il tend à la réformation de l’arrêté du 13 décembre 2018 au regard du fait que Monsieur … a été libéré du Centre de rétention le 27 décembre 2018.

Le litismandataire de Monsieur … a déclaré maintenir son recours dans la limite des moyens d’annulation.

Il se dégage, en effet, des pièces du dossier administratif qu’en date du 27 décembre 2018, le ministre a ordonné que l’intéressé est à libérer avec effet immédiat du Centre de rétention, et il n’est pas contesté qu’il a été libéré le même jour.

Il s’ensuit qu’au jour des plaidoiries, la décision de placement du 13 décembre 2018 a cessé de produire ses effets et que Monsieur … a été libéré.

Ainsi, dans la mesure où au jour des présentes, la décision déférée ne produit plus ses effets, le tribunal ne saurait plus utilement ordonner, par réformation de l’arrêté ministériel déféré, la libération immédiate de l’intéressé, étant donné que celui-ci ne se trouve plus actuellement placé par application dudit arrêté ministériel dont les effets ont cessé le 27 décembre 2018.

Le recours en réformation est néanmoins recevable dans la limite des moyens de légalité invoqués, le demandeur gardant toujours un intérêt à voir contrôler la légalité de l’arrêté de placement du 13 décembre 2018 sous le couvert duquel il se trouvait au Centre de rétention du 13 au 27 décembre 2018. Il s’ensuit que le recours est à déclarer sans objet pour autant qu’il conclut à la libération du demandeur, mais qu’il il est recevable dans la limite des moyens d’annulation invoqués.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est dès lors recevable dans cette mesure.

Le demandeur invoque de prime abord une violation des formalités substantielles visées aux articles 121 et 122 de la loi du 29 août 2008, en concédant qu’il aurait certes reçu communication de l’arrêté de placement en rétention, mais qu’il n’aurait toutefois pas compris les raisons de fait et de droit pour lesquelles une mesure de placement avait été prise à son encontre, en affirmant qu’il ne comprendrait aucune des langues officielles usitées au Luxembourg et ne comprendrait que la langue tigrigna, étant originaire de l’Erythrée, tout en se référant au procès-verbal précité n° 54691/2018, de même qu’au procès-verbal de notification de l’arrêté de placement en rétention.

A cet égard, le demandeur fait valoir que le procès-verbal de notification de l’arrêté de placement devrait constater en lui-même, sans qu’il ne puisse être pallié à des carences par des actes ultérieurs, la régularité de la procédure telle que prévue aux articles 121 et 122 de la loi du 29 août 2018, tout en relevant que les procès-verbaux n° 54694 et 54691 seraient en contradiction, le premier indiquant que l’officier de police judiciaire n’aurait pas été en mesure d’identifier la langue du demandeur, alors que le deuxième mentionnerait qu’aucun traducteur en langue tigrigna n’aurait pu être trouvé.

A défaut de procès-verbal conforme à l’article 121, paragraphe (2) b) de la loi du 29 août 2008 portant information de ses droits tels que visés à l’article 122, paragraphes (2) et (3), des formalités substantielles auraient été violées, de sorte qu’il aurait été porté atteinte à ses droits fondamentaux.

Les indications exigées relèveraient d’une importance essentielle, dans la mesure où elles seules permettraient au juge administratif de s’assurer d’une compréhension suffisante par l’intéressé des raisons de sa privation de liberté, le demandeur affirmant que par référence à l’article 5 (2) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), une personne visée par un placement administratif devrait connaître les raisons de sa privation de liberté.

En second lieu, le demandeur fait état d’une atteinte disproportionnée à sa liberté de mouvement. En se prévalant de l’article 5 de la CEDH et en déduisant que la privation de liberté devrait rester l’exception, le demandeur conteste que l’autorité ministérielle ait entrepris toutes les démarches utiles pour réaliser l’éloignement dans les plus brefs délais.

A l’audience des plaidoiries, le mandataire du demandeur a toutefois déclaré renoncer à ce deuxième moyen, de sorte qu’il y a lieu de lui en donner acte.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

S’agissant du premier moyen, il fait état d’une impossibilité matérielle de trouver un interprète en langue tigrigna, en renvoyant au procès-verbal de police du 13 décembre 2018.

Pour le surplus, il affirme qu’une fois arrivé au Centre de rétention, les agents dudit centre auraient pu contacter un interprète, de sorte que le demandeur aurait été informé tant des raisons de son placement que de son droit de prévenir sa famille ou toute personne de son choix, ainsi que de ses droits de se faire examiner par un médecin et de choisir un avocat, tout en soulignant que le demandeur aurait pu contacter son litismandataire depuis le Centre de rétention.

Dans sa réplique, le demandeur conteste avoir vu un interprète en tigrigna à la suite de son placement en rétention comme le soutient la partie étatique, en affirmant avoir ignoré les raisons de son placement jusqu’au 24 décembre 2018, date à laquelle son litismandataire se serait rendu au contre de rétention.

Le demandeur déclare encore ne pas comprendre pour quels motifs le système EURODAC aurait été consulté, alors qu’aucun échange de communication au sujet de sa présence sur le territoire n’aurait été demandé, ce système étant d’ailleurs conçu que pour les demandeurs de protection internationale.

Il serait encore étonnant qu’il s’est vu notifier une décision portant ordre de quitter le territoire sans délai et qu’une interdiction d’entrée sur le territoire ait été prononcée, alors que cette interdiction et les motifs de cet arrêté ne lui auraient jamais été notifiés en bonne et due forme.

En réalité, son litismandataire aurait contacté les autorités ministérielles puisque l’assistante sociale au Centre de rétention, « démunie de toute communication dans sa langue », se serait vue obligée de contacter un conseil juridique afin que celui-ci lui trouve un interprète pour comprendre le sens et la portée des raisons d’être de sa présence au Centre de rétention. Il conteste formellement que les agents du Centre de rétention aient contacté un interprète en langue tigrigna, le demandeur contestant encore avoir été informé de son droit de prévenir sa famille ou toute personne de son choix, de même qu’il conteste avoir contacté directement son litismandataire, celui-ci ayant été contacté par une assistante sociale.

L’article 121, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit que : « La notification des décisions visées à l’article 120 est effectuée par un membre de la Police grand-ducale qui a la qualité d’officier de police judiciaire. La notification est faite par écrit et contre récépissé, dans la langue dont il est raisonnable de supposer que l’étranger la comprend, sauf les cas d’impossibilité matérielle dûment constatés. », le paragraphe (2) b) du même article invoqué encore par le demandeur prévoyant que le procès-verbal de notification de la mesure de placement doit contenir « la déclaration de la personne retenue qu’elle a été informée de ses droits mentionnés à l’article 122, paragraphes (2) et (3), ainsi que toute déclaration qu’elle désire faire acter ».

L’article 122, paragraphes (2) et (3) de la même loi dispose que « (2) La personne retenue est informée immédiatement, par écrit et contre récépissé, dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu’elle la comprend, sauf les cas d’impossibilité matérielle dûment constatés, de son droit de prévenir sa famille ou toute personne de son choix. Un téléphone est mis à sa disposition à titre gratuit à cet effet.

(3) La personne retenue est informée immédiatement, par écrit et contre récépissé, dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu’elle la comprend, sauf les cas d’impossibilité matérielle dument constatés, de son droit se faire examiner dans les vingt-

quatre heures de son placement en rétention, par un médecin et de choisir un avocat à la Cour d’un des barreaux établis au Grand-Duché de Luxembourg ou de se faire désigner un avocat par le bâtonnier de l’ordre des avocats de Luxembourg. Le mineur non accompagné d’un représentant légal se voit désigner, dans les meilleurs délais, un administrateur ad hoc. ».

Il résulte des dispositions précitées que l’arrêté de placement doit être notifié par écrit dans une langue dont il est raisonnable de supposer que l’étranger la comprend, sauf impossibilité matérielle dûment constatée. Cette garantie tend plus particulièrement à assurer à la fois que l’étranger, qui fait l’objet d’une mesure privative de liberté, soit en mesure de comprendre les raisons d’être de cette mesure et qu’il soit informé des droits lui garantis par la loi afin de préserver ses droits de la défense. L’intéressé doit outre être informé de ses droits mentionnés à l’article 122 de la loi du 29 août 2008 et cela immédiatement et par écrit.

S’il résulte ainsi certes du paragraphe 1er de l’article 121 de la loi du 29 août 2008 que la décision de placement en rétention doit être notifiée dans une langue dont il est raisonnable de supposer que l’étranger la comprend, et qu’il résulte par ailleurs de l’article 122 de la même loi que l’intéressé doit encore être informée de ses droits mentionnés à l’article 122 immédiatement et par écrit, la loi n’érige cependant pas ces obligations en des obligations absolues, mais réserve « les cas d’impossibilité matérielle dûment constatés ».

En l’espèce, il ressort effectivement du procès-verbal de notification de la décision litigieuse du 13 décembre 2018 que la décision de placement en rétention ainsi qu’une copie du procès-verbal de notification de ladite mesure, tous les deux rédigés en français, ont été remises au demandeur le même jour, sans la présence d’un interprète, alors que le demandeur déclare dans le cadre du présent recours ne pas comprendre la langue française.

Il s’ensuit, et cela n’est d’ailleurs pas contesté par la partie étatique, que la notification n’a pas été faite dans une langue dont il est raisonnable de supposer que le demandeur la comprend.

Le tribunal constate toutefois que la partie étatique invoque une impossibilité matérielle puisqu’aucun interprète en langue tigrigna n’aurait pu être trouvé.

Le tribunal relève qu’il ressort du procès-verbal de la police grand-ducale du 13 décembre 2018, référencé sous le n° 54691/2018, que l’agent de la police grand-ducale en charge a constaté que le demandeur ne parle ni l’anglais, ni le français, ni l’allemand, ni le luxembourgeois, de sorte que toute communication avec le demandeur s’est limité à des signes. Il ressort encore du même rapport que, compte tenu de l’origine supposée du demandeur, l’Erythrée, l’agent a estimé que deux langues seraient susceptibles d’entrer en ligne de compte, à savoir soit l’arabe, soit le tigrigna. Il ressort ensuite du rapport de police, précité, que, d’une part, le demandeur a fait comprendre qu’il ne parlerait pas l’arabe et que, d’autre part, aucun interprète en tigrigna n’a pu être trouvé1.

Il ressort ensuite du procès-verbal n° 54694/2018 portant notification de la mesure de placement en rétention que « l’officier de police judiciaire n’a pas été en mesure d’identifier la/les langue(s) dans laquelle la personne intéressée a fait ses déclaration » et que le demandeur n’était pas capable d’informer les agents de la langue dans laquelle il a fait ses déclarations.

Le tribunal déduit de ces rapports que l’impossibilité matérielle telle que visée à l’article 121 paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 se trouve vérifiée en l’espèce en ce que les agents n’ont pas pu identifier la langue que le demandeur comprend, plus particulièrement aucun interprète en tigrigna n’ayant pu être trouvé. Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argumentation du demandeur suivant laquelle les mentions des deux rapports précités seraient contradictoires, dans la mesure où le constat s’impose que les agents n’étaient, au stade de la notification du placement, pas en mesure d’identifier la langue que le demandeur est susceptible de comprendre, étant relevé que parmi les deux langues potentiellement envisageables à ce moment, à savoir l’arabe et le tigrigna, seul l’arabe a été exclu compte tenu des indications fournies par le demandeur, et que la question de savoir s’il parle le tigrigna n’a pas pu être vérifiée alors qu’aucun traducteur n’a pas pu être trouvé, de sorte que la contradiction invoquée par le demandeur ne se trouve pas vérifiée.

Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 121 paragraphe (1) est rejeté comme non fondé.

Quant au reproche du demandeur qu’il n’aurait pas, immédiatement et par écrit, été informé de ses droits conformément à l’article 122, paragraphes (2) et (3) de la loi du 19 août 2008, le tribunal souligne que cette disposition prévoit également la réserve d’une impossibilité matérielle dûment constatée.

Or, tel que cela a été relevé ci-avant, il ressort des deux procès-verbaux de la police grand-ducale, précités, que ceux-ci contiennent le constat d’une impossibilité matérielle d’informer le demandeur immédiatement au moment de son placement en rétention de ses droits, étant donné que la langue qu’il est susceptible de comprendre n’a pas pu être identifiée, aucun interprète en tigrigna, langue qui à ce moment pouvait raisonnablement entrer en ligne de compte, n’ayant pu être trouvé. Or, dans la mesure où l’article 122, paraphes (2) et (3) 1 « Indem auch kein Dolmetscher in tigrinischer Sprache gefunden werden konnte, war es bis dato unmöglich die genaue Identität des Ausländers festzustellen. » contient la réserve d’une impossibilité matérielle, vérifiée en l’espèce, le moyen fondé sur une violation de ces dispositions est rejeté.

Au-delà de ces conclusions, le tribunal relève encore que les garanties prévues aux articles 121 et 122 de la loi modifiée du 29 août 2008 ne constituent pas une fin en soi, mais tendent à assurer à la fois que l’étranger retenu soit en mesure de comprendre les raisons d’être de cette mesure et qu’il soit informé des droits lui garantis par la loi afin de préserver ses droits de la défense2.

Or, à cet égard, le tribunal constate qu’après la notification de la décision de rétention faite en soirée du jeudi 13 décembre 2018, le demandeur a pu contacter son avocat actuel en vue de la défense de ses intérêts, au plus tard le lundi 17 décembre 2018, tel que cela ressort d’un fax du litismandataire du même jour figurant au dossier administratif, et qui a, par un courrier du 24 décembre 2018, annoncé que le demandeur entend introduire une demande de protection internationale, qu’il a encore introduit le même jour un recours contentieux contre la décision de placement, et que le litismandataire du demandeur a encore, dans la réplique, déclaré que le demandeur a dès son placement en rétention été assisté par une assistante sociale qui l’a guidé vers un avocat, de sorte que le tribunal ne saurait, en l’état actuel d’instruction du dossier, déceler de lésion de ses droits de la défense, le demandeur n’ayant pas non plus fait état d’un problème de santé qui aurait requis l’intervention d’un médecin.

S’agissant du moyen en ce qu’il est fondé sur une irrégularité formelle du procès-

verbal de notification au motif que celui-ci ne contiendrait pas les mentions requises par la loi, en l’occurrence la mention que le demandeur a été informé de ses droits, dans la mesure où le tribunal vient de retenir une impossibilité matérielle d’une information immédiate au moment de la notification de la mesure de placement, nécessairement, le procès-verbal de notification n’a pas pu comporter la mention prévue à l’article 122, paragraphe (2) b) de la loi du 29 août 2018, dont la violation est invoquée par le demandeur, de sorte que le moyen afférent est rejeté.

S’agissant ensuite du moyen tiré de la violation de l’article 5 (2) de la CEDH, cette disposition prévoit ce qui suit : « Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle ».

Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que malgré la connotation pénale des termes employés par l’article 5 (2) de la CEDH, le champ d’application de ce dernier comprend l’ensemble des hypothèses de privation de liberté envisagées par l’article 5 (1) de la CEDH, sans qu’il n’y ait lieu de distinguer entre les personnes privées de leur liberté par arrestation et celle qui le sont par détention3, de sorte à englober l’hypothèse prévue à l’article 5 (1) f) de la CEDH, qui vise l’arrestation ou la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours, étant précisé que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 (1) f), précité, de la CEDH est à entendre 2 Trib. Adm. 17 octobre 2017, n° 29329 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Etrangers, n° 768 et autres références y mentionnées.

3 CourEDH, 21 février 1990, affaire Van der Leer c. Pays-Bas; Voir aussi: JurisClasseur Europe Traité, Fasc.

6520 : CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME - Droits garantis - Libertés de la personne physique, n° 101.

dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement, respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays. Il s’ensuit que l’article 5 (2) de la CEDH est applicable aux décisions de rétention administrative prises sur le fondement de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, telles que la décision déférée.

En l’espèce, si la notification, au demandeur, de la décision litigieuse ne s’est pas faite dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend en raison d’une impossibilité matérielle dûment constatée, tel que relevé ci-avant, force est au tribunal de constater que le demandeur a été informé par la suite, dans un court délai, des raisons de sa privation de liberté.

En effet, si le demandeur conteste avoir été informé des raisons de sa privation de liberté, le tribunal relève que la partie étatique a fourni un courrier électronique de l’assistante sociale en charge, qui affirme que le lundi 17 décembre 2018, à 13.15 heures, soit le deuxième jour ouvrable à la suite du placement en rétention du demandeur ayant été opéré le jeudi 13 décembre 2018 en soirée, un interprète de la Croix-Rouge nommément désigné s’est déplacé au Centre de rétention pour faire la traduction pour le demandeur. Si le demandeur conteste avoir vu un interprète, ces contestations vagues sont toutefois en contradiction avec le contenu circonstancié du courrier électronique précité. Le tribunal relève encore que le demandeur a été mis en contact avec son litismandataire, qui s’est manifesté au ministère le lundi 17 décembre 2018, tel que cela ressort d’un fax du même jour figurant au dossier administratif, étant relevé que le demandeur affirme dans sa réplique que l’assistante sociale l’a mis en contact avec son litismandataire. Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir qu’il y a lieu d’admettre que le demandeur a été informé des raisons de son placement dans un court délai à partir de son placement, de sorte que le moyen fondé sur une violation de l’article 5 (2) de la DEDH est rejeté.

S’agissant, enfin, des reproches du demandeur quant à la consultation du système EURODAC et si par ailleurs, il s’étonne qu’une décision de retour comporte une interdiction du territoire lui aurait été notifiée en faisant valoir que les motifs de cette décision ne lui aurait jamais été notifiée en bonne et due forme, il ne tire aucune conclusion en droit de ces constats et interrogations quant à la légalité de l’arrêté de placement en rétention, qui seul fait l’objet du présent recours, de sorte que les interrogations afférentes sont à rejeter comme n’étant pas pertinentes en l’espèce, étant relevé encore que le tribunal n’est pas censé pallier la carence du demandeur dans la présentation de ses moyens.

Il suit de ce qui précède et à défaut d’autre moyen que le recours est rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare compétent pour statuer sur le recours principal en réformation ;

déclare le recours sans objet pour autant qu’il tend à la mise en liberté du demandeur ;

reçoit en la forme le recours en réformation dans la limite des moyens d’annulation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

Annick Braun, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 2 janvier 2019 par le vice-président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2.1.2019 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 42160
Date de la décision : 02/01/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2019-01-02;42160 ?

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