Tribunal administratif N° 39973 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er août 2017 1re chambre Audience publique du 12 décembre 2018 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, …, contre des décisions de la commune de Bertrange, en présence de la société anonyme …, …, en matière de marchés publics
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39973 du rôle et déposée le 1er août 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Elisabeth Machado, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à l’annulation 1) de la décision du collège échevinal de la commune de Bertrange du 14 juillet 2017 portant attribution du marché ayant trait à la fourniture de repas scolaires pour la période du 1er septembre 2017 au 31 août 2020 à la société anonyme …, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, et portant rejet de son offre soumise en vue de l’obtention dudit marché, ainsi que 2) de la décision, ainsi qualifiée, du bourgmestre de la commune de Bertrange du 17 juillet 2017 ayant porté communication de la décision précitée du collège échevinal du 14 juillet 2017 et information que l’offre de la société à responsabilité limitée … n’avait pas été retenue ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Véronique Reyter, demeurant à Esch-sur-Alzette, du 31 juillet 2017, portant signification de ce recours en annulation à la société anonyme …, préqualifiée, ainsi qu’à l’administration communale de Bertrange, établie en la maison communale sise à L-8058 Bertrange, 2, Beim Schlass, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;
Vu l’ordonnance présidentielle du 11 août 2017 inscrite sous le numéro 39974 du rôle ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Steve Helminger, avocat à la Cour inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 3 août 2017 pour compte de l’administration communale de Bertrange, préqualifiée ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de la société en commandite simple Bonn Steichen & Partners, établie et ayant son siège social à L-2370 Howald, 2, rue Peternelchen, Immeuble C2, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, représentée par son gérant actuellement en fonctions, à savoir la société à responsabilité limitée Bonn Steichen & Partners SARL, représentée aux fins de la présente procédure par son gérant, Maître Anne Morel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg pour compte de la société anonyme …, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse de la société en commandite simple Bonn Steichen & Partners s.c.s. déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2017 pour compte de la société anonyme …, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse de Maître Steve Helminger déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2017 pour compte de la commune de Bertrange, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Elisabeth Machado déposé au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2018 pour compte de la société à responsabilité limitée …, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique de Maître Steve Helminger déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2018 pour compte de la commune de Bertrange, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique de la société en commandite simple Bonn Steichen & Partners s.c.s. déposé au greffe du tribunal administratif le 15 février 2018 pour compte de la société …, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les actes attaqués ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Maximilien Krzyszton, en remplacement de Maître Elisabeth Machado, Maître Steve Helminger et Maître Pol Mellina, en représentation de la société en commandite simple Bonn Steichen & Partners s.c.s., en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 octobre 2018.
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Par avis de marché du 2 mai 2017, l’administration communale de Bertrange annonça l’ouverture d’une soumission publique par procédure européenne ouverte, en vue de l’attribution du marché relatif à la fourniture de repas scolaires pour la période allant du 1er septembre 2017 au 31 août 2020.
Suite à l’analyse des offres, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Bertrange, dénommé ci-après le « collège échevinal », décida lors de sa séance du 14 juillet 2017 d’attribuer le marché en question à la société anonyme …, dénommée ci-après la « société … », après avoir constaté que cinq sociétés avaient remis une offre dans les délais impartis, au motif que l’offre de la société … constituait l’offre économiquement la plus avantageuse, le collège échevinal ayant retenu un prix de ….- euros toutes taxes comprises par repas, tel qu’offert par la société …, et notamment un prix de ….- euros toutes taxes comprises par repas offert par la société à responsabilité limitée …, dénommée ci-après la « société …», classée deuxième du point de vue des offres des prix lui soumis par les différents adjudicataires.
Par courrier du 17 juillet 2017, le bourgmestre de la commune de Bertrange, dénommé ci-après le « bourgmestre», informa la société …de ce qui suit: « Nous avons le regret de vous informer que le collège échevinal de la commune de Bertrange - par décision du 14 juillet 2017 - n’a pas retenu votre offre relative au marché sous rubrique parce que vous n’avez pas remis l’offre économiquement la plus avantageuse.
Conformément à l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, il vous est loisible de présenter vos observations au pouvoir adjudicateur.
La présente vous est adressée conformément à l’article 90 alinéa 3 du règlement grand-
ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics. Passé le délai de quinze jours à compter de la présente information, le collège des bourgmestre et échevins procédera à la conclusion du contrat avec l’adjudicataire sur base de l’article 90.4 du même règlement. Cette décision sera portée à la connaissance des soumissionnaires qui auront présenté des observations. (…) ».
Par courrier du 20 juillet 2017, le litismandataire de la société …sollicita de la part du collège échevinal la communication des « caractéristiques et avantages relatifs de l’offre retenue au regard des critères d’attribution tels que fixés dans le cahier des charges, ainsi que le nom de l’adjudicataire ».
En réponse au courrier précité, le bourgmestre informa la société …, par courrier du 25 juillet 2017 que l’adjudicataire était la société … « qui a présenté suite à l’analyse poussée du dossier, l’offre économiquement la plus avantageuse et par conséquent était chargée de l’exploitation du restaurant scolaire », et ce, d’autant plus que l’adjudicataire « a présenté l’offre conforme et économiquement la plus avantageuse [et qu’il a] fait preuve de références dans le cadre de l’enseignement fondamental et de crèches et a remis toutes les fiches techniques et pièces justificatives ».
Par courrier du 27 juillet 2017, adressé au collège échevinal, le litismandataire de la société …se plaignit de ce que les motifs ainsi communiqués par le bourgmestre ne lui permettaient pas de connaître les motifs ayant conduit au rejet de l’offre de sa mandante, respectivement les motifs ayant conduit le collège échevinal à conclure que l’offre de la société … « était l’offre conforme et économiquement la plus avantageuse au regard des critères d’attribution tels que fixés dans le cahier des charges ». Il pria partant le collège échevinal de lui communiquer « le dossier de soumission ainsi que [son] analyse dûment détaillée et motivée des critères d’attribution ayant conduit au rejet de l’offre de [sa] mandante, respectivement l’attribution du marché [à la société …]».
Le bourgmestre répondit au courrier précité du 27 juillet 2017 par une lettre du 28 juillet 2017 adressée au litismandataire de la société …, en l’informant qu’il n’était pas en mesure de lui transmettre une analyse supplémentaire et que le dossier de soumission de la société … ne pouvait lui être transmis, alors qu’il était « en procédure d’approbation ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er août 2017, inscrite sous le numéro 39973 du rôle, la société …a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du collège échevinal du 14 juillet 2017, ainsi que de la décision, ainsi qualifiée, du bourgmestre du 17 juillet 2017.
Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 39974 du rôle, elle sollicita encore le sursis à exécution des deux actes attaqués dans le cadre du recours au fond, demande dont elle fut déboutée par ordonnance présidentielle du 11 août 2017.
Quant à la recevabilité du recours en annulation En ce qui concerne la recevabilité du recours, il y a lieu de relever que la loi modifiée du 25 juin 2009 sur les marchés publics, abrogée par une loi du 8 avril 2018 mais néanmoins applicable au moment de la prise des décisions actuellement litigieuses, ne prévoit pas la possibilité d’exercer un recours en réformation contre une décision de rejet d’une offre ou une décision d’adjudication, de sorte que seul un recours en annulation a pu être introduit contre les actes querellés.
A l’audience des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours en annulation sous analyse en ce qu’il vise une décision, ainsi qualifiée, du bourgmestre de la commune de Bertrange, du 17 juillet 2017 portant à la connaissance de la société requérante la décision du collège échevinal de la commune de Bertrange du 14 juillet 2017 de rejeter son offre au motif qu’elle ne constituerait pas l’offre économiquement la plus avantageuse, le tribunal étant ainsi amené à examiner le caractère décisionnel de l’acte attaqué, cette question relevant, en effet, de l’ordre public.
Le litismandataire de la société requérante s’est, à cet égard, rapporté à prudence de justice.
Il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désigné par « la loi du 7 novembre 1996 », un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ».
L’article 2, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996 limite ainsi l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.
L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame2.
Plus particulièrement n’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision3 qui ne font que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d’élaboration de celle-ci4.
Il est constant en cause, pour n’être d’ailleurs pas contesté par la société requérante, qu’en ce qui concerne les décisions à prendre relativement à la recevabilité ou au mérite d’une 1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.
2 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2018, V° Actes administratifs, n° 41, et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas. adm.
2018, V° Actes administratifs, n° 61, et les autres références y citées.
4 Voir Cour adm., 22 janvier 1998, n° 9647C, 9759C, 10080C et 10276C du rôle, Pas. adm. 2018, v° Actes administratifs, n° 60 et les autres références y citées.
offre soumise dans le cadre d’une mise en adjudication publique, respectivement la décision d’attribution d’un marché public, le bourgmestre n’est pas l’autorité administrative dotée du pouvoir de décision, ce pouvoir relevant des attributions exclusives du collège des bourgmestre et échevins.
Il est encore un fait que la décision d’adjuger un marché public à un soumissionnaire déterminé comporte implicitement, mais nécessairement la décision de ne pas attribuer ce même marché aux autres soumissionnaires, de sorte que, par sa décision du 14 juillet 2017, qui est également déférée au tribunal par le biais de la requête introductive d’instance sous analyse, le collège échevinal de la commune de Bertrange, investi du pouvoir décisionnel en la matière, a non seulement expressément porté adjudication du marché litigieux à la société … SARL, mais également implicitement rejeté l’offre de la société requérante.
Or, en présence d’une décision explicite d’adjudication du marché public litigieux émanant de l’autorité compétente en la matière, le tribunal est amené à conclure que le courrier déféré du bourgmestre du 17 juillet 2017 ne comporte pas d’élément décisionnel propre, mais ne fait que porter à la connaissance de la société requérante la décision du collège échevinal de ne pas retenir son offre, ainsi que les raisons sous-jacentes à cette décision.
Il s’ensuit que le recours en annulation en ce qu’il est dirigé contre une décision, ainsi qualifiée, du bourgmestre de la commune de Bertrange du 17 juillet 2017, est à déclarer irrecevable faute d’objet.
Pour ce qui est du recours en annulation dirigé contre la décision du collège échevinal de la commune de Bertrange du 14 juillet 2017 portant attribution du marché litigieux à la société …, ainsi que corrélativement rejet de l’offre de la société …, telle qu’elle s’est matérialisée à l’égard de la société requérante par le biais du seul courrier du bourgmestre du 17 juillet 2017, ledit recours est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond A titre liminaire, le tribunal relève que, saisi d’un recours en annulation, il vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Il n’incombe en particulier pas au tribunal intervenant en tant que juge de la légalité de substituer son appréciation à celle du pouvoir adjudicateur, mais de contrôler si l’appréciation de ce dernier repose sur des critères objectifs et s’est opérée d’une manière non arbitraire.
Ainsi, le juge administratif est appelé à respecter le pouvoir d’appréciation du pouvoir adjudicateur, son contrôle consistant à vérifier si les faits à la base de la décision sont établis et si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits établis, seule une erreur manifeste d’appréciation de l’autorité ayant pris la décision déférée étant à sanctionner en conséquence5.
Or, à cet égard, il y a lieu de rappeler que les règles de preuve en matière administrative font porter l’essentiel du fardeau de la preuve sur le demandeur, lequel doit effectivement combattre 5 Trib. adm. 26 février 2004, n° 16952, Pas. adm. 2018, V° Marchés publics, n° 212.
et démentir le contenu et la légalité de l’acte administratif critiqué, lorsqu’il reproche à l’autorité administrative d’avoir détourné ou abusé de ses pouvoirs6.
Il incombe plus particulièrement au demandeur de fournir les éléments concrets sur lesquels il se base à l’appui de sa demande, étant entendu que la légalité de la décision administrative régulièrement prise reste acquise jusqu’à l’établissement d’éléments de fait et de droit permettant au tribunal de prononcer son annulation ou sa réformation7.
C’est sur cette toile de fond que le tribunal est amené à examiner les moyens présentés par la société demanderesse.
La société demanderesse invoque tout d’abord une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », ainsi que de l’article 11 de la loi du 25 juin 2009 et de l’article 90, paragraphe (3), du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 3 août 2009 », en ce que la motivation figurant dans le courrier précité du bourgmestre du 17 juillet 2017, par le biais duquel elle a été informée du fait que son offre aurait été rejetée au motif qu’elle ne constituerait pas l’offre économiquement la plus avantageuse, devrait en réalité s’analyser en une « conclusion » et non pas en une « motivation ». Or, la société demanderesse est d’avis qu’il aurait appartenu au pouvoir adjudicateur de justifier son choix d’adjudication du marché litigieux à la société … et de rejeter son offre « à la lumière du mode de calcul et à l’application concrète des critères d’attribution fixés au cahier des charges ».
La société demanderesse insiste, à cet égard, sur le fait que si, à la lumière de la jurisprudence actuelle, le défaut de motivation ne serait pas sanctionné par l’annulation de la décision litigieuse, il n’en resterait pas moins que le refus expresse et délibéré par le pouvoir adjudicateur de motiver ses choix d’adjudication, respectivement de rejet d’une offre, devrait tout de même entraîner l’annulation de la décision d’adjudication, au motif qu’un tel refus porterait gravement atteinte aux droits de la défense les plus élémentaires, au principe du respect du contradictoire, ainsi qu’aux principes d’égalité, de non-discrimination et de transparence imposés au pouvoir adjudicateur par l’article 4 de la loi du 25 juin 2009.
Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse insiste sur le fait que tant la délibération du collège échevinal du 14 juillet 2017 que le courrier d’information du bourgmestre du 17 juillet 2017 se seraient bornés à faire référence à l’offre économiquement la plus avantageuse. Or, une telle référence devrait s’analyser en une conclusion, mais non pas en une motivation. Elle réitère plus particulièrement que, pour satisfaire à son obligation de motivation, le pouvoir adjudicateur aurait dû justifier son choix de l’adjudicataire à la lumière du mode de calcul et sur base de l’application concrète des critères d’attribution fixés au cahier des charges, ce qu’il n’aurait toutefois fait ni dans son courrier du 25 juillet 2017, ni dans celui du 28 juillet 2017, la société demanderesse étant d’avis qu’au contraire, le courrier du 25 juillet 2017 n’aurait contenu qu’un faux-semblant de motivation tandis que celui du 28 juillet 2017 6 Voir en ce sens trib. adm. 20 juin 2005, n° 18790, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 719 et les autres références y citées.
7 Trib. adm. 26 mars 2003, n° 15115, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 444, et plus particulièrement en la matière de marchés publics: trib. adm.7 mars 2011, n° 26588, confirmé par arrêt du 20 octobre 2011, n° 28499C.
aurait arrêté le refus expresse de lui communiquer tout dossier ou toute analyse. Si la jurisprudence permettait effectivement au pouvoir adjudicateur de compléter sa motivation en cours d’instance, tel ne pourrait pas être le cas, de l’avis de la société demanderesse, en cas de refus délibéré et conscient de toute motivation et de transparence. La société demanderesse ajoute que l’annulation des décisions déférées s’imposerait en l’espèce d’autant plus que les motifs invoqués pour la première fois devant le juge du provisoire seraient manifestement contredits par les prétendus motifs invoqués initialement dans le courrier du 25 juillet 2017 par le biais duquel le pouvoir adjudicateur aurait justifié son choix par rapport aux références de l’adjudicataire ainsi qu’aux fiches techniques et pièces fournies par ses soins et non pas par rapport au prix. Or, ce serait justement au niveau du prix que la société demanderesse estime avoir été inégalable en ce qu’au moment de l’attribution du marché, elle aurait détenu le marché litigieux depuis de très longues années à la satisfaction de tous les opérateurs. La société demanderesse est dès lors d’avis que le fait de n’avoir invoqué des motifs tenant au prix de l’adjudicataire finalement retenu et de n’avoir communiqué la grille d’évaluation qu’à l’audience des plaidoiries devant le juge du provisoire, ne saurait s’analyser en une simple coïncidence, mais plaiderait, au contraire, en faveur d’une motivation postérieure ad hoc face à l’argumentation invoquée par elle à l’appui de sa requête introductive d’instance.
Les parties défenderesse et tierce-intéressée concluent, quant à elles, au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne tout d’abord la légalité externe des actes déférés et plus particulièrement le moyen de la société demanderesse fondé sur un prétendu défaut de motivation à la base de la décision d’écarter son offre et d’attribuer le marché litigieux à la société …, décisions qui se sont matérialisées dans son chef par le biais du courrier du bourgmestre du 17 juillet 2017, respectivement sur la violation de l’article 90 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, il y a lieu de rappeler qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 :
«Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.
La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle:
- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ;
- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit ;
- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ;
- intervient après procédure consultative, lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale.
Dans les cas où la motivation expresse n’est pas imposée, l’administré concerné par la décision a le droit d’exiger la communication des motifs.
L’obligation de motiver n’est pas imposée lorsque des raisons de sécurité extérieure ou l’intérieure de l’Etat s’y opposent ou lorsque l’indication des motifs risque de compromettre le respect de l’intimité de la vie privée d’autres personnes.».
Si en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérées doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé, - ce qui est le cas, contrairement à ce que soutient la commune, de la décision d’adjudication du marché public litigieux à la société …, puisque cette décision a impliqué le rejet corrélatif par le pouvoir adjudicateur de l’offre présentée par la société demanderesse, offre par le biais de laquelle s’est matérialisée la demande de la société demanderesse de se voir attribuer le marché litigieux -, il convient cependant de souligner que l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, seule une motivation « sommaire » étant expressément exigée.
Cette obligation de motivation est rappelée, en ce qui concerne l’attribution de marchés publics, à l’article 11 de la loi du 25 juin 2009 en vertu duquel l’attribution des marchés à conclure par procédure ouverte ou restreinte se fait par une décision motivée au soumissionnaire ayant présenté soit l’offre régulière économiquement la plus avantageuse, soit l’offre régulière au prix le plus bas, ainsi qu’à l’article 90, paragraphe (3) du règlement grand-
ducal du 3 août 2009, qui exige l’information par écrit des concurrents évincés que leur offre n’a pas été retenue avec indication des motifs à la base de la non-prise en considération de celle-ci.
Il y a encore lieu de relever que l’auteur d’une décision administrative peut valablement en compléter la motivation, même pendant la procédure contentieuse, cette faculté lui ayant été reconnue suivant l’interprétation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 faite par la Cour administrative8, de sorte que, contrairement à l’argumentation de la partie demanderesse, il y a lieu de prendre en considération tant le courrier du 25 juillet 2017 de la commune de Bertrange que les précisions complémentaires fournies par celle-ci dans le cadre de la procédure contentieuse, au titre de la motivation de la décision d’écarter son offre et de celle corrélative d’attribuer le marché à la société ….
Or, il y a lieu de constater que la décision d’écarter l’offre de la société …a été motivée par la commune de Bertrange sur base du constat que ladite offre n’avait pas été économiquement la plus avantageuse contrairement à celle de la société … qui s’est, en conséquence, vue attribuer le marché. Bien que la motivation contenue dans le courrier du bourgmestre du 17 juillet 2017 par le biais duquel la société demanderesse a été informée de la décision du collège échevinal de rejeter son offre et de celle corrélative d’attribuer le marché litigieux à un concurrent, de même que la motivation contenue dans le courrier du bourgmestre du 25 juillet 2017 soient succinctes, il n’en reste pas moins qu’au cours de l’instruction de la présente instance, la commune de Bertrange a complété sa motivation en versant la délibération du collège échevinal du 14 juillet 2017, ainsi que le tableau d’analyse détaillé des offres présentées en fonction des différents critères énoncés dans le cahier des charges. Il se dégage plus particulièrement du procès-verbal de la délibération du collège échevinal du 14 juillet 2017 et des explications complémentaires de la commune, qu’après avoir constaté que cinq sociétés avaient remis une offre dans les délais impartis, le collège échevinal a décidé d’attribuer le marché litigieux à la société …, au motif que l’offre de ladite société constituait l’offre économiquement la plus avantageuse, en s’appuyant sur le tableau d’analyse des offres qui a été établi par le groupe d’analyse du Service d’accueil et d’éducation de Bertrange dont il se dégage, d’une part, que les offres des sociétés … et …se sont classées largement devant celles des autres sociétés concurrentes et, d’autre part, que l’offre de la société requérante a été notée à 19,5 points sur un total de 20 points, tandis que celle de la société … a été notée au 8 Cour adm. 20 octobre 2009, n°25738C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 85 et les autres références y citées.
maximum de 20 points. La commune a également expliqué que comme la société demanderesse et la société … avaient chacune recueilli le maximum de points sur l’ensemble des critères d’attribution notés à l’exception de celui du prix qui divergeait en défaveur de la société demanderesse, le collège échevinal ayant, en effet, retenu un prix de ….- euros toutes taxes comprises par repas, tel qu’offert par la société …, et un prix de ….- euros toutes taxes comprises par repas, offert par la société …, les deux sociétés auraient finalement dû être départagées sur base du seul critère du prix.
Le tribunal est dès lors amené à retenir qu’au vu de ces explications complémentaires, le pouvoir adjudicateur doit être considéré comme ayant motivé à suffisance les décisions querellées.
Enfin et à titre superfétatoire, il y a lieu de relever, en ce qui concerne les conclusions de la société demanderesse tendant à l’annulation pure et simple de la décision a quo du fait du défaut allégué de motivation, que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours et que celle-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse. Le but principal de l’obligation de l’administration de motiver ses décisions, à savoir de permettre à l’administré de connaître cette motivation sans devoir engager des frais pour l’obtenir, par exemple, moyennant recours contentieux, peut également être obtenu par d’autres moyens plus adéquats. Dans ce contexte, il convient de rappeler encore que tant le silence de l’administration suite à une requête légitime que l’absence de motivation d’une décision peuvent constituer l’administration en faute si elle n’a pas agi en tant qu’administration normalement prudente, diligente et avisée ; un tel comportement doit cependant trouver sa sanction dans les règles de la responsabilité civile et non pas conduire à l’annulation automatique de l’acte si la décision administrative est, par ailleurs, basée sur des motifs légaux quoique non formellement énoncés dans l’acte. Pour le surplus, pour l’hypothèse spécifique d’une absence de motivation d’une décision par l’administration avant la phase contentieuse, une sanction plus adéquate se dégage d’une législation postérieure à la législation sur la procédure administrative non contentieuse, à savoir de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », prise en ses articles 32 et 33 permettant aux juridictions administratives de condamner par décision motivée une partie ayant gagné son procès à une fraction ou la totalité des dépens ou de mettre à charge de cette partie la totalité ou une partie des sommes exposées par l’autre partie et non comprises dans les dépens, dont plus particulièrement les frais d’avocat, pour l’hypothèse où il paraît inéquitable de laisser ces frais à charge de cette autre partie. Dès lors, lorsque le défaut de motivation allégué oblige l’administré à introduire d’abord un recours contentieux pour provoquer la motivation à la base d’une décision le concernant, respectivement une motivation pertinente complémentaire, cela justifie par principe respectivement l’allocation d’une indemnité de procédure et la condamnation de l’administration fautive à une partie ou la totalité des dépens9.
Par conséquent, le tribunal, conformément aux enseignements de la juridiction suprême, doit en tout état de cause rejeter le moyen basé sur l’absence formelle de motivation et tendant à l’annulation des décisions déférées, sans préjudice toutefois du contrôle subséquent du bien-fondé de la motivation avancée.
9 idem En second lieu, et quant à la légalité interne des décisions déférées, la société demanderesse invoque une violation de l’article 89, paragraphe (1), du règlement grand-ducal du 3 août 2009 en ce que le cahier spécial des charges, bien que prévoyant la pondération relative qu’il confère à chacun des critères d’attribution, ne mentionnerait pas la méthode de notation des points, de sorte que les éventuelles notations du pouvoir adjudicateur manqueraient de transparence et de clarté, laissant ainsi libre cours à l’arbitraire, à l’excès de pouvoir et à des erreurs manifestes d’appréciation.
Les parties défenderesse et tierce-intéressée concluent au rejet de ce second moyen pour ne pas non plus être fondé.
Aux termes de l’article 89, paragraphe (1), du règlement grand-ducal du 3 août 2009 « Le pouvoir adjudicateur précise dans l’avis de marché ou dans le cahier spécial des charges la pondération relative qu’il confère à chacun des critères choisis pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse.
Cette pondération peut être exprimée en prévoyant une fourchette dont l’écart maximal doit être approprié.
La méthode de notation des points doit être précisée dans le cahier spécial des charges et doit être transparente. ».
Le tribunal est, en premier lieu, amené à constater que le cahier des charges indique dans son chapitre 7 intitulé « Jugement des offres », les critères d’attribution et leurs pondérations, tout en précisant au niveau de l’évaluation qualitative des offres non seulement les différents éléments pris en considération pour ladite évaluation, mais en indiquant également le pourcentage de prise en considération des différents éléments concernés dans l’évaluation globale des offres.
Tel que relevé ci-avant, il se dégage du tableau d’analyse des offres soumises au pouvoir adjudicateur que la société demanderesse a justement obtenu le maximum de points sur l’ensemble des critères qualitatifs d’attribution notés, à savoir une note globale pondérée de 19,5 sur le maximum de 20 points, les 0,5 points déduits ayant résulté du prix de l’offre présentée par la société demanderesse en ce qu’il ne s’agissait pas de l’offre la moins chère.
Ensuite et en tout état de cause, le tribunal se doit de relever, à l’instar des parties défenderesse et tierce-intéressée, que si la société demanderesse avait effectivement estimé que le cahier des charges ne mentionnait pas la méthode de notation des points et ce, contrairement au prescrit de l’article 89, paragraphe (1), du règlement grand-ducal du 3 août 2009, il lui aurait incombé, sous peine d’une non-prise en considération de son offre, de le signaler au pouvoir adjudicateur, conformément aux dispositions de l’article 21 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, aux termes duquel « le soumissionnaire qui constaterait dans le dossier de soumission des ambiguïtés, erreurs ou omissions, est tenu sous peine d’irrecevabilité, de les signaler par lettre recommandée au pouvoir adjudicateur au moins sept jours avant l’ouverture de la soumission, à moins que le cahier spécial des charges ne stipule un délai plus long ».
Cette disposition vise en effet expressément des « ambiguïtés, erreurs ou omissions » qui seraient de nature à rendre impossible l’établissement d’un prix ou à fausser la comparaison des offres telles que par exemple une contradiction entre les parties des plans ou du métré descriptif, des lacunes dans les stipulations techniques ou encore des formules de révision de prix erronées10, bref tous les cas où le soumissionnaire ne dispose pas par le fait de l’administration des données indispensables au calcul de son prix11 et où il s’interroge sur ce que l’administration a voulu, alors qu’il ne peut soumissionner que d’après une hypothèse qu’il se fait personnellement et qui n’est pas nécessairement celle qui a été retenue par l’administration ou celle sur laquelle se seront basés les autres concurrents12 : cette disposition couvre dès lors des ambiguïtés - terme pouvant être défini comme une imprécision de ce terme ou une incertitude quant à la portée et à la signification de ce terme13 -, des erreurs matérielles affectant la rédaction de certaines dispositions du cahier des charges, ou encore des omissions, c’est-à-dire des lacunes intervenues lors de la rédaction du cahier des charges.
Cette disposition implique dès lors l’association active de tous les soumissionnaires à l’établissement d’un dossier clair et exact garantissant une saine mise en concurrence, moyennant le droit et l’obligation des intéressés, tous des professionnels avertis, de contrôler et de vérifier soigneusement la documentation remise par le commettant et de signaler toute ambiguïté, erreur ou omission risquant d’empêcher la comparabilité des offres. Cette obligation à charge des soumissionnaires, qui peut être mise en parallèle avec l’obligation de loyauté et de collaboration entre parties telle que développée par les juridictions civiles à partir de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, a non seulement pour but de veiller à mettre tous les candidats soumissionnaires à égalité par rapport au cahier des charges, en clarifiant par exemple les interrogations que l’un des soumissionnaires pourrait avoir par rapport au dossier de soumission, mais encore de veiller en permettant ainsi préalablement l’évacuation des problèmes liés à la compréhension et à l’interprétation du cahier des charges, une fois les soumissions déposées, à ce que la procédure d’adjudication soit menée à bien dans les meilleurs délais dans l’intérêt de l’achèvement des travaux publics. En aucun cas n’est-il admissible que, dans un premier temps, un soumissionnaire participe à une soumission sans dire mot quant à des ambiguïtés, erreurs ou omissions qu’il a pu - ou dû - constater, pour par la suite s’en emparer et s’en prévaloir dans le cas de figure défavorable où son offre n’aurait pas été retenue14.
La société demanderesse est dès lors de toute façon forclose à soulever des problèmes en relation avec l’indication de la méthode de notation des différents critères d’attribution énoncés devant le juge administratif, s’agissant, en effet, d’ambiguïtés ou d’omissions éventuelles qu’elle était tenue de signaler dans le délai lui imparti par l’article 21 précité, et non de s’en prévaloir seulement une fois sa soumission rejetée.
Le moyen afférent est dès lors à rejeter.
En troisième lieu, la société demanderesse sollicite l’annulation des décisions querellées en invoquant une prétendue confusion qui règnerait dans le cahier spécial des charges entre les critères de sélection et les critères d’attribution. Elle fait, en effet, valoir, en s’appuyant sur les articles 71, 79 et 88 du règlement grand-ducal du 3 août 2008, que le cahier des charges énumérerait au titre des critères d’attribution, des critères manifestement illégaux en ce que, non seulement ils ne seraient pas prévus par l’article 88, paragraphe (2), du règlement 10 Voir M.-A. Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des marchés publics, 4e éd., n° 161, au sujet de l’article 20, par. 4 de l’arrêté royal du 22 avril 1977 relatif aux marchés publics de travaux, de fournitures et de services, directement inspiré de la réglementation luxembourgeoise.
11 Ibidem.
12 M.-A. Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des marchés publics, 6e éd, T.1a, p.923.
13 Trib. adm. 22 décembre 2006, n° 21211, Pas. adm. 2018, V° Marchés publics, n° 33.
14 Trib. adm. 22 décembre 2006, n° 21211, op.cit.
grand-ducal du 3 août 2008, mais que, qui plus est, ils constitueraient manifestement des critères de sélection et non pas d’attribution.
Les parties défenderesse et tierce-intéressé concluent également au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.
Le tribunal est, à cet égard, amené à relever que si les critiques de la société demanderesse ne tombent certes pas dans le champ d’application de l’article 21 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, précité, - ce dernier trouvant à s’appliquer, comme exposé ci-
devant, lorsque des erreurs matérielles - au sens large du terme - affectent la rédaction de certaines dispositions du cahier des charges -, il n’en reste pas moins que la société demanderesse a, dans un premier temps, participé sans réserves et sans émettre de quelconque réclamation au marché litigieux, pour ensuite seulement, au vu du résultat négatif de sa soumission, remettre en cause la substance même de ce marché.
Or, la société demanderesse, ce faisant, adopte une attitude incohérente et contradictoire, consistant à accepter dans un premier temps, du moins en apparence, les règles régissant une soumission publique, pour ensuite, en se prévalant de prétendues illégalités à ce point criantes et évidentes - à suivre son argumentation - qu’elles ne pouvaient pas lui avoir précédemment échappé, chercher à écarter les conditions d’attribution essentielles de ladite soumission alors que son offre n’a pas été retenue, faisant ainsi encore preuve de mauvaise foi manifeste, violant l’exigence de bonne foi entre parties, et ce tant au niveau pré-contentieux que contentieux. Un tel comportement doit être sanctionné en vertu du principe suivant lequel une partie ne peut se contredire au détriment d’autrui (théorie de l’estoppel), rattachable encore à l’article 1134, alinéa 3 du Code civil, suivant lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, et tromper ainsi l’attente légitime de son cocontractant, principes dont l’article 21 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 ci-avant ne constitue finalement qu’une concrétisation règlementaire.
Partant, le tribunal retient que l’attitude initiale de la société demanderesse ne l’autorise plus à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties, le revirement incriminé de la société demanderesse portant, en effet, préjudice tant au pouvoir adjudicateur qu’à celui de ses concurrents, tant le pouvoir adjudicateur que les soumissionnaires devant, en effet, être dès l’ingrès, lorsque cela relève comme en l’espèce non seulement du domaine du possible, mais de celui du manifeste - la partie demanderesse ne pouvant avoir ignoré les illégalités du cahier des charges actuellement mises en avant -
confrontés à d’éventuels problèmes légaux viciant potentiellement le cahier des charges, et ce afin, pour le premier, d’être en mesure de corriger le cadre de la soumission, et, pour les seconds, de pouvoir en tenir compte lors de la préparation de leurs offres respectives, les soumissionnaires devant en effet se trouver sur un pied d’égalité aussi bien au moment où ils préparent leurs offres qu’au moment où celles-ci sont évaluées.
A titre superfétatoire, le tribunal est encore amené à relever que par opposition au chapitre 7 du cahier des charges intitulé « Jugement des offres » qui énumère les critères d’attribution du marché litigieux, le chapitre 1 du même cahier des charges intitulé « Conditions particulières pour soumissionner (Critères de sélection) » énumère, quant à lui, les critères de sélection aux exigences desquelles les soumissionnaires devaient répondre « sous peine d’exclusion », de sorte que la société demanderesse n’a pas pu se tromper à ce sujet. La société demanderesse reste d’ailleurs en défaut d’expliquer concrètement en quoi les critères d’attribution tels que repris au chapitre 7 seraient en réalité à considérer comme des critères de sélection étant, en effet, relevé que le tribunal ne perçoit pas lequel des critères d’attribution ainsi énumérés ne serait pas lié à l’objet du marché litigieux, respectivement permettrait non pas d’évaluer la qualité des offres remises mais uniquement de vérifier l’aptitude des soumissionnaires à exécuter le marché envisagé. Or, il n’appartient en tout état de cause pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-
même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.
Ensuite et en tout état de cause, le tribunal constate, à l’instar des parties défenderesse et tierce-intéressée, qu’il se dégage du tableau d’analyse des offres remises par les différents adjudicataires que celle de la société demanderesse a non seulement été considérée comme remplissant les critères de sélection prévus au chapitre 1 du cahier spécial des charges, mais également comme satisfaisant l’ensemble des critères d’attribution énoncés dans le cahier des charges sous le chapitre 7, puisqu’elle a obtenu le maximum des points sur tous les critères qualitatifs fixés, à l’exception de celui du prix. Or, si le principe d’égalité de traitement implique une obligation de transparence afin de permettre de vérifier son respect et si les critères de sélection et d’attribution doivent être formulés, dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché, de manière à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents de les interpréter de la même manière, la société demanderesse reste en défaut d’expliquer en quoi concrètement, en l’espèce, le principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires aurait été violé en raison d’une prétendue confusion existant entre les critères d’attribution et les critères de sélection. Le moyen afférent doit partant être rejeté pour ne pas non plus être fondé.
Finalement, la société demanderesse invoque une violation par le pouvoir adjudicateur des articles 88 et 89 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 en ce que le pouvoir adjudicateur aurait attribué le marché litigieux à la société … au motif qu’elle aurait présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, sans qu’une quelconque référence n’aurait été faite au mode de calcul et à l’application des critères d’attribution pondérés, tels que fixés au cahier des charges, de sorte qu’il y aurait lieu de conclure que le pouvoir adjudicateur n’aurait manifestement pas respecté l’application desdits critères d’attribution.
Elle est, dans ce contexte, par ailleurs, d’avis que les critères sur base desquels la société … s’est vue attribuer le marché s’analyseraient non seulement en des critères de sélection et non pas en des critères d’attribution, mais qu’en tout état de cause ces critères n’auraient pas pu conduire à eux-seuls à la conclusion que l’offre de la société … avait été la plus avantageuse.
En effet, d’une part, la conformité de l’offre n’aurait présenté qu’une pondération de 5% des critères d’attribution, l’expérience que 2% et la remise des fiches techniques que 5%.
La société demanderesse fait, en outre, valoir que comme son offre avait été retenue, elle aurait non seulement incontestablement remis une offre conforme de même que les fiches techniques et pièces justificatives ayant figuré au bordereau, mais que, par ailleurs, elle aurait disposé d’une expérience inégalable en ce qu’au moment de l’attribution du marché litigieux, elle aurait détenu le marché depuis de très longues années à la satisfaction de tous les opérateurs. Elle estime dès lors que son évaluation au niveau des prédits critères n’aurait pas pu être inférieure à celle conférée à la société …, sauf pour le pouvoir adjudicateur à commettre un excès de pouvoir ou une erreur manifeste d’appréciation. Ce constat resterait, par ailleurs, vrai en considération de l’offre de prix inférieure de la société … puisque le critère du prix de l’offre n’aurait représenté que 10% des critères d’attribution.
La société demanderesse en conclut que, sans préjudice de l’illégalité des critères d’attribution tels qu’ils avaient été visés dans son courrier du 25 juillet 2017, le pouvoir adjudicateur aurait encore manifestement omis de tenir compte des autres critères d’attribution ainsi que de leur pondération, sinon les aurait erronément appliqués.
Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse insiste sur le fait qu’en réalité, le pouvoir adjudicateur n’aurait pas choisi l’offre économiquement la plus avantageuse, mais celle la plus basse et ce au détriment des critères d’attribution tels que stipulés dans le cahier des charges, la société demanderesse en voulant encore pour preuve le libellé du courrier d’information d’attribution du marché adressé par la commune à la société … en date du 17 juillet 2017 et par le biais duquel elle a indiqué que la société … avait présenté « l’offre régulière au prix le plus bas ».
Les parties défenderesse et tierce-intéressée concluent là encore au rejet du moyen pour ne pas non plus être fondé.
Le tribunal est tout d’abord amené à relever que dans le chapitre 7 du cahier des charges, intitulé « Jugement des offres », dans lequel ont été fixés les critères d’attribution du marché litigieux, il est expressément indiqué que « Le choix du soumissionnaire s’effectuera conformément aux articles 88 et 89 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics. A cet effet, la COMMUNE se réserve le droit de juger les offres et de choisir le SOUMISSIONNAIRE sur base des critères de sélections et de leurs pondérations telles qu’elles sont indiquées ci-après : […] », de sorte que, du fait du renvoi à l’article 89 du règlement grand-ducal du 3 août 2008, cité ci-avant in extenso, le pouvoir adjudicateur a clairement opté pour une attribution du marché litigieux selon le principe de l’offre économiquement la plus avantageuse.
Il se dégage ensuite plus particulièrement dudit chapitre 7 que le choix du soumissionnaire devait se faire sur base, d’un côté, d’une évaluation financière tenant compte du prix unitaire du repas, du prix du petit-déjeuner et de celui de la collation et, de l’autre côté, sur base d’une évaluation qualitative des critères suivants :
« o Expérience des dirigeants et/ou de la société dans le secteur de la restauration collective 2% o Moyens de production et organisation mis en œuvre 5% o Approche du référencement de fournisseurs et producteurs locaux et gamme de produits du SOUMISSIONNAIRE 22% o Proposition des fournisseurs en produits biologiques et de produits issus du marché équitable 10% o Animations nutritionnelles proposées 2% o La valeur technique et le support logistique offerts par le SOUMISSIONNAIRE dans les matières suivantes : 6% Organisation interne Traçabilité des achats Politique et contrôles en matière de l’hygiène alimentaire Recherche des produits sur base de fiches techniques Diététique o Formation continue (5%) Programme présenté sur base de la proposition du présent cahier des charges concernant les cuisiniers et aide-cuisinier Politique de formation initiale (apprentissage, formation en matière d’apprentissage-tutorat) o Interlocuteurs auprès de la Commune (profil, connaissances linguistiques, sens de responsabilité et pouvoirs décisionnels) (3%) o Conformité du compte d’exploitation prévisionnel (8%) o Exposé concis de la politique de développement durable. Il a lieu d’élaborer des propositions concrètes visant la réduction du gaspillage alimentaires (animations et campagnes) et le recyclage des déchets alimentaires et autres déchets ayant trait à la mission (5%) o Politique sociale du SOUMISSIONNAIRE (Fournisseurs, ressources humaines et lutte contre le chômage) (5%) o Labels obtenus par le SOUMISSIONNAIRE (Made in Luxembourg, Superdrëckskëscht, Sou schmaacht Lëtzebuerg …) (5%) o Concepts techniques et nutritionnels proposés par le SOUMISSIONNAIRE (2%) o Qualité des fiches techniques proposées (cf annexe 12) (5%) o Présentation et conformité de l’offre 5% o Prix de l’offre 10% » Aux termes de l’article 88 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 : « (1) Les marchés à conclure par procédure ouverte ou restreinte sont attribués par décision motivée au soumissionnaire ayant présenté soit l’offre régulière économiquement la plus avantageuse, soit l’offre régulière au prix le plus bas. Est considérée comme offre régulière tout offre qui après évaluation faite est formellement et techniquement conforme, et qui remplit les critères de sélection qualitatifs qui peuvent être prévus par les cahiers spéciaux des charges.
(2) Lorsque l’attribution doit se faire selon le principe de l’offre économiquement la plus avantageuse du point de vue du pouvoir adjudicateur, les critères suivants liés à l’objet du marché public en question sont pris en considération: la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les caractéristiques environnementales, l’aspect social, le coût d’utilisation, la rentabilité, le service après-vente et l’assistance technique, la date de livraison et le délai de livraison ou d’exécution.
Le pouvoir adjudicateur est libre de n’appliquer, pour un marché public déterminé, qu’une partie des critères énumérés à l’alinéa qui précède ».
En l’espèce, il se dégage des pièces versées en cause par la commune que lors de la comparaison financière qui a été effectuée par le pouvoir adjudicateur après l’ouverture des offres, il s’est avéré que celle de la société demanderesse s’était classée comme la deuxième moins chère derrière l’offre de la société …. Il n’est, dans ce contexte, pas contesté que la comparaison financière ainsi effectuée reposait sur le résultat arithmétique des prix unitaires de chaque soumissionnaire, multiplié par la fréquentation prévisionnelle des repas scolaires indiquée dans le cahier des charges et que les masses annuelles exprimaient la dépense pour la collectivité.
Il se dégage ensuite du tableau d’analyse versé par la commune que, suite à un premier classement basé sur les prix, celle-ci a procédé à la notation de chaque offre lui remise par rapport à chacun des différents critères d’attribution tels que fixés dans le cahier des charges, étant relevé que la meilleure note correspondait à 20 points. Dans un deuxième temps, le pouvoir adjudicateur a multiplié le nombre de points obtenus par le coefficient alloué à chacun des différents critères dans le cahier spécial des charges pour arriver à une note pondérée globale de 20 points.
Force est dès lors de constater que le pouvoir adjudicateur a non seulement énuméré au chapitre 7 du cahier des charges les différents critères d’attribution applicables, mais il résulte encore du tableau d’analyse des différentes offres versé en cause par la commune que le pouvoir adjudicateur a concrètement et individuellement noté toutes les offres lui soumises par rapport à chacun des critères d’attribution tels que fixés dans le cahier des charges. Pour ce faire, il a attribué à chacun des soumissionnaires des points allant de la note 20, lorsqu’un critère était rempli, à 15-12,5-7,5-5 points lorsqu’un critère était partiellement rempli, jusqu’à 0 si le critère n’était pas rempli. Le tribunal constate, à cet égard, que l’offre de la société demanderesse, tout comme celle de la société … a obtenu le maximum de 20 points sur tous les critères d’attribution qualitatifs énumérés ci-avant, à l’exception de celui du prix qui était, en effet, plus cher en ce qui concerne la société demanderesse. Il s’ensuit dès lors, d’une part, que les développements de la société demanderesse visant à reprocher au pouvoir adjudicateur un excès de pouvoir ou une erreur manifeste d’appréciation pour l’avoir évaluée de manière inférieure en ce qui concerne plus particulièrement les critères de la conformité de l’offre, de l’expérience et de la remise des fiches techniques sont dénués de toute pertinence. De l’autre côté, même s’il est vrai que le critère du prix ne présentait qu’une pondération de 10% par rapport aux autres critères qualitatifs, il n’en reste pas moins que, comme les offres de la société demanderesse et de la société … ont été notées chacune au maximum sur tous les critères d’attribution qualitatifs, à l’exception de celui du prix de l’offre, aucun reproche ne saurait être adressé au pouvoir adjudicateur pour avoir au final départagé lesdites offres au niveau du critère du prix. Ce constat est d’autant plus vrai qu’il apparaît que le critère du prix représentait le second critère le plus important de tous les critères d’attribution.
S’il est encore vrai que, tel que le relève la société demanderesse, le pouvoir adjudicateur a informé la société … à travers son courrier du 17 juillet 2017 qu’elle s’était vue adjuger le marché litigieux « au montant total de …€ TTC, dépense annuelle, soit un prix unitaire de … € TTC à votre entreprise qui a présenté l’offre régulière accusant le prix le plus bas », la société demanderesse en déduisant qu’en réalité, le marché n’aurait pas été attribué en tenant compte de l’offre économiquement la plus avantageuse, mais seulement de la plus basse en termes de prix, il n’en reste pas moins qu’au vu des considérations reprises ci-avant, et malgré les termes utilisés, il se dégage de l’ensemble des éléments soumis au tribunal que le choix du soumissionnaire retenu a bien été effectué en considération de l’offre régulière économiquement la plus avantageuse et non pas de l’offre régulière au prix le plus bas. Ce constat se trouve d’ailleurs confirmé par le procès-verbal de la séance du collège échevinal de la commune de Bertrange du 14 juillet 2017 dont il se dégage clairement que c’est sur base de « l’analyse, l’appréciation et le classement des offres établies par le groupe d’analyse du Service d’Accueil et d’Education de Bertrange en date du 14 juillet 2017 » que le comité de pilotage a proposé « suivant tableau d’analyse, de charger la société classée première de l’exécution des prestations en question, vu que cette offre est économiquement la plus avantageuse ». Le moyen afférent est dès lors également rejeté.
Au vu des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.
La société …demande encore à voir condamner la commune à lui payer une indemnité de procédure de 5.000.- euros sur base de l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile.
Au-delà du fait que la base légale pour l’allocation utile d’une indemnité de procédure réside dans l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, la demande afférente est de toute façon à rejeter au vu de l’issue du litige.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
déclare irrecevable le recours en annulation pour autant qu’il est dirigé contre une décision, ainsi qualifiée, du bourgmestre de la commune de Bertrange du 17 juillet 2017 ;
pour le surplus, reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande en indemnité de procédure telle que formulée par la société demanderesse ;
condamne la société demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 décembre 2018 par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13/12/2018 Le Greffier du Tribunal administratif 17