Tribunal administratif N° 42011 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 novembre 2018 2e chambre Audience publique du 3 décembre 2018 Recours formé par Monsieur …., Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120. L.29.08.2008)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 42011 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 novembre 2018 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …., né le …. à ….
(Bosnie-Herzégovine), de nationalité bosnienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 novembre 2018 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 novembre 2018 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2018.
Le 1er octobre 2015, Monsieur …. introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Par décision du 15 décembre 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara que le Luxembourg n’était pas compétent pour examiner sa demande au motif que Monsieur …. aurait déposé une demande de protection internationale en Allemagne en date du 15 janvier 2014, de sorte que l’Allemagne serait responsable du traitement de sa demande de protection internationale. Il fut transféré en Allemagne en date du 22 décembre 2015.
Le 14 juillet 2017, Monsieur …. introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par décision du 27 juillet 2017, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre informa Monsieur …. qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1) sous a), b) et h) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le recours contentieux introduit par Monsieur …. auprès du tribunal administratif fut rejeté par un jugement du 10 octobre 2017, inscrit sous le numéro 40002 du rôle.
En date du 8 décembre 2017, le ministre demanda au bureau signalétique de la Police grand-
ducale de bien vouloir procéder au signalement de Monsieur …. en vue d’un placement en rétention.
Il ressort d’un procès-verbal de la Police grand-ducale, circonscription régionale Luxembourg, dressé le 7 novembre 2018 que Monsieur …. fut interpelé en date du même jour lors d’un contrôle et qu’il ne disposait pas de documents d’identité ou de voyage valables.
Par courrier du même jour, les autorités luxembourgeoises s’adressèrent aux autorités bosniennes pour demander la réadmission de Monsieur …. en application des dispositions de l’accord entre la Communauté européenne et la Bosnie-Herzégovine concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier signé à Bruxelles le 18 septembre 2007, désigné ci-après par « l’accord de réadmission ».
Par arrêté du 7 novembre 2018, notifié le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur …. en rétention administrative au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question, afin de préparer l’exécution de la mesure d’éloignement, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :
« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le procès-verbal Nr : 54156 du 7 novembre 2018 établi par la Police grand-ducale, Circonscription Régionale Luxembourg, Commissariat Luxembourg – Groupe Gare ;
Vu ma décision de retour du 27 juillet 2017, notifiée à l’intéressé en date du 31 juillet 2017 ;
Vu que l’intéressé est débouté de sa demande de protection internationale depuis le 10 octobre 2017 ;
Vu que l’intéressé n’a pas achevé les démarches afin de retourner volontairement dans son pays d’origine ;
Vu mon signalement pour découvrir la résidence de l’intéressé du 13 décembre 2017 ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Attendu que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».
Par courrier électronique du 14 novembre 2018, les autorités bosniennes confirmèrent aux autorités luxembourgeoises qu’elles émettraient des documents de voyage au nom de Monsieur …..
Le 14 novembre 2018, le ministre prit un arrêté à l’égard de Monsieur …. lui interdisant l’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.
Toujours le 14 novembre 2018, le ministre s’adressa au service de police judiciaire, « Section Criminalité Organisée – Police des Etrangers », pour demander que soit notifiée la décision d’interdiction de territoire du 14 novembre 2018 et organisé le départ de l’intéressé.
Par courrier du 19 novembre 2018, le litismandataire de Monsieur …. informa le ministre que Monsieur …. souhaitait retourner volontairement dans son pays d’origine.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 novembre 2018, Monsieur ….
a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 7 novembre 2018 ayant ordonné son placement au Centre de rétention.
Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et quant au fond, Monsieur …. n’avance qu’un moyen unique. Il estime ainsi qu’il existerait une possibilité effective de refoulement vers son pays d’origine depuis le 7 novembre 2018 puisque les autorités bosniennes auraient accepté de le réadmettre à cette date.
Il fonde ses affirmations sur la « loi du 10 janvier 2003 portant approbation de l’accord entre le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg … et le Gouvernement fédéral de la Répiublique Fédérale de Yougoslavie relatif à la reprise et la réadmission de personnes qui ne remplissent pas ou ne remplissent plus les conditions d’entrée ou de séjour sur le territoire de l’autre Etat membre signé à Belgrade le 19 juillet 2002 ». Il argumente encore qu’en vertu de l’accord de réadmission toute impossibilité de refoulement vers le pays d’origine du demandeur ferait en l’espèce défaut.
En effet, aucune circonstance de fait n’empêcherait l’autorité compétente de l’éloigner vers son pays d’origine.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) » En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. (…) » L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à la disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
Une mesure de placement est dès lors plus particulièrement conditionnée, d’une part, par le fait que l’exécution d’une mesure d’éloignement est en cours et, d’autre part, par l’existence d’un risque de fuite, qui, en vertu de l’article 111 (3) c) de la loi du 29 août 2008, est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, respectivement si l’étranger s’est soustrait aux obligations prévues aux articles 111 et 125 de la même loi.
En l’espèce, il n’est pas contesté qu’une décision de retour a été prise à l’encontre du demandeur en date du 27 juillet 2017, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour.
Par ailleurs, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement précise que contrairement aux affirmations du demandeur, l’article 120 de la loi du 29 août 2008, en sa version issue de la loi du 1er juillet 2011, ne renvoie plus à la condition que l’exécution de la mesure d’éloignement est impossible en raison de circonstances de fait, mais cette disposition pose comme condition que la préparation de l’exécution de la mesure d’éloignement est en cours et est entreprise avec toute la diligence requise1. Il s’ensuit que l’argumentation du demandeur fondée sur un défaut d’existence d’une impossibilité d’exécuter l’éloignement en raison de circonstances de fait au regard du fait que les autorités bosniennes auraient accepté de le réadmettre et au regard de l’existence de l’accord de réadmission, est à rejeter.
Aucun autre moyen n’ayant été avancé à l’encontre de la décision déférée, le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, vice-président, Hélène Steichen, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 3 décembre 2018, par le vice-président, en présence du greffier assumé Lejila Adrovic.
s. Lejila Adrovic s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 03.12.2018 Le greffier du tribunal administratif 1 trib. adm. 17 décembre 2015, n° 37259 du rôle, disponible sur : www.jurad.etat.lu