Tribunal administratif N° 41764 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er octobre 2018 1re chambre Audience publique extraordinaire du 30 novembre 2018 Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 41764 du rôle et déposée le 1er octobre 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, ayant demeuré au moment de l’introduction du recours à L-…, ayant élu domicile en l’étude de Maître Frank Wies, préqualifié, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 septembre 2018 décidant de le transférer vers la Belgique, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2018 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah Braun, en remplacement de Maître Frank Wies, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 novembre 2018.
Le 10 août 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police judiciaire de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC et les informations du CCPD, ainsi que suivant ses propres déclarations, que Monsieur …, après son arrivée sur le territoire de l’Union européenne via la Turquie et la Grèce en 2015, introduisit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 25 octobre 2015 suivie de trois demandes de protection internationale introduites en Belgique en date des 5 novembre 2015, 21 novembre 2017 et 5 avril 2018. Il s’avéra, en outre, que sa demande d’asile du 5 novembre 2015 avait été déclarée irrecevable par les autorités belges en date du 22 juin 2015.
1Toujours le 10 août 2018, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».
Par arrêté du 10 août 2018, notifié au demandeur en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois à partir de la notification dudit arrêté.
En date du 22 août 2018, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités belges en vue de la prise, respectivement de la reprise en charge de Monsieur …, sur base de la considération que l’intéressé avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Belgique. Cette demande fut acceptée par les autorités belges le 27 août 2018 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.
Par décision datée du 13 septembre 2018, expédiée le lendemain par courrier recommandé, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la Belgique sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« (…) J'accuse réception de votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée en date du 10 août 2018.
En vertu des dispositions de l'article 28 (1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18§1d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand -Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Belgique, qui est l'Etat membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.
Selon vos déclarations vous seriez arrivé sur le territoire de l'Union Européenne via la Turquie et la Grèce en 2015. Vous auriez voyagé vers l'Allemagne et vous avez présenté une demande de protection internationale aux autorités allemandes. Après un court séjour d'une semaine vous vous seriez rendu en Belgique où vous seriez resté pour une durée de trois ans.
Finalement vous seriez arrivé au Luxembourg en date du 8 août 2018 avant d'introduire une nouvelle demande de protection internationale.
Il résulte par ailleurs des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment dans la base de données EURODAC, que vous avez déjà précédemment introduit trois demandes de protection internationale en Belgique en date des 5 novembre 2015, 21 novembre 2017 et 5 avril 2018.
Sur base des informations à disposition, le Grand -Duché de Luxembourg a adressé une demande de reprise en charge aux autorités belges qui ont accepté en date du 27 août 2018 de reprendre en charge l'examen de votre demande de protection internationale en vertu de l'article 18§1d du règlement UE Nr 604/2013 susmentionné.
2Lors de votre audition en date du 1[0] août 2018, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux.
Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement UE Nr 604/2013.
Vous n'avez par ailleurs pas fait valoir des raisons particulières ou humanitaires qui auraient dû amener l'Etat luxembourgeois de faire application de l'article 17(1) du règlement UE Nr 604/2013.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités belges n'ont pas été constatées (…) ».
Le même jour, le service de Police judicaire, section criminalité organisée - police des étrangers, fut prié de procéder à l’organisation du transfert de Monsieur ….
Monsieur … fut transféré vers la Belgique en date du 18 octobre 2018.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er octobre 2018, inscrite sous le numéro 41764 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 13 septembre 2018 décidant de son transfert vers la Belgique.
Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 13 septembre 2018.
Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et après avoir exposé les faits et rétroactes relatés ci-dessus, le demandeur invoque de prime abord une erreur manifeste d’appréciation sinon une violation de l’article 9 du règlement Dublin III, en ce que le Luxembourg aurait dû se déclarer compétent pour examiner sa demande de protection internationale, alors que son frère, Monsieur ……, aurait été admis à résider sur le territoire luxembourgeois en tant que bénéficiaire de la protection subsidiaire au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Le demandeur met en exergue que le ministre aurait été au courant de leur lien familial puisqu’il ressortirait de son dossier administratif, et plus précisément de sa fiche de données personnelles, que des membres de sa famille seraient présents sur le territoire luxembourgeois, cette information ayant, en effet, été indiquée par une mention manuscrite « Frère (LUX) … …R-1187 » de l’agent du ministère en charge. A cela s’ajouterait que le rapport d’entretien mentionnerait l’obtention de la protection subsidiaire de son frère (« il y jouit d’1 PO2 »), de sorte qu’il serait indéniable que le ministre avait connaissance, au moment où il a rendu sa décision, du fait qu’il disposerait d’un membre de sa famille au Luxembourg.
Le demandeur critique par la suite la décision du ministre de se déclarer incompétent pour examiner sa demande de protection internationale en avançant qu’au moment de la prise de sa décision, il n’aurait pas pu faire abstraction des défaillances systémiques dans la procédure d’asile en Belgique au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qui 3entraîneraient un risque de traitement inhumain et dégradant en violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, ci-après « la CEDH », et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après « la Charte ». Le demandeur justifie l’existence de défaillances systémiques par le renvoi prétendument forcé de ressortissants afghans dans leur pays d’origine par les autorités belges malgré la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire en Afghanistan, tout en se réfèrant, à cet égard, à un article de presse belge du 5 octobre 2017 dans lequel le directeur de la section belge francophone de l’organisation Amnesty International aurait affirmé que « la Belgique n’hésite pas à renvoyer des demandeurs d’asile à Kaboul, alors que la capitale et sa province restent la zone la plus meurtrière du pays ».
Pour soutenir le risque d’un retour forcé vers son pays d’origine, le demandeur donne à considérer que la Belgique l’aurait débouté de sa demande de protection internationale, tout en lui ordonnant de quitter le territoire. Il ressortirait, par ailleurs, des informations inscrites à son sujet dans le Fichier Central belge qu’il aurait fait l’objet d’une « radiation d’office du registre de la population/des étrangers » et qu’il aurait été « Signalé au niveau national en Belgique pour « recherche d’adresse de résidence » dans le cadre d’un dossier « étranger illégal – accès/séjour/établissement ». ». Or, selon le demandeur, ces démarches effectuées par les autorités belges démontreraient incontestablement l’intention de celles-ci d’organiser son refoulement vers l’Afghanistan.
Le demandeur fait ensuite valoir l’existence de risques réels pour les Afghans de subir des menaces graves et individuelles contre leur vie en raison de la violence aveugle due à la situation de conflit armé interne sévissant en Afghanistan, le demandeur se référant, à cet égard, à deux arrêts dans lesquels la Cour administrative1 aurait reconnu, en se basant sur divers rapports internationaux, qu’en cas de retour en Afghanistan, les ressortissants de nationalité afghane seraient confrontés à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015. En ayant eu connaissance de ces jurisprudences au moment de la prise de la décision litigieuse, le ministre aurait, selon le demandeur et en application du jugement du tribunal administratif du 3 août 2018, n° 41401 du rôle, dû rechercher si un transfert vers la Belgique respecterait ses droits fondamentaux.
A titre subsidiaire, le demandeur invoque l’application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 du règlement Dublin III, en mettant plus particulièrement en exergue son jeune âge ainsi que les lourdes épreuves qu’il aurait dû affronter depuis son départ d’Afghanistan en 2015.
Enfin, il insiste sur la considération que son transfert vers la Belgique aurait non seulement pour conséquence de l’arracher brutalement de son frère, mais entraînerait, en outre, une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la CEDH au vu de son renvoi vers l’Afghanistan par les autorités belges, soit dans un pays qui se trouverait en guerre et où l’insécurité règnerait encore actuellement, eu égard, notamment, aux événements meurtriers qui l’auraient dernièrement frappé, tel que cela résulterait d’un article de presse du 15 août 2018.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
1 Cour adm. 28 novembre 2017, n° 39977C du rôle ; Cour adm. 4 janvier 2018, n° 40256C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
4Force est de constater que la décision déférée du 13 septembre 2018, prise en application de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, a un double objet, conformément à la même disposition, à savoir celle, d’une part, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre compétent - en l’espèce la Belgique -, et, d’autre part, de ne pas examiner sa demande de protection internationale, ce dernier volet étant la conséquence du premier volet de la décision. Force est ensuite de constater que la décision ministérielle déférée est plus particulièrement motivée par le fait, d’une part, que le demandeur a précédemment introduit trois demandes de protection internationale en Belgique, soit en date des 5 novembre 2015, 21 novembre 2017 et 5 avril 2018, et, d’autre part, que la Belgique a accepté le 27 août 2018 la prise, respectivement la reprise en charge de l’examen de sa demande de protection internationale.
En ce qui concerne la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale, il y a tout d’abord lieu de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si, en vertu du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge, le ministre décide, d’un côté, de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et, de l’autre côté, de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
Aux termes de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été prise, « 1. L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».
Il suit de ces dispositions que l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale est obligé de reprendre en charge le suivi de cette demande dans l’hypothèse où le ressortissant de pays tiers ou l’apatride concerné s’est vue rejeter sa demande de protection internationale et a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre.
Le tribunal constate que le bien-fondé de la motivation de la décision attaquée telle que reprise ci-avant ressort à la fois des résultats des recherches effectuées dans la base de données EURODAC versés au dossier et du récit du demandeur, lequel, dans son entretien précité du 10 août 2018, a admis avoir introduit une demande de protection internationale en Belgique qui a été rejetée par les autorités belges, étant encore relevé qu’il ressort des éléments du dossier administratif que les autorités belges ont accepté de reprendre en charge le demandeur.
La décision ministérielle de transférer le demandeur vers la Belgique et de ne pas examiner sa demande de protection internationale en application de l’article 28, paragraphe 5(1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III n’encourt dès lors a priori aucune critique.
S’agissant du moyen fondé sur la prétendue compétence des autorités luxembourgeoises pour examiner la demande de protection internationale du demandeur au motif que le frère du demandeur, Monsieur ……, serait bénéficiaire d’une protection subsidiaire au Luxembourg au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, il convient de relever que l’article 9 du règlement Dublin III dispose que « Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d’origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d’une protection internationale dans un Etat membre, cet Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés aient exprimé le souhait par écrit ».
Sur le fondement de l’article 9, précité, du règlement Dublin III, un Etat membre est donc responsable de l’examen d’une demande de protection internationale à condition qu’un membre de la famille du demandeur a été admis à résider en tant que bénéficiaire d’une protection internationale sur le territoire de cet Etat membre et que les intéressés aient exprimé leur souhait par écrit.
Selon l’article 2, point g) du règlement Dublin III, on entend par « membres de la famille», « dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d’origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des Etats membres :
— le conjoint du demandeur, ou son ou sa partenaire non marié(e) engagé(e) dans une relation stable, lorsque le droit ou la pratique de l’État membre concerné réserve aux couples non mariés un traitement comparable à celui réservé aux couples mariés, en vertu de sa législation relative aux ressortissants de pays tiers, — les enfants mineurs des couples visés au premier tiret ou du demandeur, à condition qu’ils soient non mariés et qu’ils soient nés du mariage, hors mariage ou qu’ils aient été adoptés au sens du droit national, — lorsque le demandeur est mineur et non marié, le père, la mère ou un autre adulte qui est responsable du demandeur de par le droit ou la pratique de l’État membre dans lequel cet adulte se trouve, — lorsque le bénéficiaire d’une protection internationale est mineur et non marié, le père, la mère ou un autre adulte qui est responsable du bénéficiaire de par le droit ou la pratique de l’État membre dans lequel le bénéficiaire se trouve ; ».
L’article 2, point g) du règlement Dublin III ne mentionnant pas les frères et sœurs, il convient de retenir que, indépendamment de la question de savoir si Monsieur …… est ou non le frère du demandeur, ce qui est contesté en l’espèce par la partie étatique, un frère ne peut être considéré comme « membre de la famille » au sens de l’article 9 du règlement Dublin III.
De ce fait, l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû prendre en considération le lien de parenté qui existerait entre le demandeur et Monsieur ……, n’est pas pertinente en l’espèce, la fratrie n’étant, en effet, pas visée par l’article 2, point g), précité, du règlement Dublin III. A cela s’ajoute, à titre superfétatoire, qu’il ne ressort pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que Monsieur …… ou le demandeur aient exprimé par écrit 6leur souhait de se voir réunis, de sorte que les conditions prévues à l’article 9, précité, ne sont en toute hypothèse pas remplies en l’espèce.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation de l’article 9 du règlement Dublin III est rejeté comme étant non fondé.
S’agissant du moyen fondé sur l’existence de prétendues défaillances systémiques dans la procédure d’asile en Belgique en ce que les autorités belges renverraient de force les ressortissants afghans dans leur pays d’origine malgré la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire en Afghanistan, le tribunal relève que l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III est libellé comme suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ».
Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.
A cet égard, le tribunal relève de prime abord que la Belgique, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, est tenue au respect des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après dénommée « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le 2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S, c. Secretary of State for the Home Department et C-
493/10, M.E. et al c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.
7traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3.
Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées4. Dans son arrêt du 16 février 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « CJUE », a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile5, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Si, tel que retenu ci-avant, les droits fondamentaux sont supposés respectés par un Etat membre, il ressort toutefois de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après « la CourEDH », que dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH - similaire à l’article 4 de la Charte -, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable6. Dans ces conditions, l’article 3 de la CEDH implique l’obligation de ne pas éloigner la personne en question vers ce pays7.
Or, afin d’apprécier s’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur encourt un risque réel de traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH, la CourEDH a jugé que l’existence d’un risque réel de traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH doit être évaluée en fonction des circonstances dont la partie gouvernementale avait ou devait avoir connaissance au moment de la décision attaquée8. Le ministre doit dès lors se livrer à un examen aussi rigoureux que possible des éléments indiquant l’existence d’un risque réel de traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH9.
En ce qui concerne le risque allégué d’une expulsion forcée, le tribunal relève de prime abord que l’acte entrepris n’implique pas un retour au pays d’origine mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande d’asile, respectivement de ses suites, soit en l’espèce la Belgique, ce pays ayant, comme relevé ci-dessus, reconnu sa compétence pour reprendre en charge le demandeur, point qui n’est pas contesté en l’espèce.
Le tribunal constate ensuite que dans les affaires mettant en cause l’expulsion d’un demandeur d’asile, la CourEDH10 a toutefois précisé qu’elle se gardait d’examiner elle-même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les Etats remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève. Sa préoccupation essentielle est en effet celle de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, 3 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib.adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
4 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
5 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.
6 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
7 CEDH, 4 décembre 2008, Y./Russie, n° 20113/07, point 75.
8 Voir CEDH 4 décembre 2008, Y./Russie, point 81 ; CEDH 20 mars 1991, Cruz Varas et autres/Suède, n° 15576/89, points 75-76 ; CEDH 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres/Royaume-Uni, point107.
9 CEDH 21 janvier 2011, M.S.S./Belgique et Grèce, points 293 et 388 10 CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09, point 286.
8direct ou indirect, vers le pays qu’il a fui, la CourEDH ayant encore retenu que l’effectivité d’un recours ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant11.
Toutefois, compte tenu de l’importance que la CourEDH attache à l’article 3 de la CEDH et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale, c’est-à-dire un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 de la CEDH12, la préoccupation essentielle de la CourEDH étant de savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers son pays d’origine13, la CourEDH ayant encore souligné que lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre pas dans les attributions de la CourEDH de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux14.
Il résulte dès lors de cette jurisprudence que le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, en application du règlement Dublin III, ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH qu’à la condition que l’intéressé démontre, soit, qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat, soit, qu’il ne bénéficierait pas d’une protection contre le non-refoulement vers son pays d’origine dans l’Etat intermédiaire responsable de l’examen de sa demande d’asile, à savoir en l’espèce la Belgique.
Cette jurisprudence impose dès lors la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de la santé de l’intéressé.
D’autre part, lorsque, comme en l’espèce, le risque n’est pas inhérent à la situation dans l’Etat membre responsable de la prise en charge de la demande de protection internationale, mais résulte d’un refoulement par ricochet vers le pays d’origine, il convient de vérifier l’existence d’une protection effective contre le non-refoulement vers son pays d’origine dans l’Etat intermédiaire de transfert où il serait exposé à un risque de traitement inhumain ou dégradant.
Ces deux aspects, à savoir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant, sont explicitement prévus par l’article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III comme condition devant faire obstacle au transfert d’un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable et doivent être mesurés à l’aune des normes imposées par la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale ainsi que par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, l’absence d’une 11 Ibidem, point 289.
12 Ibidem, point 293.
13 Ibidem, point 298.
14 CEDH, grande chambre, 23 mars 2016, F.G. c. Suède, n° 43611/11, point 118.
9telle protection effective se recoupant en particulier avec l’hypothèse de défaillances systémiques dans la procédure d’asile telles que prévues.
Il est toutefois vrai que la jurisprudence européenne a de surcroît admis l’existence d’obstacles à un transfert en dehors d’une situation de défaillances systémiques, tel que par exemple l’état de santé de la personne devant être transférée, hypothèse ayant donné lieu à la jurisprudence15 sanctionnant un transfert du fait des risques qu’il occasionnerait en lui-même et non du fait de défaillances systémiques dans l’Etat de destination (« Lorsque le transfert du demandeur d’asile, dont l’état de santé du demandeur d’asile est particulièrement grave, pourrait avoir des conséquences qui pourraient être irréversibles, les autorités doivent tenir compte de tous les éléments médicaux à la cause et écarter ce doute d’un risque lié au transfert lui-même, y compris sur un plan psychique »), hypothèse toutefois non donnée en l’espèce, le demandeur n’ayant pas fait état de problèmes de santé particuliers.
Au vu de ce qui précède et dans la mesure où le demandeur estime que les autorités belges procéderaient à son retour forcé vers l’Afghanistan sans prendre en considération la situation dans ce pays, il échet au tribunal d’examiner s’il existe en Belgique des recours effectifs garantissant aux demandeurs d’asile le respect de leurs droits fondamentaux dont, notamment, le principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève, étant rappelé, à cet égard, que l’effectivité d’un recours ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant mais de la seule existence dans l’Etat membre responsable du traitement de la demande d’asile, voire de ses suites, de garanties effectives qui le protègent contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers le pays qu’il a fui.
Or, force est de constater qu’aucun élément soumis au tribunal ne permet de retenir que les autorités belges compétentes auraient violé le droit de Monsieur … à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles auraient refusé de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, notamment et en particulier au vu des risques éventuellement encourus dans son pays d’origine, Monsieur … n’ayant en effet avancé aucun élément concret qui permettrait de conclure que sa procédure d’asile n’y aurait pas été conduite conformément aux normes imposées par la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.
En effet, si lors de son entretien du 10 août 2018 et à l’appui de son recours, le demandeur a certes invoqué avoir déposé une demande d’asile en Belgique et que celle-ci avait été rejetée, il n’appert toutefois pas que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping ») en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only ») : le règlement Dublin III cherche en effet à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat membre de leur choix.
S’il se dégage des pièces produites par le demandeur que la Belgique a procédé à un certain nombre de renvois forcés vers l’Afghanistan de demandeurs de protection internationale afghans déboutés, il ne résulte toutefois pas des pièces versées en cause que la Belgique ne 15 CJUE., 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Slovénie, C-578/16.
10respecterait pas le principe de non-refoulement en renvoyant des demandeurs de protection internationale déboutés en Afghanistan sans que ceux-ci n’aient disposé de voies de recours effectives et faillirait donc à ses obligations internationales. Ni la radiation d’office du registre de la population ni le signalement au niveau national en Belgique ne sauraient être suffisants pour conclure que le demandeur sera ipso facto renvoyé dans son pays d’origine, sans que les circonstances particulières de l’espèce ne seraient examinées par les autorités belges, respectivement n’aient pas été examinées par celles-ci. Enfin, tel que relevé par le délégué du gouvernement, il existe toujours la possibilité pour le demandeur de saisir la CourEDH pour lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, d’ordonner aux autorités belges de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.
Dans ces circonstances, la conclusion s’impose que le demandeur reste en défaut de prouver que son transfert vers la Belgique l’exposerait à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe du non-refoulement, ancré à l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant de l’article 4 de la Charte ou encore de l’article 3 de la CEDH.
Le tribunal relève encore à cet égard que dans la mesure où le demandeur reste en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités belges responsables de sa demande de protection internationale, n’ont pas analysé correctement sa demande de protection internationale avant de l’en débouter ou qu’en tant que demandeur de protection internationale débouté, il n’aurait pas ou n’aurait pas eu accès à la justice de ce Etat pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la décision de rejet de sa demande de protection internationale ou avec une éventuelle mesure d’éloignement vers son pays d’origine, il n’appartient pas au ministre de mettre en doute les décisions de rejet des autorités de l’Etat membre responsable en se fondant sur un arrêt de la Cour administrative ayant retenu l’existence d’un conflit armé interne généralisé en Afghanistan, le contraire aboutissant, en effet, à ce que le ministre procède à une nouvelle analyse d’une demande d’ores et déjà rejetée dans un Etat membre, façon de procéder qui relèverait toutefois du « forum shopping » que le règlement Dublin III vise justement à éviter16.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une violation de l’article 3 de la CEDH est rejeté.
En ce qui concerne ensuite le moyen fondé sur une non-application, par le ministre, de la clause discrétionnaire instaurée par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, aux termes duquel : « 1. Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement », il échet au tribunal de relever que s’il est vrai que, lorsqu’en application des critères dudit règlement, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande de protection internationale, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de l’article 17, précité, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres17. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont 16 Voir notamment trib. adm. 8 août 2018, n° 41457 ou encore trib. adm.17 octobre 2018, n° 41694.
17 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
11elles ont la charge18, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée19, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion uniquement si celle-ci est manifeste.
Il convient, en outre, de préciser que les dispositions de l’article 17 échappent aux mécanismes de l’article 3, paragraphe (2), précité, du règlement Dublin III, le tribunal relevant que la CJUE a, dans son arrêt du 16 février 201720, précité, souligné que « Il n’en demeure pas moins que ladite disposition [article 17], lue à la lumière de l’article 4 de la Charte, ne saurait être interprétée, dans une situation telle que celle en cause au principal, en ce sens qu’elle impliquerait l’obligation pour cet État membre d’en faire ainsi application ».
Il convient dès lors de retenir que si l’article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III couvre l’hypothèse de défaillances systémiques, l’article 17 pour sa part permet aux Etats membres de tenir compte, de manière discrétionnaire, des hypothèses autres que celles prévues par le règlement Dublin III qui imposeraient à l’Etat membre l’examen de la demande de protection internationale. En d’autres termes, l’article 17, visant d’autres hypothèses « humanitaires » n’aurait pas vocation à pallier, de manière subsidiaire, au résultat d’une application correcte des règles de répartition de compétence du règlement Dublin III.
Or, en l’espèce, force est de constater que le jeune âge et la présence du frère du demandeur sur le territoire luxembourgeois sont des éléments insuffisants pour retenir que le ministre a commis un erreur manifeste d’appréciation en ne faisant pas application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 du règlement Dublin III, de sorte que le moyen est rejeté pour être non fondé.
Concernant la prétendue violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale en vertu de l’article 8 de la CEDH, il convient de souligner que si l’article 17 du règlement Dublin III laisse au ministre un pouvoir discrétionnaire, ce pouvoir est limité par les engagements internationaux pris par le Luxembourg et par les normes supérieures que l’Etat luxembourgeois doit respecter en conséquence, telles les obligations découlant de la CEDH ou encore de la Charte. Il s’ensuit que l’interprétation de la portée de l’article 17, précité, et plus particulièrement l’appréciation du pouvoir discrétionnaire du ministre en découlant doivent être opérées à la lumière des dispositions de la CEDH et de la Charte, cette analyse se dégageant plus particulièrement encore du considérant numéro 17 du règlement Dublin III, de même que de ses considérants numéro 32, aux termes duquel « Pour ce qui concerne le traitement des personnes qui relèvent du présent règlement, les Etats membres sont liés par les obligations qui leur incombent en vertu des instruments de droit international, y compris par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière », et numéro 39, aux termes duquel « Le présent règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus, notamment, par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
En particulier, il vise à assurer le plein respect du droit d’asile garanti par l’article 18 de la 18 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, Bruxelles, CIDC, 1966, p.449.
19 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.
20 CJUE, 16 février 2017, C.K, H.F., A.S. c. Slovénie, C-578/16.
12charte ainsi que des droits reconnus par ses articles 1er, 4, 7, 24 et 47. Le présent règlement devrait être appliqué en conséquence. ».
Il convient encore de relever que la notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert, pour que la protection de l’article 8 de la CEDH puisse jouer, un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante à l’entrée sur le territoire national21.
En l’espèce, mis à part le constat que les liens familiaux entre le demandeur et Monsieur …… sont contestés et non autrement établis par le demandeur, force est de constater que le demandeur reste également en défaut de démontrer un lien effectif, réel et suffisamment étroit entre lui-même et son frère, de sorte que la protection de la vie familiale telle que prévue par l’article 8 de la CEDH n’est pas de nature à énerver la décision déférée.
Au vu des développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens soulevés par le demandeur, le recours en annulation est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 30 novembre 2018 par:
Annick Braun, vice-président, Stéphanie Lommel, juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30/11/2018 Le Greffier du Tribunal administratif 21 Cour adm. 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas adm. 2018, V° Etrangers, n° 436 et les autres références y citées.