Tribunal administratif N° 40255 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 octobre 2017 3e chambre Audience publique du 28 novembre 2018 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du directeur général de POST Luxembourg en matière de discipline
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40255 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2017 par Maître Céline HENRY-CITTON, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du Directeur général de POST Luxembourg du 13 juillet 2017 prononçant à son égard la sanction disciplinaire de la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 12 octobre 2017, portant signification de cette requête à l’établissement de droit public Entreprise des Postes et Télécommunications, exerçant ses activités sous la dénomination POST Luxembourg, établi et ayant son siège social à L-2417 Luxembourg, 20, rue de Reims, représenté par son directeur général actuellement en fonctions ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 novembre 2017 par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats Luxembourg, au nom et pour le compte de POST Luxembourg préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse de Maître Marc THEWES déposé au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2017 au nom et pour le compte de POST Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 9 février 2018 par Maître Céline HENRY-CITTON au nom et pour le compte de Madame … ;
Vu le mémoire en duplique de Maître Marc THEWES déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2018 au nom et pour le compte de POST Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Céline HENRY-CITTON et Maître Anne CHARTON, en remplacement de Maître Marc THEWES, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 novembre 2018.
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1En date du 1er juillet 2002, Madame … fut engagée sous contrat auxiliaire temporaire par de l’Entreprise des Postes et Télécommunications des Postes et Télécommunications, ci-
après dénommée « l’entreprise des P&T ». Elle fut ensuite engagée à durée déterminée avec effet au 14 juillet 2003 par le même employeur et finalement à durée indéterminée à partir du 14 juillet 2005.
Le 22 février 2013 Madame …, laquelle était à l’époque affectée au Service de Renseignement de l’entreprise des P&T, se vit adresser un avertissement de la part du directeur de LUXGSM basé sur la motivation suivante : « A notre plus grand regret, nous avons dû constater que vous avez affiché un comportement inadmissible à l’égard de clients et des manquements dans l’exécution de votre service. Il est établi, suivant le rapport de l’enquête administrative du 18 janvier 2013, engagée à votre égard par le Service Inspection Centrale, que votre comportement non-professionnel à l’égard de clients, en dates des 10 juillet 2011, 11 février 2012, 5 décembre 2012 et 15 janvier 2013, est inacceptable et indigne d’une employée LUXGSM. Des remontrances écrites et orales vous ont été adressées à ce (sic) effet par votre supérieur. Les relations professionnelles ont été perturbées par des discussions agressives. Vos agissements de la sorte ont compromis la bonne renommée de votre employeur. Les performances en matière de « handling » des appels dépassent sensiblement la norme tolérée, pour les appels « no answer », pour la période de septembre 2012 à janvier 2013. Votre rendement s’avère nettement insuffisant. […] ».
Le 13 mars 2014, Madame … fit l’objet d’une seconde décision disciplinaire, à savoir d’un changement d’affectation sur base des considérations suivantes :
« […] Vu le rapport de l’instruction disciplinaire, dressé par l’Inspection Centrale en date du 20 novembre 2013, moyennant lequel il est établi que Madame … n’a pas respecté les obligations prévues aux articles 9 § 1 et 10 § 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat ;
Considérant que Madame … est à l’origine de plusieurs réclamations émises par des clients du Service renseignement en date des 1er juillet, 7 août et 9 août 2013 ;
Considérant qu’elle ne s’est pas conformée aux lois et règlements déterminant l’exercice de ses fonctions, tout comme aux instructions relatives à l’accomplissement régulier de ses devoirs.
Considérant que Madame … n’a, de juin à juillet 2013, pas respecté les normes établies en matière de « calls no answer ».
Considérant que Madame … est récidiviste en la matière, qu’elle a écopé d’un avertissement en date du 22 février 2013 en relation avec un comportement non-professionnel à l’égard de clients et encore des performances en dessous de la norme en matière de handling des appels entrants ;
Considérant que les manquements de Madame … sont à qualifier d’infractions aux articles 9 § 1 et 10 § 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat ;
Considérant que l’Entreprise des P&T ne saurait en aucun cas tolérer, sans compromettre sa bonne renommée et ses intérêts publics, de pareils écarts de conduite ;
2 Considérant qu’en date du 3 décembre 2013, l’intéressée a été mise au courant des griefs retenus à sa charge, aux fins de la mettre en mesure de déployer ses moyens de défense éventuels, conformément aux exigences arrêtés au statut général des fonctionnaires de l’Etat et à la loi modifiée du 10 août 1992 portant création de l’Entreprise des Postes et Télécommunications ;
Considérant que Maître TINTI, dans sa qualité de conseil de Madame … a pris position par courrier du 31 décembre 2013 sans présenter de nouveaux éléments susceptibles de motiver un complément d’instruction ;
Vu l’avis de la Commission disciplinaire du 11 février 2014 ;
Faisant application de l’article 38 de la loi modifiée du 10 août 1992 portant création de l’Entreprise des Postes et Télécommunications […] ».
Le 17 janvier 2017, suite à une altercation avec une collègue de travail, Madame …, Madame … fut priée de quitter son lieu de travail par sa supérieure hiérarchique, laquelle avait appelé une ambulance pour l’accompagner. Après avoir dans un premier temps refusé de suivre ces mêmes instructions, Madame … finit par obtempérer en présence de la police. Suite à cet incident, elle reçut une dispense de travail avec effet immédiat par courrier du responsable du département des ressources humaines du 17 janvier 2017.
Par courrier du 31 janvier 2017, notifié à l’intéressée le 8 février 2017, le service de l’inspection centrale de l’entreprise P&T, en la personne de Monsieur …, informa Madame … qu’une instruction disciplinaire a été ouverte à son encontre, suite à « un comportement intolérable à [son] lieu de travail dans la cantine du bâtiment postal de Luxembourg-Gare ».
Par missive du 14 février 2017, notifiée le 15 mars 2017, Madame … fut convoquée à un entretien devant l’inspection centrale de l’entreprise P&T dans le cadre ladite instruction disciplinaire, entretien qui eut lieu le 29 mars 2017.
Le 7 avril 2017, l’inspection centrale de l’entreprise P&T fit parvenir le rapport d’instruction disciplinaire au directeur général de l’entreprise P&T, ci-après désignée par « le directeur ».
Il ressort de l’extrait du registre aux délibérations de la commission disciplinaire rédigé le 19 juin 2017, que suite à une demande d’avis lui adressée par l’inspection centrale de l’entreprise des P&T, celle-ci proposa dans sa séance du 2 juin 2017 « d’infliger à l’agent … la sanction disciplinaire de la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle et non-respect de la dignité des fonctions pour avoir eu un comportement intolérable à l’égard de l’entourage professionnel ainsi que de la Police Grand-Ducale ».
Par décision du 13 juillet 2017, le directeur infligea à Madame … la sanction disciplinaire proposée par la commission disciplinaire, décision libellée comme suit :
« Vu le rapport de l’instruction disciplinaire, dressé par l’Inspection Centrale en date du 7 avril 2017, moyennant lequel il est établi que Madame … n’a pas respecté les obligations prévues aux articles 9 § 1 et 10 § 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat ;
3Considérant l’agression verbale et les menaces proférées par Madame … à l’encontre d’une collègue de travail ;
Considérant le comportement inacceptable de la concernée en présence de témoins ;
Considérant l’attitude inadmissible et les gestes intolérables de Madame … envers la Police Grand-Ducale ;
Considérant que Madame … est récidiviste en matière d’infraction aux dispositions légales et réglementaires ;
Considérant qu’elle a écopé de la sanction disciplinaire de l’avertissement pour comportement inadmissible à l’égard de clients et manquement dans l’exécution du service par décision du 22 février 2013 ;
Considérant qu’elle a écopé de la sanction disciplinaire du déplacement pour comportement non-professionnel à l’égard de la clientèle par décision du 13 mars 2014 ;
Considérant que les agissements de Madame … sont à qualifier d’infractions aux articles 9 § 1 et 10 § 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat ;
Considérant que POST Luxembourg ne saurait en aucun cas tolérer, sans compromettre sa bonne renommée et ses intérêts publics de pareils écarts de conduite ;
Considérant qu’en date du 7 avril 2017, l’intéressée a été mise au courant des griefs retenus à sa charge, aux fins de la mettre en mesure de déployer ses moyens de défense éventuels, conformément aux exigences arrêtées au statut général des fonctionnaires de l’Etat et à la loi modifiée du 10 août 1992 portant création de l’Entreprise des Postes et Télécommunications ;
Considérant que Maître Céline Henry-Citton, dans sa qualité de conseillère de Madame …, a pris position par courrier du 14 avril 2017 sans présenter de nouveaux éléments susceptibles de motiver un complément d’instruction ;
Vu l’avis de la Commission disciplinaire du 2 juin 2017, l’employée de l’Etat ayant été entendue dans ses explications, en présence de son avocate ;
Faisant application de l’article 38 de la loi modifiée du 10 août 1992 portant création de l’Entreprise des Postes et Télécommunications ;
DECIDE La sanction disciplinaire de la mise à la retraite d’office pour inaptitude professionnelle et non-respect de la dignité des fonctions est infligée à Madame … (No National : …) employée de l’Etat au sein du département Bâtiments et Facility Management de POST Luxembourg, pour réprimer le comportement administratif défaillant spécifié ci-
avant […] ».
4Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2017, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision directoriale précitée du 13 juillet 2017.
L’article 40 de la loi modifiée du 10 août 1992 portant création de l’entreprise des postes et télécommunications prévoyant un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, est également recevable.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse explique qu’après avoir été en congé de maladie pendant tout le mois de décembre 2016 jusqu’au début du mois de janvier 2017, elle aurait eu une dispute sur son lieu de travail avec une collègue le 17 janvier 2017.
Cette dispute l’aurait ébranlée à tel point, qu’elle aurait dû être emmenée en ambulance à l’hôpital, la demanderesse précisant par ailleurs que l’intervention de la police aurait été nécessaire pour qu’elle accepte de suivre les ambulanciers. Le même jour, elle aurait été dispensée de travail par son employeur, lequel n’aurait pas pris en compte son état de santé précaire, malgré le fait qu’il aurait été parfaitement au courant des troubles dont elle aurait souffert. Elle aurait fini par être hospitalisée et se trouverait depuis « en maladie dûment déclarée », ce qui n’aurait toutefois pas empêché qu’une procédure disciplinaire ait été ouverte à son encontre.
En droit, la demanderesse, après avoir contesté « partiellement » les faits à l’origine du litige et les témoignages figurant dans le dossier disciplinaire, insiste sur ses troubles psychiques qui auraient nécessité une prise en charge médicale dans son chef, troubles que son employeur n’aurait pas pu ignorer, pour conclure qu’elle n’aurait pas été pleinement consciente de ses propos et de son attitude. Dans ce contexte, elle reproche encore à l’entreprise des P&T de ne pas avoir saisi le médecin de travail et s’interroge sur une éventuelle occultation délibérée de son état de santé de la part de son employeur dans le but de se débarrasser d’une employée « trop encombrante ». Elle ajoute que même à admettre que son attitude puisse être qualifiée d’incorrecte, celle-ci n’aurait toutefois pas engendré de poursuites de la part de la police grand-ducale. La demanderesse reproche encore au directeur de ne pas avoir pris en compte son état de santé en tant que circonstance atténuante, mais d’avoir au contraire considéré ses antécédents disciplinaires comme circonstance aggravante pour déterminer la sanction disciplinaire litigieuse. Dans la mesure où les agissements lui reprochés seraient liés à son état de santé, elle n’en saurait être tenue responsable et ne saurait se voir infliger une quelconque punition. La demanderesse conteste partant toute infraction aux articles 9, paragraphe 1, et 10, paragraphe 1, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désignée par « la loi du 16 avril 1979 ».
Dans un deuxième temps, la demanderesse conclut à une violation du principe de proportionnalité, et à une erreur manifeste d’appréciation, en arguant qu’elle n’aurait commis aucune faute en relation avec les faits lui reprochés.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse précise encore que depuis 2014, elle aurait été absente à de nombreuses reprises en raison de son état de santé, la demanderesse expliquant souffrir d’une pathologie dorsale qui ne lui permettrait pas de manipuler de 5charges lourdes, ainsi que d’une pathologie d’ordre psychologique, laquelle aurait été diagnostiquée en 2016. Elle ajoute qu’elle aurait eu du mal à accepter ses troubles d’ordre mental et partant à comprendre la nécessité d’une prise en charge médicamenteuse dans son chef. Ce n’aurait été que suite à l’incident du 17 janvier 2017 et son hospitalisation subséquente qu’elle se serait rendue compte de la nécessité de se faire soigner. Elle insiste encore sur le fait qu’elle n’aurait jamais touché, respectivement insulté Madame … et elle conteste avoir tenu des propos désobligeants vis-à-vis des policiers, la demanderesse niant ainsi la matérialité des faits lui reprochés. Elle ajoute que lors de son entretien avec le service de l’inspection centrale de l’entreprise des P&T, en la personne de Monsieur …, son état de santé aurait toujours été fragile, ce qui expliquerait ses propos parfois décousus. Elle donne encore à considérer que la dispute avec Madame … aurait eu lieu à la cantine de l’entreprise des P&T devant les premiers usagers et qu’aucune de ces personnes n’auraient témoigné pour appuyer les dires de ses collègues de travail. De même, la partie adverse ne disposerait d’aucun témoignage du chef de cuisine, respectivement d’une autre collègue appelée pour venir en aide à Madame …, la demanderesse ajoutant encore en ce qui concerne le témoignage « écrit à deux mains » figurant dans son dossier, que ni Madame …, ni Madame … n’auraient été présentes lors de sa dispute avec Madame …, de sorte que les déclarations de ces dernières ne seraient pas suffisantes pour mettre en doute ses propres contestations.
Elle conteste ensuite toute faute dans son chef en insistant sur le fait que ses facultés de discernement auraient été en partie ou totalement altérées du fait de ses troubles psychiques au moment des faits litigieux, de sorte que tout élément intentionnel, pourtant nécessaire à la qualification de faute, ferait défaut en l’espèce.
Pour les mêmes raisons, elle exclut encore toute responsabilité dans son chef, tout en insistant sur le fait que depuis le mois de décembre 2016, elle aurait versé 11 certificats médicaux établis par un médecin spécialisé en psychiatrie. Si elle consent que lesdits certificats n’indiquent pas la raison de son incapacité de travail, elle estime toutefois qu’aucun reproche ne lui saurait être fait à cet égard, étant donné que les pathologies d’un salarié relèveraient du secret médical. La demanderesse explique par ailleurs ne pas s’être présentée devant le médecin de travail en raison de ses arrêts de maladie et de son discernement altéré.
Finalement, et en se prévalant toujours de ses troubles psychiques, la demanderesse insiste sur le caractère disproportionné de la sanction disciplinaire lui infligée.
L’entreprise des P&T, quant à elle, soutient que la décision déférée serait fondée en fait et en droit et elle conclut partant au rejet du recours sous analyse.
En ce qui concerne le moyen relatif à une prétendue inexactitude des faits matériels à la base de la décision déférée, il convient d’abord de préciser les faits qui sont reprochés à Madame …, à savoir d’avoir, en date du 17 janvier 2017, « agressé verbalement et proféré des menaces à l’encontre d’une collègue de travail », d’avoir eu « un comportement inadapté et inacceptable en présence de deux témoins » et d’avoir eu « une attitude inadmissible et des gestes intolérables envers une patrouille de la Police Grand-Ducale ». Il convient à cet égard encore de rappeler que si le droit disciplinaire est certes d'interprétation stricte et que l'établissement des faits doit respecter la présomption d'innocence, la preuve d'un manquement à une obligation professionnelle sanctionnée par une peine disciplinaire cependant est libre et un tel manquement peut être établi par tous les moyens, dans le respect du contradictoire et des droits de la défense.
6Il y a ensuite lieu de relever que l’instruction disciplinaire a été ouverte suite aux témoignages de Madame …, ainsi que de Madame … et de Madame …. Ainsi, il résulte du témoignage de Madame …, que celle-ci aurait été bousculée par la demanderesse, laquelle aurait par ailleurs tenu des propos menaçants et insultants à son égard. Il résulte du même témoignage qu’après que la personne en question a sollicité l’aide de son supérieur hiérarchique, la demanderesse a insinué que cette dernière aurait des intentions sexuelles à l’égard de celui-ci. Il ressort ensuite des témoignages de Madame … et de Madame … que suite à cette altercation, Madame …, laquelle avait été appelée par le supérieur hiérarchique de la demanderesse, s’est rendue avec cette dernière dans son bureau, en vue d’un entretien auquel assistait également Madame …, coordinatrice du servie afférent. Lors de cet entretien, il fut décidé d’envoyer Madame … à la maison. Au lieu d’obtempérer, la demanderesse s’est promenée en sous-vêtements dans les vestiaires de la cantine, en affirmant vouloir retourner au travail. Face à cette attitude, Madame … et Madame … décidèrent d’appeler une ambulance pour raccompagner la demanderesse. Celle-ci a toutefois refusé de monter dans l’ambulance, de sorte que Madame … a fini par appeler la police, laquelle est finalement arrivée sur les lieux au bout d’une heure et demie. Il ressort enfin des témoignages en question que Madame … a, après avoir demandé à un policer s’il souhaite avoir des relations sexuelles avec elle, fini par monter dans l’ambulance.
Si la demanderesse met certes en doutes lesdits témoignages en contestant, d’une part, « partiellement » les faits décrits dans le témoignage de Madame … et en soulignant, d’autre part, que Madame … et Madame … n’auraient pas été présentes lors de la dispute avec Madame …, force est toutefois de constater, à l’instar de la partie défenderesse, qu’elle reste en défaut de préciser concrètement en quoi les témoignages en question ne correspondraient pas à la réalité. En effet, lors de son entretien devant l’inspection centrale de l’entreprise des P&T en date du 29 mars 2017, la demanderesse s’était contentée de formuler des contestations vagues et imprécises, en affirmant avoir « certes utilisé des mots durs » face à Madame …, mais non pas « des paroles grossières » tout en ayant encore affirmé ne pas avoir « touché » celle-ci. Quant aux témoignages des dames … et …, la demanderesse avait souligné que « certains de leurs propos et descriptions ont également été inventés », tout en affirmant n’avoir jamais prononcé « les propos de la dernière phrase du quatrième alinéa de la déclaration visée ». A l’audience de la commission disciplinaire du 2 juin 2017, la demanderesse avait même affirmé « ne plus se rappeler exactement ce qui s’est passé le 17 janvier 2017 », et avait, par ailleurs, précisé se rappeler uniquement « qu’après avoir reçu l’instruction d’aller se changer pour rentrer à la maison, elle s’est rendue en cabine. Elle s’est déshabillée. Mais dans sa tête, elle ne voulait plus partir. Elle s’est rhabillée avec les vêtements de service et les ambulanciers sont revenus ». Force est ainsi de constater que devant l’inspection centrale de l’entreprise des P&T, la demanderesse s’est contentée de formuler des contestations vagues en ce qui concerne les témoignages des dames …, … et …, pour affirmer finalement devant la commission disciplinaire, ne plus se souvenir du contenu de la dispute et du déroulement exact de l’incident ayant eu lieu le 17 janvier 2017. Il convient ensuite de noter que les contestations vagues et imprécises formulées dans un premier temps devant l’inspection centrale de l’entreprise des P&T ont été réitérées dans le cadre du recours sous analyse, sans que la demanderesse ne verse toutefois une quelconque attestation testimoniale qui pourrait mettre en doute la réalité des propos tenus par les dames …, … et … et parier à l’imprécision de ses affirmations.
Ainsi, et compte tenu, d’une part, des contestations confuses de la demanderesse, laquelle a elle-même déclaré ne plus avoir de souvenir concret de l’incident du 17 janvier 2017, et, d’autre part, des déclarations cohérentes et détaillées des trois témoins, et à défaut 7pour la demanderesse d’avoir déposé une plainte pour faux témoignage, il y a lieu de retenir que les faits en question sont matériellement établis, sans qu’il ne soit besoin d’autres attestations testimoniales.
En ce qui concerne le moyen relatif à un défaut de faute dans le chef de Madame …, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 9, paragraphe 1, de la loi du 16 avril 1979, « Le fonctionnaire est tenu de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l’exercice de ses fonctions lui impose. Il doit de même se conformer aux instructions du gouvernement qui ont pour objet l’accomplissement régulier de ses devoirs ainsi qu’aux ordres de service de ses supérieurs », tandis que l’article 10, paragraphe 1, de la même loi prévoit que: « Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public. Il est tenu de se comporter avec dignité et civilité tant dans ses rapports de service avec ses supérieurs, collègues et subordonnés que dans ses rapports avec les usagers de son service qu’il doit traiter avec compréhension, prévenance et sans aucune discrimination ».
Il est constant en cause que les faits décrits ci-avant, lesquels sont, tel que le tribunal vient de le retenir, matériellement établis, constituent manifestement une violation des articles précités de la loi du 16 avril 1979, le comportement de la demanderesse ayant non seulement porté atteinte à la dignité de ses fonctions, mais ayant, par ailleurs, dans une certaine mesure, donné lieu à scandale. En effet, en insultant et en menaçant sa collègue de travail, et en se comportant de façon indigne et provocatrice devant ses supérieurs hiérarchiques, ainsi que devant les ambulanciers et la police grand-ducale, elle a en effet enfreint les règles de conduite imposées par les articles 9, paragraphe 1, et 10, paragraphe 1, de la loi du 16 avril 1979.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par les développements de la demanderesse selon lesquels il n’y aurait pas eu de poursuites de la part de la police, étant rappelé à cet égard que l'autonomie du droit disciplinaire et les caractères propres à la faute disciplinaire font que celle-ci est déterminée selon des critères qui sont différents de ceux qui permettent de définir l'infraction pénale. Cette indépendance se manifeste notamment du point de vue qu'un même fait peut s'analyser à la fois en une faute pénale et en une faute disciplinaire, entraînant les deux formes de poursuite, ce qui revient aussi à dire que la règle « non bis in idem » ne s'applique pas dans les rapports du droit pénal et du droit disciplinaire. En effet, le but de ces deux procédures est distinct, puisque, d'une part, dans la répression pénale, l'intérêt de la société est en jeu, alors que, d'autre part, dans la répression disciplinaire, seul l'intérêt de la fonction publique est à considérer1.
C’est partant a priori à bon droit que le directeur a pu conclure à une violation des articles en question.
La demanderesse entend toutefois s’exonérer de toute faute dans son chef en alléguant ne pas avoir été consciente de ses actes et paroles eu égard aux troubles psychiques dont elle souffrirait, la demanderesse estimant ainsi ne pas pouvoir être tenue responsable de son comportement.
1 Trib. adm. 11 juin 2001 n°12473 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour adm. du 11 décembre 2001, n° 13705C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Fonction publique, n°221 et les autres références y citées.
8 Force est toutefois de constater que Madame … n'a jamais versé le moindre certificat médical permettant de confirmer ses dires, qui demeurent, de ce fait, à l'état de pures allégations. En effet, et même si la demanderesse fait valoir que son employeur n’aurait pas pu ignorer sa pathologie psychique compte tenu des nombreux certificats médicaux établis par un médecin spécialisé en psychiatrie qu’elle aurait versés, il convient toutefois de constater qu’en l'état actuel du dossier, et au regard des pièces versées en cause, aucun élément concret ne permet d'affirmer qu’elle se serait trouvée, au moment des faits, sous l'emprise de troubles psychologiques susceptibles d’expliquer son comportement. A cet égard, il convient de prime abord de constater qu’il ne résulte d’aucune pièce versée en cause, et d’aucun élément figurant dans le dossier administratif que la demanderesse a, à un quelconque moment, informé son employeur du fait qu’elle souffrirait de troubles psychiques, étant encore précisé à cet égard que contrairement aux affirmations de la demanderesse, il ne ressort pas du rapport de la commission disciplinaire qu’elle ait, lors de son audition du 2 juin 2017, relevé la nature exacte de sa pathologie, la commission disciplinaire ayant au contraire retenu que « ne disposer d’aucune information ou rapport médical » et que « rien dans les antécédents disciplinaires n’indique que ces comportements sont excusables par la maladie ». Il y a encore lieu de souligner, à l’instar de la partie défenderesse, que le certificat médical versé juste avant l'incident, en l'occurrence pour la période du 3 janvier au 13 janvier 2017, a été établi par un médecin généraliste et non pas par un médecin spécialisé en psychiatrie, de sorte à ne pas laisser présager l’existence de quelconques troubles d'ordre psychologique dans le chef de Madame …. A cela s’ajoute qu’il ressort tant des explications circonstanciées de la défenderesse, que des pièces figurant au dossier administratif que le médecin du travail a été saisi à plusieurs reprises, et ce depuis 2015 pour s'assurer que Madame … était bien apte à effectuer les tâches de travail correspondant à sa fonction, circonstance de nature à contredire à elle seule l’affirmation de la demanderesse selon laquelle il y aurait eu une « occultation délibérée de l'état de santé de la requérante pour se défaire d'une salariée devenue trop encombrante ». Il ressort par ailleurs du dossier administratif que devant le médecin de travail, Madame … ne s’est jamais prévalue de quelconques troubles psychiques, ledit médecin ayant en effet uniquement noté des problèmes dorsaux qui ont notamment engendré un changement d’affectation dans le chef de l’intéressée. Ledit médecin l’a par ailleurs déclarée « apte à son poste de travail actuel », par certificat du 10 janvier 2017, certificat établi une semaine seulement avant l’incident litigieux.
Par conséquent, il ne résulte d’aucun élément soumis au tribunal que Madame … ait, à la date des faits litigieux, souffert de quelconques troubles psychiques qui auraient pu influer son comportement de façon telle, qu’elle n’aurait pas été consciente de ses agissements, ou qui auraient pu les expliquer, de sorte que c’est à tort que la demanderesse affirme ne pas pouvoir être tenue comme responsable de l’incident en question et qu’elle conclut à l’absence de faute dans son chef.
Finalement, et en ce qui concerne le moyen de la demanderesse relatif à une disproportion de la sanction disciplinaire dont elle a fait l’objet et partant une violation de l’article 53 alinéa 1er de la loi du 16 avril 1979 aux termes duquel « L’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. », il y a lieu de rappeler que dans le cadre d’un recours en réformation, le tribunal est amené à apprécier les faits commis par une personne déterminée en vue de déterminer si la sanction prononcée par l’autorité compétente 9a un caractère proportionné et juste, en prenant notamment en considération la situation personnelle et les antécédents éventuels de ce même individu2.
A cet égard, il convient de constater que pour arriver à la conclusion que la sanction de la mise à la retraie d’office est disproportionnée, la demanderesse se contente d’affirmer qu’elle n’aurait commise aucune faute étant donné que ses troubles psychiques l’auraient privée du discernement nécessaire pour être déclarée responsable de son comportement. Or, comme retenu ci-avant, il ne résulte d’aucune pièce soumise au tribunal que la demanderesse aurait, au jour des faits, souffert de quelconques troubles psychiques de sorte que ces développements sont également à rejeter. A titre superfétatoire, il convient encore de relever que la demanderesse a d’ores et déjà des antécédents disciplinaires pour avoir fait l’objet, en date du 22 février 2013, d’un avertissement et, en date du 13 mars 2014, d’un changement d’affectation pour avoir eu un comportement contraire aux articles 9, paragraphe 1, et 10, paragraphe 1, de la loi du 16 avril 1979. Malgré ces antécédents disciplinaires, la demanderesse a continué à afficher un comportement en violation avec ses devoirs lui imposés à travers les articles en question. Par ailleurs, le tribunal n’entrevoit aucun réel repentir dans le chef de la demanderesse, laquelle continue tout simplement à contester les faits, ne s’est ainsi jamais excusée auprès de ses collègues de travail et n’a jamais exprimé un quelconque repentir lors de la procédure disciplinaire dont elle a fait l’objet, la commission disciplinaire ayant même retenu à cet égard que « on ne retrouve aucun signe de volonté de la part de Mme … de ne pas répéter des agissements de la sorte ».
Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à retenir que la sanction de la mise à la retraite d’office infligée à la demanderesse est en adéquation avec la gravité des faits retenus à son encontre.
Le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction disciplinaire litigieuse est dès lors également à écarter.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut de tout autre moyen, que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
L’entreprise des P&T sollicite une indemnité de procédure d’un montant de 1.000.-
euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Toutefois, les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de la partie défenderesse n’ont pas été rapportés à suffisance comme étant remplies en l’espèce, de sorte qu’il y a lieu de rejeter ladite demande.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le dit non fondé, partant en déboute ;
2 Trib. adm. 1er juillet 1999, n° 10936 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Fonction publique, n°344 et les autres références y citées.
10dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par l’entreprise des P&T ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 novembre 2018 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 novembre 2018 Le greffier du tribunal administratif 11