Tribunal administratif N° 40222 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 septembre 2017 1re chambre Audience publique du 26 novembre 2018 Recours formé par la société anonyme … S.A., … contre deux décisions de la société anonyme Société Nationale des Habitations à Bon Marché S.A., Luxembourg en matière de marchés publics en présence de la société … S.A., …
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 40222 du rôle et déposée le 29 septembre 2017 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme Wildgen S.A., établie et ayant son siège social à L-2320 Luxembourg, 69, boulevard de la Pétrusse, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B212946, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Pierre Metzler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés Luxembourg sous le numéro …, tendant à l’annulation de la décision d’adjudication et de la décision de rejet de l’offre, « non datées, matérialisées et notifiées par lettre datée du 28 juin 2017 » à la société … S.A., prises par la société anonyme Société Nationale des Habitations à Bon Marché S.A., établie et ayant son siège social à L-
1852 Luxembourg, 2B, rue Kalchesbruck, inscrite au registre de commerce et des sociétés Luxembourg sous le numéro B 40971, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, dans le cadre de la procédure d’attribution de marché S/2101 concernant les travaux d’entreprise générale dans l’intérêt de son chantier à Kirchberg, Quartier du Parc « Réimerwee » Résidence Vela ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Alec Meyer, demeurant à Luxembourg, du 11 octobre 2017, portant signification de ce recours à la société anonyme Société Nationale des Habitations à Bon Marché S.A., préqualifiée, et à la société anonyme … S.A., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro … ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Marc Thewes, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 octobre 2017 pour le compte de la société anonyme Société Nationale des Habitations à Bon Marché S.A., préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse de Maître Marc Thewes, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposé au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2017 pour compte de la Société Nationale des Habitations à Bon Marché S.A., préqualifiée ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de la société Kleyr Grasso société en commandite simple, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B220509, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître François Collot, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 janvier 2018 pour le compte de la société anonyme … SA, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse de Maître François Collot, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposé au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2018 pour compte de la société anonyme … S.A., préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique de la société anonyme Wildgen SA, inscrite au registre du commerce et des sociétés sous le numéro B212946, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Pierre Metzler, déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2018 pour compte de la société anonyme … S.A., préqualifiée;
Vu le mémoire en duplique de la société Kleyr Grasso, représentée par Maître François Collot, déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2018 pour compte de la société anonyme … S.A., préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique de Maître Marc Thewes déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2018 pour compte de la Société Nationale des Habitations à Bon Marché, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Romain Viard, en remplacement de Maître Pierre Metzler, Maître Ana-Lisa Franco Ferro, en remplacement de Maître Marc Thewes, et Maître Mélanie Trienbach, en remplacement de Maître François Collot, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 octobre 2018.
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Par avis de marché du 4 mars 2017, la société anonyme Société Nationale des Habitations à Bon Marché S.A., ci-après désignée par « la société SNHBM », annonça l’ouverture d’une procédure de soumission publique en vue de l’attribution du marché relatif à l’exécution de travaux de construction d’un immeuble résidentiel à Luxembourg-Kirchberg, quartier du Parc « Reimerwee », Résidence Vela.
La société … S.A., ci-après désignée par « la société … », remit en date du 2 mai 2017 une offre dans le cadre de la procédure d’attribution dudit marché.
Par un courrier du 28 juin 2017, la SNHBM informa la société … que son offre n’avait pas été retenue, ladite lettre précisant que la société … avait été classée en deuxième position parmi les offres régulières et conformes, après la société anonyme … S.A., ci-après désignée par « la société … ». Ledit courrier est libellé comme suit :
« Dans le cadre de la procédure d’attribution du marché S/2101 concernant les travaux d’entreprise générale dans l’intérêt de notre susdit chantier, vous avez soumissionné en date du 2 mai 2017.
Pour votre parfaite information, votre offre a été classée en 2e position parmi les offres régulières et conformes. Veuillez retrouver les détails dans le tableau ci-après :
Prix en € Prix Valeur technique Note total Classement … 7 890 000,00 69,84 21,23 91,07 1 … 7 871 608,11 70,00 20,48 90,48 3 … 8 149 534,00 67,53 21,54 89,07 4 … 7 899 898,87 69,75 21,24 90,99 2 Eu égard aux considérations qui précèdent, votre offre n’a pas été retenue, conformément aux articles 88 à 90 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics.
Conformément à l’article 5 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matières de marchés publics, un délai de quinze jours sera observé par la Société Nationale des Habitations à Bon Marché entre le lendemain de l’envoi de la présente lettre et la date de conclusion du marché.
Nous vous informons qu’un recours en annulation peut être introduit auprès du tribunal administratif à l’encontre de la décision d’adjudication et de la décision de rejet de l’offre dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente, par requête signée d’un Avocat à la Cour. ».
Par un courriel du 29 juin 2017, la société … demanda à la société SNHBM le détail du calcul de la valeur technique de son offre, demande à laquelle la société SNHBM répondit le 12 juillet 2017.
Par un courrier du 25 juillet 2017, la société … fit encore saisir, par l’intermédiaire de son mandataire, la commission des soumissions, qui, par une décision du 1er août 2017, estima « que les soumissionnaires dont l’offre a été écartée, doivent être informés plus en détail de la manière dont les points ont été attribués lors de l’évaluation des offres et des avantages que présente l’offre classée en 1er rang. Vu que le pouvoir adjudicateur a attribué des points « jusqu’à la deuxième place derrière la virgule », la Commission des Soumissions estime que le pouvoir adjudicateur dispose bien des éléments de réponse nécessaires ».
Par un courrier de son mandataire du 7 septembre 2017, la société SNHBM informa la commission des soumissions qu’elle ne pouvait faire droit à la demande d’accès à l’intégralité des dossiers des concurrents, estima, s’agissant de la demande d’explications supplémentaires formulée, avoir fourni toutes les informations nécessaires et invoqua, par ailleurs, l’article 198 du règlement grand-ducal modifié du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l’article 106 point 10° de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 3 août 2009 ». Elle se référa en outre à des impératifs de confidentialité et de libre jeu de la concurrence, et fournit pour le surplus des informations complémentaires.
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 septembre 2017, la société … a fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions d’adjudication et de rejet de son offre, non datées, lui notifiées par lettre du 28 juin 2017.
Le tribunal constate de prime abord que la société … sollicite la communication du dossier administratif et plus particulièrement de l’offre de la société …, mesure à laquelle tant la société SNHBM que la société … s’opposent, en argumentant, d’une part, qu’une telle communication ne pourrait pas être ordonnée pour pallier la carence de la demanderesse dans l’administration de la preuve qui lui incombe en reprochant à celle-ci de fonder son recours uniquement sur des simples suppositions et en qualifiant cette demande, en substance, de mesure exploratrice destinée à rechercher, indépendamment des éléments du dossier, l’existence d’éventuels faits pouvant étayer sa thèse, et, d’autre part, que le secret des affaires s’opposerait à une telle communication, les parties défenderesse et tiers intéressée se référant aux articles 66, paragraphe 3 et 198 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, de même qu’à l’article 13 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.
A l’audience des plaidoiries, il a été retenu que le tribunal examinera d’abord la question de l’intérêt à agir de la société …, contesté par les parties défenderesse et tiers intéressée, avant de trancher l’incident relatif au refus de la société … de communiquer l’intégralité du dossier administratif, de même que la question de l’incidence du refus de communication du dossier administratif.
Pareillement, il convient de prime abord de trancher la demande de la société SNHBM, formulée dans sa duplique, de supprimer les passages suivants du mémoire en réplique de la société …, sur base de l’article 31 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 ».
Quant à la demande de la société SNHBM fondée sur l’article 31 de la loi du 21 juin 1999 La société SNHBM critique les passages suivants des écrits de la société … : « Le favoritisme de la SNHBM en faveur de la société … ne peut pas être plus criant » ; « Cette légèreté s’explique évidemment par le favoritisme de la SNHBM en faveur de la société … » ;
« Le favoritisme de la société … par la SNHBM résulte encore de l’application hasardeuse des critères d’évaluation ». A cet égard, elle fait valoir que le terme de favoritisme serait calomnieux puisqu’il impliquerait le délit de corruption, respectivement de trafic d’influence conformément aux articles 246 à 248 du Code pénal, étant donné que le reproche insinuerait qu’un ou plusieurs de ses agents auraient obtenu un avantage en favorisant la société ….
Aux termes de l’article 31 de la loi du 21 juin 1999 : « Le tribunal, suivant la gravité des circonstances, peut, dans les causes dont il sera saisi, prononcer, même d’office, des injonctions, supprimer des écrits, les déclarer calomnieux et ordonner l’impression et l’affiche de ses jugements. ».
Conformément à l’article 443 du Code pénal, la calomnie présuppose que l’intéressé « a méchamment imputé à une personne un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l'honneur de cette personne ou à l'exposer au mépris public […], si, dans les cas où la loi admet la preuve légale du fait, cette preuve n'est pas rapportée ».
Il convient encore de relever que l’application des dispositions pénales inscrites aux articles 246 et suivants du Code pénal invoquées par la société SNHBM présuppose plus particulièrement que des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques aient été sollicités, obtenus, promis ou acceptés notamment pour l’obtention d’un marché public.
Or, s’il est vrai que le terme de favoritisme choisi par la société … n’est certes pas anodin, il ne ressort pas des termes de la requête introductive ou du mémoire en réplique que celle-ci ait entendu reprocher à la société SNHBM ou à ses agents des actes précis susceptibles de tomber sous le champ d’application des articles 246 à 248 du Code pénal, le seul terme de favoritisme n’impliquant pas forcément une connotation pénale, l’argumentation de la société … étant, au contraire, en substance à entendre en ce sens qu’elle est d’avis que les règles de la concurrence n’auraient pas été respectées.
La demande tendant à voir supprimer les écrits litigieux est partant rejetée.
Quant à la recevabilité du recours en annulation En ce qui concerne ensuite la recevabilité du recours, il y a lieu de relever que la loi modifiée du 25 juin 2009 sur les marchés publics, ci-après désignée par « la loi du 25 juin 2009 », abrogée par une loi du 8 avril 2018 mais néanmoins applicable au moment de la prise des décisions actuellement litigieuses, ne prévoit pas la possibilité d’exercer un recours en réformation contre une décision de rejet d’une offre ou une décision d’adjudication, de sorte que seul un recours en annulation a pu être introduit contre les actes querellés.
La société SNHBM se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours en annulation introduit par la société …, en soulignant plus spécialement quant à l’intérêt à agir ne pas comprendre en quoi l’intérêt à agir de la société … serait, d’après cette dernière, plus caractérisé par la fin de non-recevoir lui opposée par rapport à sa demande de communication du dossier, tout en admettant que la société … dispose de l’intérêt de concurrence d’un soumissionnaire par rapport à une décision de rejet d’une offre. A cet égard, la société SNHBM fait valoir que l’intérêt à agir devrait se mesurer par rapport au but poursuivi à travers le recours.
Or, la société … n’agirait pas contre une décision de refus de communiquer le dossier mais contre la décision d’attribution du marché à la société …, entraînant le rejet de son offre. S’y ajouterait que la société … n’aurait jamais formulé une demande de communication du dossier mais aurait invoqué cette question pour la première fois devant la commission des soumissions, sans que cette demande n’ait été suivie par ladite commission, l’avis émis s’étant limité à lui enjoindre de fournir des explications supplémentaires.
La société …, quant à elle, souligne que la société … n’aurait pas introduit de requête en institution d’une mesure de sauvegarde et estime que l’unique but du présent recours serait, non pas l’annulation des décisions attaquées, mais celui d’obtenir communication de son propre dossier, y compris ses prix, afin d’en tirer un avantage concurrentiel, la société … reprochant encore à la société … de ne pas avoir produit son propre dossier de soumission.
Elle conclut à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société …, en contestant que celle-ci puisse tirer de l’annulation des décisions attaquées une satisfaction certaine et personnelle de ses intérêts, puisque le marché public litigieux serait actuellement en cours d’exécution. Elle ajoute qu’en se contentant d’expliquer que son offre avait été classée deuxième, la société … n’apporterait pas la preuve d’un intérêt personnel, direct, effectif, né et actuel lui donnant qualité à agir, respectivement un intérêt pour demander la communication du dossier de marché.
Dans sa réplique, la société … insiste sur son intérêt à agir en sa qualité de soumissionnaire évincé. Elle estime que le refus de la société SNHBM de lui communiquer les éléments précis des évaluations techniques renforcerait son intérêt à agir dans la mesure où l’attitude de celle-ci constituerait une atteinte flagrante au principe de la transparence et impacterait la validité des deux décisions.
Contrairement à ce qui est avancé par la SNHBM, la commission des soumissions n’aurait pas rejeté sa demande de communication du dossier, mais celle-ci n’aurait laissé aucun doute quant à l’absence de transparence et aurait enjoint à la société SNHBM de fournir les éléments de preuve nécessaires, impliquant ainsi nécessairement la communication de son dossier.
Le fait qu’actuellement le marché serait en cours d’exécution n’aurait aucun effet sur l’avantage qu’elle pourrait tirer de l’annulation des deux décisions, puisque l’annulation consacrerait la précarité du contrat signé et lui permettrait de faire valoir ses droits civils et notamment de demander l’annulation du contrat entre la société SNHBM et la société …, de même que la réparation de son préjudice.
Dans la mesure où le dossier de la société … ne serait pas conforme au cahier des charges et que sa propre offre aurait été classée deuxième, la société … estime qu’elle aurait dû se voir attribuer le marché.
Dans sa duplique, la société SNHBM insiste sur la considération que le caractère non conforme de l’offre de la société … tel que relevé par elle dans sa réponse aurait des incidences sur l’intérêt à agir de celle-ci. En effet, puisque la société … aurait elle-même remis une offre non conforme, l’annulation des décisions litigieuses ne pourrait lui procurer à la société … aucun avantage, son offre devant en définitive être exclue, de sorte que ce serait à tort que celle-
ci argumenterait qu’elle aurait dû se voir attribuer le marché.
Dans sa réponse, la société SNHBM invoque, en effet, à titre de motif de refus complémentaire, la non-conformité de l’offre de la société … en faisant état, d’une part, de pages manquantes et de positions non renseignées, et, d’autre part, de variantes non documentées.
S’agissant du premier ordre de critiques, la société SNHBM fait valoir que la société … aurait omis de remettre un certain nombre de pages et n’aurait pas non plus rempli toutes les positions du bordereau. Elle précise que comme il s’agirait d’un marché adjugé à prix global non révisable, les positions du bordereau ne devraient certes pas être chiffrées, mais qu’il aurait fallu indiquer les marques et les modèles proposés.
Or, dans le bordereau remis par la société …, toutes les pages, qui n’auraient pas comporté de marque ou de modèle à renseigner, n’auraient pas été versées avec la soumission.
Ainsi, les pages suivantes n’auraient pas été fournies: pages 38 à 47, page 50, page 52, pages 56 à 63, pages 79 à 81, pages 93 à 94, pages 108 à 110, page 132 et pages 136 à 140.
En outre, la société … aurait omis de remplir un certain nombre de positions s’agissant des marques, modèles et types proposés. Ainsi, pour les positions 4.5.2, 6.1.6, 6.5.2 et 7, elle n’aurait pas renseigné les informations requises. La société SNHBM précise que lors de l’analyse des offres, elle aurait considéré qu’à défaut de proposition, ce serait le matériel préconisé dans le bordereau qui était proposé. Il s’avérerait cependant qu’une telle manière de procéder est contraire aux conditions du cahier des charges suivant lequel le bordereau devrait être dûment complété. Il s’agirait également d’une violation des articles 51, paragraphe (1) b) et 55, paragraphe (1) du règlement grand-ducal du 3 août 2009.
Partant, conformément à l’article 59 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, l’offre de la société … aurait dû être écartée.
D’autre part, malgré l’obligation inscrite à l’article 2.5.6 du dossier de soumission de remettre, dans l’hypothèse où un matériel différent de celui préconisé était proposé, un certain nombre de renseignements additionnels, la société … aurait proposé un nombre considérable de matériaux ne correspondant pas à ceux préconisés sans toutefois fournir la moindre documentation technique afférente.
Tel serait le cas pour 84 positions du bordereau de soumission. A titre d’illustration, la société SNHBM cite deux positions mentionnées dans son courrier du 7 septembre 2017 qu’elle avait adressé à la commission des soumissions, à savoir la position 4.5.3 pour laquelle la documentation technique n’aurait pas été soumise. De plus, le matériel proposé ne serait pas conforme, étant donné qu’au niveau de l’indice de protection (IP) des lampes, la norme IP 44 aurait été exigée, alors que la société … aurait proposé un matériel IP 41, qui ne serait pas équivalent.
Partant, l’offre de la société … aurait dû être éliminée de ce fait puisqu’une telle non-
conformité aurait une incidence d’un point de vue légal, la société SNHBM se fondant, à cet égard, sur l’article 71 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, et se référant à une jurisprudence du tribunal administratif du 6 octobre 2014, numéro 33221 du rôle.
Dans ces conditions, la société SNHBM est d’avis qu’un recours introduit par une société ayant remis une soumission non conforme aux prescriptions du cahier des charges ne pourrait pas prospérer et devrait nécessairement être rejeté.
Le même constat se poserait pour la position 4.5.4.
Par rapport au reproche d’une non-conformité, la société … estime dans sa réplique que la société SNHBM aurait analysé les dossiers avec une certaine légèreté. Elle donne à considérer que les critiques formulées dans le cadre de la présente procédure à l’égard de son dossier seraient tardives et prescrites, alors que la société SNHBM aurait dû soulever des éventuelles non-conformités dans le cadre de l’analyse des dossiers de soumission avant l’adjudication en juin 2017, de sorte qu’elle ne pourrait actuellement plus revenir sur son analyse du dossier qu’elle avait considéré à l’époque comme étant conforme.
S’agissant des parties laissées en blanc ou non fournies, la société … donne à considérer qu’il serait pratique courante que si le soumissionnaire ne remplit pas une plage ou feuille il accepterait tels quels la marque, le modèle ou le matériel proposé.
Elle reproche, pour le surplus, à la société SNHBM de critiquer son dossier à elle, sans préciser si le dossier de … était complet. En tout cas, au regard de la légèreté avérée de l’analyse initiale du dossier, la société … conclut que le dossier de la société … ne pouvait pas être complet et aurait dû être éliminé.
Pour le surplus, elle ajoute que même à admettre que son dossier n’avait pas été conforme, cela n’aurait aucune incidence sur le présent recours, puisque, suivant une jurisprudence du président du tribunal administratif, un soumissionnaire évincé au motif que son offre n’est pas conforme garderait théoriquement un espoir de remporter la nouvelle soumission dans le cadre de laquelle il pourrait purger son offre des vices l’affectant dans la première soumission.
Dans sa duplique, la société SNHBM estime qu’aucune tardivité ou prescription ne pourrait jouer, la société … n’invoquant d’ailleurs aucune disposition légale à l’appui d’une telle argumentation.
Elle fait en outre valoir que l’auteur de l’acte attaqué devant le tribunal administratif serait admis à compléter la motivation au cours de procédure, le juge administratif étant même en position de procéder à une substitution de motifs.
Par rapport à la jurisprudence du président du tribunal administratif statuant en matière de référé invoquée par la société …, la société SNHBM fait valoir que les principes ainsi retenus ne pourraient pas être transposés dans le cadre d’un recours au fond et estime que l’intérêt à contester une décision d’adjudication de la part d’un soumissionnaire évincé présupposerait la régularité de son offre.
Force est de constater qu’en matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l'intérêt à agir ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu'une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d'un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif1.
Un demandeur, pour justifier d’un intérêt à agir, doit justifier d’un intérêt personnel et certain, en ce sens que la réformation ou l’annulation de l’acte litigieux doit lui procurer une satisfaction certaine et personnelle2. L’intérêt invoqué doit encore être distinct de l’intérêt général, le demandeur devant justifier de l’existence d’un lien suffisamment direct entre la décision querellée et sa situation personnelle3.
Plus particulièrement en matière de marchés publics, l’article 1er, dernier alinéa de la loi modifiée du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics, donne des précisions quant à l’intérêt à agir s’agissant des procédures de recours prévues par cette loi en ce qu’il dispose que « Les procédures de recours sont accessibles à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée du droit communautaire ou de droit national transposant le droit communautaire en matière de marchés publics. ».
Force est encore de relever que la définition générale de l’intérêt à agir donnée par la jurisprudence administrative est en phase avec cette définition, reprise de l’article 1.3 de la 1 Cour adm. 14 juillet 2009, n°s 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 3 et autres références y citées.
2 Trib. adm. 22 octobre 2007, n°22489 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 11 et autres références y citées.
3 Trib. adm. 27 juin 2001, n°12458 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 14 et autres références y citées.
directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007, étant donné qu’il se dégage de cette disposition que l’accessibilité aux procédures de recours en matière de marchés publics est conditionnée plus particulièrement par la lésion ou le risque de lésion d’une personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé, lésion qui présuppose un lien direct entre l’acte attaqué et la situation de l’intéressé, la sanction de l’acte devant lui procurer une satisfaction certaine et personnelle.
Comme l’intérêt doit être personnel en ce sens qu’entre l’acte querellé et le requérant il y ait un lien individualisé, l’existence de ce lien dépend dans certains cas du demandeur lui-
même. Ainsi, en matière de marchés publics, pour combattre une adjudication, le requérant doit avoir été lui-même soumissionnaire ou doit du moins avoir manifesté son intention de contracter avec l’administration4, à défaut la lésion ou le risque de lésion d’une personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé ne pouvant se concevoir.
Ainsi, la jurisprudence administrative a retenu que s’il est vrai qu’un recours contentieux est ouvert à un demandeur qui a un intérêt quelconque dès que cet intérêt implique un lien personnel avec l’acte attaqué et une lésion individuelle par le fait de l’acte, tel n’est pas le cas d’un demandeur agissant contre une décision d’adjudication qui n’a pas été candidat à l’adjudication5. Il a encore été retenu que pour justifier l’existence d’un intérêt à agir contre une décision d’attribution d’un marché public, le demandeur doit établir non seulement qu’il avait l’intention de participer à la soumission du marché, mais aussi qu’il s’est trouvé dans une situation telle qu’il avait raisonnablement une chance pour entrer en ligne de compte pour se le voir attribuer6, et qu’un soumissionnaire n’ayant pas fait l’objet d’une décision d’exclusion, son offre ayant pour le surplus été considérée conforme aux stipulations du cahier des charges, justifie d’un intérêt de concurrence suffisant7.
Il est encore admis que l’intérêt à contester une décision d’adjudication de la part d’un soumissionnaire évincé présuppose la régularité de son offre8.
En l’espèce, force est de constater que la société … a participé au marché litigieux, et il n’est pas contesté qu’après examen de la valeur économique de son offre, celle-ci a été classée en deuxième position, de sorte qu’elle a été rejetée.
Le tribunal relève de prime abord que la circonstance qu’à l’heure actuelle, le marché est, d’après les explications non contestées de la société …, exécuté ne fait pas perdre à la société … son intérêt à agir, celle-ci argumentant avoir l’intention de poursuivre l’annulation du contrat, respectivement de solliciter des dommages et intérêts.
Par ailleurs, l’intérêt à agir étant à examiner indépendamment du bien-fondé des moyens invoqués9, l’argumentation de la société … suivant laquelle la société … entendrait exclusivement obtenir la communication de son offre à travers le recours est encore à rejeter.
4 La recevabilité des recours en annulation des actes administratifs, par Jacques Falys, Edition 1975, p. 142, n° 168 et les jurisprudences y citées.
5 Trib. adm. 18 novembre 2002, n° 14521 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Marchés publics, n° 203.
6 Trib. adm 1er février 2016, n 35446 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Marchés publics, n° 205 et 207.
7 Cour adm. 18 novembre 2010, n° 26843C du rôle, trib. adm. 3 octobre 2005, n° 18928 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Marchés publics, n° 206.
8 Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, par Rusen Ergec, mis à jour par Francis Delaporte, Pas.
2018, n° 109.
9 Trib. Adm. 27 septembre 2002, n° 15373 du rôle, Pas. Adm. 2018, V° procédure contentieuse, n° 4 et les autres références y citées.
Au regard des principes retenus ci-avant, la société … pourrait a priori être considérée comme disposer d’un intérêt agir contre la décision de refus de retenir son offre et celle accordant le marché à un concurrent, la société … argumentant d’ailleurs avoir l’intention de solliciter l’annulation du contrat conclu avec la société …, respectivement de demander des dommages et intérêts.
Il convient toutefois encore d’examiner si l’argumentation de la société SNHBM fondée sur une non-conformité de l’offre de la société … est susceptible d’avoir une incidence sur l’intérêt à agir de la société ….
A cet égard, il convient de rappeler que l’article 71 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 impose au pouvoir adjudicateur d’examiner et de vérifier les dossiers de soumission quant à leur conformité technique et à leur valeur économique, ledit article précisant encore que les offres qui ne satisfont pas aux conditions du cahier spécial des charges ou dont les prix sont reconnus inacceptables sont éliminées, l’article 59 du même règlement grand-ducal précisant que les offres non conformes aux dispositions visant le contenu de la soumission ne sont pas prises en considération et l’article 85 de ce règlement précisant encore que le choix de l’adjudicataire ne peut se porter que sur des soumissionnaires qui se trouvent dans les conditions visées à l’article 2 et dont la compétence, l’expérience et les capacités techniques et financières, la situation fiscale et parafiscale, les moyens d’organisation en outillage, matériel et personnel qualifié, le degré d’occupation ainsi que la probité commerciale offrent les garanties pour une bonne exécution des prestations dans les délais prévus10. A cet égard, il convient encore de relever que la formulation impérative de l’article 71 du règlement grand-
ducal du 3 août 2009 précité (« Les offres qui ne satisfont pas aux conditions du cahier spécial des charges ou dont les prix sont reconnus inacceptables sont éliminées »), ne confère pas une faculté au pouvoir adjudicateur pour éliminer une offre en cas de constat de sa non-conformité technique, mais pose le principe que dans cette hypothèse l’offre non conforme « est éliminée », de sorte à exclure tout pouvoir d’appréciation dans le chef du pouvoir adjudicateur, et, a fortiori, tout risque de distorsion de concurrence et d’inégalité des soumissionnaires face à une soumission, en exigeant de tous les soumissionnaires qu’ils respectent scrupuleusement le cahier des charges, toutes les entreprises devant en effet faire, conformément à l’article 4 de la loi du 25 juin 2009, l’objet d’un traitement identique11. Il en est de même de l’article 59 du règlement grand-ducal du 3 août 2009.
Ce n’est qu’après ce contrôle de conformité des offres - tant formel au vu des exigences des articles 51 et suivants du règlement grand-ducal du 3 août 2009, qu’au fond, au vu notamment des critères de participation - que le pouvoir adjudicateur procédera, conformément à l’article 79 du même règlement grand-ducal, à un premier classement basé sur les prix des offres conformes12.
Dès lors, une offre non conforme devra être éliminée avant même que le pouvoir adjudicateur ne prenne en compte les différents prix offerts et ne procède au classement des différentes offres conformes.
D’autre part, il convient de rappeler, d’une part, le principe de l’immutabilité des offres une fois qu’elles sont déposées. En effet, il est de principe que les offres une fois déposées ne 10 Trib. adm. 24 octobre 2011, n° 26988 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
11 Trib. adm. 11 février 2015, n° 33802 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Marchés publics, n° 89.
12 En ce sens Trib. adm. 24 octobre 2011, n° 26988 du rôle, précité.
peuvent plus être modifiées, pareil principe découlant notamment des articles 75 (« (1) Il n’est pas tenu compte des changements et additions proposés par les soumissionnaires après l’ouverture des soumissions […] ») et 77 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 (« Après l’ouverture de la soumission, le pouvoir adjudicateur ne peut en aucun cas s’arranger avec les soumissionnaires en vue de la modification des prix de leurs offres, sauf s’il y a égalité de prix entre deux ou plusieurs offres entrant en ligne de compte pour l’adjudication et si toute présomption de concertation peut être exclue »). De même, aux termes de l’article 56 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 « Il est interdit de changer ou d’ajouter quoi que ce soit au texte ou aux inscriptions des pièces de soumission. Les ratures ou corrections de tout genre sont inadmissibles. Les erreurs d’inscription sont à corriger sur une feuille séparée qui est à signer par le soumissionnaire et à annexer à l’offre. La feuille séparée contenant des corrections d’erreurs d’inscription de la part du soumissionnaire est à marquer « ne variatur » par l’agent présidant la séance d’ouverture et mention des corrections est faite dans le procès-verbal. Le procès-verbal fera également mention des supports informatiques éventuellement remis. ».
Admettre la modification des offres une fois déposées constituerait, en effet, une violation du principe d’égalité de traitement de tous les soumissionnaires13 et du principe de l’immutabilité de l’offre après l’ouverture des soumissions, principe inscrit à l’article 62 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 (« (1) Les offres peuvent être envoyées par lettre recommandée ou être remises par le soumissionnaire en personne ou par son mandataire au bureau précisé dans l’avis de marché. Il n’est tenu compte que des offres y arrivées ou remises avant le jour et heure fixée pour l’ouverture des soumissions. (2) Les offres arrivées après ce délai, quel que soit la cause du retard, sont retournées non ouvert à l’expéditeur […] »).
Ce n’est que dans des cas exceptionnels que le législateur a envisagé la possibilité de modifier une offre, en l’occurrence le redressement d’erreurs arithmétiques, hypothèse non vérifiée en l’espèce14.
Au regard des principes retenus ci-avant, l’examen de la conformité de l’offre étant plus particulièrement un préalable nécessaire au classement des offres, le fait que l’offre de la société … a été examinée quant à sa valeur économique et a été prise en compte afin de procéder au classement des différentes offres, implique certes que, dans le cadre de l’examen de la légalité du refus d’attribuer le marché à la société …, la société SNHBM ne pourrait être admise à faire état d’une non-conformité de cette offre comme motif complémentaire, tel que cela est argumenté à juste titre par la société …. En effet, un tel motif de refus ne peut pas avoir existé dans l’esprit de la société SNHBM au moment de la prise de la décision litigieuse, sinon l’offre en question aurait été écartée avant qu’un classement n’ait été opéré. Ainsi, même s’il est admis que l’autorité administrative peut fournir, même en cours de procédure contentieuse, une motivation complémentaire à la base de sa décision, il n’en reste toutefois pas moins que seuls des motifs ayant existé au moment de la décision sont susceptibles d’être pris en considération à titre de motif complémentaire dans le cadre d’un recours en annulation, le tribunal étant tenu d’examiner la légalité de la décision attaquée uniquement par rapport à la situation de fait et de droit ayant existé au jour de la prise de la décision litigieuse.
13 Trib. adm. 13 décembre 2010, n° 26633 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour adm. du 12 mai 2011, n° 27702C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
14 Trib adm. 13.11.17 n° 38293, confirmé en appel par CA 8.05.18 n° 40528C, disponibles sous www.juradetat.lu.
En revanche, s’agissant de l’appréciation de l’intérêt à agir de la société …, l’examen se situe à un autre niveau : il convient, en effet, d’examiner quelle est la satisfaction certaine et personnelle que l’annulation des décisions litigieuses est susceptible de procurer à la société …. Il est certes vrai qu’en cas d’annulation d’une soumission dans son ensemble, un soumissionnaire écarté en raison de non-conformités affectant son offre peut prétendre avoir une chance à remporter le marché étant donné que dans le cadre d’une nouvelle soumission il peut rectifier son offre. Tel n’est toutefois pas le cas dans l’hypothèse d’une annulation de la décision d’adjudication du marché, respectivement de celle de rejet d’une offre, dans laquelle les actes attaqués sont anéantis et le pouvoir adjudicateur se retrouve placé dans la situation ayant existée après l’ouverture des soumissions de manière à être amené à examiner à nouveau les offres remises dans leur état telles qu’elles existaient au moment de l’ouverture des soumissions, les offres ne pouvant, en vertu du principe d’immutabilité des offres, en principe, plus être modifiées, rectifiées ou complétées pour redresser des non-conformités. Tel est plus précisément le cas en l’espèce : en effet, en cas d’annulation des décisions attaquées l’offre de la société …, s’il devait s’avérer qu’elle est non conforme, devra nécessairement être écartée par le pouvoir adjudicateur, qui, entretemps, ayant connaissance de la non-conformité, aura l’obligation de l’écarter, sans que la société … ne soit fondée à lui opposer le fait que celle-ci n’avait pas été écartée lors du premier examen des offres. Il s’ensuit que dans ce cas de figure, l’annulation de la décision de rejet et d’attribution du marché ne serait pas de nature à procurer à la société … une satisfaction certaine et personnelle puisqu’après annulation, elle n’aurait aucune chance de se voir attribuer le marché à la suite de l’annulation sollicitée.
Il convient dès lors d’examiner le mérite des motifs avancés par la société SNHBM tendant à qualifier l’offre de la société … comme étant non conforme.
Aux termes de l’article 55 règlement grand-ducal du 3 août 2009 « (1) Sur demande du pouvoir adjudicateur, le soumissionnaire indique la provenance, le fabricant et le type des matériaux […] » et aux termes de l’article 57 du même règlement grand-ducal « Toutes les positions du bordereau doivent être remplies, elles ne peuvent ni être barrées, ni contenir le terme « néant », ni le chiffre zéro (0,-), à moins que le cahier spécial des charges n’en dispose autrement et sans préjudice des dispositions des articles 25 à 29 concernant les variantes et les solutions techniques alternatives. ».
Aux termes de l’article 59 du même règlement grand-ducal « Les offres non conformes à l’une ou l’autre des dispositions ci-dessus ne sont pas prises en considération. ».
Il suit des dispositions précitées que sous peine de ne pas voir son offre prise en considération, le soumissionnaire doit remplir toutes les positions du bordereau. Tel que cela a été retenu ci-avant, les offres dont les positions du bordereau n’ont pas toutes été remplies doivent être rejetées, afin de permettre la comparabilité entre les différentes offres soumises, sans qu’il ne puisse être admis que l’adjudicataire complète, après l’ouverture des offres, les positions du bordereau, cette conséquence étant dictée par des considérations tenant au respect des principes de transparence et d’égalité de traitement des opérateurs économiques.
En l’espèce, force est au tribunal de constater qu’il se dégage de l’extrait du bordereau de la société …, versé en cause par extraits et qui, de manière non contestée, correspond à l’offre telle que remise par la société …, que diverses positions n’ont pas été remplies par cette dernière. Il s’agit en l’occurrence des positions 4.5.2., 6.1.6., 6.1.8., de même que d’une position à la page 106 du bordereau, pour lesquels la rubrique « marque proposée », respectivement « type proposé » n’a pas été remplie. Il s’ensuit que l’offre n’est pas conforme aux prescriptions des articles 55 et 57 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 et devra, en cas de réexamen des offres, être écartée, étant relevé que le constat de la remise d’un dossier incomplet à lui seul est suffisant pour conclure que l’offre de la société … aurait dû être écartée, sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner plus avant les autres non-conformités tant formelles que quant au fond soulevées par la société SNHBM.
C’est à tort que la société … argumente que pour toutes les positions non remplies, il conviendrait d’admettre que ce sont les marque et le type tels que demandés suivant le cahier des charges qui sont proposés, alors qu’en application de l’article 59 du règlement grand-ducal du 3 août 2009, précité, les offres qui ne sont pas conformes aux exigences de forme énoncées aux articles 51 et suivants du même règlement grand-ducal, ne sont pas prises en considération.
Au-delà de ce constat, l’argumentation de la société … est encore non cohérente, dans la mesure où, pour d’autres positions du bordereau, en l’occurrence pour les positions 4.5.5., 4.5.6. et 4.5.7., elle a pourtant précisé la marque respectivement le type proposé bien qu’il s’agissait de la même marque et du même type que ceux exigés par le cahier des charges.
D’autre part, le fait avancé par la société … que, le cas échéant, l’offre de la société … présentait également des non-conformités ne porte pas à conséquence s’agissant de l’appréciation de son propre intérêt à agir, étant donné qu’à ce stade, se pose exclusivement la question de savoir si l’annulation de la décision de refus d’octroi du marché à la société … de même que celle portant adjudication du marché à la société …, en présence d’autres offres dont la conformité n’est pas contestée, est de nature à procurer à la société … une satisfaction personnelle et certaine. Or, dans la mesure où, tel que cela a été retenu ci-avant, la conséquence de l’annulation de ces décisions réside dans l’obligation pour la société SNHBM d’écarter l’offre de la société … pour ne pas être complète, le constat s’impose que l’annulation n’est pas de nature à procurer à la société … une satisfaction certaine et personnelle, le succès d’une action en dommages et intérêts annoncée par celle-ci présupposant, par ailleurs, que celle-ci ait pu se voir attribuer le marché.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la société … reste en défaut de justifier en quelle manière l’annulation de la décision de refus de lui accorder le marché respectivement de la décision d’attribution du marché à la société … puisse lui procurer une satisfaction personnelle et certaine au regard du fait que son offre devra nécessairement être écartée comme étant incomplète en cas de réexamen des offres.
Il s’ensuit que le recours est à déclarer irrecevable pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société …, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner la demande de communication du dossier administratif formulée par la demanderesse, étant relevé que l’analyse ci-avant faite par le tribunal l’ayant mené au constat que la société … n’a pas justifié d’un intérêt à agir peut être effectuée sans que la question de la communication de l’offre de la société … ne se pose, l’examen de la seule offre de la société …, fournie par extraits par la société SNHBM et dont le contenu n’a pas autrement été contesté par la société …, étant suffisant à cet égard. Il s’ensuit que la demande de communication du dossier administratif est à rejeter.
Eu égard à l’issue du litige, la demande en paiement d’une indemnité de procédure formulée par la société … est rejetée.
Quant à la demande de distraction des frais au profit du mandataire concluant de la partie demanderesse qui la demande, affirmant en avoir fait l’avance, il convient de rappeler, tel que relevé à juste titre par la société SNHBM, qu’il ne saurait être donné suite à la demande en distraction des frais posée par le mandataire d’une partie, pareille façon de procéder n’étant point prévue en matière de procédure contentieuse administrative.
Les demandes en paiement d’indemnités de procédures de 2.500 euros, respectivement 5.000 euros formulées respectivement par les sociétés SNHBM et … sont encore rejetées, en ce qu’il n’est pas justifié en quoi il serait inéquitable de laisser à leur unique charge les frais non compris dans les dépens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
rejette la demande tendant à voir supprimer des écrits telle que formulée par la société SNHBM ;
déclare irrecevable le recours en annulation ;
rejette la demande en communication du dossier administratif ;
rejette les demandes en paiement d’une indemnité de procédure telles que formulées par les sociétés …, SNHBM et … ;
rejette la demande en distraction des frais formulée par le mandataire de la société … ;
condamne la société … aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 novembre 2018 par :
Annick Braun, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26.11.2018 Le greffier du tribunal administratif 14