Tribunal administratif Numéro 38960 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2017 3e chambre Audience publique du 21 novembre 2018 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du directeur de l’Agence pour le Développement de l’Emploi en matière de garantie de salaire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 38960 du rôle et déposée le 10 janvier 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Eyal GRUMBERG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … demeurant à L-…, …, …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du 10 octobre 2016 du directeur de l’Agence pour le Développement de l’Emploi portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … SARL ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2017 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en sa plaidoirie à l’audience publique du 7 novembre 2018.
Suite à une demande lui soumise par Maître Olivier WAGNER de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale de Madame … telle que déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … SARL, le directeur de l’Agence pour le Développement de l’Emploi, ci-après désignés par « le directeur », respectivement par « l’ADEM », prit, en date du 10 octobre 2016, la décision qui suit :
« […] Faisant suite à votre demande de remboursement dans l’affaire émargée, je vous prie de trouver ci-joint la prise de position de l’ADEM.
En date du 5 juin 2014, Madame … et son fils Monsieur … ont constitué par devant Maître Edouard DELOSCH, notaire de résidence à Diekirch, la société à responsabilité limitée ….
1Madame … fut nommée « gérant de catégorie B » et détenait cinquante-et-une (51) parts sociales des cent parts sociales émises, tandis que Monsieur … fut nommé « gérant de catégorie A » et détenait quarante-neuf (49) parts sociales des cent parts sociales émises.
La société était engagée par la signature individuelle d’un gérant de catégorie A ou d’un gérant de catégorie B.
Le 28 mai 2015 Madame … démissionnait en tant que « gérant de catégorie B » et cédait l’intégralité de ses parts sociales à son fils.
En raison de la prédite cession, les (100) parts sociales émises appartenaient dorénavant à Monsieur … qui devenait ainsi associé et gérant unique de la société.
Le 1er juin 2015 Monsieur … engageait sa mère en qualité d’employée administrative sans préjudice d’une nouvelle affectation ultérieure.
Le contrat de travail fut résilié en date du 27 août 2015 et le préavis légal courrait jusqu’au 31 octobre 2015.
Il résulte de la déclaration de créance déposée par Madame … qu’elle n’a touché aucun salaire pendant toute sa période d’occupation.
Le dossier ne fait preuve d’aucune action entreprise par l’intéressée à l’encontre de son employeur en vue de récupérer son dû.
Partant, l’ADEM a de sérieux doutes quant au caractère réel de la relation de travail, d’autant plus si elle fait référence au lien de parenté étroit liant l’employeur au salarié.
Elle conclut que la transcription des parts sociales et l’embauche de Madame … ont été réalisées dans le seul but de pouvoir bénéficier des deniers publics. Dans ces conditions, il m’est impossible de réserver une suite favorable à la demande de remboursement introduite. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2017, inscrite sous le numéro 38960 du rôle, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du directeur du 10 octobre 2016.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
En ce qui concerne la recevabilité du recours en annulation introduit à titre subsidiaire, il convient de souligner qu’au cours du mois de janvier 2018, le tribunal administratif fut informé que Maître Eyal GRUMBERG n’est plus inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg.
2Par courrier du 19 janvier 2018, Madame … fut informé par les soins du greffe du tribunal administratif que son avocat n’était plus inscrit au barreau, de sorte à ne plus défendre sa cause et qu’elle était en conséquence invitée à confier la défense de ses intérêts à un autre avocat à la Cour. De même, elle fut rendue attentive au fait que se pose une question en ce qui concerne l’objet de son recours dans la mesure où le délégué du gouvernement avait précisé, dans le cadre de son mémoire en réponse, que le directeur envisageait d’annuler la décision attaquée. Par le même courrier, Madame … fut encore informée que l’affaire paraîtrait pour plaidoiries le 7 mars 2018 et qu’à défaut d’instructions de sa part, son recours risque d’être rejeté pour défaut d’intérêt.
Après avoir sollicité, en date du 6 mars 2018, une première refixation de l’affaire sous analyse en affirmant qu’elle allait chercher un nouvel avocat, Madame … n’y donna plus de suites.
A l’audience publique du 7 novembre 2018, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours au regard de la question du maintien de l’intérêt à agir de Madame … et ce, conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, l’intérêt à agir conditionnant la recevabilité d’une demande s’analysant en effet en question d’ordre public1.
A cet égard, il convient de souligner que si stricto sensu l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que le maintien d’un intérêt à agir, ou plus précisément d’un intérêt à poursuivre une action doit être vérifié au jour du jugement sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, d’encombrer le rôle des juridictions administratives et d’entraver la bonne marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de devoir se justifier inutilement devant les juridictions administratives, exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation, sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier.
Or, la première personne à pouvoir justifier s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite, est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande, et ce, en établissant qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés et que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès.
Si cette volonté venait à disparaître en cours de procès, il ne serait potentiellement plus satisfait à la condition que la partie litigante conserve effectivement un intérêt concret et personnel à faire statuer sur la demande qu’elle a introduite. Dans l’hypothèse où cette condition 1 Cour adm. 29 mai 2008, n° 23728C du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 5.
3n’est plus remplie, il y a alors lieu d’en conclure que le recours n’est plus recevable en raison de la disparition de l’intérêt requis en droit.
Or, le défaut de volonté de maintenir une demande peut résulter de la persistance avec laquelle le justiciable s’abstient de toute marque d’intérêt pour le déroulement du procès qu’il a engagé. Une telle absence de toute marque d’intérêt constitue dès lors un motif suffisant pour retenir que l’intérêt requis en droit pour obtenir une décision sur la demande n’existe plus et qu’à défaut de cet intérêt, le recours doit être rejeté comme n’étant plus recevable2.
En l’espèce, force est tout d’abord de relever que le litismandataire s’étant constitué pour Madame … avait quitté le barreau avant la première audience des plaidoiries fixée au 24 janvier 2018, de sorte à ne plus avoir pu défendre les intérêts de ce dernier. L’affaire sous analyse a partant été refixée une première fois à l’audience publique du 7 mars 2018, afin de permettre à Madame … de confier la défense de ses intérêts à un autre avocat à la Cour. Suite à une demande expresse de Madame …, la prédite affaire a encore été refixée une deuxième fois et ce à l’audience du 7 novembre 2018, toujours afin de lui permettre de trouver un nouvel avocat à la Cour pour défendre ses intérêts. Il n’y a toutefois jamais eu de reprise de mandat, ni de constitution de nouvel avocat en conformité avec les articles 5, paragraphe (5), et 10 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Madame … n’a dès lors pas témoigné le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de l’instance qu’elle a mue par sa requête du 10 janvier 2017, de sorte qu’il convient de déclarer son recours irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.
Au vu de l’issue du litige la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de …,- euros formulée par la demanderesse est à rejeter comme non fondée.
Par ces motifs le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour analyser le recours principal en réformation ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, partant le rejette ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la demanderesse ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 novembre 2018 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, 2 Trib.adm. 11 mai 2016, n° 35579 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n°31 et les autre références y citées.
4 en présence du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2018 Le greffier du tribunal administratif 5