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20/11/2018 | LUXEMBOURG | N°41324

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 novembre 2018, 41324


Tribunal administratif N° 41324 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2018 3e chambre Audience publique du 20 novembre 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41324 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2018 par Maître Sébastien LANOUE, avocat à

la Cour, assisté de Maître Marcel MARIGO, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’...

Tribunal administratif N° 41324 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 juin 2018 3e chambre Audience publique du 20 novembre 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 41324 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2018 par Maître Sébastien LANOUE, avocat à la Cour, assisté de Maître Marcel MARIGO, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 mai 2018 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 août 2018 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en sa plaidoirie à l’audience publique du 7 novembre 2018.

Le 29 mars 2017, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, Direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

En date des 1er mars et 10 avril 2018, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 17 mai 2018, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit : « […] Il résulte de vos déclarations que vous seriez né dans le village Gagnoa, et que vous auriez été élevé par votre grand-mère, alors que votre mère serait décédée en couche. Suite au décès de votre grand-mère en 1997, vous vous seriez installé ensemble avec votre père à Abidjan, où vous auriez vécu jusqu'en 2011. Vous y auriez travaillé dans le commerce, tout en soulignant que vous auriez vendu des vêtements.

Quant aux raisons de votre fuite, vous évoquez que vos problèmes auraient commencé pendant le deuxième tour des élections présidentielles de 2011. Vous précisez que votre famille aurait été pro-Gbagbo et que votre père aurait été chargé de la mobilisation des jeunes dans votre commune ; il aurait en outre fait beaucoup de publicité pour la campagne de GBAGBO. Un engagement qui aurait été connu dans votre quartier : « Tout le monde savait que le vieux … était un FPI, c'était quelqu'un qui était pour le président Gbagbo. » (entretien, p. 7/17). Selon vos dires, vous auriez soutenu votre père en distribuant des tracts et des t-shirts et auriez participé à différents meetings.

Suite à l'annonce des résultats et le bras de fer entre GBAGBO et OUATTARA, le président OUATTARA aurait déclaré un couvre-feu de midi à six heures du matin. Comme les habitants de votre quartier, considérés comme étant une « commune Gbagbo », n'auraient pas respecté le couvre-feu il y aurait régulièrement eu des affrontements entre les militants des deux côtés. Dans ce contexte, vous précisez que votre famille aurait reçu des menaces pour avoir soutenu la campagne de GBAGBO. Personnellement, vous n'auriez cependant pas eu de problèmes et vous n'auriez en outre pas participé activement aux affrontements qui auraient eu lieu suite au deuxième tour des élections. Par précaution, votre famille aurait quitté son domicile que pendant les pauses de combat. Le 11 avril 2011 votre père aurait tout de même quitté votre domicile pour faire de courses quant « il s'est fait tuer au carrefour du marché Cicogi. » (entretien, p. 5/17). Suite à l'assassinat de votre père vous auriez quitté Abidjan en direction du Ghana. Comme vous n'auriez pas pu franchir la frontière ghanéenne faute des vaccins requises, vous vous seriez installé dans le village d'Eboué. Vous y auriez vécu et travaillé ensemble avec votre tuteur dénommé Monsieur … jusqu'à votre départ de la Côte d'Ivoire le 18 septembre 2016.

En ce qui concerne votre départ de la Côte d'Ivoire, vous expliquez que vous vous seriez réfugié au Mali, avant de continuer votre voyage en Algérie et puis au Maroc. Le 10 janvier 2017, vous auriez traversé la Méditerranée. Une fois arrivé en Espagne vous auriez poursuivi votre chemin en direction du Luxembourg, via Bordeaux et Paris.

Enfin, il ressort du rapport d'entretien du 1er mars et du 10 avril 2018 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte. […] ». Le ministre informa ensuite Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015.

Le ministre estima que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale et liés aux troubles post-électoraux datant des années 2010 et 2011 seraient trop éloignés dans le temps pour pouvoir être pris en considération dans le cadre de sa demande de protection internationale, le ministre précisant, par ailleurs, que la situation en Côte d’Ivoire se serait stabilisée depuis 2013. En conséquence, il qualifia la crainte de Monsieur … de faire l’objet d’actes de persécution en cas de retour dans son pays d’origine d’hypothétique, respectivement de sentiment général d’insécurité.

Le ministre retint encore que les faits mis en avant par Monsieur …, en l’occurrence la mort de son père en 2011, ne seraient pas de nature à établir dans son chef une crainte fondée d’être persécuté motivée par l’un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève », et par la loi du 18 décembre 2015, puisqu’il s’agirait de faits non personnels pour lesquels Monsieur … serait resté en défaut d’établir qu’il existerait dans son chef un risque réel de faire l’objet d’actes similaires en raison de circonstances particulières. Il réitéra, par ailleurs, son constat, que la situation en Côte d’Ivoire se serait stabilisée depuis 2013, suite aux émeutes provoquées à la suite de l’élection présidentielle en 2011.

Le ministre ajouta que le demandeur n’aurait présenté aucune raison valable pour justifier son impossibilité de s’installer dans une autre partie de son pays d’origine afin d’échapper aux difficultés y rencontrées, notamment dans le village Eboué dans lequel il aurait vécu sans problèmes pendant plusieurs années, suite à la mort de son père en 2011 jusqu’à son départ de la Côte d’Ivoire en septembre 2016.

S’agissant finalement de la protection subsidiaire, le ministre conclut que Monsieur … ne ferait état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

En conséquence, il constata que le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois était illégal et lui enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2018, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 17 mai 2018 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 17 mai 2018, telle que déférée. Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … renvoie, en substance, aux faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits dans le rapport d’entretien auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, en relevant plus particulièrement l’assassinat de son père en 2011 en raison de son soutien, pendant les élections présidentielles en Côte d’Ivoire, du président sortant, Monsieur Laurent GBAGBO.

En droit, il conclut à la réformation de la décision déférée pour erreur manifeste d’appréciation des faits de la part du ministre qui aurait, à tort, retenu qu’il ne serait pas crédible, que sa demande de protection internationale serait basée sur des considérations économiques et que la situation sécuritaire en Côte d’Ivoire se serait améliorée depuis 2013.

Plus particulièrement, il fait valoir, sur base de deux articles de presse publiés sur internet le 26 février 2018, respectivement le 16 mai 2017 et intitulés « Côte d’Ivoire : la création du parti unifié suscite des tensions », respectivement « A la Une : situation toujours tendue en Côte d’Ivoire », que la situation dans son pays d’origine serait loin d’être stabilisée.

En ce qui concerne la mise en cause de la crédibilité de son récit, le demandeur se prévaut de la position du Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ainsi que d’un arrêt du 30 avril 2013 « MO P. c. France » de la Cour européenne des droits de l’Homme, pour soutenir que le ministre n’aurait pas suffisamment motivé la décision déférée, respectivement aurait failli à son devoir d’une évaluation objective de sa demande de protection internationale, en ce que ce dernier n’aurait pas pris en compte l’ensemble des informations pertinentes relatives à sa situation individuelle, ainsi qu’à celle de son pays d’origine.

En contestant que sa demande de protection internationale serait fondée sur des considérations économiques, Monsieur … s’empare des articles 2, 39, 42 et 43 de la loi du 18 décembre 2015 pour conclure à la réformation de la décision déférée, en ce qu’il remplirait l’ensemble des conditions relatives à l’octroi du statut de réfugié. Ainsi il serait constant que des membres de sa famille, en l’occurrence son père, auraient été persécutés en raison de leurs opinions politiques, en ce qu’ils auraient soutenu, lors des élections présidentielles en Côte d’Ivoire en 2011, le président sortant. La gravité des faits serait également établie, en ce qu’il aurait fait l’objet d’une violation des droits fondamentaux de l’homme et au regard de l’assassinat de son père.

En ce qui concerne le refus ministériel de lui accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur estime que les faits invoqués à l’appui de sa demande en obtention de protection internationale seraient sérieux et qu’il existerait un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour en Côte d’Ivoire.

L’ensemble des conditions sous-tendant l’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire étant remplies dans son chef, ce serait dès lors à tort que ledit statut lui aurait été refusé.

Par réformation de la décision ministérielle sous analyse, il y aurait dès lors lieu de lui accorder le statut de réfugié, sinon celui conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Quant aux moyens du demandeur tirés d’un défaut d’examen objectif de sa demande de protection internationale, respectivement d’un défaut de motivation de la décision déférée, force est, tout d’abord, au tribunal de constater que Monsieur …, d’une part, argumente, à tort, que le ministre aurait mis en doute la crédibilité de son récit, dans la mesure où ce dernier a considéré les éléments factuels mis en avant par le demandeur comme étant établis, mais comme ne remplissant pas les conditions pour se voir octroyer un statut de protection internationale et, d’autre part, n’invoque aucune disposition légale à l’appui desdits moyens, de sorte que ceux-ci doivent a priori être considérés comme ayant été simplement suggérés sans avoir été effectivement soutenus, étant précisé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base des conclusions de celui-ci.1 A titre superfétatoire, quant au reproche du demandeur d’un défaut d’instruction dans le chef du ministre, il y a lieu de rappeler qu’en vertu de l’article 10, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 « […] (3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que:

a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement;

b) des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ainsi que les organisations internationales compétentes en matière de droits de l’homme, sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations ; […] ».

Force est, en l’espèce, au tribunal de constater que le ministre n’a pas mis en doute la crédibilité du récit du demandeur et a procédé à une analyse au fond de la demande de protection internationale de Monsieur …, en retenant que ce dernier n’aurait pas fait état d’actes de persécutions, respectivement d’atteintes graves justifiant l’octroi d’un statut de protection internationale, sur base, d’une part, des déclarations du demandeur, et, d’autre part, d’un certain nombre de rapports d’organisation internationale sur la situation générale régnant en Côte d’Ivoire. Le ministre a donc pris la décision déférée en procédant à un examen approprié de la situation de Monsieur …, de sorte qu’aucune violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 ne saurait être retenue.

La même conclusion doit être retenue en ce qui concerne le moyen du demandeur tiré d’un défaut de motivation de la décision déférée, dans la mesure où le ministre, tel que retenu ci-avant, a indiqué les éléments juridiques et factuels à la base de sa décision refusant l’octroi d’un statut de protection internationale à Monsieur …, conformément à l’article 34, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 aux termes duquel « […] Toute décision négative est motivée en fait et en droit et les possibilités de recours sont communiquées par écrit au demandeur. […] ».

Quant au fond, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l'article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence 1 Trib. adm. 5 juillet 2000, n° 11527 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Procédure contentieuse, n° 437 et les autres références y citées.

habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Il ressort en l’espèce des déclarations du demandeur dans le cadre de ses auditions par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes que les faits à la base de sa demande de protection internationale concernent exclusivement son père, qui, en raison du fait d’avoir été un sympathisant du président sortant de la Côte d’Ivoire, a été menacée par des membres du parti politique de l’actuel président et a été tué après les élections présidentielles en Côte d’Ivoire en avril 2011.

Or des faits remontant à 2011 sont trop éloignés dans le temps pour pouvoir justifier l’octroi d’un statut de protection internationale en 2018, étant encore relevé que les faits mis en avant par le demandeur se situent dans le contexte particulier des élections présidentielles de 2010 et que la situation politique en Côte d’Ivoire a fondamentalement changé depuis lors, notamment suite à la réélection d’Alassane OUATARRA en date du 25 octobre 2015, élections présidentielles qui se sont déroulées dans un climat calme et ordonné. Cette conclusion n’est pas remise en cause par les articles de presse invoqués par le demandeur qui se limitent exclusivement à un problème de formation d’un parti politique en Côte d’Ivoire, respectivement à un problème de grève de certaines parties des formes armées ivoiriennes concernant une question d’arriérés de salaires, ces articles ne portant pas sur la situation générale régnant en Côte d’Ivoire suite aux prédites élections présidentielles de 2010, respectivement suite au départ du demandeur de son pays d’origine.

Par ailleurs, indépendamment de la qualification des faits invoqués à l’appui de la demande de protection internationale ou encore de la question de savoir si les actes invoqués sont d’une gravité suffisante pour être qualifiés de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, force est au tribunal de relever que des faits non personnels mais vécus par des personnes proches du demandeur ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution, respectivement une crainte de faire l’objet d’atteintes graves que si le demandeur établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières. A défaut par le demandeur d'asile d'avoir concrètement étayé un lien entre le traitement de personnes qui lui sont proches, en l’occurrence son père ayant été tué dans le cadre des troubles post-électoraux en Côte d’Ivoire en avril 2011, et d'éléments liés à sa propre personne l'exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à constituer des indications sérieuses d'une crainte fondée de persécution, respectivement de faire l’objet d’atteintes graves.

Il ressort en l’espèce des déclarations du demandeur dans le cadre de ses auditions par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes que les faits à la base de sa demande de protection internationale concernent exclusivement son père, qui, en raison du fait d’avoir été un sympathisant du président sortant de la Côte d’Ivoire, a été menacée par des membres du parti politique de l’actuel président et a été tué après les élections présidentielles en Côte d’Ivoire en avril 2011, le demandeur ayant, quant à lui, déclaré que « […] personnellement je n’ai pas eu de problèmes physiques avec les gens2 […] », que « […] personnellement après le deuxième tour je n’ai pas eu de problèmes3 […] » et qu’entre 2011 et 2016, où il aurait vécu chez son tuteur à Eboué, « […] il n’y avait pas de problèmes4 […] ».

2 Page 9 du rapport d’audition de Monsieur … des 1er mars et 10 avril 2018.

3 Page 10 du rapport d’audition de Monsieur … des 1er mars et 10 avril 2018.

4 Page 13 du rapport d’audition de Monsieur … des 1er mars et 10 avril 2018.

Il y a partant lieu de retenir que le demandeur n’a, en l’espèce, pas établi dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires à ceux subis par son père, de sorte que les craintes de faire l’objet d’actes de persécutions, respectivement d’atteintes graves, telles qu’exprimées en l’occurrence, doivent être qualifiées de purement hypothétiques.

Il s’ensuit que le demandeur n’a pas fait état et n’a pas établi des raisons de nature à justifier dans son chef une crainte justifiée de persécution dans son pays de provenance pour les motifs énumérés à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet telle que présentée par le demandeur.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

A cet égard, le demandeur expose que l’ordre de quitter le territoire devrait encourir la réformation pour violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », dans la mesure où un retour en Côte d’Ivoire serait suivi de traitements inhumains ou dégradants. Afin d’appuyer ses déclarations, il se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme5 selon laquelle les Etats signataires devraient prendre des mesures propres à empêcher qu’une personne soit soumise à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

Si l’article 3 de la CEDH proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

5 CEDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, Requête n° 2346/02.

En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Côte d’Ivoire, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015 dans son pays d’origine, qui est la Côte d’Ivoire, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH6, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation dudit article de la CEDH encourt le rejet pour ne pas être fondé.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 17 mai 2018 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … ;

au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;

6 CEDH, 4 février 2004, Lorsé et autres c. Pays-Bas, § 59.

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 novembre 2018 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 novembre 2018 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 41324
Date de la décision : 20/11/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2018-11-20;41324 ?

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