Tribunal administratif N° 41746 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 septembre 2018 1re chambre Audience publique du 19 novembre 2018 Recours formé par Monsieur …, alias …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 41746 du rôle et déposée le 25 septembre 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Franck Greff, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Mali), de nationalité malienne, alias …, né le …, de nationalité malienne, demeurant actuellement au Centre d’accueil Logopédie sis à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 septembre 2018 de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2018 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 12 novembre 2018 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Franck Greff et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 novembre 2018.
Le 16 juillet 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police judiciaire de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC et les informations du CCPD, ainsi que suivant ses propres déclarations, que Monsieur …, après avoir franchi de manière illégale la frontière italienne, introduisit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 30 janvier 2017, puis au Danemark en date du 1er avril 2017. Après son retour en Allemagne, il fut transféré vers l’Italie le 19 février 2018 où il introduisit le même jour une 1demande de protection internationale. Il quitta par la suite l’Italie pour venir en direction de Luxembourg en passant par la France.
Toujours le 16 juillet 2018, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».
En date du 24 juillet 2018, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités italiennes en vue de la prise, respectivement de la reprise en charge de Monsieur …, sur base de la considération que l’intéressé avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Italie. N’ayant pas répondu à cette demande dans les délais prescrits par l’article 22, paragraphe (1) du règlement Dublin III, l’Italie fut informée par les autorités luxembourgeoises le 13 août 2018 de sa responsabilité pour le traitement de la demande de protection internationale de Monsieur … suite à son acceptation tacite intervenue le 8 août 2018 en application de l’article 25, paragraphe (2) du même règlement.
Le 30 août 2018, les autorités italiennes donnèrent leur accord pour le transfert de Monsieur … qui serait à effectuer à l’aéroport de Rome Fiumicino.
Par décision datée du 10 septembre 2018, expédiée le même jour par courrier recommandé, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« (…) J'accuse réception de votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire que vous avez présentée en date du 16 juillet 2018.
En vertu des dispositions de l'article 28 (1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18§1b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013, le Grand -Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Italie qui est l'État membre responsable pour examiner votre demande de protection internationale.
Selon vos déclarations vous seriez arrivé de façon irrégulière sur le territoire de l'Union européenne via l'Italie en 2016. Après un séjour d'un an vous auriez voyagé vers l'Allemagne où vous avez introduit une demande de protection internationale. Les autorités allemandes vous ont informé que l'Italie serait responsable pour traiter votre demande. Après un court séjour en Danemark, vous seriez retourné en Allemagne et les autorités allemandes vous auraient transféré vers l'Italie en février 2018.
Il résulte par ailleurs des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale, notamment dans la base de données EURODAC, que vous avez introduit une demande de protection internationale en Italie le 19 février 2018.
2Sur base des informations à disposition, le Grand-Duché de Luxembourg a adressé une demande de reprise en charge aux autorités italiennes qui ont accepté tacitement en date du 8 août 2018 de reprendre en charge l'examen de votre demande de protection internationale en vertu de l'article 18§1b et de l'article 25§2 du règlement UE Nr 604/2013 susmentionné.
Lors de votre audition en date du 16 juillet 2018, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux.
Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement UE Nr 604/2013 ;
Vous n’avez par ailleurs pas fait valoir des raisons particulières ou humanitaires qui auraient dû amener l’Etat luxembourgeois de faire application de l'article 17(1) du règlement UE Nr 604/2013.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n’ont pas été constatées ; (…) ».
Toujours le 10 septembre 2018, le service de Police judicaire, section police des étrangers et des jeux, fut prié de procéder à l’organisation du transfert de Monsieur ….
Par courriers des 17 et 18 septembre 2018, le litismandataire de Monsieur … appela à la clémence du ministre en lui demandant d’annuler dans les meilleurs délais sa décision du 10 septembre 2018 en application de l’article 17 du règlement Dublin III.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2018, inscrite sous le numéro 41746 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 10 septembre 2018 décidant de son transfert vers l’Italie.
Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 10 septembre 2018 de transférer Monsieur … vers l’Italie.
Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi A l’appui de son recours et après avoir exposé les faits et rétroactes relatés ci-dessus, le demandeur énonce qu’après avoir introduit sa demande de protection internationale en Italie en février 2018, il se serait rendu compte, et cela même avant les élections législatives en Italie de mars 2018, que la politique italienne en matière d’immigration risquerait de connaître un changement radical dépassant le seul durcissement au vu des discours et programmes électoraux présentés par l’extrême droit italienne, représentée, entre autres, par la Ligue.
Il met en exergue que lors de son arrivée en Italie, il aurait subi les conditions déplorables dans lesquelles les autorités italiennes mettraient les demandeurs de protection internationale qui, de manière générale, seraient considérés comme un « fléau national ».
3Après avoir su que l’extrême-droite en Italie était sortie gagnante des élections législatives, il aurait décidé de quitter rapidement le pays pour un autre Etat membre de l’Union européenne.
En droit, le demandeur invoque de prime abord une violation des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte ». Selon lui, une tendance xénophobe se serait installée depuis quelques années dans certains pays de l’Union européenne dont notamment en Italie qui, outre le fait d’être marquée par une crise financière, se serait encore vue confrontée à un important flux migratoire. Il insiste, à cet égard, sur les conditions de vie, d’hébergement et d’accès aux soins catastrophiques qui existeraient en Italie pour les « migrants ». En effet, en raison d’une insuffisance de moyens matériels et financiers, les demandeurs de protection internationale devraient vivre dans des camps excessivement surpeuplés et dans des conditions inhumaines. Le demandeur se réfère, dans ce contexte, à un rapport de l’organisation « Médecins sans frontières » de février 2018 ainsi qu’à un article du « European Council on Refugees and Exiles » (ECRE) du 23 mars 2018 pour soutenir l’exposition des demandeurs de protection internationale situés sur le territoire italien à des traitements inhumains et dégradants.
Le demandeur fait par la suite valoir que l’adoption en date du 24 septembre 2018 d’un décret-loi « anti-migrant » par le conseil des ministres italien ferait clairement apparaître que l’Italie ne convoiterait plus que des grands centres d’accueil pour les demandeurs de protection internationale, de sorte que l’accès à des structures d’accueil légères comme l’hébergement chez des particuliers, résidents italiens, serait définitivement condamné. Il estime que ces mesures auraient pour conséquence de renforcer la « ghettoïsation », de manière à aggraver incontestablement la situation actuelle en matière d’accueil, d’hébergement et d’accès aux soins en Italie. Il s’ensuivrait que la politique italienne en matière d’immigration menée et exécutée par le gouvernement italien, et plus spécialement par Monsieur Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur, ne respecterait plus les objectifs et valeurs mis en avant par l’Union européenne en matière d’immigration tels qu’ils seraient exprimés dans le considérant (2) du règlement Dublin III. Il se réfère, à cet égard, aux propos tenus par le ministre de l’Intérieur italien lors de la conférence ministérielle sur la sécurité et la migration du 14 septembre 2018 à Vienne, qui révéleraient, selon lui, que le gouvernement italien ne mettrait certainement pas en place une politique migratoire dont l’objectif serait l’amélioration de la situation de vie et d’hébergement ou l’accès aux soins des demandeurs de protection internationale et des réfugiés en Italie, mais aurait, au contraire, pour conséquence de faire de ces individus des personae non gratae.
En se référant à un arrêt du 14 juin 2018 de la Cour administrative d’appel de Paris ainsi qu’à un jugement du tribunal administratif du 3 août 2018, numéro 41401 du rôle, le demandeur insiste sur le fait que le ministre aurait dû appliquer, en l’espèce, le paragraphe (2) de l’article 3 du règlement Dublin III et annuler son transfert vers l’Italie. Le demandeur estime, en effet que, dans le cadre d’une mise à exécution de la décision de transfert litigieuse et conformément au jugement précité du 3 août 2018, il aurait appartenu au ministre de rapporter la preuve qu’il a précédemment obtenu de la part des autorités italiennes la garantie qu’il aura accès à un logement décent et qu’il ne sera pas exposé à une situation de précarité ni à un risque de traitement inhumain et dégradant. Cette obligation de renseignement serait, par ailleurs, de résultat, de sorte que le principe de confiance mutuelle régnant entre les Etats membres serait inapplicable en l’espèce.
4 Il fait ensuite état de l’« incident » ayant eu lieu entre le ministre luxembourgeois et Monsieur Salvini lors de la conférence ministérielle du 14 septembre 2018 à Vienne, en mettant particulièrement en exergue l’incohérence qui existerait entre les propos tenus en public par le ministre lors de cette réunion et les actes pris par lui par la suite dans le cadre de ses activités, dont, notamment, la décision querellée.
Le demandeur donne finalement à considérer que l’approche extrêmement dangereuse du ministre provoquerait une véritable insécurité juridique, alors que le ministre, ayant constaté l’existence de violations juridiques graves des valeurs et principes mis en avant par l’Union européenne par un Etat membre, renverrait tout de même des demandeurs de protection internationale vers ce même Etat membre. Ceci mettrait non seulement en question la confiance que l’on pourrait placer dans la parole donnée par un ministre dans le cadre de l’exercice de ses activités, mais conduirait, en outre, à une politique migratoire arbitraire mettant la direction de l’Immigration dans l’impossibilité d’appliquer sereinement le paragraphe (2) de l’article 3 du règlement Dublin III.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III dispose ce qui suit : « 1.
L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ; ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement, comme en l’espèce, la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
Il est constant en cause que la décision litigieuse a été prise par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1), précité, de la loi du 18 décembre 2015 et des articles 18, paragraphe (1), point b) et 25, paragraphe (2) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait responsable de l’examen de la demande de protection internationale présentée par Monsieur …, mais l’Italie, compte tenu de l’introduction d’une demande de protection internationale par celui-ci en Italie en date du 19 février 2018 et de l’acceptation implicite en date du 8 août 2018 de la part des autorités italiennes, conformément à l’article 25, paragraphe (2) du règlement Dublin III aux termes duquel : « L’absence de réponse à l’expiration du délai d’un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de reprendre en 5charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée ».
Ainsi, c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner la demande de protection internationale déposée au Luxembourg par le demandeur et de le transférer vers l’Italie.
Force est encore au tribunal de constater que le demandeur ne conteste pas cette compétence de principe des autorités italiennes, et, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais soutient en substance que son transfert serait contraire à l’article 3 de la CEDH, à l’article 4 de la Charte et à l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit ce qui suit: « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».
Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.
A cet égard, le tribunal relève de prime abord que l’Italie est tenue, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la CEDH, au respect des dispositions de celle-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques et de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi 1 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S, c. Secretary of State for the Home Department et C493/10, M.E. et al c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.
6d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2.
Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées3. Dans son arrêt du 16 février 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « CJUE », a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile4, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.
Au vu de ce qui précède, il incombe donc au demandeur de fournir des éléments concrets permettant de retenir l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
A cet égard, il échet au tribunal de relever de prime abord qu’il ne peut avoir égard qu’aux moyens et explications exposées dans la requête introductive d’instance, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite. Ainsi, les déclarations orales développées par le litismandataire du demandeur à l’audience des plaidoiries non exposées dans la requête introductive d’instance ne peuvent être prises en considération par le tribunal.
Par ailleurs, le tribunal rappelle qu’en la présente matière, il est saisi d’un recours en annulation, de sorte que son analyse ne saurait se rapporter qu’à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l’annulation ne pouvant, en effet, faire porter son analyse ni à la date où le juge statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise5. Le juge de l’annulation ne saurait partant prendre en considération ni des éléments de fait, ni des changements législatifs ou réglementaires s’étant produits postérieurement à la prise de la décision litigieuse. Il en découle qu’en l’espèce, les pièces invoquées par le demandeur et ayant trait à des éléments de fait postérieurs au jour où la décision litigieuse a été prise, - à savoir précisément l’article de presse du 24 septembre 2018, les articles de presse publiés les 2 et 3 novembre 2018 dans un journal luxembourgeois, le communiqué de presse du 26 octobre 2018 de la direction de l’Immigration, l’article de presse du 7 novembre 2018 publié dans le journal « Le Figaro », l’article de presse du 8 novembre 2018 publié par l’Agence France Presse, pour autant que ces articles se réfèrent à des faits postérieurs à la prise de la décision du 10 septembre 2018, en l’occurrence l’adoption, en date du 24 septembre 2018, par le conseil des ministres italien d’un décret-loi réorganisant le système d’accueil des demandeurs d’asile et le vote ultérieur du sénat, de même que les prises de position politiques du ministre luxembourgeois à la suite d’une conférence ministérielle à Vienne le 14 septembre 2018 -, ne sauraient être pris en considération par le tribunal, le ministre ne pouvant, en effet, se voir reprocher une mauvaise application de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, tel qu’invoqué par le demandeur, que par rapport aux faits qui étaient à sa connaissance ou dont il est censé être au courant. Par conséquent, les 2 Ibidem, point. 79 ; Voir également : trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib.adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
3 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
4 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.
5 Trib. adm. 23 mars 2005, n° 19061 du rôle, Pas. adm. 2018, V° Recours en annulation, n° 21 et les autres références y citées.
7conséquences éventuelles du décret-loi, précité, du 24 septembre 2018 ou encore les affirmations du ministre à la suite de la conférence ministérielle du 14 septembre 2018 à Vienne, ne sauraient être prises en compte par le tribunal, ces éléments étant, en effet, postérieurs à la décision déférée.
Quant aux autres éléments invoqués par le demandeur, reposant essentiellement sur un rapport intitulé « Out of sight » de l’association « Médecins sans frontières » de février 2018, sur un article publié sur internet par l’organisation ECRE intitulé « AIDA 2017 Update Italy :
obstacles in accessing asylum procedures and lack of reception capacity » du 23 mars 2018, sur un rapport intitulé « HOTSPOT ITALY » publié en octobre 2016 par l’organisation « Amnesty International », sur un communiqué de presse du Centre suisse pour la défense des migrants du 11 septembre 2018 et sur des décisions juridictionnelles françaises respectivement néerlandaises ayant annulé des transferts vers l’Italie, force est au tribunal de constater que ceux-ci sont insuffisants pour permettre au tribunal de retenir l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
En effet, le tribunal relève tout d’abord que, de manière générale, les rapports et articles de presse précités sont cités par le demandeur par extraits dans la requête introductive d’instance sans mise en relation de leur contenu avec la situation particulière du demandeur. Si les rapports et articles de presse versés en cause par le demandeur à l’appui de son argumentation mentionnent certes, de manière générale, des problèmes affectant le système d’accueil en Italie en raison du nombre important de demandeurs de protection internationale, le demandeur reste toutefois en défaut de faire état d’un quelconque élément personnel s’opposant à son transfert en Italie.
Il résulte, d’ailleurs, de la requête introductive d’instance que les risques liés au transfert en Italie dont le demandeur fait état sont fondés sur des considérations tout à fait générales sur la situation en Italie, sans qu’il n’ait fait état d’un élément de son vécu personnel en tant que demandeur de protection internationale en Italie qui permettrait de conclure à l’existence de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
Le demandeur n’a, en effet, pas allégué dans sa requête introductive d’instance que l’introduction de sa demande d’asile, dont la procédure est actuellement toujours en cours en Italie, aurait posé problème. Il n’a pas non plus indiqué des faits concrets permettant de relever que ses conditions d’accueil dans ce pays auraient été mauvaises. Au contraire, il ressort de ses propres déclarations à l’occasion de son entretien précité du 16 juillet 2018 que, lors de son premier séjour en Sicile, il a été hébergé par une famille d’accueil italienne pendant un an et que, lors de son deuxième séjour à Rome, il a été hébergé dans un foyer pour demandeurs d’asile pendant 5 mois. Le demandeur reste partant en défaut d’avancer un quelconque élément de son vécu personnel, ni lors de son entretien ni dans sa requête introductive d’instance, qui s’opposerait à son transfert en Italie, la seule affirmation selon laquelle il aurait quitté l’Italie « Parce que j’avais mal aux oreilles & ils ne voulaient pas m’aider » ne permet pas de relever que le demandeur ait été victime de dysfonctionnements tels que l’existence de défaillances systémiques devrait être retenue.
Le tribunal constate encore qu’il ne ressort ni de la requête introductive d’instance ni des déclarations faites auprès du ministère lors de son entretien du 16 juillet 2018 que Monsieur … aurait personnellement fait l’objet de traitements de la part des autorités italiennes susceptibles de constituer des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH ou à l’article 4 de la Charte ni qu’il risque un tel traitement en cas de retour en Italie. A cet égard, l’affirmation 8du demandeur lors de son entretien du 16 juillet 2018 selon laquelle « L’Italie est pire que l’Afrique. Pire que le Mali. Si vous me renvoyez en Italie, je préfère rentrer au Mali », sans autre précision à cet égard, ne saurait être concluante pour retenir des traitements inhumains et dégradants dans son chef, le tribunal relevant encore, à cet égard, que dans sa requête introductive d’instance le demandeur se limite à affirmer qu’il aurait subi « les conditions déplorables dans lesquelles les autorités italiennes ont mis les demandeurs de protection internationale », sans donner d’autres précisions concrètes à cet égard par rapport à son propre vécu.
Quant au contenu des rapports et articles de presse versés en cause, le tribunal relève que le rapport intitulé « HOTSPOT ITALY » publié en octobre 2016 par l’organisation « Amnesty International » ne saurait être pris en considération par le tribunal comme élément concluant, alors qu’il ne reflète pas forcément la situation de vie, d’hébergement et d’accueil des demandeurs d’asile telle qu’elle a existé au moment de la prise de décision du ministre.
En ce qui concerne l’article « AIDA 2017 Update Italy : obstacles in accessing asylum procedures and lack of reception capacity » publié par l’organisation ECRE le 23 mars 2018 et mettant le rapport de l’AIDA intitulé « Country report : Italy » à jour au 31 décembre 2016, non versé aux débats, le tribunal relève qu’il a déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce rapport dans d’autres affaires6 dans lesquelles il a d’ailleurs été conclu que des défaillances systémiques en Italie n’étaient pas vérifiées au motif que :
« Certes le rapport de l’AIDA intitulé « Country report : Italy », mis à jour au 31 décembre 2016, cité par le demandeur, fait état de difficultés de la part des autorités italiennes qui ont été dans l’obligation de faire face au nombre élevé de demandeurs de protection internationale dans leur pays en mettant en place deux types d’hébergement d’urgence pour les personnes transférées dans le cadre du règlement Dublin III – l’un pour les personnes vulnérables, et l’autre, pour celles qui ne le sont pas – et s’il s’en dégage que « (…) it happens that Dublin returnees are not accommodated and find alternative forms of accommodation such as self-organised settlements »7, il en ressort également que « (…) temporary reception systems have been established to those persons transferred to Italy on the basis of the Dublin III Regulation. However, it concerns a form of temporary reception that lasts until their juridical situation is defined or, in case they belong to vulnerable categories, an alternative facility is found. (…). ». Il ressort ainsi dudit rapport que si la possibilité qu’une personne transférée en Italie dans le cadre du règlement Dublin III ne puisse être logée par l’Etat italien existe, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une exception, les personnes transférées étant logées à leur arrivée dans des structures d’urgence en fonction de leur état de vulnérabilité, pendant la période nécessaire pour définir leur situation au niveau juridique. Il ressort en outre du même rapport, dans la partie « Conditions in reception facilities »8, que si certains centres d’accueil sont effectivement surpeuplés, les conditions d’accueil sont différentes dans chacun des centres, ceux-ci étant dirigés par des organismes distincts, de sorte qu’il ne peut être conclu de manière générale que tous les centres d’accueils d’Italie ne répondraient pas aux critères minimaux visés par le règlement Dublin III, d’autant plus qu’il y est indiqué que le « Legislative Decree 142/2015 » prévoit les standards minimaux devant nécessairement être respectés par tous les centres d’accueils des demandeurs de protection internationale.
6 Voir à cet égard notamment Trib. adm. 16 mai 2018, 40930 du rôle ; Trib. adm. 9 juillet 2018, n° 41260 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.
7 Page 64 du rapport « Country report : Italy » de l’AIDA, à jour au 31 décembre 2016.
8 Page 72, ibid.
9En ce qui concerne l’accès limité des représentants religieux, des avocats ou des membres de famille des demandeurs de protection internationale invoqué par le demandeur, il est précisé dans le prédit rapport de l’AIDA que « It is worth noting that these centres are open, therefore asylum seekers are free to contact NGOs, lawyers and UNHCR offices outside of the centres. »9, de sorte que des défaillances systémiques ne sauraient être retenues de ce fait, les demandeurs de protection internationale pouvant rencontrer les personnes qu’ils souhaitent en dehors du centre d’accueil, d’autant plus que le demandeur relève lui-même que cette limitation de l’accès au centre serait mise en place « pour des raisons de sécurité ».
Concernant l’accès aux informations des demandeurs de protection internationale, il est encore indiqué dans le prédit rapport de l’AIDA que « Upon arrival in the reception centres, asylum seekers are informed on the benefits and level of material reception conditions.
Depending of the type of centre and the rules adopted by the managers of the accommodation centres, asylum seekers may benefit from proper information of the asylum procedure, access to the labour market or any other information on their integration rights and opportunities.
Generally speaking, leaflets are distributed in the accommodation centres and asylum seekers are informed orally through the assistance of interpreters. »10, de sorte que des défaillances systémiques ne sauraient non plus être retenues à cet égard. ».
Le tribunal est amené à retenir que la mise à jour de ce rapport invoquée par le demandeur n’est pas de nature à l’amener à se départir de ces conclusions.
Le tribunal relève, à cet égard, que si l'article de l’organisation ECRE du 23 mars 2018 versé par le demandeur fait état de « Several Police Headquarters (Questure) » qui auraient pour but de limiter le nombre de demandeurs d’asile, voire de dénier l’accès à l’asile aux personnes non enregistrées, ces difficultés visent les primo arrivants, ce qui n’est pas le cas du demandeur qui a la qualité de demandeur de protection internationale enregistré en Italie. Il s’ensuit que ces éléments ne sont pas pertinents en l’espèce, étant encore relevé que le demandeur, tel qu’il ressort du dossier administratif, a pu introduire sa demande de protection internationale en Italie sans qu’il n’ait fait état, ni lors de son entretien ni dans sa requête introductive d’instance, d’une quelconque difficulté à cet égard.
Concernant les places disponibles dans les logements dédiés aux demandeurs d’asile, le tribunal se doit de relever que malgré les difficultés indéniables que connaissent les autorités italiennes à cet égard, il ne se dégage pas de l’article prémentionné du 23 mars 2018 que le système d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie soit tel que l’existence de défaillances systémiques se trouve vérifiée. Il résulte, par ailleurs, des déclarations du demandeur lui-même, tel que cela a été relevé ci-avant, que lors de ses deux séjours en Italie, il a été hébergé auprès d’une famille d’accueil italienne ainsi que dans un foyer pour demandeurs d’asile à Rome, de sorte que son propre vécu n’est pas le reflet de défaillances systématiques en termes de mise à disposition de logements des demandeurs de protection internationale telles qu’invoquées par lui.
Dans ce même contexte, il échet de relever que si l’extrait du rapport de l’association « Médecins sans frontières » de février 2018 cité par le demandeur dans sa requête introductive d’instance fait certes état de difficultés d’accueil des migrants ainsi que de problèmes croissants en ce qui concerne l’accès à des traitements médicaux, il ne ressort néanmoins pas de cet extrait 9 Page 86 du rapport « Country report : Italy » de l’AIDA, à jour au 31 décembre 2016.
10 Page 85, ibid.
10que, de manière générale, tous les centres d’accueil d’Italie ne répondent pas aux critères minimaux quant aux conditions d’accueil.
Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que s’il est certes vrai que les autorités italiennes connaissent à l’heure actuelle des problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, il ne ressort cependant pas des documents versés en cause par le demandeur, ni des explications fournies par lui quant à sa situation personnelle en Italie, que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour le requérant, d’être systématiquement exposé à une situation de précarité et de dénuement matériel et psychologique11. A cet égard, il convient de rappeler que dans son arrêt du 4 novembre 201412, la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », contrairement au cas de la Grèce13, n’a pas constaté de défaillances systémiques dans le dispositif italien d’accueil en matière d’asile, et ce malgré des « sérieux doutes quant aux capacités actuelles du système », doutes reposant notamment sur un manque crucial d’hébergement et sur des conditions de vie inadéquates dans les structures disponibles, de sorte à ne pas avoir suspendu les renvois vers ce pays. Procédant par étape, la CourEDH a dans cet arrêt constaté dans un premier temps que la structure et la situation générale du dispositif d’accueil en Italie entraînerait un risque pour un nombre significatif de demandeurs d’asile d’être privés d’hébergement ou d’être hébergés dans des structures surpeuplées impliquant une promiscuité, insalubrité et violence, pour ensuite retenir toutefois que le système ne présenterait pour autant, aux yeux de la CourEDH, pas des défaillances systémiques et ne saurait pas en soi constituer un obstacle au renvoi de tout demandeur d’asile vers ce pays. La CourEDH14 a eu de nouveau à se prononcer sur la situation en Italie, mais cette fois-ci dans le cas d’un demandeur d’asile masculin, seul et bien portant, pour retenir que la situation de l’Italie n’aurait rien à voir avec la situation de la Grèce en 2011 et rejeter la demande du demandeur d’asile qui souhaitait voir condamner la décision de l’expulser vers Italie.
De plus, en l’absence d’une jurisprudence révisée par la CourEDH ou d’un rapport actuel d’une institution supranationale déconseillant des transferts vers l’Italie en raison de défaillances systémiques qui auraient pu être constatées dans cet Etat, le tribunal n’est pas en mesure, en l’état tel qu’il se présentait au ministre au moment de la prise de décision litigieuse, de retenir de telles déficiences systématiques pour l’Italie.
Ce constat ne saurait être ébranlé par les différents jugements étrangers versés en cause par le demandeur, à défaut pour le tribunal de disposer des éléments concrets sur lesquels se sont basés ces différentes juridictions. S’il est vrai que le Comité contre la Torture des Nations Unies a condamné la Suisse en relation avec un transfert vers l’Italie, cette décision a été prise au regard de la situation particulière de l’intéressé nécessitant une prise en charge médicale et ayant par ailleurs un frère résidant en Suisse.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en ne démontrant pas l’existence d’un risque concret et avéré que les autorités italiennes refuseraient de le prendre en charge ou qu’il y serait systématiquement exposé à des traitements inhumains et dégradants 11 Trib. adm. 16 août 2017, n° 39786 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
12 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12.
13 CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.
14 CEDH, 5 février 2015, A.M.E. c. Pays-Bas, n° 51428/10.
11au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en cas de retour en Italie, aucun reproche ne saurait être fait au ministre de ne pas avoir retenu l’existence de défaillances systémiques, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.
S’agissant de l’argumentation du demandeur selon laquelle il appartiendrait à la partie étatique de rapporter la preuve que le ministre s’est assuré préalablement auprès des autorités italiennes qu’en cas de transfert, il aura accès à un logement décent et qu’il ne sera pas exposé à une situation de précarité ni à un risque de traitement inhumain et dégradant, en s’appuyant sur un jugement du tribunal administratif du 3 août 2018, n° 41401 du rôle, le tribunal relève de prime abord que contrairement à ce que le demandeur semble soutenir, le tribunal dans cette affaire n’a pas annulé la décision de transfert en raison de l’existence avérée de défaillances systémiques, mais a retenu qu’il aurait appartenu au ministre de vérifier que les conditions matérielles d’accueil de l’intéressé en Italie en sa qualité de demandeur de protection internationale soient de nature à respecter les garanties fondamentales prévues par la Convention de Genève, de sorte que le demandeur n’est pas fondé à invoquer cette jurisprudence pour conclure ipso facto à l’existence de défaillances systémiques en Italie. Pour le surplus, le tribunal est amené à retenir qu’au jour de sa décision, le ministre n’était pas confronté à des éléments suffisants qui lui auraient imposé de s’assurer auprès des autorités italiennes des conditions de logement du demandeur, celui-ci n’ayant plus particulièrement pas fait état de difficultés qu’il aurait vécues à cet égard lors de son séjour en Italie.
Il s’ensuit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 novembre 2018 par :
Annick Braun, vice-président, Stéphanie Lommel, juge, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19.11.2018 Le greffier du tribunal administratif 12