Tribunal administratif N° 39945 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juillet 2017 3e chambre Audience publique du 7 novembre 2018 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de reconnaissance de qualifications professionnelles
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39945 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2017 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 avril 2017 rejetant sa demande de reconnaissance des qualifications professionnelles en vue d’exercer la profession d’avocat à la Cour ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 7 décembre 2017 au greffe du tribunal administratif ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2018 par Maître Frank WIES, au nom du demandeur ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé le 5 février 2018 au greffe du tribunal administratif ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Olivier POELMANS, en remplacement de Maître Frank WIES, et Madame le délégué du gouvernement Stéphanie LINSTER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 octobre 2018.
En date du 16 février 2017, Monsieur … introduisit auprès du ministère de la Justice une demande tendant à la reconnaissance des qualifications professionnelles en vue d’exercer la profession d’avocat à la Cour, en y annexant les arrêtés ministériels des 11 juin 2007 et 16 septembre 2008 homologuant ses diplômes de maîtrise en droit obtenu le 4 juillet 2006, ainsi que de master en droit obtenu le 4 octobre 2007, la décision du Conseil de l’Ordre des avocats au Barreau de Libourne du 31 mars 2016, une copie de sa carte d’identité, ainsi qu’un « curriculum vitae ».
1Suite à l’avis négatif du 6 mars 2017 de la commission prévue à l’article 6 de la loi modifiée du 10 août 1991 déterminant, pour la profession d’avocat, le système général de reconnaissance des qualifications professionnelles, ci-après désignée par « la loi du 10 août 1991 », le ministre de la Justice, ci-après désigné par « le ministre », par décision du 27 avril 2017, refusa la demande de Monsieur … dans les termes suivants :
« […] J'accuse bonne réception de votre demande en obtention d'une équivalence professionnelle au Luxembourg du 16 février 2017 ensemble les pièces y annexées.
Votre demande a été soumise à la commission prévue à l'article [6] de la loi du 10 août 1991 déterminant pour la profession d'avocat à la Cour, le système général de reconnaissance des qualifications professionnelles qui a émis un avis négatif pour les raisons développées ci-dessous.
L'article 1er de la loi préqualifiée énonce les conditions pour la délivrance d'une équivalence professionnelle en conformité avec la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles telle que modifiée par la Directive 2013/55/UE du 20 novembre 2013 et plus précisément celle d'être détenteur d'un titre de formation dont il résulte qu'il remplit les conditions pour exercer la profession d'avocat dans un Etat membre de l'Union européenne.
Vous versez à l'appui de votre demande notée sous rubrique, la réponse du Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Libourne datée au 7 avril 2016 qui fait suite à votre demande d'inscription au Barreau de Libourne qui dit ce qui suit :
« Le décret n°2012-441 du 3 avril 2012 relatif aux conditions particulières d'accès à la profession d'avocat instaurant, pour les personnes bénéficiant d'une des dispenses prévues à l'article 98 du décret du 27 novembre 1991, un examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle préalable à la prestation de serment, je vous remercie de bien vouloir me faire parvenir l'attestation de réussite à l'examen pour que je puisse, à réception, solliciter de Monsieur le Premier Président et de Monsieur le Procureur Général une date de prestation de serment » Le Bâtonnier du Barreau de Libourne donne droit à votre demande d'inscription seulement sous la condition de passer au préalable un examen de contrôle en déontologie et réglementation professionnelle.
Il en résulte que vous ne disposez actuellement pas d'un titre de formation qui vous permet d'exercer la profession d'avocat en France alors que votre inscription est soumise à la réussite de cours supplémentaires.
Au vu de ce qui précède, je suis au regret de vous informer qu'il ne peut être fait droit à votre demande en obtention d'une équivalence professionnelle pour la profession d'avocat au Luxembourg. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2017, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 27 avril 2017 refusant de 2lui reconnaître les qualifications professionnelles pour exercer la profession d’avocat à la Cour au Grand-Duché de Luxembourg.
Aucune disposition légale ne prévoit un recours au fond en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles, de sorte que seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision litigieuse, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
À l’appui de son recours, le demandeur expose, en fait, qu’il serait titulaire d’un diplôme de maîtrise en droit délivré par l’université Panthéon-Assas, Paris II, le 4 juillet 2006, ainsi que du diplôme de master en droit de la même université, obtenu le 4 octobre 2007, ces deux diplômes ayant été homologués par arrêtés ministériels des 11 juin 2007, respectivement 16 septembre 2008.
Il serait résident luxembourgeois depuis juillet 2007 et aurait exercé, depuis cette date, la profession de juriste au sein d’une étude d’avocats luxembourgeois, en l’occurrence ….
En droit, le demandeur reproche, tout d’abord, au ministre de ne pas avoir, sur base d’une analyse détaillée de ses diplômes et qualifications professionnelles reconnu l’équivalence entre son titre de formation avec la formation d’avocat à la Cour, violant ainsi les articles 1 et 2 de la loi du 10 août 1991. Il s’empare, dans ce contexte, plus particulièrement, de l’article 2, alinéa 2 de la loi du 10 août 1991, en faisant valoir qu’un certificat ou titre de formation qui ne réunirait pas les conditions exigées au premier alinéa dudit article, serait néanmoins assimilé à un certificat, respectivement titre au sens de celui-ci, à condition, d’une part, d’avoir été délivré par une autorité compétente dans un Etat membre et sanctionner une formation acquise dans la Communauté européenne, et, d’autre part, que ladite formation, reconnue comme équivalente, devrait conférer, dans cet Etat membre, les mêmes droits d’accès à une profession réglementée ou préparer à l’exercice de celle-ci. En ce qui concerne concrètement la formation suivie par lui pour accéder à la profession d’avocat en France, respectivement pour être préparé à l’exercice de celle-ci, il fait valoir qu’il n’aurait pas suivi la voie traditionnelle, consistant à effectuer une formation théorique et pratique de 18 mois au terme de laquelle il aurait dû passer un certificat d’aptitude à la profession d’avocat, ci-après désigné par « le CAPA », mais la voie « […] dite dérogatoire […] », telle que prévue à l’article 98, 6° du décret français n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, ci-après désigné par « le décret français du 27 novembre 1991 », dispensant les juristes salariés ayant exercé pendant au moins huit ans après l’obtention de leur maîtrise en droit auprès d’un avocat ou d’une association d’avocat, de l’obtention du certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Ces conditions seraient remplies dans son chef dans la mesure où il aurait exercé la profession de juriste salarié depuis près de 10 ans auprès d’une société d’avocat, la reconnaissance de sa qualification professionnelle ressortant encore expressément de la décision du Conseil de l’Ordre des avocats au Barreau de Libourne du 31 mars 2016 autorisant son inscription audit Barreau. Le fait que ledit Barreau exigerait encore la passation, avec succès, d’un examen de contrôle de ses connaissances en matière de déontologie et de réglementation professionnelle ne remettrait pas en cause la possession, par le demandeur, d’un titre de formation au sens de l’article 2 de la loi du 10 août 1991, au motif que le conseil de l’Ordre du Barreau de Libourne, en constatant qu’il pourrait figurer sur le tableau de l’Ordre, aurait expressément reconnu qu’il serait titulaire d’un tel titre de formation l’ayant préparé à l’exercice de la profession.
3Le demandeur invoque ensuite une violation des articles 1 et 6 de la loi du 10 août 1991 en argumentant que le ministre n’aurait pas procédé à une analyse comparative entre la formation d’avocat à la Cour au Luxembourg et la formation académique suivie, ainsi que les qualifications professionnelles acquises par lui, pour, le cas échéant, lui proposer la passation d’un examen d’aptitude, respectivement l’en dispenser. Or, sa formation, ayant fait l’objet d’une homologation ministérielle en date des 11 juin 2007 et 16 septembre 2008, lui permettrait notamment de s’inscrire aux cours complémentaires en droit luxembourgeois - le droit luxembourgeois étant, d’après le demandeur, très influencé par le droit français -, de sorte que même s’il existait une différence entre sa formation et celle d’un avocat à la Cour, cette différence serait couverte par son expérience professionnelle acquise au Luxembourg auprès d’une étude d’avocats, conformément à l’article 1er, alinéa 3 de la loi du 10 août 1991. Sur base de l’article 11 de la loi du 10 août 1991, ainsi que des travaux parlementaires relatifs à ladite loi, il aurait dû se voir reconnaître ses qualifications professionnelles sans devoir passer un examen d’aptitude. Dans ce contexte, le demandeur précise encore ses fonctions exercées au sein de l’étude d’avocats auprès de laquelle il a travaillé pendant près de 10 ans en tant que juriste salarié, en soutenant avoir traité de nombreuses affaires de droit civil, de droit commercial, de droit des sociétés, de droit bancaire, de droit pénal des affaires, de droit immobilier et de droit de la construction, ainsi que des litiges devant les juridictions luxembourgeoises, cette expérience professionnelle l’ayant amené à travailler avec les différents régulateurs luxembourgeois et à développer une certaine connaissance des procédures et du contentieux administratif. Il relève ensuite exercer la fonction de président de la délégation du personnel de l’étude d’avocats … depuis 2008, de sorte à avoir acquis, dans ce cadre, une certaine expérience en matière de droit du travail et de relations collectives de travail au Luxembourg. Sur base de ces éléments, le demandeur conclut que son expérience professionnelle serait équivalente à l’exercice de la profession d’avocat à temps plein depuis plus de 10 ans, de sorte qu’il devrait bénéficier du système général de reconnaissance de son titre de formation pour exercer directement la profession d’avocat, le ministre ayant dû lui délivrer le certificat mentionné à l’article 11 de la loi du 10 août 1991, sans devoir se soumettre à une épreuve d’aptitude, de manière similaire aux avocats admis à exercer sous leur titre professionnel d’origine et inscrits sur la liste 4 du tableau de l’ordre des avocats du Barreau de Luxembourg qui pourraient demander leur inscription sur la liste 1 dudit tableau après l’exercice d’une activité effective et régulière d’une durée d’au moins 3 ans au Luxembourg. A titre subsidiaire, au cas où il devrait être retenu que sa formation aurait porté sur des matières substantiellement différentes de celles couvertes par le titre de formation luxembourgeois, le demandeur fait valoir que les seules épreuves d’aptitude auxquelles il devrait se soumettre devraient porter sur la déontologie des avocats, ainsi que sur la procédure pénale, dans la mesure où il aurait été le moins amené à travailler dans celles-ci dans le cadre de son travail de juriste salarié auprès de l’étude d’avocats ….
Le demandeur conclut finalement à une violation des principes de libre circulation et de libre établissement consacrés par les articles 45, respectivement 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ci-après désigné par « le TFUE », en ce que le ministre aurait, à tort, fait abstraction de son expérience professionnelle acquise au Luxembourg au sein d’une étude d’avocats pendant plus de 10 ans en tant que juriste salarié. Dans ce cadre, il se prévaut de deux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », n° C-340/89 du 7 mai 1991, respectivement n° C-313/01 du 13 novembre 2003 exigeant d’un Etat membre, en ce qui concerne la reconnaissance de qualifications professionnelles acquises dans un autre Etat membre en vue de l’exercice d’une profession réglementée, de devoir procéder à une comparaison 4entre, d’une part, les diplômes, certificats, autres titres et l’expérience professionnelle acquis par le postulant, et, d’autre part, les conditions de connaissances et de qualifications exigées par la législation nationale en vigueur pour l’accès à ladite profession, position également adoptée par les juridictions administratives luxembourgeoises, tel que cela ressortirait d’un jugement du tribunal administratif du 1er octobre 2015, inscrit sous le numéro 34975 du rôle.
Dans le cadre de son mémoire en réplique, le demandeur réitère son argumentation juridique quant à une violation, par la décision déférée, des dispositions de la loi du 10 août 1991, tout en insistant sur l’existence de voies de formations parallèles, telles que notamment celle prévu par l’article 98, point 6° du décret français du 27 novembre 1991, en insistant sur la circonstance que la décision du Conseil de l’Ordre des avocats du Barreau de Libourne du 31 mars 2016 confirmerait son droit d’accès à la profession d’avocat en France, respectivement que sa formation, ensemble avec son expérience professionnelle l’aurait préparé à l’exercice de ladite profession.
Dans ce cadre, il précise encore que l’examen de contrôle des connaissances en matière de déontologie et de réglementation professionnelle, telles que prévu par l’article 98-1 du décret français du 27 novembre 1991 ne serait pas une condition d’accès à la profession, mais une condition d’exercice de celle-ci, l’argumentation contraire ayant pour effet de vider de sa substance la loi du 10 août 1991, dans la mesure où elle conduirait à n’admettre que seuls les avocats inscrits à un barreau français pourraient s’en prévaloir. Le demandeur insiste encore sur une violation des principes de libre circulation et de libre établissement, tels que figurant aux articles 45, respectivement 49 du TFUE, conformément à la jurisprudence de la CJUE laquelle aurait retenu l’existence d’une entrave au droit d’établissement au cas où les règles nationales auraient fait abstraction des connaissances et qualifications déjà acquises par une personne dans un autre Etat membre, étant donné qu’en l’espèce, le ministre n’aurait pas eu égard à sa qualification et à son expérience professionnelle.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la légalité d'une décision administrative s'apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise1, de sorte que la version de la loi du 10 août 1991, telle que modifiée par la loi du 18 décembre 2008 transposant, pour la profession d'avocat, les dispositions de la Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles et de la Directive 2006/100/CE du Conseil du 20 novembre 2006 portant adaptation de certaines directives dans le domaine de la libre circulation des personnes, en raison de l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, doit seule être prise en considération pour l’analyse de la légalité de la décision ministérielle déférée du 27 avril 2017 pour avoir été la loi applicable au jour de la prise de ladite décision, la loi du 14 février 2018 portant modification a) de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat et b) de la loi du 10 août 1991, ayant été adoptée postérieurement à ladite décision.
Aux termes de l’article 1er de la loi du 10 août 1991 « Sans préjudice des autres conditions requises pour être inscrit au tableau des avocats, un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne qui est détenteur d’un titre de formation dont il résulte qu’il remplit les conditions 1 Trib. adm. 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Recours en annulation, n° 19 et les autres références y citées.
5pour exercer la profession d’avocat dans un Etat membre est admis à exercer au Luxembourg la profession d’avocat à la Cour. […] Si toutefois la formation qu'il a reçue porte sur des matières substantiellement différentes de celles couvertes par la formation d'avocat à la Cour au Luxembourg, sans que cette différence substantielle des matières ne soit couverte en tout ou en partie par l'expérience professionnelle qu'il a déjà acquise, ou si la durée de formation est inférieure d'au moins un an à la durée de la formation d'avocat à la Cour au Luxembourg, il ne peut être admis à l'exercice au Luxembourg de cette profession qu'à condition d'avoir été reçu à une épreuve d'aptitude, selon les modalités déterminées par la présente loi. […] ».
En vertu de l’article 2 de la même loi : « On entend par titre de formation au sens de la présente loi tout diplôme, certificat ou autre titre ou tout ensemble de tels diplômes, certificats ou autres titres:
• qui a été délivré par une autorité compétente dans un Etat membre de la Communauté Européenne, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet Etat, • dont il résulte que, conformément au paragraphe d) de l'article 11 de la Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, le titulaire a suivi avec succès un cycle d'études postsecondaires d'une durée minimale de trois ans, ou d'une durée équivalente à temps partiel, dans une université ou un établissement d'enseignement supérieur ou dans un autre établissement du même niveau de formation et, le cas échéant, qu'il a suivi avec succès la formation professionnelle requise en plus du cycle d'études postsecondaires, et • dont il résulte que le titulaire possède les qualifications professionnelles requises pour accéder à la profession d'avocat dans cet Etat membre ou l'exercer, dès lors que la formation sanctionnée par ce diplôme ou autre titre a été acquise dans une mesure prépondérante dans la Communauté, ou dès lors que son titulaire a une expérience professionnelle de trois ans certifiée par l'Etat membre qui a reconnu un diplôme, certificat ou autre titre délivré dans un pays tiers.
Est assimilé à un titre de formation au sens du premier alinéa, y compris quant au niveau de qualification, tout diplôme, certificat ou autre titre, ou tout ensemble de tels diplômes, certificats et autres titres, qui a été délivré par une autorité compétente dans un Etat membre de la Communauté dès lors qu'il sanctionne une formation acquise dans la Communauté, reconnue par cet Etat membre comme étant de niveau équivalent, et qu'il y confère les mêmes droits d'accès à la profession d'avocat ou d'exercice de celle-ci, ou qui prépare à l'exercice de cette profession.
[…] ».
Il suit des dispositions précitées que l’une des conditions pour la reconnaissance des qualifications professionnelles est celle d’être détenteur d’un titre de formation d’un Etat membre de l’Union européenne dont il résulte que l’intéressé remplit les conditions pour y exercer ou accéder à la profession d’avocat, respectivement qu’il aurait été préparé à l’exercice de cette profession, de sorte qu’il y a lieu de vérifier si Monsieur … remplit les conditions pour exercer la profession d’avocat en France, respectivement pour accéder à ladite profession ou qu’il a été préparé à l’exercice de celle-ci, étant précisé que l’article 2, alinéa 2 de la loi du 10 août 1991 6constitue une transposition quasi-littéraire de l’article 12 de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, ci-après désignée par « la directive du 7 septembre 2005 ». Il échet encore de relever que le demandeur, dans le cadre de son mémoire en réplique, n’argumente pas que ledit article de la directive aurait fait l’objet d’une mauvaise transposition, respectivement qu’il contiendrait des règles claires, précises et inconditionnelles pour qu’un effet direct puisse lui être reconnu et qu’un particulier puisse s’en prévaloir à l’encontre d’un Etat membre, de sorte que le demandeur ne peut pas s’en prévaloir dans le cadre du présent recours.
Il est constant en cause que la loi française n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans sa version applicable au jour de la prise de la décision déférée, ci-après désignée par « la loi française du 31 décembre 1971 », prévoit plusieurs conditions cumulatives d’accès à la profession d’avocat dont notamment celle d’être titulaire du CAPA2, condition par rapport à laquelle l’article 98 du décret français du 27 novembre 1991 prévoit plusieurs dérogations dans les termes suivants : « Sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat :
1° Les notaires, les huissiers de justice, les greffiers des tribunaux de commerce, les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires au redressement et à la liquidation des entreprises, les anciens syndics et administrateurs judiciaires, les conseils en propriété 2 L’article 11 de la loi française du 31 décembre 1971 dispose que « Nul ne peut accéder à la profession d'avocat s'il ne remplit les conditions suivantes :
1° Etre français, ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ou ressortissant d'un Etat ou d'une unité territoriale n'appartenant pas à l'Union ou à cet Espace économique qui accorde aux Français la faculté d'exercer sous les mêmes conditions l'activité professionnelle que l'intéressé se propose lui-même d'exercer en France, sous réserve des décisions de conseil de l'Union européenne relatives à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté économique européenne ou avoir la qualité de réfugié ou d'apatride reconnue par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;
2° Etre titulaire, sous réserve des dispositions réglementaires prises pour l'application de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 modifiée, et de celles concernant les personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités en France, d'au moins une maîtrise en droit ou de titres ou diplômes reconnus comme équivalents pour l'exercice de la profession par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé des universités ;
3° Etre titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, sous réserve des dispositions réglementaires mentionnées au 2°, ou, dans le cadre de la réciprocité, de l'examen prévu au dernier alinéa du présent article ;
4° N'avoir pas été l'auteur de faits ayant donné lieu à condamnation pénale pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs ;
5° N'avoir pas été l'auteur de faits de même nature ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d'agrément ou d'autorisation ;
6° N'avoir pas été frappé de faillite personnelle ou d'autre sanction en application du titre VI de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ou, dans le régime antérieur à cette loi, en application du titre II de la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes. […] ».
7industrielle et les anciens conseils en brevet d'invention ayant exercé leurs fonctions pendant cinq ans au moins ;
2° Les maîtres de conférences, les maîtres assistants et les chargés de cours, s'ils sont titulaires du diplôme de docteur en droit, en sciences économiques ou en gestion, justifiant de cinq ans d'enseignement juridique en cette qualité dans les unités de formation et de recherche ;
3° Les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises ;
4° Les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale ;
5° Les juristes attachés pendant huit ans au moins à l'activité juridique d'une organisation syndicale.
6° Les juristes salariés d'un avocat, d'une association ou d'une société d'avocats, d'un office d'avoué ou d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle en cette qualité postérieurement à l'obtention du titre ou diplôme mentionné au 2° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée ;
7° Les collaborateurs de député ou assistants de sénateur justifiant avoir exercé une activité juridique à titre principal avec le statut de cadre pendant au moins huit ans dans ces fonctions ;
Les personnes mentionnées aux 3°, 4°, 5°, 6° et 7° peuvent avoir exercé leurs activités dans plusieurs des fonctions visées dans ces dispositions dès lors que la durée totale de ces activités est au moins égale à huit ans. ».
Le demandeur, dans le cadre du présent recours, argumente bénéficier d’une telle dérogation, en l’occurrence celle prévue à l’article 98, point 6° du décret français du 27 novembre 1991 en raison de son expérience professionnelle de juriste salarié acquise auprès de l’étude d’avocats … depuis juillet 2007. Ainsi il fait valoir être titulaire d’une maîtrise en droit, ainsi que d’un master en droit et d’avoir une expérience professionnelle de juriste salarié de plus de 8 ans auprès d’une société d’avocats, éléments non remis en cause par la partie étatique, de sorte à disposer d’un titre de formation lui permettant l’accès à la profession d’avocat en France, respectivement l’ayant préparé à l’exercice de ladite profession, le respect de cette condition résultant encore, d’après Monsieur …, de la décision du Conseil de l’Ordre des avocats du Barreau de Libourne du 31 mars 2016 ayant admis son inscription audit Barreau.
Force est au tribunal de retenir que l’argumentation du demandeur tourne essentiellement autour de la prémisse que, du fait de la dispense du CAPA, mais d’une expérience professionnelle de plus de 8 ans auprès d’une société d’avocats, il bénéficierait d’un titre de formation lui donnant 8droit à l’accès à un Barreau en France, de sorte à devoir, sur base des articles 1er et 2 de la loi du 10 août 1991, être admis à exercer au Luxembourg la profession d’avocat à la Cour.
Or, le tribunal est amené à constater que s’il est vrai qu’il ressort de l’article 1er de la loi du 10 août 1991 que la reconnaissance des qualifications professionnelles dans son Etat membre d’accueil permet au bénéficiaire d’accéder au Grand-Duché de Luxembourg à la même profession que celle pour laquelle il est qualifié dans l’Etat membre d’origine et de l’y exercer dans les mêmes conditions que les nationaux, encore faut-il que le demandeur ait accès à la profession dans son pays d’origine.
Force est cependant au tribunal de relever que Monsieur … ne remplit pas les conditions d’admission à un Barreau en France à la date de la décision déférée.
S’il est vrai que Monsieur … peut potentiellement bénéficier de la dispense du CAPA, au regard de son expérience professionnelle au sens du point 6° du décret français du 27 novembre 1991, il n’en reste pas moins que l’article 98-1 du même décret exige le respect d’une condition cumulative supplémentaire pour les personnes dispensées de la formation théorique et pratique du CAPA avant de pouvoir être admis à s’inscrire à un Barreau en France. En effet, en vertu de l’article 98-1 du décret français du 27 novembre 1991 : « Les personnes bénéficiant d'une des dispenses prévues à l'article 98 doivent avoir subi avec succès devant le jury prévu à l'article 69 un examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle. […] », de sorte qu’il y a lieu de retenir que la condition de la possession d’un titre de formation donnant accès à la profession d’avocat en France, respectivement préparant à l’exercice de celle-ci, n’est remplie, en ce qui concerne les personnes dispensées de la formation théorique et pratique et du CAPA au sens de l’article 98 du décret français du 27 novembre 1991, que dans le cas où ces dernières se sont soumises, préalablement à leur inscription à un Barreau en France, aux épreuves de déontologie et de réglementation professionnelle, telles qu’exigées par le prédit article 98-1 du décret français du 27 novembre 1991.
Cette conclusion est confirmée par la décision du Conseil de l’Ordre des avocats du Barreau de Libourne du 31 mars 2016 quant à la demande d’inscription audit Barreau de Monsieur …, conditionnant ladite inscription à l’exigence préalable « […] d’avoir satisfait à l’examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle subi auprès d’un centre régional de formation professionnelle […] », le Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Barreau de Libourne, dans son courrier du 7 avril 2016 informant le demandeur de la prédite décision du 31 mars 2016, sollicitant également la preuve de Monsieur … de la réussite auxdits examens dans les termes suivants : « […] Le décret n° 2012-441 du 3 avril 2012 relatif aux conditions particulières d’accès à la profession d’avocat instaurant, pour les personnes bénéficiant d’une des dispenses prévues à l’article 98 du décret du 27 novembre 1991, un examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle préalable à la prestation de serment, je vous remercie de bien vouloir me faire parvenir l’attestation de réussite à l’examen pour que je puisse, à réception, solliciter de Monsieur le Premier Président et de Monsieur le Procureur Général une date de prestation de serment. […] ».
Il suit de ce qui précède qu’aucune violation des articles 1 et 2 de la loi du 10 août 1991 ne saurait être reprochée au ministre en ce qu’il a décidé que Monsieur … ne serait pas titulaire d’un 9titre de formation lui donnant accès à la profession d’avocat en France, respectivement le préparant à l’exercice de celle-ci.
Il s’ensuit que l’argumentation sous analyse est à rejeter.
En ce qui concerne les moyens du demandeur fondés, d’une part, sur une violation des articles 1, paragraphe (3), et 6 de la loi du 10 août 1991, en ce que le ministre aurait dû procéder à une comparaison entre la formation d’avocat à la Cour et sa formation académique, ensemble avec son expérience professionnelle, pour, le cas échéant, lui proposer la soumission à une épreuve d’aptitude, respectivement l’en délivrer et lui remettre un certificat sur base de l’article 11 de la loi du 10 août 1991, il y a lieu de relever qu’en vertu du paragraphe (3) de l’article 1er de la loi du 10 août 1991 « Si toutefois la formation qu'il a reçue porte sur des matières substantiellement différentes de celles couvertes par la formation d'avocat à la Cour au Luxembourg, sans que cette différence substantielle des matières ne soit couverte en tout ou en partie par l'expérience professionnelle qu'il a déjà acquise, ou si la durée de formation est inférieure d'au moins un an à la durée de la formation d'avocat à la Cour au Luxembourg, il ne peut être admis à l'exercice au Luxembourg de cette profession qu'à condition d'avoir été reçu à une épreuve d'aptitude, selon les modalités déterminées par la présente loi. », l’article 6 de la même loi disposant que « L'admission à l'épreuve d'aptitude a lieu par décision du Ministre de la Justice, sur avis d'une commission, dans les trois mois à compter de la présentation du dossier complet de l'intéressé. La commission procède à la comparaison entre la formation d'avocat à la Cour au Luxembourg et celle reçue par le candidat dans les branches du droit civil, du droit pénal, du droit commercial, du droit administratif, de la procédure civile, de la procédure pénale et de la déontologie de la profession d'avocat ainsi qu'à la comparaison de la durée de ces formations. La commission transmet au Ministre de la Justice la liste des matières non couvertes ou insuffisamment couvertes par le diplôme ou le ou les titres de formation dont fait état le candidat. Cette liste est communiquée au candidat ensemble avec la décision d'admission à l'épreuve. Le ministre peut aussi décider, au vu de l'avis de la commission visée à l'alinéa premier et dans le délai y prévu, que le candidat n'a pas à se soumettre à une épreuve d'aptitude. […] ».
Force est au tribunal de constater, tel que relevé à juste titre par la partie étatique, que l’hypothèse où que le ministre doit procéder à une comparaison entre les matières de la formation reçue dans un autre Etat membre et celles de la formation d’avocat à la Cour au Luxembourg, et, le cas échéant proposer une épreuve d’aptitude, table sur la prémisse que la personne concernée dispose d’un titre de formation lui donnant accès à la profession d’avocat dans l’Etat membre où il a accompli sa formation, circonstance que le tribunal vient de retenir comme n’étant pas établie en l’espèce. Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation des articles 1er, paragraphe (3), et 6 de la loi du 10 août 1991 est à rejeter pour ne pas être fondé, le ministre n’ayant, en conséquence, pas non plus dû délivrer au demandeur un certificat au sens de l’article 11 de la même loi le dispensant de l’accomplissement d’éventuelles d’épreuves d’aptitude.
A titre superfétatoire, le tribunal doit encore relever que l’expérience professionnelle mise en avant par le demandeur à l’appui de son recours se limite à des allégations de sa part, en ce qu’aucune pièce probante n’a été soumise à cet égard à l’appréciation du tribunal.
10Il y a finalement lieu de rejeter le moyen du demandeur d’une violation, par le ministre, des principes de libre circulation et de libre établissement, tels que consacrés par les articles 45 et 49 TFUE, étant donné que le demandeur fonde son argumentation juridique sur deux arrêts de la CJUE C-340/89 du 7 mai 1991, respectivement C-313/01 du 13 novembre 2003, décisions qui ne sont plus d’actualité au regard de la directive du 7 septembre 2005, transposée en droit luxembourgeois notamment par la loi du 10 août 1991, ces dispositions réglementant actuellement la reconnaissance par un Etat membre des qualifications professionnelles acquises dans un autre Etat membre en vue de l’exercice d’une profession déterminée, en l’occurrence celle d’avocat à la Cour, étant encore rappelé que Monsieur … n’a pas allégué ni a fortiori établi que la prédite directive aurait fait l’objet d’une mauvaise transposition en droit luxembourgeois. Le demandeur ne remplissant pas les conditions d’accès à la profession d’avocat dans son pays d’origine à défaut de titre de formation au sens de la loi, aucune entrave à la liberté de circulation ni à la liberté d’établissement ne saurait être reprochée au ministre, qui en matière d’accès à la profession d’avocat, est tenu de vérifier si le demandeur remplit les conditions inscrites aux dispositions normatives nationales et européennes pertinentes.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 novembre 2018 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 novembre 2018 Le greffier du tribunal administratif 11