Tribunal administratif Numéro 39946 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 juillet 2017 3e chambre Audience publique du 6 novembre 2018 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 39946 du rôle et déposée le 27 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée MOYSE BLESER SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2680 Luxembourg, 10, rue de Vianden, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Cédric BELLWALD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du 4 mai 2017 du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … SARL ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2017 ;
Vu le mémoire en réplique déposé en date du 5 janvier 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Cédric BELLWALD au nom et pour compte de Monsieur … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2018 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Giulia JAEGER, en remplacement de Maître Cédric BELLWALD et Madame le délégué du gouvernement Stéphanie LINSTER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 octobre 2018.
Il résulte des pièces versées en cause que la société à responsabilité limitée … SARL, ci-après désignée par la « société … », fut constituée par acte notarié en date du 12 mai 2010, société dont Monsieur … fut l’associé fondateur unique.
A la date de la constitution de ladite société, Monsieur … fut nommé gérant administratif à durée indéterminée, tandis que Madame … fut nommée gérante technique, également pour une durée indéterminée. Il résulte encore des pièces versées en cause que la société fut « valablement engagée par les signatures conjointes des deux gérants ».
En date du 15 septembre 2014, Monsieur … signa avec la société … un contrat de travail à durée indéterminée précisant qu’il serait engagé en tant qu’« employé de bureau et service ».
La société … fut déclarée en état de faillite sur assignation par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, du … 2016, inscrit sous le numéro … du rôle.
En date du 6 octobre 2016, Monsieur … déposa au greffe du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg une première déclaration de créance dans le cadre de cette faillite et demanda l’admission au passif privilégié d’une créance salariale à hauteur de …,- euros du chef d’arriérés de salaire, créance à laquelle il renonça le 7 mars 2017, date à laquelle il déposa une déclaration de créance rectifiée en demandant l’admission au passif privilégié une créance salariale de …,- euros du chef d’arriérés de salaire et de …,- euros du chef de congés non pris.
En date du 10 mars 2017, la créance en question fut admise au passif privilégié de la faillite à hauteur du montant déclaré.
Par une décision du 4 mai 2017, le directeur de l’Agence pour le Développement de l’Emploi, ci-après désignés par « le directeur », respectivement par « l’ADEM », informa Monsieur … de l’impossibilité de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée, sur le fondement des considérations suivantes :
« […] Faisant suite à votre déclaration de créance dans l'affaire émargée, je me permets de vous informer que les dispositions de l'article L.126-1 du Code du travail ne s'appliquent qu'aux seuls travailleurs salariés.
Or, l'instruction du dossier a révélé que vous occupiez au sein de la société … S.à r.l.
la fonction de gérant administratif, alors que « la société est valablement engagée par les signatures conjointes des deux gérants ».
En outre, il a été constaté que vous étiez associé fondateur et majoritaire avec 100% des parts sociales émises.
Il s'ensuit que vous ne pouvez pas être considéré comme salarié ordinaire mais comme un dirigeant de la société de sorte qu'un lien de subordination fait défaut.
Dans ces conditions, je suis dans l'impossibilité de faire libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2017, inscrite sous le numéro 39946 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du directeur du 4 mai 2017.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.
En revanche, il est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation, qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … explique avoir créé la société … le 12 mai 2010, tout en précisant que le capital de la société en question aurait été fixé à 12.500,-
euros divisé en 100 parts sociales entièrement libérées par ses soins au moment de la constitution. Il précise ensuite qu’au courant de l’année 2014, l’activité de la société en question aurait été en baisse, ce qui aurait eu des répercussions immédiates sur la situation financière de cette dernière. La gérante administrative, Madame …, aurait alors renfloué les comptes de la société … avec ses avoirs propres, à hauteur de …,- euros, afin d’éviter une faillite imminente. En contrepartie, Monsieur … aurait, en date du 15 septembre 2014, cédé l’ensemble de ses parts à titre gratuit à Madame …, laquelle aurait été, à partir de cette même date, associé et gérante unique de la société …. Le demandeur ajoute qu’à partir de ce jour, il n’aurait plus été qu’un simple salarié de cette même société, tout en admettant que ces changements au niveau de la gérance et de la propriété de la société … n’auraient jamais été publiés au Registre de Commerce et des Sociétés.
En droit, et en ce qui concerne la légalité externe de la décision directoriale sous analyse, le demandeur, en se référant à différentes jurisprudences des juridictions administratives, conclut en premier lieu à une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », en faisant valoir que la décision en question ne serait pas motivée à suffisance de droit. Ainsi, le directeur aurait simplement retenu qu’il ne pourrait pas être considéré comme un salarié ordinaire et ce sans donner d’autres explications et aurait, pour le surplus, fait état de formules abstraites et générales. Cette façon de procéder ne lui permettrait pas de comprendre le raisonnement de l’auteur de la décision et mettrait par ailleurs le tribunal dans l’impossibilité d’effectuer un contrôle de la légalité de la décision directoriale en question, de sorte qu’elle devrait encourir l’annulation.
Dans un deuxième temps, le demandeur reproche au directeur une violation de la loi, respectivement une erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où celui-ci n’aurait pas tenu compte du fait qu’à partir du 15 septembre 2014, il n’aurait été ni associé ni gérant de la société …, mais uniquement un simple salarié. Cette qualité de salarié serait d’ailleurs confirmée par une attestation testimoniale de Madame … de laquelle il résulterait qu’il aurait exécuté les instructions de celle-ci. Il ajoute que dans sa décision du 28 février 2017, dans laquelle le directeur lui aurait refusé l’octroi des indemnités de chômage complet, celui-ci aurait lui-même reconnu qu’il était salarié de la société …, le demandeur précisant que le refus lui opposé se serait expliqué par le fait qu’il n’aurait pas pu faire valoir une occupation salariale minimale de 26 semaines, telle que prévue par l’article L.521-6. du Code du Travail.
Au vu de tous ces éléments, le demandeur conclut à l’annulation de la décision litigieuse.
Dans son mémoire en réponse, la partie étatique, après avoir rappelé les faits et rétroactes à la base de la décision sous analyse, fait valoir que Monsieur … aurait été associé fondateur et unique de la société …, de même que gérant administratif, avec le pouvoir d’engager ladite société à travers sa signature conjointe, de sorte que, malgré l’existence d’un contrat de travail, tout le lien de subordination ferait défaut en l’espèce. Face aux explications du demandeur qu’il aurait cédé l’ensemble de ses parts à Madame …, laquelle aurait été associée et gérante unique de la société litigieuse à partir du 15 septembre 2014, le délégué du gouvernement met en exergue qu’aucune transcription de cette cession de parts n’aurait eu lieu auprès du Registre de Commerce et des Sociétés, de sorte que la réalité de la cession en question, ainsi que la perte de pouvoir de Monsieur … dans la gestion quotidienne de la société serait fermement contestée. Dans la mesure où Monsieur … aurait partant gardé sa qualité de gérant et d’associé unique, il n’aurait jamais revêtu la qualité de simple salarié, de sorte que le recours sous analyse serait à rejeter.
Le demandeur réplique qu’un défaut de publication au Registre de Commerce et des Sociétés de la cession de parts litigieuse n’affecterait pas l’existence même de celle-ci. Il estime que la réalité de ladite cession résulterait à suffisance des pièces versées en cause, et notamment d’un extrait de compte prouvant le versement de Madame … à la société … de la somme de …,- euros, de même que de l’attestation testimoniale de Madame …. Par ailleurs, sa qualité de simple salarié de la société … résulterait tant de son contrat de travail, que de ses fiches de salaires, ainsi que d’une attestation testimoniale d’un client assidu du « … », le demandeur en concluant que son recours serait fondé et que la décision directoriale sous analyse devrait encourir l’annulation. Finalement, il met encore en exergue que le dossier administratif versé par la partie étatique en la présente affaire concernerait un tiers, de sorte qu’il ne saurait prendre position quant aux pièces de son dossier administratif.
Dans son mémoire en duplique, la partie étatique consent avoir communiqué un dossier administratif erroné, tout en joignant le dossier administratif de Monsieur … en annexe. Le délégué du gouvernement souligne ensuite que faute de publication au Registre du Commerce et des Sociétés, la cession de parts lui serait inopposable. Il donne encore à considérer que dans le cadre de l’examen de la demande de chômage de Monsieur …, le directeur n’aurait pas procédé à un examen approfondi de la situation de celui-ci, de sorte à ne pas avoir déterminé s’il était à considérer comme salarié ou travailleur indépendant. Par ailleurs, l’affiliation auprès du Centre commun de la sécurité sociale ne serait qu’un simple indice dans la détermination de la qualité de salarié d’une personne, de sorte que le directeur de l’ADEM aurait valablement pu conclure que Monsieur … serait gérant et associé unique de la société … et que la décision litigieuse ne souffrirait d’aucune critique.
Avant tout progrès en cause, et en ce qui concerne les développements de part et d’autre quant au dossier administratif erroné communiqué dans un premier temps par la partie étatique, il convient de constater que si le demandeur a certes mis en exergue cette erreur de communication et les difficultés rencontrées pour prendre position quant aux pièces figurant dans son propre dossier, il n’a pourtant pas conclu à une quelconque violation de ses droits de la défense. Par ailleurs, il échet de relever que même à admettre que le demandeur devait estimer que ses droits de défense auraient été atteints suite à cette communication erronée, le tribunal constate toutefois qu’il omet de préciser la nature d’une telle atteinte. Le tribunal ne constate plus particulièrement aucune violation de ces droits, en ce que le demandeur reste en défaut d’indiquer, par le biais notamment d’un mémoire supplémentaire, respectivement oralement à l’audience publique des plaidoiries, un quelconque élément du dossier administratif qui aurait échappé à sa connaissance au moment de l’introduction du recours contentieux et qui l’aurait empêché de préparer utilement et d’introduire son recours, respectivement qui l’aurait dissuadé d’agir à l’encontre de la décision déférée, de sorte que les développements relatifs à la communication d’un dossier administratif erroné laissent d’être fondés.
Dans un deuxième temps, et en ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée, à savoir le défaut de motivation invoqué à l’appui du recours introductif d’instance, il y a lieu de retenir qu’aux termes de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes : « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.
La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle:
- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé; […] ».
Cette disposition consacre dès lors le principe que, d’une manière générale, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, et que certaines catégories de décisions, dont notamment celles refusant de faire droit à une demande de l’intéressé, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base. S’agissant en l’espèce d’une décision refusant de faire droit au demandeur en vue de la libération des fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale, elle doit énoncer la motivation la sous-tendant au sens de l’article 6 précité.
Il convient cependant d’ajouter, qu’en ce qui concerne les conclusions du demandeur tendant à l’annulation pure et simple de la décision déférée du fait du défaut de motivation allégué, la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours et que celle-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse.
Il convient également de souligner que l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, étant donné que seule une motivation « sommaire » est expressément exigée.
Par ailleurs, le défaut d’indiquer dans une décision administrative la disposition légale qui constitue son fondement n’encourt pas de sanction, dès lors que les raisons fournies sont suffisamment explicites pour permettre au destinataire de la décision de les rattacher à la disposition légale visée par l’administration En l’espèce, force est au tribunal de constater que la décision du 4 mai 2017 est suffisamment motivée en droit et en fait en ce qu’elle renvoie à la base légale pertinente, notamment l’article L.126-1 du Code du travail, et qu’elle souligne que le demandeur ne peut être considéré comme salarié ordinaire à défaut de lien de subordination alors qu’il était associé fondateur et majoritaire, ainsi que gérant administratif de la société …, de sorte que le tribunal est amené à conclure que le demandeur n’a pas pu se méprendre sur la motivation à la base de la décision déférée, et que ses droits de la défense n’ont ainsi pas été violés, étant relevé, par ailleurs, que l’indication de la motivation n’est pas à confondre avec le bien-fondé de celle-ci.
Il s’ensuit que le moyen afférent laisse d’être fondé.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision sous analyse, l’article L.126-1 du Code du travail dispose :
« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.
[…] (2) Sont garanties jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2) du Code civil, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.
(3) En cas de continuation des affaires par le curateur de la faillite, la garantie visée au présent article est applicable, dans les limites visées au paragraphe (2), aux créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié le jour de la résiliation du contrat de travail et celles résultant de la résiliation du contrat de travail.
(4) Pour l’application des dispositions des paragraphes qui précèdent, sont considérées les créances de salaire et d’indemnité, déduction faite des retenues fiscales et sociales obligatoires en matière de salaires.
(5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.
(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi.
Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.
Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2) […] ».
Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101, paragraphe (2), du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.
Dans ce contexte, force est au tribunal de conclure de prime abord que l’ADEM a non seulement le droit, mais l’obligation de vérifier en premier lieu l’existence de la qualité de salarié dans le chef du demandeur de la garantie salariale sollicitée1, de sorte que l’acceptation d’une créance par le juge commissaire et par le curateur ne s’oppose en principe pas à un refus du directeur de libérer les fonds nécessaires à la garantie salariale.
En effet, il résulte de l’article L.126-1 précité du Code du travail que peuvent seules faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale et que, conformément au paragraphe (6) du même article, les versements sont effectués sur base de relevés « vérifiés par » l’ADEM. Sous peine de vider ledit texte de toute portée, il y a lieu de retenir que l’administration est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises.
Cette vérification doit se rapporter à l’examen de la justification de l’intervention du Fonds pour l’emploi qui a vocation, en cas de faillite, à se substituer à l’employeur en carence et qui bénéficie d’une subrogation dans les droits du salarié. Il en découle que l’administration est en droit de vérifier aussi la qualité de salarié de l’intéressé et donc l’existence d’une relation de travail entre celui-ci et le failli, en vertu de l’article L.126-1 du Code du Travail, paragraphe (1), disposant que ladite créance s’applique aux « créances résultant du contrat de travail ». Son application est dès lors plus particulièrement conditionnée par l’existence d’un contrat de travail.
En l’espèce, il n’est pas contesté et cela résulte d’ailleurs des pièces versées en cause, que la déclaration de créance a été acceptée par le juge commissaire et par le curateur à hauteur du montant déclaré, de sorte que dans ce contexte, l’existence d’un contrat de travail n’a pas été remise en cause.
Dans ces circonstances, en cas de refus par l’ADEM du paiement d’une créance dûment acceptée par le curateur et le juge commissaire, voire en cas de demande de remboursement de l’ADEM des indemnités versées par lui au titre d’une créance dûment acceptée par le curateur et le juge commissaire, tel que c’est le cas en l’espèce, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant cette décision incombe à l’Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l’examen, par le juge administratif, de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement2.
Ainsi, il appartient à l’Etat, ayant refusé la prise en charge de la créance, voire ayant ordonné le remboursement des indemnités versées au titre d’une telle créance pourtant acceptée par le curateur et le juge commissaire, de fournir la preuve du bien-fondé des motifs justifiant sa décision. En l’occurrence, la partie étatique faisant état d’une situation excluant un lien de subordination tiré des qualités de gérant administratif et associé fondateur unique du demandeur et de son pouvoir de signature conjoint en tant que gérant administratif, il lui appartient partant d’établir, d’une part, la réalité de la situation juridique, respectivement de fait qu’il allègue, et, d’autre part, de justifier que celle-ci est de nature à conclure qu’au regard des circonstances de l’espèce, le demandeur aurait exercé un contrôle déterminant sur les activités de la société, de sorte que l’existence d’un lien de subordination serait inconcevable.
Une fois cette preuve rapportée, il appartient, le cas échéant, au demandeur d’établir que, malgré la situation de contrôle légal ou de fait ainsi démontrée et excluant, a priori, l’existence d’un lien de subordination, il se serait en réalité trouvé lié à la société par un 1 Cour adm., 18 mai 2006, n° 21111C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 18 et les autres références y citées.
2 Trib. adm., 22 mai 2006, n° 20427 du rôle, Pas. adm. 2017, V° Travail, n° 7 et les autres références y citées.
contrat de travail caractérisé par un tel lien de subordination qui, en présence d’un mandat social, devra se caractériser par l’exercice d’une fonction technique distincte.
En l’espèce, tel que relevé ci-avant, la décision déférée est motivée par la considération que le demandeur n’aurait pas eu la qualité de salarié, faute de lien de subordination, notamment dans la mesure où, d’une part, en tant que gérant administratif de la société en faillite, il aurait eu le pouvoir d’engager cette société par sa signature ensemble avec celle du gérant technique et, d’autre part, il aurait été associé fondateur majoritaire avec 100% des parts sociales émises.
Si le cumul dans une même personne du mandat de gérant d’une société à responsabilité limitée ou d’administrateur d’une société anonyme et de la qualité de salarié n’est pas prohibé, il n’en reste pas moins que le contrat de travail doit rester une convention réelle et sérieuse. Au-delà de ce que le contrat de travail doit correspondre à des attributions techniques nettement dissociables de celles découlant du mandat, la subordination doit trouver sa véritable expression juridique dans les prérogatives de l’employeur envers le salarié, à savoir dans l’exercice d’un véritable pouvoir de contrôle et de direction du salarié3.
Il convient encore de relever qu’un tel rapport de subordination requiert que le contrat place le salarié sous l’autorité de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats. L’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination ou de la qualification qu’elles ont données à leurs conventions, mais des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activé de la personne concernée. Ainsi, la preuve du contrat de travail peut résulter d’un ensemble d’éléments qui constituent des présomptions précises et concordantes faisant conclure à l’existence d’un lien de subordination4.
Le critère essentiel du contrat de travail est dès lors le lien de subordination - élément litigieux en l’espèce -, qui est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements d’un subordonné. Le lien de subordination n’exige cependant pas que l’employeur exerce sur le salarié une direction étroite et permanente, mais il suffit que le premier ait le droit de donner au second des instructions pour l’organisation et l’exécution du travail convenu. La qualification donnée par les parties à leur convention ou l’affiliation à la Sécurité Sociale peuvent constituer des présomptions en faveur de l’existence d’un contrat de travail, à moins d’être contredites par les autres éléments du dossier5.
En l’espèce, il ressort de l’acte de constitution de la société … que Monsieur … en a été l’associé fondateur unique et qu’il a été nommé gérant administratif à durée indéterminée. Il résulte encore de ce même acte que la société était « valablement engagée par les signatures conjointes des deux gérants ».
Il est ainsi établi que le demandeur avait, suite à sa nomination aux fonctions de gérant administratif, le pouvoir d’engager la société par sa signature ensemble avec celle du gérant technique, et qu’il détenait au moment de la constitution de la société 100% des parts sociales.
3 Cour adm. 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2012, v° Travail, n° 10 et les autres références y citées.
4 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm., 2017, V° Travail, n° 10, et les autres références y citées.
5 Cour d’appel, 20 mars 2014, Pas. 37, p. 246 Si la fonction de gérant n’exclut pas d’office l’existence avérée d’un contrat de travail à condition toutefois, comme retenu ci-avant, que ledit contrat de travail corresponde à des attributions techniques nettement dissociable de celles découlant du mandat de gérant administratif, et qu’il existe un lien de subordination effectif, il en est autrement si le prétendu salarié dispose de la majorité des parts de la société avec laquelle il a conclu le contrat de travail.
En effet, si une personne détient, la majorité, respectivement 100 % des parts sociales dans le capital d’une société, elle a la possibilité de bloquer toute décision prise par les associés en assemblée générale ; en d’autres mots, aucune décision ne peut être prise sans son consentement. Comme plus particulièrement une des décisions à prendre par les associés lors des assemblées générales est celle de se prononcer par un vote spécial sur la décharge de la gérance et comme cette décharge de la gérance ne peut être votée sans le consentement de l’associé majoritaire, ce qui confère à celui-ci un contrôle déterminant sur les activités de la société, on ne saurait conclure qu’un associé majoritaire puisse être considéré comme simple salarié de la société.
Force est dès lors de retenir que la détention de 100% des parts dans le capital social d’une société à responsabilité limitée exclut d’office tout lien de subordination.
En l’espèce, le demandeur fait toutefois valoir qu’à partir du 15 septembre 2014, il n’aurait non seulement plus été gérant administratif de la société …, mais qu’il n’aurait, par ailleurs, plus détenu de parts dans la société … pour les avoir cédés entièrement, et à titre gratuit, à Madame …, de sorte qu’à partir de cette date, il n’aurait été qu’un simple salarié de la société en question.
En ce qui concerne plus particulièrement la participation de Monsieur … dans le capital social de la société … et la cession alléguée de l’intégralité de ses parts à Madame …, il convient de relever que l’article 710-8 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, ci-après désignée par « la loi du 10 août 1915 », dispose que :
« Toute société à responsabilité limitée doit tenir un registre contenant copies intégrales et conformes :
1° de l’acte constitutif de la société ;
2° des actes apportant des modifications audit acte.
A la suite de ceux-ci seront relatés les noms professions et demeures des associés, la mention des cessions de parts sociales et la date de la signification ou acceptation. […] ».
L’article 710-13 de la même loi prévoit quant à lui que :
« Les cession de parts sociales doivent être constatées par un acte notarié ou sous seings privés. ».
Elles ne sont opposables à la société et aux tiers qu’après qu’elle ont été notifiées à la société ou acceptées par elle en conformité avec les dispositions de l’article 1690 du Code civil ».
Finalement, il convient encore de relever qu’aux termes de l’article 6 de la loi du 19 décembre 2012 concernant le registre de commerce « Toute société commerciale dotée de la personnalité morale est tenue de requérir son immatriculation. Celle-ci indique: […] 6° dans le cas des sociétés à responsabilité limitée, l’identité des associés, leur adresse privée ou professionnelle précise et le nombre de parts sociales détenues par chacun; s’il s’agit de personnes physiques, leurs nom, prénoms, date et lieu de naissance […] ».
Il résulte des dispositions légales qui précèdent, que toute société à responsabilité limitée, telle que la société …, doit non seulement tenir un registre renseignant notamment sur l’acte constitutif de la société et les modifications y apportées, notamment en ce qui concerne les cessions des parts sociales, mais que toute cession de parts sociales doit impérativement être constatée par acte notarié ou sous seing privé. Or, en l’espèce, il ne résulte d’aucune pièce versée en cause que la société … ait effectivement tenu un tel registre susceptible de témoigner de la réalité de la cession de parts sociales alléguée. De même, le demandeur reste en défaut de verser un quelconque acte notarié, respectivement un acte sous seing privé tel qu’exigé par l’article 710-13 précité de la loi du 10 août 1915 et matérialisant la cession alléguée des parts sociales et il reste également en défaut de verser la publication de la cession de parts sociales alléguée au Registre de Commerce et des Sociétés. En effet, le demandeur se contente de verser une attestation testimoniale de Madame … dans laquelle celle-ci affirme avoir reçu 100 % des parts sociales de la société …, attestation, qui, outre de ne pas respecter les conditions prévues par l’article 402 du Nouveau Code de Procédure Civile pour ne pas être accompagnée d’une copie de la carte d’identité de son auteure, n’est, en tout état de cause, pas suffisante pour prouver la réalité juridique d’une telle cession de parts faute de respect par les associés concernées des formalités figurant aux dispositions des articles 710-8 et 710-13 précités de la loi du 10 août 1915. Ainsi et, faute d’avoir été constatée par acte notariée ou sous seing privé, l’effectivité d’une telle cession de parts reste à l’état de pure allégation.
Par ailleurs, et conformément à l’article 710-13 précité de la loi du 10 août 1915, une telle cession de parts, même si elle devait avoir eu lieu, serait en tout état de cause inopposable à la partie étatique dans la mesure où il ne ressort d’aucune pièce versée en cause qu’il y a eu notification d’une telle cession de parts à la société …, ni, a fortiori, acceptation de cette dernière en conformité avec les dispositions de l’article 1690 du Code civil aux termes duquel « […] La notification et l’acceptation du transport s’effectuent soit par un acte authentique, soit par un acte sous seing privé. Dans ce dernier cas, si un tiers conteste la date de la notification ou de l’acceptation du transport, la preuve de cette date peut être rapportée par tous les moyens ». Il ne ressort par ailleurs d’aucune pièce versée en cause que le changement au niveau du capital de la société et plus particulièrement du détenteur des parts sociales de celle-ci ait été publiée au Registre de Commerce et des Sociétés tel qu’exigé par l’article 6 de la loi du 19 décembre 2012 concernant le registre de commerce.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir d’une part, que la réalité juridique de la cession de parts sociales alléguée n’est pas établie en l’espèce, et, d’autre part, qu’une telle cession de parts serait en tout état de cause inopposable au directeur faute de respect des formalités inscrites à l’article 710-13 précité de la loi du 10 août 1915 et faute de publication en bonne et due forme au Registre de Commerce et des Sociétés , ce dernier a valablement pu considérer Monsieur … comme étant propriétaire de 100% des parts sociales de la société …, et ainsi contester tout existence d’un contrat de travail effectif dans le chef de Monsieur …, une telle détention majoritaire et absolue de parts sociales excluant en effet d’office tout lien de subordination entre Monsieur … et la société ….
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, que c’est à bon droit que l’ADEM a refusé la liquidation de la créance salariale du demandeur telle que retenue par le curateur et le juge commissaire de la société en faillite …, de sorte que le recours en annulation est, à défaut d’autres moyens permettant de conclure à l’illégalité de la décision déférée, à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond le déclare non fondé et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 novembre 2018 par :
Thessy Kuborn, vice-président, Paul Nourissier, premier juge, Géraldine Anelli, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 novembre 2018 Le greffier du tribunal administratif 11