Tribunal administratif N° 40706 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 février 2018 1re chambre Audience publique du 22 octobre 2018 Recours formé par la société … S.A., … en matière de nomination d’un commissaire spécial
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le n° 40706 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2018 par Maître Georges Krieger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A. établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le n° …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la nomination d’un commissaire spécial à la suite d’un jugement du tribunal administratif du 26 avril 2017, inscrit sous le n°37256 du rôle ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 13 février 2018, portant signification de ladite requête à l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, ayant sa maison communale à L-4138 Esch-sur-Alzette, Hôtel de Ville ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Steve Helminger déposé au greffe du tribunal administratif le 13 février 2018 ;
Vu les pièces versées en cause ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Raffaela Ferrandino, en remplacement de Maître Georges Krieger, en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 octobre 2018.
___________________________________________________________________________
La société anonyme … S.A., ci-après désignée par « la société … », est propriétaire d’un terrain sis à L-…, inscrit au cadastre d’Esch-sur-Alzette sous le numéro … et classé à la partie graphique du Plan d’Aménagement Général de la Ville d’Esch-sur-Alzette, ci-après désigné par « le PAG », en zone urbanisée II.
Le 28 mars 2013, elle introduisit auprès de la Ville d’Esch-sur-Alzette, conformément à l’article 52 du règlement sur les bâtisses, une demande de morcellement dudit terrain en deux unités, dans le but d’affecter le deuxième terrain ainsi créé à la construction d’une maison conformément au PAG en vigueur.
Par courrier du 10 octobre 2013, ladite demande de morcellement fut refusée sur base des considérations suivantes :
« […] Suite à votre demande du 28 mars 2013 concernant le morcellement de la parcelle en deux lots, je vous informe qu’un avis favorable ne peut être donné qu’après introduction d’un plan d’aménagement particulier (PAP) conformément à notre Plan d’aménagement général (PAG).
D’après le plan d’aménagement général de la Ville d’Esch-sur-Alzette, la parcelle 1852/16203 se situe en « secteur urbanisé 2 ». Ce secteur est soumis aux dispositions du règlement sur les secteurs Titre II qui fixe les règles d’urbanisme applicables. Ledit règlement prévoit la possibilité de dresser des plans de quartier pour définir les alignements des volumes à construire par rapport à la rue, ainsi que l’affectation des constructions.
Mais, il y a lieu de constater qu’un tel plan de quartier n’existe pas pour le terrain en question. Or, la commune oblige le demandeur de procéder à l’élaboration d’un plan d’aménagement particulier qui fixera alors les prescriptions nécessaires à appliquer, pour garantir une intégration harmonieuse dans le tissu urbain existant.
D’autre part il est à préciser que le PAG de la Ville d’Esch-sur-Alzette n’a pas encore fait l’objet d’une refonte et adaptation complète au sens de l’article 108 paragraphe 1 de la loi du 19 juillet 2004, de sorte que l’article 108 bis (3) de ladite loi est applicable en l’espèce. Ledit article, en son alinéa 2, dispose que « dans le cadre de la mise en œuvre du présent article, l’obligation d’établir un plan d’aménagement particulier incombe aux communes ainsi qu’aux associations, sociétés ou particuliers dans les zones définies au plan d’aménagement général comme zones soumises à l’élaboration d’un plan d’aménagement particulier et en cas de création ou de développement de lotissements de terrains ou de groupes d’habitations. On entend par groupe d’habitations deux maisons ou plus occupant un terrain qui, en raison de son étendue, de sa situation et de la condition du propriétaire, est destiné à être soumis à un lotissement ». […] ».
La société … a fait introduire, par requête déposée le 26 novembre 2013 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 33666 du rôle, un recours tendant à l’annulation de la décision de refus, précitée, du 10 octobre 2013.
Par un jugement du 1er décembre 2014, le tribunal administratif annula la décision lui déférée du 10 octobre 2013 pour incompétence de son auteur, en renvoyant le dossier en prosécution de cause au bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette, ci-après désigné par « le bourgmestre », dans la mesure où la décision de refus a été signée par une personne relevant, d’après les indications figurant sur ladite décision, de l’administration de l’architecte, division du développement urbain, de la Ville d’Esch-sur-Alzette et non pas par le bourgmestre, en violation des articles 67 de la loi communale du 13 décembre 1988, telle que modifiée, et 51.1 du règlement sur les bâtisses de la Ville d’Esch-sur-Alzette.
Aucune nouvelle décision n’ayant été prise suite au jugement, précité, du tribunal administratif du 1er décembre 2014, même après un courrier du litismandataire de la société … du 21 mai 2015, celle-ci saisit à nouveau le tribunal administratif, par une requête du 11 juin 2015, inscrite sous le numéro 36409 du rôle, en vue de la désignation d’un commissaire spécial, conformément à l’article 84 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 ». Dans ce cadre, la société … fit encore déposer le 11 novembre 2015 une requête en abréviation des délais au greffe du tribunal administratif.
Par jugement du 11 janvier 2016, inscrit sous le numéro 36409 du rôle, le tribunal administratif, tout en condamnant la Ville d’Esch-sur-Alzette au paiement d’une indemnité de procédure, rejeta la demande de la société … en nomination d’un commissaire spécial pour être devenue sans objet, étant donné que par décision du 25 novembre 2015, le bourgmestre avait, entretemps et à nouveau, refusé la demande de morcellement de la société … dans les termes suivants :
« […] Vous avez introduit en date du 28 mars 2013 une demande de morcellement en deux unités d'un terrain sis à L-…, inscrit au cadastre d'Esch-sur-Alzette sous le numéro … et classé dans la partie graphique du Plan d'Aménagement Général en zone urbanisée II.
Par courrier de l'Administration de l'architecte - division du développement urbain du 10 octobre 2013, vous avez été informé que cette demande de morcellement vous a été refusée.
Vous avez alors fait introduire, par requête déposée le 26 novembre 2013 au greffe du tribunal administratif, un recours tendant à l'annulation de cette décision.
Par jugement du 1er décembre 2014 (rôle n°33.666), le tribunal administratif a annulé la décision du 10 octobre 2013 pour incompétence de son auteur.
Suite à ce jugement, je vous informe que je ne peux donner une réponse favorable à votre demande de morcellement, pour les raisons qui suivent.
D'après le plan d'aménagement général de la Ville d'Esch-sur-Alzette, la parcelle 1852/16203 se situe « en secteur urbanisé II ».
Ce secteur est soumis aux dispositions du règlement sur les secteurs Titre II qui fixe les règles d'urbanisme applicables. Ledit règlement prévoit la possibilité de dresser des plans de quartier pour définir les alignements des volumes à construire par rapport à la rue, ainsi que l'affectation des constructions.
Il y a toutefois lieu de constater qu'un tel plan de quartier n'existe pas pour le terrain en question et qu'à défaut d'un tel plan de quartier la réglementation urbanistique communale ne fixe aucune règle de constructibilité pour ce terrain.
Il y a partant lieu de procéder préalablement à l'élaboration d'un plan d'aménagement particulier qui fixera alors les prescriptions nécessaires à appliquer, pour garantir une intégration harmonieuse dans le tissu urbain existant.
Un morcellement visant à diviser un terrain construit en vue de la réalisation de deux terrains constructibles ne saurait être autorisé, à défaut d'un PAP fixant les règles de constructibilité pour ces nouvelles parcelles à créer.
Il importe encore de préciser que le PAG de la Ville d'Esch-sur-Alzette n'a pas encore fait l'objet d'une refonte et adaptation complète au sens de l'article 108 paragraphe 1 de la loi du 19 juillet 2004, de sorte que l'article 108 bis (3) de ladite loi est applicable en l'espèce.
Conformément à l’alinéa 2 de cet article :
« Dans le cadre de la mise en œuvre du présent article, l'obligation d'établir un plan d'aménagement particulier dont le contenu des parties graphique et écrite correspond à celui du plan d'aménagement particulier „nouveau quartier", incombe aux communes ainsi qu'aux associations, sociétés ou particuliers dans les zones définies au plan d'aménagement général comme zones soumises à l'élaboration d'un plan d'aménagement particulier et en cas de création ou de développement de lotissements de terrains ou de groupes d'habitations. On entend par groupe d'habitations deux maisons ou plus occupant un terrain qui, en raison de son étendue, de sa situation et de la condition du propriétaire, est destiné à être soumis à un lotissement ».
Votre demande de morcellement visant à diviser un terrain ne pouvant actuellement accueillir qu'une seule construction afin de permettre d'en accueillir deux requiert partant également l'élaboration préalable d'un PAP en vertu de cette disposition.
Votre demande de morcellement est partant refusée et ne pourra être accordée qu'après introduction d'un plan d'aménagement particulier conformément au PAG de la Ville d'Esch-sur-Alzette et aux dispositions légales régissant la matière. […] ».
Par un jugement du 26 avril 2017, inscrit sous le numéro 37256 du rôle, le tribunal administratif annula la décision du bourgmestre du 25 novembre 2015 au motif que le bourgmestre a, à tort, refusé une autorisation de morcellement au motif que l’élaboration préalable d’un PAP est requis.
Aucune nouvelle décision délivrée par le bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette n’étant intervenue à la suite de ce jugement, non frappé d’appel, la société … a fait introduire, par une requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2018, une demande en nomination d’un commissaire spécial en application des articles 84 et suivants de la loi du 7 novembre 1996.
Il convient de relever à titre liminaire que l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette n’a pas fourni de mémoire en réponse dans le délai légal, bien que la requête introductive ait été signifiée par voie d’huissier de justice en date du 13 février 2018.
Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties par un jugement ayant les effets d’une décision contradictoire, même si la partie défenderesse n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.
Aux termes de l’article 84 de la loi du 7 novembre 1996: « Lorsqu’en cas d’annulation ou de réformation, coulée en force de chose jugée, d’une décision administrative qui n’est pas réservée par la Constitution à un organe déterminé, la juridiction ayant annulé ou réformé la décision a renvoyé l’affaire devant l’autorité compétente et que celle-ci omet de prendre une décision en se conformant au jugement ou à l’arrêt, la partie intéressée peut, à l’expiration d’un délai de trois mois à partir du prononcé de l’arrêt ou du jugement, saisir la juridiction qui a renvoyé l’affaire en vue de charger un commissaire spécial de prendre la décision aux lieu et place de l’autorité compétente et aux frais de celle-ci. La juridiction fixe au commissaire spécial un délai dans lequel il doit accomplir sa mission. La désignation du commissaire spécial dessaisit l’autorité compétente ».
Dans la mesure où il est constant en cause qu’aucune décision en exécution du jugement prévisé du 26 avril 2017, entretemps coulé en force de chose jugée, n’avait été prise jusqu’à la date d’introduction de la requête en désignation d’un commissaire spécial, en l’occurrence le 2 février 2018, cette requête est recevable pour avoir par ailleurs été introduite dans les formes prévues par la loi.
Force est cependant de constater qu’il se dégage des pièces produites et des explications fournies par la société …, que le 27 février 2018, une autorisation d’un morcellement a été accordée par le bourgmestre.
A l’audience des plaidoiries du 10 octobre 2018, le tribunal a soulevé la question de l’objet du recours au regard de la décision entretemps prise par le bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette.
Le mandataire de la société requérante a déclaré maintenir la requête seulement dans la mesure où elle réclame une indemnité de procédure.
Force est de constater que la décision entretemps prise le 27 février 2018 doit être qualifiée comme décision prise en conformité avec le jugement du 26 avril 2017, précité, au vœu de l’article 84 de la loi du 7 novembre 1996.
Or, dans la mesure où, au moment où le juge administratif est appelé à statuer sur la demande en désignation d'un commissaire spécial, l'autorité administrative a pris une nouvelle décision, la demande en désignation d'un commissaire est à considérer comme étant devenue sans objet1.
Il en découle que la requête en désignation d’un commissaire spécial introduite par la société … est à rejeter pour être devenue sans objet.
Quant à l’indemnité de procédure de 1.500 € réclamée par la société reqérante, qui fait valoir qu’il serait injuste de laisser à sa charge les frais et les honoraires de son avocat eu égard au refus de collaboration réitéré de l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-
Alzette, il convient de relever qu’aux termes de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine ».
Force est de constater que depuis le jugement du 26 avril 2017, aucune décision n’était intervenue de la part du bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette au moment de l’introduction de la demande en nomination d’un commissaire spécial et une nouvelle décision n’est intervenue qu’à la suite de l’introduction de la requête sous analyse.
S’il est vrai que ladite décision a été prise dans un laps de temps relativement bref à la suite de l’introduction de la requête en nomination d’un commissaire spécial, force est néanmoins de constater que le bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette a attendu plus de 9 mois à la suite du jugement du 26 avril 2017 avant d’accorder l’autorisation sollicitée. Le tribunal est amené à retenir que ce délai, qui ne saurait s’expliquer par la seule considération tenant au défaut de plan de quartier, est à attribuer à un défaut de collaboration de l’administration communale, qui s’est déjà manifesté durant la procédure antérieure tel que cela se dégage des faits et rétroactes retranscrits ci-avant. Dans ces conditions, le tribunal estime qu’il serait inéquitable de laisser à l’unique charge de la société requérante les frais 1 Cour adm. 8 février 2007, n° 22027C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Procédure contentieuse, n° 1072 non compris dans les dépens et liés à l’introduction d’une requête en nomination d’un commissaire spécial, impliquant la représentation obligatoire par un avocat, la nouvelle décision n’étant intervenue qu’à la suite de l’introduction de cette requête.
Le tribunal accorde dès lors à la société requérante une indemnité de procédure sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 qu’il évalue ex aequo et bono au montant de 800 €.
Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit la demande en nomination d’un commissaire spécial en la forme ;
constate qu’elle est devenue sans objet, partant la rejette ;
condamne l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette au paiement d’une indemnité de procédure d’un montant de 800 € ;
condamne l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette au paiement des frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, premier juge, Olivier Poos, premier juge, et lu à l’audience publique du 22 octobre 2018, par le vice-président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
s. Arny Schmit s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22.10.2018 Le greffier du tribunal administratif 6